Etat de connaissances des aquifères karstiques

ETAT DE CONNAISSANCES DES AQUIFERES KARSTIQUES 

Les milieux karstiques

Le karst
Le mot Karst est dérivé des termes «Carso» et «Kras» utilisés par la population slovène pour décrire le paysage de pierres typiques de la région du karst classique (la région autour de Trieste et les montagnes Dinariques de la Slovénie) (Gams, 1993). Le début des études karstiques peut être fixé à la fin du XIXe siècle, quand un étudiant serbe de Albrecht Penck, Jovan Cvijic, a publié sa thèse de doctorat intitulée «Das Karstphänomen» (Le phénomène du karst), à l’école de la géologie et la géographie de Vienne (Cvijic, 1893). Ce fut le premier travail important sur le karst qui, non seulement décrit les reliefs karstiques du karst classique, mais se réfère aussi à des régions voisines avec des morphologies similaires. Depuis, de nombreux auteurs ont étudié les reliefs karstiques dans de nombreuses zones du monde, d’abord de façon indépendante en Europe et en Amérique du Nord, plus tard de manière conjointe.

Le karst est un système complexe très particulier, fortement hétérogène, sur une grande gamme d’échelles d’observation. Selon Bakalowicz (1979), le karst est un ensemble de formes de surface et souterraines résultant de la dissolution de roches carbonatées (calcaire, marbre, dolomie, craie) par les eaux souterraines rendues acides par le dioxyde de carbone CO2. Le karst est l’objet d’étude de plusieurs disciplines. Il a fait l’objet de descriptions selon différentes approches: géomorphologique (Cvijic, 1925), spéléologique et hydrogéologique. L’approche géomorphologique, basée essentiellement sur l’étude de paramètres géographiques (climat, latitude) et géomorphologiques permet la description des formes de surface (exokarst). Deux théories tentent d’expliquer la formation de ces objets exokarstiques: la théorie anglo-saxonne basée sur des cycles d’érosion, la théorie française, basée sur une théorie climatique de la karstification (Corbel, 1957). Cependant, cette dernière a été critiquée, d’abord parce qu’elle ne prend pas en compte les phénomènes physiques expliquant la karstogenèse et ensuite parce qu’elle reste éloignée des objectifs de l’hydrogéologie. Les recherches concernant le karst s’orientent ainsi vers une approche plus globale se basant sur les recherches géologiques, hydrogéologiques, pédologiques et spéléologiques (Maire, 1992).

La deuxième approche est spéléologique, elle est basée sur la description des formes souterraines (endokarst); elle a souvent été abordée dans les études du karst (Bakalowicz, 1979), qui est aperçu comme la continuité des écoulements de surface, c’est-à-dire comme un simple agencement de conduits reliant des pertes à des résurgences par l’intermédiaire de rivières souterraines. Cette approche du karst, dont le précurseur est Martel (1905, 1921) ne peut être généralisée, mais peut toutefois fournir de bonnes informations sur la karstification, une fois replacée dans un contexte hydrogéologique global.

La troisième approche quant à elle, est hydrogéologique, elle est basée sur l’évaluation des réserves en eau souterraine des massifs karstiques et l’appréhension de leur mode d’écoulement (Mangin, 1975, 1978); elle considère le milieu karstique dans son ensemble comme un aquifère dont les vides, pénétrables ou non, contiennent de l’eau susceptible d’être utilisée, en particulier pour l’alimentation en eau potable.

La karstification

La karstification est un processus d’altération chimique et d’érosion mécanique (abrasion) qui permet la formation de vides karstiques (grottes, avens, lapiaz…) connectés et hiérarchisés en constituant une unité de drainage karstique au sein de la roche originelle. Vis-à-vis du problème de la karstification actuelle, Salomon en 1999 a montré qu’il y a des facteurs qualifiés de « passifs » comme la nature lithologique des carbonates, disposition structurale et fracturation, potentiel hydraulique et âge du karst. Donc, il y a l’intervention d’autres facteurs dits « dynamiques », liés essentiellement au climat et à ses variations et, faisant intervenir le principal agent de la karstification : l’eau. Le temps de karstification peut alors s’étirer sur des échelles fort différentes. Les roches concernées sont celles qui pourront être dissoutes directement par l’eau de pluie et surtout celles qui peuvent être dissoutes par l’eau infiltrée à travers le sol, ce qui, en climat tempéré, regroupe principalement l’ensemble des formations carbonatées (calcaires et dolomies). La solubilité de ces roches carbonatées explique l’évolution superficielle et souterraine du paysage karstique. Il est admis que c’est le dioxyde de carbone (CO2) dissous dans l’eau qui est l’agent principal quant à l’attaque chimique des calcaires, même si bien d’autres acides interviennent, fournis par les plantes (acide humique, fulvique, nitrique, etc.) et les éléments issus des sols (Bakalowicz, 1979 ; Plagnes, 1997). L’activité biologique au niveau du sol joue aussi un rôle fondamental en augmentant la pression partielle de CO2 (pCO2) du milieu ; l’eau infiltrée va alors s’équilibrer avec ce milieu et s’enrichir en CO2, ce qui lui confère un caractère acide qui favorise la dissolution des carbonates (système calcocarbonique) (Ford et Williams, 1989). Ces eaux infiltrées sont dites agressives, l’agressivité est liée à sa plus ou moins grande acidité. Une eau dite « agressive » est une eau sous-saturée capable de dissoudre. Le temps d’intervention sur un karst sera donc d’autant plus rapide qu’une eau sera plus acide. Il y a aussi l’oxydation de la matière organique qui produit du CO2 et favorise d’autant plus la dissolution de la calcite et le développement des réseaux de drainage karstique (Jehl et Rougerie, 1995). Dans le cas d’une perte en rivière qui transporte des quantités plus ou moins importantes de matière organique, le flux d’éléments sera lié au débit de la rivière qui atteint le karst (Palmer, 2003). La vitesse d’évolution de la karstogenèse est fonction de l’état de sous saturation de la solution vis-àvis des minéraux constitutifs de l’aquifère, mais aussi avant tout des flux d’eau entraînant les ions mis en solution.

Les aquifères karstiques 

L’eau souterraine est totalement impliquée dans la formation et le fonctionnement d’un karst. Ce n’est que depuis les années 1970 que le karst est reconnu comme un aquifère à part entière, différent des aquifères poreux et des aquifères fissurés classiques.

Caractéristiques générales : Description

Les aquifères karstiques présentent des caractéristiques hydrogéologiques qui les distinguent des autres aquifères (White, 1988; Ford et Williams, 2007 ; Bakalowicz, 1995, 2005). La description de ces aquifères repose sur deux modèles : les modèles « globaux » et les modèles déterministes (Jeannin, 1996). Les premiers considèrent l’aquifère comme une « boîte noire » dont on étudie le comportement par des fonctions mathématiques. Ces modèles sont fréquemment appliqués en hydrologie, leur application au karst est due principalement à Mangin (1975). Ces modèles ne font pas intervenir les processus physiques de l’écoulement et du transport, et donnent, par conséquent, peu d’information sur le fonctionnement à l’intérieur de l’aquifère. Ils permettent cependant de décrire les variations temporelles d’un paramètre de façon satisfaisante, et peuvent dans certains cas permettre de classifier les aquifères (Mangin 1982, Padilla et Pulido-Bosch 1995, Grasso et Jeannin 1994). Les modèles déterministes tiennent compte du mécanisme physique de chaque phénomène reconnu dans les aquifères (hydraulique et transport). Les modèles déterministes permettent de tester l’effet sur les réponses de l’aquifère de certaines hypothèses sur sa structure; ils forcent l’hydrogéologue à faire des hypothèses sur la structure tridimensionnelle de l’aquifère (champ des paramètres physiques de l’aquifère et conditions aux limites).

Les deux types d’approche sont complémentaires, les modèles globaux fournissant des indices sur la base desquels des hypothèses sont élaborées, dont on peut ensuite vérifier les effets à l’aide de modèles déterministes.

Structure et fonctionnement 

Il n’est pas suffisant de constater l’existence de phénomènes karstiques mais il faut aussi et surtout considérer la fonctionnalité karstique de l’aquifère. Cela revient à vérifier l’adéquation entre l’existence d’une structure karstique et son fonctionnement. Dans les aquifères karstiques, structure et fonctionnement sont indissociables. Les aquifères karstiques appartiennent à la famille des aquifères fracturés. Au sein de ces réservoirs existent des processus d’écoulement complexes qui sont la conséquence directe des contrastes de perméabilité affectant ces milieux hétérogènes (Charmoille, 2005). Les praticiens ont défini une variété de ces processus chacun selon sa discipline et selon les conditions géologiques, hydrologiques et climatiques du site d’étude (Ford et Williams, 1989). La structure interne d’un aquifère karstique se divise en plusieurs entités distinctes, au sein desquelles, l’écoulement est structuré de manière différente. En effet, les réseaux d’écoulement drainent efficacement les eaux en prenant support sur les discontinuités présentes qui sont elles même fonction de la lithologie, des processus diagénétiques et de l’histoire tectonique du massif considéré.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : LES AQUIFERES KARSTIQUES, PROBLEMATIQUE ET ENJEUX
I. Etat de connaissances des aquifères karstiques
I.1. Les milieux karstiques
I.1.1. Le karst
I.1.2. La karstification
I.1.3. Les aquifères karstiques
I.1.3.1. Caractéristiques générales : Description
I.1.3.2. Structure et fonctionnement
I.1.3.3. Modalités d’infiltration
I.1.3.4. Méthodes et classification
I.1.4. Géomorphologie des aquifères karstiques
I.2. Le karst dans la craie
I.2.1. Caractéristiques physiques de la craie
II. Le karst de la craie de la région Haute-Normandie
II.1. Mise en place des systèmes karstiques régionaux
II.1.1. Le karst d’introduction
II.1.1.1. Bétoires
II.1.2. Le karst de restitution
II.1.3. Le karst d’introduction et le karst de restitution deux ensembles dynamiques différents
II.2. Problématique et enjeux associés
II.2.1. Le risque sanitaire des bétoires
II.2.1.1. Les transports karstiques et la turbidité
II.2.2. Le risque géotechnique des dolines ou bétoires
CHAPITRE 2 : CADRE PHYSIQUE ET METHODOLOGIE
I. Contexte général de l’étude
I.1. Contexte géomorphologique
I.2. Contexte climatique
I.3. Occupation des sols en Haute-Normandie
I.4. Contexte géologique Haut Normand
I.4.1. La craie
I.4.2. Formations superficielles
I.5. Contexte structural
I.6. Contexte hydrogéologique régional
I.6.1. L’aquifère de la craie
I.6.2. La géométrie de l’aquifère
I.6.3. Les autres nappes
II. Méthodologie d’étude
II.1. Données disponibles
II.1.1. Base de données bétoires
II.1.2. Données piézométriques et climatiques
II.1.3. Suivis de terrain
II.2. Méthodes d’investigation
II.2.1. Analyses statistiques
II.2.1.1. Analyses de séries temporelles
II.2.2. Analyse des données spatiales
II.2.2.1. Système d’information géographique (SIG)
II.2.2.2. L’indice topographique de beven-kirkby
II.2.3. Outils de modélisation
CHAPITRE 3 : LES MODALITES DU FONCTIONNEMENT HYDROLOGIQUE DE L’AQUIFERE SUPERFICIEL DES PLATEAUX CRAYEUX KARSTIFIES
I. L’importance du contexte régional sur les bétoires et le développement des réseaux karstiques
II. Rôle des formations superficielles dans les processus de recharge de l’aquifère de la craie
II.1. Fonctionnement hydrologique du karst d’introduction
II.2. Hydrological role of regolith cover in the vicinity of a sinkhole towards the chalk aquifer of Western Paris Basin
III. Zones préférentielles au développement des bétoires
III.1. L’organisation spatiale des zones d’introduction karstique: les bétoires
III.2. Liens entre la répartition des bétoires et des épaisseurs de formations superficielles
III.3. L’indice de Beven Kirkby appliqué sur la région Haute-Normandie
III.4. Impact de la répartition spatiale de l’IBK sur la distribution des bétoires
CHAPITRE 4 : LES MODALITES DE LA RECHARGE ET DES ECOULEMENTS DANS L’AQUIFERE DE LA CRAIE
I. Impact du forçage climatique sur la recharge de l’aquifère
I.1. Variabilités temporelle et spatiale du signal climatique d’entré la pluie
I.1.1. Variabilité temporelle
I.1.2. Variabilité spatiale
I.1.3. Réactivité des piézomètres étudiés au signal pluie
I.2. Etude de la signature climatique « NAO » dans les piézomètres de la Haute-Normandie et son influence sur le stock d’eau disponible
I.2.1. Analyse de cohérence et de phase en ondelettes de la NAO et les précipitations brutes
I.2.2. Analyse de cohérence et de phase en ondelettes des pluies corrigées et les réponses piézomètriques
I.2.3. Analyse de cohérence et de phase en ondelettes de la NAO et des réponses piézomètriques
II. Variabilité spatiale des réponses piézomètriques dans l’aquifère de la craie
III. Le (s) rôle (s) des écoulements dans le fonctionnement hydrologique des bassins versants
IV. Variabilité spatiale de la géochimie de l’aquifère crayeux et implications sur la vulnérabilité de la nappe
IV.1. La géochimie de l’aquifère de la craie
IV.2. Preuve de l’influence de l’hétérogénéité locale et régionale dans l’aquifère de la craie en se basant sur des analyses de nitrates
CHAPITRE 5 : TESTS DE MODELISATION DE L’AQUIFERE CRAYEUX KARSTIFIE DE LA HAUTE-NORMANDIE
I. Généralités
I.1. La modélisation hydrologique
I.2. La typologie des modèles
I.3. Modélisation des écoulements dans un milieu karstique
II. Résultats de modélisation globale par GARDENIA et de modélisation distribuée par MARTHE
CONCLUSIONS

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