Estimation d’un paramètre
Un exemple usuel en métrologie : l’interférométrie
Un type de mesure très utilisé en métrologie est la mesure par interférométrie car il s’agit de la méthode traditionnelle pour mesurer des phases. Son fonctionnement général repose sur une interférence provenant de la comparaison des phases accumulées le long de deux chemins différents. Le principe en est le suivant : la lumière entre dans l’appareil par le mode d’entrée A d’une lame semi-réfléchissante (B étant laissé vide), se propage selon deux chemins différents avant d’être recombinée par une deuxième lame semi-réfléchissante et de ressortir par les voies C et D. La différence de chemins optiques entre les deux bras de l’interféromètre se matérialise par un déphasage de la lumière, noté ϕ, sur un bras par rapport à l’autre. L’information sur cette phase, objet des mesures interférométriques, peut être obtenue en détectant la lumière issue des deux voies de sortie. On peut, parexemple, en mesurer la différence d’intensité.
Interprétation dans l’espace des phases
De manière plus générale, être capable de mesurer un déphasage ϕ appliqué sur un état cohérent revient à être capable de distinguer l’état cohérent de l’état cohérent déphasé. Dans l’espace des phases, la sensibilité maximale que l’on pourra avoir correspond donc au plus petit angle de rotation entre les deux états cohérents dans l’espace des phases que l’on peut mesurer comme représenté sur la figure I.3 [41]. Comme vu précédemment, la “taille” d’un état cohérent l’espace des phases est de 1. Dans cette représentation, on pourra ainsi dire que l’état initial sera distinguable de l’état final s’ils sont séparés, par exemple, d’une distance ∆d d’au moins 1.
Des états dont la représentation dans l’espace des phases contient des strutures de taille inférieure à 1 peuvent être obtenus quantiquement. C’est le cas par exemple des états comprimés. Ceci nous incite de nouveau à améliorer la stratégie employée pour mesurer le déphasage d’un état en utilisant des caractéristiques typiquement quantiques. Nous proposons dans ce qui suit d’employer plutôt comme état initial de la mesure du déphasage une superposition quantique d’états.
Éléments de théorie classique sur l’estimation
Bases de la théorie de l’estimation
La recherche de la valeur réelle d’un paramètre X par l’expérience se fait généralement . Elle consiste à préparer un système dans un état initial, le laisser évoluer selon une dynamique faisant intervenir le paramètre que l’on cherche à déterminer, puis mesurer une observable sur l’état obtenu. La mesure pourra être répétée un grand nombre de fois ϑ. Les résultats qui en sont issus seront étiquettés par ξj où j correspond au numéro de la répétition. Ils sont supposés indépendants.
Il s’agit donc, à partir d’un échantillon de données, de modifier notre connaissance de la valeur X 1 du paramètre (éventuellement initialement nulle !) : c’est le domaine de l’inférence statistique. Etant donné que les données expérimentales sont toujours entachées d’incertitudes statistiques qui peuvent être aussi bien être dues à l’appareil de mesure qu’aux fluctuations intrinsèques du sytème étudié, il est impossible d’associer directement un résultat ξ à la valeur réelle du paramètre Xvrai. L’intégration de l’information issue des différentes répétitions, associées éventuellement à notre connaissance a priori sur les différentes valeurs possibles du paramètre, peuvent toutefois nous permettre de revoir notre connaissance de cette valeur. Pour chaque mesure donnant un ξj , la loi de probabilité p(ξj |X) nous permet de quantifier à quel point la valeur possible X du paramètre est compatible avec le résultat de la mesure j : on l’appelle la fonction de vraisemblance du résultat ξj . La fonction Xest qui associe une valeur vraisemblable du paramètre X – estimée par l’expérimentateur – au résultat d’une mesure est appelée estimateur du paramètre. L’estimateur pourra donc être différent pour chaque mesure. L’approche qui consiste à actualiser la connaissance sur la valeur du paramètre après chaque répétition de la mesure est typiquement bayésienne.
Information de Fisher
Instinctivement, on aura tendance à penser que la valeur réelle de X ressemble fortement à la plus probable des valeurs possibles du paramètre (après avoir pris en compte tous les résultats de mesure) : on procède alors implicitement à une estimation de X par un choix dit de maximum de vraisemblance (ML pour Maximum Likelihood en anglais). Cela revient à prendre comme estimateur du paramètre la valeur de X qui maximise p(X|ξ). On notera donc cet estimateur XML. On peut remarquer que celle-ci dépend de l’échantillon ξ des résultats et peut donc varier d’un échantillon à l’autre. Pour la suite, nous supposerons que le résultat de la mesure du système peut prendre un continuum de valeurs.
Information de Fisher quantique
Nous avons vu que l’information de Fisher dépend non seulement des propriétés du système sonde mais également du processus à l’origine de son évolution et de la mesure choisie à cause de la loi de probabilité p(ξ|X) présente dans son expression (I.34). Un des buts de la métrologie étant de la maximiser, il faut donc déterminer quel est le meilleur protocole de mesure du système. Pour cette raison, il serait bon de savoir a priori quelle est la meilleure précision atteignable si l’on utilise le protocole de mesure optimal, et ce, même si on ne sait pas en quoi il consiste. Nous allons pour ce faire étendre la discussion classique que nous avons menée jusque là à la métrologie quantique en introduisant la notion d’Information de Fisher quantique.
Formulation usuelle de l’information de Fisher quantique
L’état initial de la sonde de la procédure d’estimation de X est de manière générale parfaitement défini par la matrice densité ρˆ. Nous nous limiterons toutefois dans ce manuscrit à l’étude d’un état initial pur |ψ0i. Le processus physique dépendant de X va provoquer l’évolution du système sonde vers l’état |ψ(X)i. Si la transformation est unitaire, comme ce sera le cas pour l’expérience qui nous intéresse, l’état final s’écrit:
|ψ(X)i = Uˆ(X)|ψ0i,
où l’on a noté Uˆ(X) l’opérateur que l’on appellera opérateur évolution correspondant au processus par analogie avec le cas où X = t. On peut simplement mentionner que si l’évolution est non unitaire, la matrice densité de l’état final peut être obtenue à partir des opérateurs de Kraus [67]. Le choix de mesure de l’expérimentateur est par ailleurs modélisé par un ensemble complet d’opérateurs hermitiques semi-définis positifs {Eˆ(ξ)} appelé Positive-Operator Valued Measure (POVM), où ξ représente comme avant le continuum de résultats possibles d’une seule mesure [68]. Ce type d’opérateur permet de traiter également les mesures non projectives sur l’ensemble du système. Un POVM ne doit évidemment pas dépendre explicitement de X. Une propriété importante est que la somme de tous les opérateurs de l’ensemble de mesure doit être égale à l’unité. La probabilité d’obtenir le résultat ξ sachant que le paramètre prend la valeur X est donnée par :
p(ξ|X) = hψ(X)|Eˆ(ξ)|ψ(X)i.
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Table des matières
Introduction
I Estimation d’un paramètre
I.1 Un exemple usuel en métrologie : l’interférométrie
I.1.1 Stratégie de mesure classique
I.1.2 Stratégie de mesure quantique
I.2 Éléments de théorie classique sur l’estimation
I.2.1 Bases de la théorie de l’estimation
I.2.2 Information de Fisher
I.3 Information de Fisher quantique
I.3.1 Formulation usuelle de l’information de Fisher quantique
I.3.2 Autre formulation possible
I.3.3 Limite de Cramér-Rao et relation d’incertitude
I.4 Distinguer deux états : lien entre considérations géométriques et statistiques
I.5 Ressources et limites
I.5.1 Présentation générale
I.5.2 Dans notre expérience
Conclusion
II Principe de l’expérience – Théorie
II.1 Système atome – champ piégé dans une cavité
II.2 Oscillateur harmonique de champ
II.2.1 Hamiltonien de champ
II.2.2 Génération d’un champ cohérent
II.3 Le pseudo-spin atomique
II.4 Interaction entre atome et mode du champ
II.4.1 L’atome habillé
II.4.2 Interaction dispersive
II.4.3 Interaction résonnante
II.4.3.a Oscillations de Rabi à plusieurs photons
II.4.3.b Calcul de l’évolution du système couplé
II.4.3.c Effondrements et résurgences
II.5 Opération de renversement du temps
II.6 Séquence expérimentale
II.6.1 Première période d’interaction résonnante
II.6.2 Renversement du temps
II.6.3 Injection de β
II.6.4 Deuxième interaction résonnante
II.6.5 Détection de l’état atomique au temps de résurgence exact
II.6.6 Détection de l’état atomique autour du temps de résurgence
II.7 Information de Fisher
II.8 Information de Fisher quantique
Conclusion
III Mise en oeuvre expérimentale
III.1 Montage expérimental
III.1.1 Cavité et trajet atomique
III.1.2 Isolation thermique et magnétique
III.2 Le système atomique
III.2.1 Propriétés des atomes de Rydberg circulaires
III.2.2 Un système à 2 niveaux bien contrôlé
III.2.3 Préparation des états de Rydberg circulaires
III.2.4 Sélection en vitesse des échantillons atomiques
III.2.5 Nombre d’atomes préparés par échantillon atomique
III.2.6 Détection des atomes
III.3 Le système champ
III.3.1 Géométrie
III.3.2 Temps de vie des photons
III.3.2.a Ajustement de la fréquence du mode TEM900
III.3.2.b Injection de micro-onde dans la cavité
Conclusion
IV Résultats expérimentaux
IV.1 Séquence expérimentale
IV.2 Mesures préliminaires
IV.2.1 Mesure de la fréquence de résonance de la cavité
IV.2.2 Préparation d’une cavité vide
IV.2.3 Repérage du centre de la cavité
IV.2.4 Calibration de l’injection de la micro-onde
IV.2.4.a Amplitude d’injection
IV.2.4.b Phases des champs injectés
IV.2.5 Calibration de l’opération σz sur l’atome
IV.3 Mesure du champ d’amplitude β
IV.3.1 Quantité maximale d’information disponible dans la mesure
IV.3.2 Pertinence du choix de la mesure
IV.3.3 Proposition de mesure du champ β à partir d’un état cohérent
Conclusion