La crainte de l’Etat par rapport à la portée politique du mouvement associationiste constitue un obstacle à la réalisation du projet de transformation sociale de l’ESS, l’Etat préfère limiter l’action de l’ESS à la production « d’impact social »
Bien que la stratégie revendiquée par les principaux acteurs de l’ESS pour accomplir son « projet politique » soit celle d’imposer ses pratiques dans le monde du travail par la logique du nombre – en grossissant, l’ESS imposerait sa manière de faire – et donc indépendamment de la loi, force est de constater que le développement de l’ESS dépend des politiques publiques. C’est d’ailleurs un objectif revendiqué de la loi ESS du 31 juillet 2014. Ainsi, nous interrogeons le rapport qu’entretient l’ESS avec les pouvoirs publics aujourd’hui. Ce rapport est marqué par un héritage de vive méfiance envers les associations, ancêtres de l’ESS. La Révolution cherche en effet à instaurer une égalité symbolisée par la nation. C’est la loi qui est le support de régulation sociale. Ainsi, les groupements de personnes sont considérés comme un obstacle au projet révolutionnaire d’égalité de tous. Les siècles suivants portent la marque de cette crainte révolutionnaire, et nous postulons que la loi ESS de 2014 va encore dans ce sens. En effet, elle donne à ces initiatives uniquement une fonction de création d’emplois. Cela se traduit notamment avec le concept « d’impact social » qui structure aujourd’hui largement le fonctionnement de l’ESS. Ainsi, l’Etat en s’imposant comme seul défenseur de l’intérêt général, instrumentaliserait l’ESS pour subvenir aux missions d’intérêt général qu’il n’exerce plus.
Le projet politique de l’ESS est aujourd’hui menacé, tant par des stratégies qui lui sont extérieurs que par certaines de ses propres modalités
Nous avons vu que l’Etat opposait une résistance importante à l’émergence d’une ESS qui deviendrait la norme, en l’instrumentalisant plutôt pour accomplir des missions d’intérêt général, en dehors des secteurs économiques classiques. Le projet politique de l’ESS se confronte aussi au développement d’un capitalisme « moralisé » pour lequel il ne serait plus nécessaire d’apporter une alternative économique, puisqu’il aurait intégrer les enjeux écologiques et sociaux. Ce développement du capitalisme lui permet en effet de s’introduire dans le monde de l’ESS et d’évincer progressivement les formes collectives – mutuelles, coopératives et fondations. Ce faisant, il n’intègre pas les valeurs de l’ESS mais applique sa logique de marché dans des domaines jusque-là non concernés. Cette extension du domaine de la concurrence dans des domaines tels que le soin et la solidarité constitue une fausse route pour le projet politique de l’ESS. Dans le même temps, nous questionnons comment le positionnement éthique des travailleurs du monde de l’ESS participe à la réalisation de ce que nous identifions comme son projet politique. En voulant un travail qui « fait sens », certains travailleurs semblent en effet intégrer l’idée qu’une normalisation de l’ESS relève d’une utopie que l’on doit garder seulement comme horizon.
Une ligne de crête pour une ESS transformatrice et quelques limites d’une telle démarche
Malgré ces obstacles d’une économie transformatrice, nous dégageons une voie dans laquelle le développement de l’ESS participe au projet politique qui fait sens pour ses contributeurs ; celle d’une généralisation des modèles coopératifs et d’un renouveau de l’esprit associationiste militant. nous postulons que les initiatives de l’ESS qui s’inscrivent dans le projet politique de transformation sociale n’y contribuent réellement qu’à la condition de s’engager politiquement, de politiser les débats auxquels elles sont parties prenantes, de sortir d’un cadre de pensée qui fait des questions sociales et environnementales des enjeux pour lesquels il convient seulement de « créer de l’utilité sociale ». Cela prend notamment la forme d’un rapprochement avec les instances syndicales. Cette voie conduit à renouer avec l’esprit de l’associationisme. Ces modalités d’action permettent ainsi de passer d’une logique de charité à une logique de solidarité : il ne s’agit plus d’obtenir des financements publics ou de convaincre de généreux citoyens de choisir un service plus cher mais éthique pour « créer de l’impact social » mais bien de susciter un cadre favorable à une auto-organisation qui élève ses contributeurs et ses bénéficiaires au statut de personne responsable et capable et qui, ainsi, change structurellement les règles économiques.
Ce positionnement des acteurs de l’ESS doit aussi reconnaître que cette démarche prend sens lorsqu’elle s’articule avec une action politique partisane qui lui est extérieure. La socialisation des moyens de production et la solidarité des travailleurs via l’auto-organisation permet une avancée substantielle dans la réalisation du projet politique poursuivi, mais elle n’est pas suffisante. Aussi, placer l’Homme au centre de l’économie constitue certes un changement de paradigme dans le rapport de l’Homme à son travail, à ses collaborateurs, mais nous pouvons légitimement nous demander si cela est suffisant pour mobiliser une énergie politique capable de s’opposer au libéralisme.
Les mouvements sociaux qui ont rythmé l’actualité en France ces dernières années marquent par leur ampleur et leur intensité. Qu’il s’agisse de la loi travail, de la crise des gilets jaunes ou bien encore des grèves contre la réforme des retraites plus récemment, il semble que les tensions au sein de la société française se font crescendo. Cette poussée de contestation française n’est pas isolée. Pareils mouvements d’une ampleur grandissante sont observés dans de nombreux pays, notamment en Amérique du Sud. Ces secousses sociales s’inscrivent dans des contextes et des histoires différentes mais ont le plus souvent en commun un discours « antisystème ». Parmi les revendications évoquées, les difficultés liées au monde du travail sont centrales : niveau de salaire trop bas pour vivre sereinement, conditions de travail dégradées, chômage de masse, fermetures d’usines rentables, etc.
Une ligne de crête pour une ESS transformatrice et quelques limites d’une telle démarche
Comme nous l’avons présenté précédemment, la propension de l’ESS à être un vecteur de transformation sociale est aujourd’hui remise en cause par de nombreux vents contraires que sont, notamment, la pensée économique sous-jacente à la « gouvernance », la crainte de l’Etat par rapport à l’associationisme ou encore l’éthique adoptée par certains travailleurs de l’ESS. Pourtant, nous voyons dans la démarche de l’ESS qu’il existe des initiatives et un positionnement qui participent pleinement à la réalisation d’un projet politique. Ce positionnement consiste à dire que la démarche des entreprises de l’ESS doit se conjuguer étroitement au militantisme, qu’il est nécessaire de faire éclater la partition entre l’activité sociale et l’action politique. Il s’agit de faire du travail un vecteur politique. Ainsi, nous postulons que les initiatives de l’ESS qui s’inscrivent dans le projet politique de transformation sociale n’y contribuent réellement qu’à la condition de s’engager politiquement, de politiser les débats auxquels elles sont parties prenantes, de sortir d’un cadre de pensée qui fait des questions sociales et environnementales des enjeux pour lesquels il convient seulement de « créer de l’utilité sociale ». Cela prend notamment la forme d’un rapprochement avec les instances syndicales. Cette voie conduit à renouer avec l’esprit de l’associationisme. Les associations constituaient en effet de réelles plateformes de revendications et de contestation. Ces modalités d’action permettent ainsi de passer d’une logique de charité à une logique de solidarité : il ne s’agit plus d’obtenir des financements publics ou de convaincre de généreux citoyens de choisir un service plus cher mais éthique pour « créer de l’impact social» mais bien de susciter un cadre favorable à une auto-organisation qui élève ses contributeurs et ses bénéficiaires au statut de personne responsable et capable et qui, ainsi, change structurellement les règles économiques.
Ce positionnement des acteurs de l’ESS doit aussi reconnaître que cette démarche prend sens lorsqu’elle s’articule avec une action politique partisane qui lui est extérieure. La socialisation des moyens de production et la solidarité des travailleurs via l’auto-organisation permet une avancée substantielle dans la réalisation du projet politique poursuivi, mais elle n’est pas suffisante, comme nous allons le voir ci-après. Néanmoins, cette reconnaissance de l’importance de l’action partisane, et donc du rôle de l’Etat régulateur, n’enlève pas la nécessité de poursuivre le développement de ces formes autogestionnaires, associatives et coopératives. En effet, ces organisations sont les institutions indispensables à l’exercice d’une démocratie sociale dans les entreprises qui limite notamment les risques d’un pouvoir central omnipotent et trop éloigné du terrain pour gouverner en adéquation avec ses réalités. Ces formes d’organisation sont aussi un fort levier de cohésion sociale et de mobilisation citoyenne, indispensable à la vitalité démocratique d’une nation.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME
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