La demande alimentaire mondiale aura augmenté de 60% en 2050 par rapport à 2006 d’après la FAO (2016), notamment à cause de l’accroissement de la population. En parallèle, le changement climatique rend vulnérable l’agriculture actuelle ; on comprend qu’une optimisation des systèmes agricoles est nécessaire afin d’assurer la sécurité alimentaire (FAO, 2016). Le blé, figurant parmi les céréales les plus consommées dans le monde et constituant un aliment de base depuis 6000 ans sur plusieurs continents, connaissait déjà une baisse de 4,9% de son rendement mondial à cause des fluctuations climatiques en 2008 (Lobell, Schlenker, et Costa Roberts, 2011). Au niveau européen, les rendements stagnent malgré les progrès génétiques et parmi les causes figure la hausse des températures moyennes annuelles durant le remplissage des grains, phase finale de l’élaboration du rendement (Brisson et al., 2010). En effet, les fortes températures autour de et après la fécondation du grain impactent négativement le nombre et la masse finale des grains (Semenov et Shewry, 2011) et c’est notamment durant cette phase finale du cycle du blé qu’une hausse de la fréquence des épisodes de stress hydrique et thermique est attendue (Challinor et al., 2014). La conséquence de la hausse des températures moyennes journalières sur le rendement a été approfondie via des approches de modélisation pour simuler le rendement (Gammans, Mérel, et Ortiz Bobea, 2017) mais l’effet de ces températures élevées sur le remplissage du grain est mal cerné, et donc mal estimé dans ces modèles (Chenu et al., 2017). Connaitre les conséquences de l’augmentation des températures sur le développement du grain et sur la masse finale des grains permettra de mieux préconiser la conduite des cultures et d’améliorer les programmes de sélection variétale. Cela souligne l’importance de comprendre et de modéliser les effets des hautes températures durant le remplissage sur la masse finale des grains.
Ce rapport est le fruit d’un stage de fin d’études du cursus ingénieur agronome de la spécialité Data Science pour l’Agronomie, ainsi une attention particulière sera apportée à la méthodologie statistique développée durant ce stage. Une synthèse bibliographique nous permettra de cerner les prérequis et d’introduire le contexte précis de l’expérimentation conduite par Christine Girousse en 2016 dont les données ont été traitées durant ce stage. Nous expliciterons la stratégie d’analyse et, après avoir présenté brièvement les résultats, une discussion sera effectuée sur cette stratégie et sur le protocole expérimental.
La constitution du grain débute après la fécondation, que l’on approxime par la date d’apparition des anthères plus communément appelée anthèse chez le blé. Un grain de blé est schématisé en Fig. 1. La durée du développement du grain de blé dépend du génotype et des facteurs environnementaux, notamment de la température ; il est classiquement décomposé en trois phases :
— La phase précoce ou lag-phase : les structures du grain se mettent en place, notamment les enveloppes du grain ; le volume du grain augmente fortement au cours de cette phase grâce à une accumulation rapide d’eau dans les tissus : au sein du futur albumen la multiplication cellulaire a lieu et le nombre de cellules issu de cette multiplication conditionnera en partie la capacité du grain à accumuler des réserves plus tard. L’embryon entame son développement puis entre dans une phase de latence.
— Le remplissage du grain sensu stricto : cette phase se caractérise par l’accumulation de sucres essentiellement sous forme d’amidon et de protéines de réserve dans l’albumen. La quantité d’eau est constante durant cette phase : les entrées d’eau compensent les sorties. Les enveloppes se modifient tant d’un point de vue morphologique que biochimique et l’embryon reprend son développement.
— La maturation-déshydratation du grain : la masse sèche finale du grain est atteinte et le grain débute la dessiccation. Lors de cette phase, les protéines de réserve se polymérisent et s’agrègent pour former un réseau (gluten) qui enserre l’amidon. Durant cette phase, s’acquièrent les qualités technologiques finales des farines.
Ces trois phases sont explicitées sur le schéma de Gate (1995) explicitant les cinétiques de masse sèche, masse fraîche et quantité d’eau du grain au cours du remplissage sensu largo.
Une contrainte thermique appliquée sur la croissance du blé est caractérisée par (1) la phase de développement durant laquelle elle est appliquée, (2) sa durée et (3) son intensité. Les chocs thermiques appliqués durant la phase de la croissance du grain sont souvent étudiés dans la littérature : il s’agit de courtes périodes à températures très élevées telle que quelques heures à 40°C. Ces chocs provoquent des réponses biochimiques chez le grain qui peut mettre en place des mécanismes de protection à court-terme pour protéger sa structure (Stone et Nicolas, 1995 ; Wardlaw et al., 2002). Ces chocs se différencient de l’augmentation des températures moyennes journalières, phénomène qui s’instaure progressivement et qui ne provoque pas le même type de réponse des tissus végétaux (Wang et al., 2004). Il s’agit d’une contrainte thermique de faible intensité mais appliquée durant toute une phase de la croissance.
La hausse de la température augmente la vitesse des processus biologiques du tissu végétal, à l’échelle moléculaire, cellulaire et physiologique (Johnson et Thornley, 1984). En effet, il a été couramment observé qu’une hausse de la température réduit la durée -exprimée en jours calendaires- de la phase de remplissage. Quelques auteurs ont montré que cette réduction de la durée peut être compensée partiellement ou plus rarement totalement par une augmentation de la vitesse de remplissage, conduisant à une réduction moindre voire nulle de la masse finale des grains (Stone et Nicolas, 1995 ; Wardlaw et Moncur, 1995). Cependant d’autres doutent de cette compensation et montrent que la durée est plus fortement impactée par la température que la vitesse, et que la masse finale des grains en est négativement impactée (Dias et Lidon, 2009 ; Sofield et al., 1977).
|
Table des matières
Introduction
1 Analyse bibliographique : réponse de la croissance du grain de blé à la température
1.1 Conséquences des hautes températures sur le développement du grain de blé
1.2 Réponse à la température d’un processus biologique : application sur le blé
1.2.1 Le temps thermique
1.2.2 Courbes de réponse à la température chez le blé
Objectifs de ce stage
2 Description de l’expérimentation et des données
2.1 Modalités de l’expérimentation
2.2 Préparation des plantes à l’application des modalités thermiques
2.3 Déroulement des mesures
3 Stratégie d’analyse
3.1 Les cinétiques de croissance ajustées par des modèles non linéaires
3.1.1 Les fonctions empiriques de croissance
3.1.2 L’ajustement statistique des fonctions de croissance
3.1.3 Le choix de la fonction de croissance par variable sur les données témoins
3.2 Biais expérimentaux induits
3.3 Modélisation non linéaire à effets mixtes pour les cinétiques à toutes les températures
3.4 Extraction des caractéristiques biologiques des cinétiques
4 Résultats
4.1 Fonctions de croissance choisies
4.2 Cinétiques de croissance
4.3 Courbes de réponse à la température
4.3.1 L’effet de la température sur la croissance du grain de blé
4.3.2 L’effet de la température sur les taux de développement : quel formalisme
pour le temps thermique ?
5 Discussion
5.1 Quel formalisme choisir pour le temps thermique ?
5.2 Retours sur la méthode statistique
5.2.1 Les modèles empiriques de croissance
5.2.2 Retour sur les fonctions de croissance choisies
5.2.3 Le choix de l’unique modèle par variable de réponse
5.2.4 Expertise statistique . . . et biologique
5.2.5 La propagation de l’erreur de mesure
5.3 Analyse critique du protocole
5.3.1 Données issues de l’expérimentation de 2016
5.3.2 Optimisation statistique du protocole
Conclusion
Télécharger le rapport complet