Estimation de l’incidence cumulée d’infection par le virus du chikungunya

Le virus du chikungunya (CHIKV) est un arbovirus de la famille des Togaviridae et du genre Alphavirus (1). Il existe trois groupes phylogéniques : West African, Asian et East Central South African (2). Les principaux vecteurs sont les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus. Ce sont des vecteurs diurnes avec un pic d’activité en début et en fin de journée.

Après une incubation de 2 à 10 jours, le tableau clinique typique associe une fièvre d’apparition brutale avec des arthralgies invalidantes, une rachialgie, des céphalées et une asthénie. D’autres symptômes peuvent s’y ajouter: myalgies, éruption maculo papuleuse, conjonctivite, troubles digestifs (3,4). Le traitement est essentiellement symptomatique. Certaines présentations considérées comme atypiques ou compliquées ont été décrites, comme des décompensations de pathologies chroniques, des méningo-encéphalites, des syndromes de Guillain-Barré, des myocardites, des hépatites, des sepsis ou des chocs septiques (5,6). Dans plus de la moitié des cas il existe une évolution chronique des atteintes articulaires et musculo squelettiques (7). Une transmission mère-enfant survient dans la moitié des cas en cas de virémie intra-partum, à l’origine d’infections néonatales graves dans la moitié des cas (8).

CHIKV a été isolé pour la première fois à partir du sérum d’un patient fébrile en 1953, lors d’une épidémie sur le plateau Makondé, en Tanganyika, actuellement Tanzanie. Le nom “chikungunya” provident du Makondé, un dialecte de cette région, et signifie “ce qui fait courber”, évoquant la posture des patients atteints (9). Le CHIK a évolué sur un mode endémo-épidémique sur les continents africain et asiatique, notamment en Inde et dans l’océan indien. En 2005/2006, une épidémie d’une ampleur jusqu’alors inégalée a touché l’île de la Réunion (10). Puis c’est en Italie, en 2007, qu’apparaît la première épidémie en climat tempéré (11), faisant redouter une expansion possible du chikungunya à d’autres régions tempérées où il existe un risque de propagation d’Aedes albopictus (12,13).

CHIKV apparaît en Amérique en décembre 2013 à Saint-Martin (14), puis des cas sont signalés en Martinique, Guadeloupe, Dominique (15). Un an plus tard, plus d’un million de cas suspects ont été recensés sur le continent américain (16). En Martinique, la phase épidémique s’est déroulée de janvier 2014 à janvier 2015, et le nombre total de cas cliniquement évocateurs ayant consulté un médecin généraliste a été évalué à 72 664 (17), occasionnant un impact socio-économique majeur. Dans ce contexte, la connaissance de l’incidence cumulée d’infection à CHIKV au décours de l’épidémie qui a touché la Martinique est un enjeu important pour les travaux de modélisation, la gestion des épidémies futures et l’établissement de la politique d’utilisation d’un éventuel vaccin. Etant donné que le virus n’avait jamais circulé aux Antilles, la détermination de l’incidence cumulée peut se faire en réalisant une enquête de séroprévalence en population générale à la fin de l’épidémie. Une autre méthode, plus simple, peut consister à estimer ce taux au sein d’une cohorte de patients suivis régulièrement, représentatif en sexe et en âge de la population générale et dont l’habitat est réparti sur tout le territoire étudié.

DISCUSSION

Dans la population de cette étude, l’estimation de la séroprévalence de l’infection à chikungunya à la fin de l’épidémie de 2014 était de 55,1% IC95 (48,0-61,9), l’estimation de la fréquence des formes asymptomatiques de chikungunya était de 32,1% IC95 (23,9-41,6%), et l’estimation de la fréquence des formes chroniques de chikungunya était de 21,6 % IC95 (13,5-32,7).

La population choisie pour cette étude était la cohorte des patients suivis pour une infection par le VIH en Martinique. Un échantillon représentatif de la population martiniquaise a été tirée au sort dans cette population. La transmission du chikungunya étant vectorielle, il est peu probable que la présence d’une infection à VIH chez un individu modifie le risque d’être piqué par un moustique et d’être ensuite infecté par le virus du chikungunya. En revanche, l’infection par le VIH, lorsqu’elle s’accompagne d’un déficit immunitaire profond, peut modifier la réponse immunitaire adaptative, en particulier la production d’anticorps. Le risque serait alors de sous estimer la séroprévalence. Grâce à la prise en charge thérapeutique des personnes infectés par le VIH, l’état immunitaire des patients de notre cohorte était proche de la normale comme en témoigne la médiane des lymphocytes CD4 supérieure à 500/mm3, aussi bien chez les personnes dont la recherche d’anticorps anti-CHIKV était positive que négative. De même, l’infection à VIH était virologiquement contrôlée (ARN VIH < 20 copies/ml) chez près de 90% des personnes. Ainsi, il nous paraît peu probable que l’infection à VIH ait pu être à l’origine d’une sous-estimation du résultat de séroprévalence. La détermination de la proportion de formes asymptomatiques et de formes chroniques reposait sur l’interrogatoire et la mémoire des personnes participant à l’étude. La proportion de formes asymptomatiques pourrait avoir été surestimée par un biais de mémoire. Cependant, les manifestations cliniques du chikungunya étant le plus souvent, chez l’adulte, très symptomatiques, il est peu probable que le patient ait oublié un épisode de chikungunya aigu. En revanche, l’estimation de la proportion des formes chroniques peut avoir été sous-estimée.

Compte-tenu de la représentativité de la population étudiée, on peut estimer l’incidence cumulée d’infection par le virus du chikungunya à la fin de l’épidémie de 2014 à 55,1%. Chez les donneurs de sang, elle a été évaluée à 41,9% (19). Dans cette étude, les recueils de sérums ont eu lieu pendant la phase épidémique (jusqu’en janvier 2015). Or les individus ayant eu un syndrome viral dans les 28 jours sont exclus du don, ce qui peut faire diminuer l’incidence par rapport à la population générale et expliquer que nous ayons estimé une incidence plus élevée. Lors de l’épidémie de grande ampleur qui a touché la Réunion en 2015/2016, l’incidence cumulée a été de 38,2% (10). D’autres études montrent que les incidences cumulées varient de 10,2% à 75% selon les épidémies : 10,2% en Italie en 2007 (11), 13,1% à Managua au Nicaragua en 2015 (20), 16,9% à Saint-Martin en 2014 pendant la phase épidémique (21), 37,2% à Mayotte en 2006 (22), 55,6% à Bagan Panchor en Malaisie en 2006 (23), 63% aux Comores en 2005 (24), 68% à Kerala en Inde en 2007 (25), 75% sur l’île de Lamu au Kenya en 2004 (26). Ces différences sont probablement dues à des facteurs socio-environnementaux propres à chaque zone géographique, que ce soit en termes de climat, d’urbanisation ou de stratégie dans la lutte anti-vectorielle.

Dans notre étude, 32,1% des patients infectés sont restés asymptomatiques. Ce pourcentage de forme asymptomatique varie de 3,9% à 64,9% selon les épidémies (10,11,20–26). L’estimation de la proportion de formes chroniques dans notre population était faible : 21,6%. Alors que de nombreuses études menées lors des épidémies antérieures ont montré une proportion de formes chroniques plus élevée, allant généralement de 53% à 78% (7,27–32), deux études ont montré une proportion beaucoup plus faible, à 12% et 18%, mais leur population étudiée était beaucoup plus jeune (33,34). Or il a été montré que l’âge était un facteur de risque de chikungunya chronique (7,32). Cependant, une méta-analyse publiée en décembre 2016, regroupant 18 études sur 578 articles initialement identifiés, a montré que les études rétrospectives avaient tendance à surestimer la prévalence des formes chroniques. En définissant la forme chronique à partir de deux mois après le début des symptômes, elle en estime la proportion à 40,2%. Ce chiffre baisse à 34,1% en ne considérant que les études avec plus de 200 patients inclus, et à 25,3% en ne prenant en compte que les études prospectives (35). Notons que dans cette étude la forme chronique est définie à partir de deux mois après le début des symptômes, alors que nous l’avons définie avec un délai de 12 semaines afin de suivre la récente définition de l’OMS. En allongeant le délai de définition de la forme chronique il est logique que sa proportion s’amenuise, certaines personnes présentant un chikungunya postaigu pouvant guérir avant d’entrer dans la phase chronique. Néanmoins il est possible que la proportion de formes chroniques estimée dans notre étude chez des patients infectés par le VIH soit plus faible que celle que nous aurions retrouvée en population générale. Il est envisageable que ces patients, déjà porteurs d’une maladie chronique, tendent à minimiser voire ignorer la persistance des symptômes conduisant ainsi à une sous-déclaration de la forme chronique du chikungunya. Une seconde hypothèse serait que les perturbations immunitaires d’un patient porteur du VIH auraient un impact sur celles mises en cause dans le chikungunya chronique, bien qu’actuellement aucune donnée scientifique ne puisse affirmer ou infirmer cette hypothèse et que des recherches seraient alors nécessaires pour en comprendre les mécanismes.

Il était important d’estimer l’incidence cumulée d’infection par le CHIKV au décours de l’épidémie de 2014 en Martinique afin de déterminer la place d’un éventuel vaccin. Cette étude est en outre la première à estimer le pourcentage de formes asymptomatiques en Martinique, ce qui pourra être utile pour la modélisation d’autres épidémies, notamment dans ce contexte d’arboviroses émergentes. Notre étude montre que les personnes infectées par le VIH en Martinique, presque exclusivement suivies au CHU et bénéficiant d’une surveillance clinico-biologique régulière, ont de bons résultats immunovirologiques. Elles constituent ainsi une cohorte de patients propice à l’étude de certaines épidémies ou pathologies en population générale.

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Table des matières

INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
Schéma de l’étude
Population de l’étude
Critères de jugement et définitions
Variables et tests sérologiques
Calcul du nombre de sujets nécessaires
Aspects éthiques et financement
Analyse statistique
RESULTATS
Caractéristiques de la population étudiée
Estimation de la séroprévalence du chikungunya
Estimation de la proportion de formes asymptomatiques de chikungunya
Manifestations cliniques du chikungunya aigu
Estimation de la proportion de formes chroniques de chikungunya
DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
SERMENT D’HIPPOCRATE

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