LA VIE DES FORGES
Avant les Forges, Trignac n’était qu’une petite île au milieu des marais, un hameau de 319 âmes réunies autour d’un moulin. 60 ans plus tard, c’est 5600 personnes qui y vivent, soit une population multipliée par 18. Avec les Forges est venue une ville entière : des logements ouvriers, des commerces, une société coopérative de consommation, des équipements culturels et sportifs (notamment pour la pratique du rugby, sport hautement considéré à Trignac), etc.
Bref, tout ce qu’il faut aux travailleurs pour vivre avec leurs familles. Trignac s’est donc constitué bouts par bouts, au fil des années et des agrandissements des Forges, de façon anarchique, sans ordre et orientation prédéfinies. Mais après les bombardements de la seconde guerre mondiale, une partie de la ville a été reconstruite en s’organisant autour des Forges.
Vont s’y rencontrer jusqu’à 27 nationalités dans les années 1920 et 1930. La création des Forges va entrainer un fort appel de main d’oeuvre, qualifiée ou non. L’aristocratie ouvrière va immigrer de l’Est de la France où l’effervescence de l’activité sidérurgique a amené à former de nombreux cadres, techniciens et ingénieurs. Les paysans des régions alentours vont fournir une main d’oeuvre peu qualifiée et assez volatile, comme les paysans briérons qui travailleront aux Forges pendant les périodes où leurs terres agricoles ne demandent aucun soin. Beaucoup de main d’oeuvre va aussi immigrer de l’étranger, majoritairement des travailleurs européens, se déplaçant au gré des contextes politiques en Europe. La ligne transatlantique entre Saint-Nazaire et des ports américains va aussi amener des ouvriers du nouveau monde. Enfin des travailleurs asiatiques arriveront aussi des colonies françaises en Asie. Trignac va donc accueillir une grande diversité de populations, qui, volatiles, ne resteront pas longtemps. Restent néanmoins des traces de leur passage dans la ville à travers des noms de rues, de quartiers ou des cités ouvrières.
Les Forges se sont toujours trouvées en difficulté économique durant leur fonctionnement. D’abord les coûts engagés lors de la construction ayant été doublés pour pouvoir réaliser des fondations durables sur des marais, la société des Forges était endettée avant même d’ouvrir l’usine. Ensuite les produits des Forges se plaçaient sur le marché en haut de gamme sans que les bénéfices effectués s’en ressentent particulièrement puisqu’il fallait amortir le coût de l’importation des matières premières. Enfin, le client principal des Forges, les chantiers navals, était lui-même sujet à de fortes variations d’activité dues à l’irrégularité des contrats. La demande n’a donc jamais été suffisamment importante et régulière pour rentabiliser les Forges. De ce fait, l’usine était sujette à de nombreux évènements de mutation comme des agrandissements suivis, quelques années plus tard, par des fermetures partielles ou totales. Ainsi en 1894 la société annonce son intention de fermer l’atelier de puddlage1. S’en est suivi une grève de 54 jours qui a placé Trignac sous les projecteurs des médias français. De nombreux politiciens socialistes sont venus prendre part au débat et porter la grève jusqu’au bout. Celle-ci s’est néanmoins soldée par l’échec des négociations côté ouvriers.
Suite à ce lourd mouvement ouvrier, les Forges continuent à osciller entre des périodes de grande prospérité, de restructuration, d’ouvertures de nouveaux hauts fourneaux et des moments de crise, de réduction de la production, de fermeture des installations et de rachats de l’entreprise. En 1928, l’état intervient pour tenter de redresser la production des Forges après 3 années de licenciements progressifs et de fermetures de fourneaux. Avec son aide, un hautfourneau rouvre, des travaux de modernisations sont lancés, et la population salariale passe de 1350 en 1927 à 3500 en 1930. Malgré tout, l’usine ne restera en service qu’un an après la fin des travaux. En 1936, seuls 26 salariés sont présents pour entretenir les équipements. L’état intervient une deuxième fois en 1938 pour relancer la production.
La seconde guerre mondiale éclate et les Forges passent en 1942 aux mains des Allemands.
Elles essuient plusieurs bombardements avant de fermer pour la dernière fois, le 23 mars 1943, quand les Allemands décident de concentrer leurs forces sur la consolidation du mur de l’Atlantique en délaissant l’entretien d’une usine sidérurgique maintenant dégradée par la guerre.
PLUSIEURS VIES APRÈS LA MORT
Suite à la fermeture des Forges et jusque dans les années 60, les installations sont démantelées, morceau par morceau, pour être envoyées dans les autres usines du groupe. Pour beaucoup de Trignacais ayant travaillé dans les Forges ou dont la famille y a travaillé, cette époque est vécue comme un pillage.
Le site ne reste pas pour autant dans un état d’abandon total. Une partie de l’usine est réutilisée par une filiale de l’aérospatiale, la SEMM Caravélair, entre 1965 et 1972. L’activité de la filiale vise à appliquer des procédés de la construction aéronautique à la conception de caravanes.
Un fabriquant d’isolant en laine de roche s’installe aussi sur le site pour profiter du crassier, amas de scories d’acier, qui représente un gisement de matière première pour son industrie.
En 1972, les derniers occupants des Forges quittent les lieux. L’usine maintenant à l’abandon et déjà à moitié démantelée, commence sa longue agonie. Ne sachant qu’en faire, la ville en rase la quasi-totalité pour créer une nouvelle zone d’activité industrielle et une plateforme logistique. Seuls restent quelques vestiges, protégés et interdits d’accès : deux silos à coke, des conduites de ventilation, une plateforme de stockage et des tronçons d’estacades.
Aujourd’hui, les vestiges à l’abandon abritent néanmoins une certaine activité. Les bouteilles de bière et bombes de peintures vides au pied des murs de tags témoignent d’une appropriation illégale par les grapheurs. En été, les gens du voyage campant de l’autre côté du Brivet se retrouvent régulièrement dans les Forges et semblent les utiliser comme toilettes naturelles.
Occasionnellement, des promeneurs s’y baladent, très souvent un appareil photo au cou. Les Forges attirent un grand nombre de curieux, amateurs de l’objectif. Très ponctuellement, des évènements à l’initiative de la ville et de ses associations font se déplacer des groupes de gens à l’intérieur des Forges. Des randonnées pédestres et cyclistes sont organisées par des clubs sportifs de Trignac, une journée du patrimoine a vu faire s’ouvrir les portes des Forges et le centenaire de la ville de Trignac, célébré en septembre 2014, a permis au Forges d’accueillir le tournage d’un film. Mais l’évènement qui a, le premier, déclenché une nouvelle réflexion sur l’usage
des ruines des Forges, c’est la mise en scène du Chant Général de Pablo Neruda en 1983, à l’intérieur même des vestiges, par Brigitte Lallier-Maisonneuve avec le compositeur Mikis Theodorakis.
Ainsi les Forges ont vécu une histoire bien tourmentée et douloureuse pour ses protagonistes.
Il sera intéressant de croiser cette histoire avec l’image des Forges chez les habitants de Trignac afin de comprendre quel impact le passé des Forges peut avoir eu sur leur vision de ce qu’il en reste aujourd’hui.
Le cadre historique et méthodologique étant posé, nous pouvons maintenant nous pencher sur la question de l’esthétique, l’objet de notre étude.
Les Forges étaient d’autant plus omniprésentes qu’elles fonctionnaient en continu. Dans les périodes de prospérité du marché, le cycle de production ne s’interrompait pas, même de nuit. L’absence de pause a donc pu exacerber les sensations de rougeoiement et de vacarme engendrées par l’activité. L’absence d’obscurité et de silence dans cet ensemble n’en rendait que plus violente la sensation de bruit et plus vive l’impression de lumière. N’ayant aucune trace objective de l’intensité de l’impact des Forges sur leur territoire, nous ne pouvons que nous demander si les témoignages des anciens travailleurs récoltés dans les diverses études ne sont pas exagérés par leur ancienneté ou par d’autres facteurs comme cette omniprésence de la nuisance sonore et visuelle.
Toujours est-il qu’une image semble émerger clairement des différentes traces et témoignages de l’époque : celle de l’enfer, ou « gôda »1 comme l’appelaient les ouvrier. C’est en effet un qualificatif récurrent lorsqu’on évoque les anciennes usines sidérurgiques. On trouve même dans la vallée des usines de la ville de Thiers (capitale de la coutellerie dans le Puy-de- Dôme) une ancienne coutellerie rebaptisée, lors de sa reconversion en centre d’art, le « Creux de l’Enfer ». Séjour des âmes damnées, l’enfer a de nombreuses définitions selon les croyances et les religions. Les représentations que nous en avons aujourd’hui et qui ont nourri l’image que nous en avons sont en grande partie issues de l’enfer chrétien. Plusieurs aspects de cet enfer peuvent nous intéresser dans la comparaison aux Forges.
D’un point de vue physique, l’enfer est, dans son image stéréotypée et popularisée, un lieu fait de feu, de pénombre et de pierre. Généralement représenté sous terre (du latin infernus, qui est en dessous) il évoque l’écrasement de l’homme par son environnement. Dans le paysage actuel mais aussi dans le paysage du début du XXe siècle, les Forges émergent bien au-dessus des autres constructions. Il est aisé de comprendre le sentiment de petitesse des habitants des environs et des ouvriers qui y travaillent. Mais dans les Forges de Trignac, c’est le feu qui domine toutes les impressions.
DE L’ENFER À LA RUINE
A LES FORGES AUJOURD’HUI
Aujourd’hui l’enfer est devenu ruine. Le feu s’est éteint, la pierre s’est écroulée et ses âmes damnées l’ont déserté. Il ne reste qu’une infime partie de cette bête fumante qui a tant épouvanté.
Les premiers éléments visibles lorsque l’on approche des Forges, ce sont les deux silos à coke. Ces éléments émergent dans le paysage, plus hauts que le reste de l’ensemble, dépassant même des arbres. Ce sont deux grosses masses de béton armé, perchés sur des réseaux de poteaux entremêlés de dalles praticables, l’un, plus bas, s’allongeant horizontalement et l’autre, point culminant des Forges, comme une maison cubique surmontée d’une cheminée.
Viennent ensuite les estacades, anciens support de rails de wagons de coke. Des systèmes de transport du charbon il ne reste plus que la structure porteuse : une série de longues poutres en béton supportées par des poteaux en A.
À mi-chemin entre le sol et le haut des estacades s’étendent deux passerelles qui traversent le site de part en part.
Outre ces éléments visibles de loin, le site est ponctué de diverses constructions : des conduites de ventilation horizontales pour le refroidissement des fours, un passage sous des arches de briques, un bassin, un plateau de stockage légèrement surélevé,… Les ruines des Forges sont truffées de tout un réseau de passages plus ou moins grands, d’escaliers, d’étages cachés et de recoins. Un grand espace découvert entre les deux silos permet d’admirer l’ensemble des éléments caractéristiques du site. Le reste est dissimulé sous les masses de béton, dans la pénombre et les décombres.
Les matérialités présentes sur le site sont beaucoup plus diverses qu’il n’y parait au premier abord. De loin, ne voyant dépasser que les silos, on ne voit que le béton. Mais depuis l’intérieur du site on remarque beaucoup plus de différences de textures et de tons. Le béton est effectivement très présent, mais principalement sur la parties aériennes. C’est un béton armé très usé, éclaté par endroit et laissant apparaître des lourdes armatures d’acier rouillé. À ces bétons sont localement encore accrochés des éléments métalliques ayant échappé au démantèlement comme les trappes des silos. Mais les Forges sont contre toute attente aussi constituées de très nombreux éléments en brique rouge ou en moellon, plus ou moins effrités et plus ou moins délavés. Ce sont ces matériaux qui constituent par exemple les conduites d’aération et de refroidissement des fours. La brique et la pierre sont très présentes dans les parties basses des vestiges.
Pour compléter la description de ces ruines il faut bien entendu mentionner la végétation qui s’y est développée. Certaines zones sont quasiment vierges de végétaux, à part une courte et résistante herbe, puisque de nombreuses zones du sol sont, ou trop polluées, ou trop fines au-dessus de la chape de béton que supportent les lourdes fondations. Mais à d’autres endroits, les arbustes et ronces poussent anarchiquement, s’entremêlant et montant jusqu’à plusieurs mètres au-dessus du sol. Les irrégularités de ce dernier créent des petits bassins qui semblent naturels et rendent le terrain localement marécageux. Dans les Forges, la végétation ne se cantonne pas qu’au sol. Des mauvaises herbes poussent par-ci par-là, entre les pierres, sur les escaliers et mêmes sur les dalles de béton suspendues au-dessus du sol. La moindre corniche est bonne pour cette nature acharnée.
Enfin, après le temps, c’est l’homme qui a ajouté la touche finale à ces ruines en les habillant de divers tags. Presque toutes les surfaces de béton accessibles ont été victimes, à différentes échelles, de la bombe de peinture. Cet art urbain se déploie ici sous de nombreuses formes, du simple texte stylisé au dessin complexe. Seuls sont épargnés les estacades et réseaux de poutres et poteaux, trop hauts et n’offrant pas de surface assez généreuse, et les silos à coke inaccessibles. Même les surfaces de brique ont été généreusement repeintes.
LES VESTIGES DANS LEUR TERRITOIRE
À cette description du site même, on se doit d’ajouter des éléments de compréhension de l’intégration des Forges dans leur environnement, environnement dans lequel les habitants de Trignac et nous-même vivons et circulons.
Alexandre Granger, chargé de mission projets urbains à l’ADDRN (Agence pour le Développement Durable de la Région Nazairienne), a effectué en 2013 une étude diagnostic des Forges de Trignac. Celui-ci m’a reçu afin de m’expliquer les tenants et aboutissants de son travail, comprenant une analyse de la place des Forges dans leur paysage.
Les Forges de Trignac se caractérisent dans leur territoire d’abord par leur hyperconnexion. C’est ce qui leur a valu de s’implanter au bord de l’estuaire : elles sont à la fois reliées au réseau maritime, fluvial et ferroviaire. Mais cette position a impliqué beaucoup plus qu’une connexion en simples termes de transport. D’abord, les Forges s’implantent dans un contexte de forte activité industrialo-portuaire. Elles figurent parmi les « balises » industrielles de l’estuaire entre Saint-Nazaire et Nantes. Nombre de ces « balises » ont déjà fait l’objet d’une requalification en des activités récréatives et culturelles (les Machines de l’île, le tour à plomb de Couëron,…) et beaucoup d’autres poursuivent encore leur activité industrielle (les chantiers STX, la centrale de Cordemais,…). Les Forges de Trignac, par contre, demeurent la seule « balise industrialo- portuaire » encore totalement en friche et à l’avenir indéterminé.
Les Forges s’implantent dans un territoire aussi très diversifié. Porte de sortie de l’estuaire de la Loire, elles sont aussi la porte d’entrée de la presque-île guérandaise, seuil de la Brière et zone de rencontre entre la côte d’Amour et la côte de Jade. Bien que l’eau n’ait pas été utilisée comme force motrice, elle a une place multiple et rayonnante autour des Forges puisque ces dernières sont à cheval entre différents système hydriques : la mer, le fleuve et le marais.
Elles ont aussi une très forte présence visuelle car visibles depuis les quatre points cardinaux, quel que soit le chemin par lequel on passe. On les aperçoit en effet en arrivant de Nantes, sur l’horizon et plus loin au détour d’un bosquet, depuis Saint-Nazaire et la Baule ainsi qu’en passant par le pont de Saint-Nazaire et enfin depuis le train.
Les Forges sont donc à la jonction de territoires très différents que ce soit du point de vue du paysage ou de l’économie et la culture. Ce gigantesque complexe n’a malheureusement pas pu s’installer dans le respect de ces multiples environnements. L’installation des Forges a profondément transformé et meurtri le paysage. S’implantant sur des marais, elles ont dû engendrer le comblement de nombreux canaux, la surélévation du terrain, le creusement de fondations extrêmement profondes et le coulage d’épaisses dalles de béton. De nombreux réseaux et machineries semi-enterrées devaient en effet être intégrés à l’usine. Au fur et à mesure des améliorations des Forges, le sol a été remanié et la topographie transformée au point qu’on ne peut plus deviner le terrain d’origine. Le Brivet lui-même a été dévié pour les besoins de l’activité sidérurgique.
À ces lourdes transformations est venu s’ajouter le problème de la pollution. La quantité de déchets produits a métamorphosé des terrains entiers en sols lunaires, sans végétation. Petit à petit, les plantes pionnières reviennent sur ces terres mais restent basses et très parsemées.
Le long du Brivet se sont développées des alternances d’abondantes ripisylves et de paysages désolés. Il résulte donc de ces Forges un paysage hybride où l’on ne sait plus discerner le naturel de l’artificiel. Les Forges, masses verticales, semblent pousser sans raison dans ce paysage plat de marais. Elles ne lui appartiennent en rien et pourtant elles l’ont profondément modifié. Les Forges ont ce rapport ambigu à ce paysage, à la fois étrangères à lui et pourtant cause de sa forme actuelle. Ce rapport devient presque violent quand on voit la lourdeur du socle créé et la légèreté des installations aériennes qui en résultent.
LES FORGES À TRAVERS LES ARTS
Comment cette ruine a été perçue par les artistes ? Maintenant que nous comprenons ce que les Forges ont été, comment elles ont été vues et ce qu’elles sont aujourd’hui, il est temps de se préoccuper de la façon dont elles sont vues aujourd’hui. Nous allons ici commencer à appréhender l’image sensible des vestiges en passant par l’étude des représentations des Forges au travers d’oeuvres artistiques.
A RÉVÉLER LE SITE : LA MISE EN SCÈNE DU CHANT GÉNÉRAL
En 1983, soit 11 ans après l’arrêt de toute activité dans l’usine, est organisé dans les Forges, 5 soirs durant, un spectacle alliant différentes associations artistiques de la région autour du Chant Général de Pablo Neruda. Il existe très peu de traces graphiques de ce spectacle qui a quand même attiré 5000 personnes dans les Forges mais il semble que « c’est un spectacle qui a laissé un souvenir assez inoubliable dans la tête de ceux qui y ont assisté ».
Le Chant Général est un recueil de poésie en quinze chants et 231 poèmes écrit par le chilien Pablo Neruda entre 1938 et 1950. Il a été ensuite réutilisé par le compositeur grec Mikis Theodorakis qui en a fait un Oratorio entre 1971 et 1982. Le Chant Général se veut être un hymne aux pays d’Amérique Latine et, plus généralement, aux peuples opprimés. Le résultat est qualifié de vraie épopée lyrique, contant l’histoire de tous les peuples d’Amérique Latine depuis les temps précolombiens.
En 1981, Brigitte Lallier-Maisonneuve, aujourd’hui à la direction du théâtre Athenor, entame un projet regroupant des danseurs et comédiens du GLC (Groupe Loisirs et Culture), l’Atelier Choral Régional et l’Orchestre Symphonique de Saint-Nazaire, visant à mettre en scène l’Oratorio du Chant Général dans les vestiges des Forges. Pendant le spectacle, les acteurs et danseurs évoluaient dans les Forges, apparaissant d’un trou sombre, dansant sur les estacades et guidant les spectateurs depuis le tunnel de brique vers une scène installée entre les silos. Cette forme de spectacle in situ est la première intervention artistique visant à redorer l’image des Forges, ou du moins à tourner l’attention des habitants et des collectivités sur ce lieu abandonné. C’est le premier pas pour révéler le site au travers d’un autre aspect que celui son histoire industrielle et sociale, c’est la première interprétation de l’espace des Forges en tant que support artistique.
Dans les espaces où ils sont présents, les graffitis participent donc à une ambiance relativement lugubre. Le site étant interdit et protégé, leurs auteurs sont doublement dans l’illégalité lorsqu’ils viennent les peindre. Ils contribuent à la sensation que les vestiges des Forges appartiennent à une culture underground et donc ne concernant qu’une faible part de la population.
On peut supposer que par leur présence, les graffitis créent une distance entre l’objet et les habitants de Trignac. Les Forges sont appropriées par une autre frange de la population et ne leur sont plus destinées. Elles ne sont plus leur.
Cette distance se crée aussi par la production d’une sensation d’insécurité. Ce sentiment est notamment lié à l’illégalité de l’activité qui pousse à la pratiquer dans des lieux en marge de la société, par des personnes enfreignant les règles. Les styles graphiques sont ceux que l’on va retrouver dans des quartiers mal famées, au bord des lignes de trains de banlieue ou dans les recoins sombres du métro. Ces images sont en désaccord complet avec les Forges de par leurs couleurs, leurs formes et leur fonction, exacerbant la violence de leur rapport au site. Ils sont presque négation du site. Le sujet du graffiti est aussi souvent source de cette insécurité ressentie.
Ce sont des messages de révolte, de haine ou des personnages effrayants, dangereux. Le lieu devient lugubre. Le graffiti empêche de penser le vestige industriel comme un objet de poésie, comme une ruine romantique. C’est le sinistre de la destruction et de l’abandon d’un lieu pourtant fort qui est accentué ici.
LA MAQUETTE DU CENTENAIRE DE TRIGNAC
En septembre 2014 a eu lieu à Trignac une série d’évènements célébrant le centenaire de la création de la commune de Trignac. Les Forges ayant le rôle majeur dans l’expansion de la ville dès la fin du XIXe siècle, elles ont été à l’honneur dans de nombreuses célébrations organisées.
L’une d’entre elle a été réalisée à l’initiative de l’artiste plasticien Olivier Grossetête.
L’objectif : reconstruire les Forges, telles quelles, à l’échelle 1, mais en carton d’emballage.
L’évènement a d’abord été précédé d’une série d’ateliers avec les habitants. L’objectif était de les préparer à la performance participative du montage des Forges. Des centaines d’habitants ont donc été sollicités pour soulever la structure, glisser les éléments en carton de la tranche inférieure, les scotcher et recommencer jusqu’à l’achèvement des 22m de monument en carton. L’aspect collectif de l’érection de l’oeuvre n’est pas sans rappeler l’esprit d’entraide et de communauté qui gravite autour de l’histoire des Forges (luttes ouvrières, création de coopératives, succession de maires populistes et socialistes,…)
Les Forges ont donc été érigées comme un monument. Elles sont célébrées, commémorées, mais sont aussi admises ainsi comme révolues. En effet, un monument est avant tout un ouvrage permettant de se rappeler. C’est un souvenir, une matérialisation physique d’un évènement ou d’une personne qu’on se doit de ne pas oublier. Si le monument est nécessaire, c’est donc que l’objet auquel il se réfère n’est plus suffisant pour transmettre son souvenir, a disparu ou est voué à disparaitre. L’érection d’un monument des Forges c’est donc aussi signifier leur effacement. Celui-ci est-il prochain ? Ou a-t-il déjà symboliquement eu lieu ? On ne semble pas parler ici de la disparition de l’usine en tant qu’activité industrielle mais bien de la ruine qui en reste puisque l’ouvrage obtenu par l’artiste et les habitants est une carcasse encore plus dénudée que les vestiges actuels.
Les Forges de carton semblent donc être une matérialisation d’un deuil en cours. Deuil prolongé par la destruction, prévue, par les habitants de la structure quelques jours plus tard.
D’après quelques témoignages récoltés auprès des membres du club photo de Trignac, il semble que cette phase de l’oeuvre ait été vécue par certains comme « un mépris envers le monde ouvrier ». Ce fut un deuil violent et imposé : « il y a des gens qui l’ont mal vécu parce qu’on rase leur passé », « on démolit le symbole du secteur »
À l’ombre des Forges – Jean-Louis Vincendeau
Le court-métrage réalisé en septembre 2014 à l’occasion du centenaire de la ville de Trignac balaye un certain nombre d’aspects de la vie au début du XXe siècle. Ce docu-fiction évoque la Brière, le café, le rugby, la fête du pont de paille et bien sûr les Forges, le travail et les luttes ouvrières.
Les scènes ayant lieu dans les Forges sont, en termes de décor, complètement fabulées.
Les scènes sont tournées à même les ruines, sans les dissimuler, au milieu des tas de briques tombées, de la terre et des ronces. Loin d’être cachées, les traces du temps sont assumées et les Forges montrées telles qu’elles sont aujourd’hui, 100 ans après. Comme si le réalisateur avait voulu faire revivre non les Forges mais les fantômes qui y rôdent. L’objet prend le dessus sur la fonction.
Dans son intention de faire ressentir le feu des Forges, Jean-Louis Vincendeau a animé son décor de lumières rouges et de fumigènes. Par erreur ou consciemment, il a posé ces artifices, non pas dans le four mais dans les conduits en brique d’aérations des fours. Toujours est-il que cette action traduit une fabulation du site. Les éléments présents devant nous ne permettent pas de comprendre par eux seuls le fonctionnement des Forges. Les installations sont trop incomplètes et trop détériorées. Il s’en suit que que le visiteur, quand il se promène aux Forges, imagine tant bien que mal la logique des machines qu’il voit et réinvente bien souvent ce qui s’y passait.
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Table des matières
CHAPITRE I INTRODUCTION
1. LES VESTIGES INDUSTRIELS, ESPACES SENSIBLES
2. MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE
2 / A L’expression de l’imaginaire par la photographie
2 / B Éléments théoriques : procédé d’artialisation
2 / C Vers la reconversion des vestiges industriels
2 / D Les supports de l’analyse
3. HISTOIRE DES FORGES
3 / A La création des Forges de Trignac
3 / B La vie des Forges
3 / C Plusieurs vies après la mort
CHAPITRE II ESTHÉTISATION DES FORGES, UNE IMAGE MULTIPLE
4. L’IMAGINAIRE BRÛLANT DES FORGES D’ANTAN
5. DE L’ENFER À LA RUINE
5 / A Les Forges aujourd’hui
5 / B Les vestiges dans leur territoire
6. LES FORGES À TRAVERS LES ARTS
6 / A Révéler le site : la mise en scène du Chant Général
6 / B Les graffitis
6 / C La maquette du centenaire de Trignac
6 / D Les Forges dans les films
7. BILAN
CHAPITRE III FORGES PHOTOGRAPHIÉES
8. MÉTHODE D’ENQUÊTE
8 / A Contexte
8 / B Déroulement et prise de parole
9. L’IMAGINAIRE PHOTOGRAPHIQUE
9 / A Personnification
9 / B Temporalisation
9 / C Sacralisation
9 / D Monumentalisation
9 / E Noircissement
10. L’ESTHÉTISATION PAR LA PHOTOGRAPHIE
10 / A Lumière, Perspective & Point de vue
10 / B Abstraction
10 / C Au-delà de la photographie
11. BILAN
11 / A Retour sur expérience
11 / B L’esthétique de l’imaginaire
CHAPITRE IV FORGES RÉINVENTÉES
12. TRIGNAC : À LA DÉCOUVERTE D’UN POTENTIEL
12 / A L’approche et le programme
12 / B L’esthétique du projet
12 / C La représentation du projet
13. TRIGNAC : LE JEU DU PROJET
13 / A L’approche et le programme
13 / B L’esthétique du projet
13 / C La représentation du projet
14. TRIGNAC : JARDIN D’ILLUSION
14 / A L’approche et le programme
14 / B L’esthétique du projet
14 / C La représentation du projet
15. ENTRE DEUX MONDES : LES FORGES DE TRIGNAC, CENTRE D’ÉTHIQUE INDUSTRIELLE
15 / A L’approche et le programme
15 / B L’esthétique du projet
15 / C La représentation du projet
16. BILAN
CHAPITRE V CONCLUSION
17. CONCLUSION DU TRAVAIL DE RECHERCHE
18. BILAN PERSONNEL
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