Etapes possibles des procédés pyrométallurgiques de réduction de minerais de cuivre sulfurés
Les procédés de métallurgie extractive du cuivre à partir de minerais sulfurés s’articulent en plusieurs étapes successives. Une étape de procédé est définie par un processus chimique, dont la nature et la cinétique sont imposées par les conditions opératoires et qui peut se modéliser par une équation bilan.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’objectif de ce premier paragraphe est de présenter les principales étapes possibles de ces procédés. Pour chaque étape, nous expliciterons le but, les conditions opératoires et les réactions chimiques qui la gouvernent. Nous définirons ainsi les termes-clés que nous utiliserons dans la suite de ce mémoire de thèse.
Pour une grande majorité des procédés de métallurgie extractive du cuivre à partir de minerais sulfurés les étapes sont au nombre de trois [Biswas et Davenport, 1980 ; Thiriart et al., 2001 ; Yazawa, 1974].
– le grillage du minerai;
– la fusion scorifiante;
– la conversion de la matte.
Les différents procédés varient principalement en fonction de la manière dont ces étapes sont combinées, et des techniques employées pour chaque étape (la ventilation, le combustible, etc.). Concernant le premier point, chaque étape peut être réalisée dans un réacteur différent, ou au contraire plusieurs étapes peuvent être effectuées dans un même réacteur, certaines étapes pouvant être effectuées plusieurs fois de suite, etc.
Le grillage
Objectif du grillage
Le grillage est une oxydation du minerai sulfuré à l’état solide. Son objectif est double :
– Le grillage permet d’éliminer une partie du soufre et du fer, par oxydation sélective : le soufre est éliminé sous forme de SO2 gazeux, le fer est séparé du cuivre en formant des oxydes (hématite Fe2O3, magnétite Fe3O4, etc.) ou des sulfates (le plus souvent de formule Fe2(SO4)3).
– L’oxydation est une réaction exothermique. Dans les procédés modernes tout au moins, la chaleur de réaction est utilisée pour sécher et préchauffer le minerai avant l’étape suivante du procédé.
Physico-chimie du grillage
La chalcopyrite, un sulfure mixte de cuivre et de fer de formule CuFeS2, est le minerai sulfuré le plus abondant et le plus fréquemment traité. Le grillage de la chalcopyrite peut être modélisé par une double oxydation : celle du sulfure de fer et celle du sulfure de cuivre. Pour chacune de ces oxydations, la thermodynamique permet de prévoir quelles sont, à l’équilibre, les espèces chimiques formées en fonction de la température et des pressions partielles de O2 et de SO2. Les diagrammes d’équilibre des systèmes Fe-O-S et Cu-O-S illustrent ces domaines thermodynamiques.
Par exemple, en se plaçant dans les conditions de grillage industriel (pO2~0,21 et pSO2~0) , nous pouvons distinguer deux cas extrêmes :
– Autour de 500°C-600°C, les produits thermodynamiquement stables sont des sulfates :
500°C<T<600°C: 2CuFeS2 + 17/2O2 = CuO.CuSO4 + Fe2(SO4)3 [1]
– Au-delà de 700°C, les produits thermodynamiquement stables sont des oxydes :
T>700°C 2CuFeS2 + 13/2O2 = 2CuO + Fe2O3 + 4SO2 [2]
Les figures 1 et 2 montrent également qu’il existe, à température constante, deux manières de passer des sulfates aux oxydes : 1) diminuer la pO2 ou 2) diminuer la pSO2. Mais comme l’étape de grillage est réalisée en système ouvert, avec balayage de gaz, les pressions partielles de O2 et de SO2 sont des paramètres difficiles à connaître précisément. En réalité, pour la quasi-totalité des procédés, aussi bien protohistoriques qu’industriels, l’état d’équilibre thermodynamique du système est très rarement atteint. Ainsi, si les réactions [1] et [2] représentent les réactions totales, elles ne sont en réalité que partielles et conduisent à toutes les situations intermédiaires possibles. Le produit obtenu à l’issue du grillage est un mélange de sulfures et/ou de sulfates et/ou d’oxydes de cuivre/fer, dont les natures et les proportions dépendent à la fois des conditions thermodynamiques et de la durée du traitement.
La fusion scorifiante
Objectif de la fusion scorifiante
Le but de la fusion scorifiante est de séparer physiquement les oxydes formés lors du grillage et les sulfure restants. Cette séparation se fait à l’état liquide, par gravité. Les oxydes de fer ayant des températures de fusion élevées (hématite: 1565°C ; magnétite : 1597°C), il est nécessaire d’ajouter, lors de cette étape, un composé jouant le rôle de fondant (le plus souvent le quartz SiO2). Ce dernier permet de piéger les oxydes de fer dans une phase silicatée de température de fusion plus basse, appelée « scorie » ( à base de Fe-Si-O). Le mélange de sulfure de cuivre-fer restant est, quant à lui, appelé « matte » (à base de Cu-Fe-S). La matte ou le cuivre formé, plus denses que la scorie (dmatte= 4,1-5,2 ; dscorie= 3-3,7), se séparent par gravité en se rassemblant au fond du mélange.
La qualité de séparation matte/scorie est d’autant meilleure que la scorie liquide est peu visqueuse. Or, le diagramme binaire FeO-SiO2 montre que la composition idéale pour abaisser au maximum le point de fusion de la scorie correspond à un rapport Fe/Si=2 (en atomique). C’est la composition eutectique de la fayalite. Souvent, d’autres éléments (Ca, Mg, …) sont présents dans le mélange. Nous parlerons dans ce cas d’olivines (voir le diagramme FeO-CaO-SiO2, Figure 3): les olivines sont des silicates de formules générales XYSiO4, dont les compositions sont comprises dans un tétraèdre ayant pour sommets les phases : Forsterite (Mg2SiO4), Fayalite (Fe2SiO4), Tephroite (Mn2SiO4), Bredigite (Ca2SiO4). La fayalite est donc le pôle purement ferreux de l’olivine.
Propriétés physico-chimiques de la scorie
La scorie liquide peut être décrite comme une solution d’oxydes.
Dans le cas des scories siliceuses, les oxydes majoritaires sont SiO2, FeO et Fe2O3. Lorsque le SiO2 n’est pas présent dans le minerai initialement traité, il peut être ajouté pour obtenir un effet de fondant. Les scories contiennent parfois également des oxydes minoritaires, Al2O3, CaO, MgO, et nous verrons que les scories protohistoriques et expérimentales peuvent également contenir, en faible quantité, d’autre éléments qui proviennent du minerai ou de la pollution par les parois du réacteur : ZnO, K2O, P2O5, etc. Une partie du cuivre peut également se dissoudre dans la scorie. La minimisation de ces pertes chimiques constitue un enjeu majeur des recherches industrielles modernes. Nous reviendrons sur ce point lors de la revue de l’histoire des procédés de métallurgie extractive du cuivre à base de minerai sulfuré .
Afin de modéliser de façon simple comment la viscosité des scories varie avec la composition, il est usuel de répartir les cations présents dans la scorie en trois types [Urbain, 1987]:
– Les cations Si4+ sont des formateurs de réseau. Lorsqu’ils fondent, ils polymérisent et s’assemblent en longs réseaux de polyanions (Figure 7), qui forment des scories à viscosité élevée. En première approximation, la scorie est donc un liquide de silice, c’està-dire un agencement de tétraèdres SiO4 désordonnés à longue distance.
– Les cations Na+ , K+ , Ca2+, Mg2+ sont des modificateurs de réseaux. Ils dépolymérisent le réseau de polyions en formant des liaisons ioniques. En réduisant la taille des unités structurales, ils abaissent la viscosité de la scorie .
– Certains cations comme l’Al3+ sont amphotères. Ils peuvent agir comme formateurs ou comme modificateurs de réseau selon la composition du mélange. Dans le cas de scorie de métallurgie du cuivre, l’aluminium agit plutôt comme un formateur de réseau, et le Fe3+ comme un modificateur [McKey, 1982].
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I) ETAPES POSSIBLES DES PROCEDES PYROMETALLURGIQUES DE REDUCTION DE MINERAIS DE CUIVRE SULFURES
I.1) Le grillage
I.1.1) Objectif du grillage
I.1.2) Physico-chimie du grillage
I.2) La fusion scorifiante
I.2.1) Objectif de la fusion scorifiante
I.2.2) Physico-chimie de la fusion scorifiante
I.2.3) Propriétés physico-chimiques de la matte
I.2.4) Propriétés physico-chimiques de la scorie
I.3) La conversion de la matte
II) HISTORIQUE DES PROCEDES DE METALLURGIE EXTRACTIVE DU CUIVRE A BASE DE MINERAIS SULFURES
II.1) Le Chalcolithique (-3100 / – 2100 av J.C)
II.2) L’Age du Bronze Moyen/ Bronze Final dans les Alpes (-2100 / -1800 av J.C.)
II.2.1) Etudes de reconstitution des procédés anciens
II.2.2) Description des réacteurs de l’âge du Bronze Moyen /Final
II.3) La métallurgie pré-moderne : Du Moyen-Age à l’ère industrielle
II.4) Ere industrielle – Première moitié du XXe siècle
II.4.1) Description des procédés
II.4.2) Description des fours
II.4.3) La recherche d’optimisation de l’ère industrielle
II.5) Ere industrielle : Deuxième moitié du XXe siècle
II.5.1) Les procédés hydrométallurgiques
II.5.2) Les procédés « Flash »
III) DESCRIPTION SOMMAIRE DES SITES DE METALLURGIE PROTOHISTORIQUE CONCERNES
III.1) La Capitelle (District de Cabrières, Hérault)
III.2) Al-Claus (Tarn-Et-Garonnne)
III.3) Les sites du Chalcolithique en Italie
III.4) Saint-Véran (Hautes-Alpes)
IV) MISE EN PLACE D’UN MODELE ARCHEOLOGIQUE
IV.1) Nature du minerai
IV.2) Nature et forme du réacteur
IV.3) Nature du combustible
IV.4) La ventilation
V) EXPOSE DE LA PROBLEMATIQUE ARCHEOLOGIQUE
V.1) Hypothèse 1 : Une seule étape de fusion au fond du réacteur
V.2) Hypothèse 2 : Une seule étape de fusion en présence d’un oxyde
V.3) Hypothèse 3 : Deux étapes (grillage et fusion scorifiante) dans un seul réacteur
VI) OBJECTIF DE CETTE ETUDE
VII) LA CARACTERISATION ANALYTIQUE DES SCORIES ARCHEOLOGIQUES
VII.1) La morphologie des scories
VII.1.1) Les scories chalcolithiques
VII.1.2) Les « Schlackenküche » (scories « cake »)
VII.1.3) Les “Plattenschlacken” (scories « plates »)
VII.1.4) Le sable de scories (ou “Schlackensand”)
VII.1.5) Interprétation des différents types de scories
VII.2) La viscosité des scories
VII.3) Composition chimique élémentaire globale des scories
VII.4) La minéralogie des scories
VII.4.1) Les inclusions de silice
VII.4.2) Les inclusions de matte et de cuivre métallique piégées dans les scories
VII.4.3) Les olivines
VII.4.4) Les clino-pyroxènes
VII.4.5) Les oxydes de fer
VII.5) Degré d’oxydation de la scorie
VII.5.1) Méthodologie de mesure de degré d’oxydation du fer
VII.5.2) Calibrations empiriques des correspondances entre taux de Fe3+ et pO2 régnant dans le système
VII.5.3) Etudes antérieures des degrés d’oxydation des scories archéologiques
VIII) ETUDES THERMODYNAMIQUES ET CINETIQUES DES TRANSFORMATIONS DE SULFURES DE CUIVRE A HAUTE TEMPERATURE
VIII.1) Décomposition de sulfures de cuivre sous atmosphère inerte
VIII.2) Oxydation de sulfures de cuivre à l’état solide sous air
VIII.2.1) Etudes Thermodynamiques
VIII.2.2) Etudes cinétiques
VIII.3) Oxydation de sulfures de cuivre à l’état liquide
VIII.4) Interaction oxyde sulfure à l’état liquide
IX) CONCLUSION
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