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Échelles d’observations (individus / collectifs)
Approcher les communautés en cherchant à croiser les trajectoires des individus et des collectifs était une tentative de s’inspirer des méthodes employées par Danièle Léger et Bertrand Hervieu sur la manière d’appréhender le phénomène dans la mesure où ils ont parcouru pendant 3 années les sentiers communautaires à la rencontre de ceux qui y vivaient. Cette filiation rompt avec la démarche de Bernard Lacroix18 qui adopte un propos surplombant en cherchant à approcher ce qui structure l’Utopie communautaire. Or, il me semblait qu’une telle démarche comportait une difficulté majeure, celle de repérer des homologies structurelles entre les différents groupes, ce qui aurait nécessité une enquête plus étendue, mais moins précise au risque de n’aboutir qu’à un ersatz de typologie.
La méthode entreprise a donc été développée selon l’idée que si les collectifs préexistent aux individus qui les constituent, il faut à la fois tenir le récit de l’émergence des collectifs et leurs trajectoires discontinues en fonction des membres qui les ont rejoints et quittés. Cette approche a fonctionné par endroits, mais n’a pas pu aboutir dans d’autres. Ainsi, je ne suis pas en mesure aujourd’hui de produire une généralisation qui intègre ces trajectoires individuelles dans des types de collectifs. L’histoire des collectifs m’a toutefois permis d’éclairer les analyses des propos tenus lors des entretiens individuels, voire m’a donné la possibilité de rebondir sur des anecdotes délivrées à la volée que j’aurais autrement laissées passer. Il est un fait qui vient considérablement contrarier l’analyse quand elle se veut ordonnée, c’est un penchant à la mobilité des individus dans le style de vie communautaire. Si les collectifs sont pris dans une relative inertie qui les fait tenir dans le temps, leurs membres, eux, ne font que les traverser, même les membres fondateurs finissent un jour par quitter le nid, non sans heurts parfois, à l’image de la coopérative Longo Maï19 qui traversa quelques années de crises après le décès d’un des fondateurs. Ainsi il arriva qu’entre deux passages sur mes terrains, des personnes eussent quitté le collectif ou que d’autres y fussent arrivées. Cette difficulté relative à la stabilité de l’échantillon et la volonté de mener une enquête longitudinale, n’en étaient pas moins intéressantes du point de vue de certaines hypothèses formulées sur le nomadisme et la conflictualité. Elle donnait à voir une dynamique des groupes et permettait d’observer les processus de redistribution des rôles et les négociations sur ce qui apparaissait institué pour le groupe, une dynamique institutionnelle à l’échelle microsociologique.
Positionnement personnel dans la recherche
Une particularité de mes terrains se trouve dans la proximité entre les membres des collectifs et moi-même en tant que chercheur selon au moins trois points de vue. Le premier est une habitude à manier les sciences sociales. Beaucoup de membres sont issus de la sociologie, de la géographie et des sciences politiques. Quand ils ont suivi ces parcours, ils sont pour le moins titulaires d’une maitrise ou d’un DEA. Certaines personnes ont poursuivi en thèse.
Cette proximité offre un mélange composite de confiance et de méfiance. Une certaine confiance dans l’approche intellectuelle et une méfiance vis-à-vis de la façon dont sont employées les études menées par les sciences sociales. Une peur certaine de la récupération des travaux par l’institution et par des sociologues en entreprise. Le second point qui rapproche ces membres de mes préoccupations analytiques est le partage d’un même style de vie. Il n’y a aucune raison méthodologique de nier ou refuser toute proximité avec son sujet d’étude, toutefois il est d’autant plus important de mettre en lumière les proximités que je peux avoir avec ce sujet. Durant cette recherche j’ai vécu dans un collectif urbain constitué de 7 adultes (4 femmes et 3 hommes) auxquels s’ajoutent mes 2 enfants, puis dans un autre habitat collectif plus rural composé de 4 adultes (3 hommes, 1 femme) et mes deux enfants, toujours. La différence entre les collectifs que j’étudie et ceux dans lesquels j’évolue, repose en partie sur la durée de l’expérience de vie commune : ils sont « pérennes » ; nous sommes précaires » et dans la nature du partage du quotidien : ils fusionnent activité agricole et vie domestique là où nous ne partageons que cette dernière. Enfin, ils partagent un même lieu de vie, alors que nous avons pris l’option de les multiplier dans une proximité intercommunale. Si certains éléments semblaient nous rapprocher, l’énonciation de ces quelques différences permet peut-être d’ores et déjà d’établir une frontière entre des expériences communautaires et des expériences collectives. C’est ce que nous allons découvrir dans la suite.
Sans cette proximité, relative, un bon nombre des terrains de cette recherche ne se seraient pas ouverts à moi. Sur ces terrains on m’a souvent demandé les raisons qui justifiaient le refus de se prendre pour objet d’étude. Si la proximité des styles de vie est un atout méthodologique pour ce genre d’enquête, il me semble pour autant « bancal » dans nos disciplines de mener l’enquête sur sa propre existence, il y a une nécessité de prendre du recul vis-à-vis de sa propre réalité des faits. Le troisième point qui, me semble-t-il, aide au rapprochement repose sur un univers politique fait d’engagements personnels qui permet d’accorder nos discours sur certaines lignes de compréhension des faits. Cette proximité est peut-être celle sur laquelle il faut le plus travailler à l’objectivation, car il ne va pas de soi que l’autogestion, par exemple, s’énonce et se pratique de manière similaire en tout point et en chaque lieu, puisqu’elle repose justement sur l’appropriation collective des modes de décisions et d’action.
Il ressort ainsi que la durée d’immersion cumulée à la proximité de style de vie, joue en faveur de la relation d’entretien. On parle entre intimes. La discussion était souvent fluide et l’on sent une moindre hésitation à entrer dans les détails de la vie familiale, dans les relations entre les membres du collectif. On sait que chacun sait de quoi il est fait référence sans tomber pour autant dans le non-dit de l’évidence. Je suis un étranger connu ce qui me donne l’avantage d’accéder à des éléments du quotidien, des liens et des relations que l’on n’évoquerait pas nécessairement avec un inconnu et qui parallèlement me donne la possibilité de questionner les évidences, parce que je reste extérieur aux enjeux du groupe.
Sociographie de trois communautés
l’issue de ces deux phases exploratoires, je pouvais donc m’appuyer sur les trois collectifs que je vais présenter ici : Oventik situé en région Rhône-Alpes, La Nef, se trouvant en région PACA et Héliée dans la région Midi-Pyrénées. Auparavant je dois préciser qu’à Oventik comme à La Nef, les membres avaient une pleine conscience de ce que signifiait ma présence leurs côtés. Ils avaient discuté et construit un accord sur la tenue de cette enquête et m’avaient par ailleurs indiqué leurs craintes que j’ai énoncées plus haut tout autant que les limites dans lesquelles s’effectuerait l’exercice. D’un côté l’anonymat souhaité pour les lieux, les personnes et les éléments qui pourraient les situer (Oventik), de l’autre non (La Nef). Tous deux m’invitaient à partager leur quotidien : repas, activités, repos, en respectant les rythmes de chacun et les règles du groupe dans les espaces intimes et collectifs. À La Nef, aucune restriction n’était énoncée quant à ma participation aux divers temps du quotidien de la communauté. À Oventik, je pouvais assister aux réunions liées à l’organisation du groupe, mais non pas à celles spécifiquement dédiées aux problèmes de fond, qui traitent notamment des positionnements dans les luttes, des projections d’avenir du groupe ou des réflexions sur les relations entre les membres.
J’ai compris par la suite que le troisième groupe, à Héliée, n’avait pas réellement approfondi la question de l’enquête tout autant que traité ce que ma présence impliquerait dans leur quotidien. C’est par ailleurs le lieu sur lequel j’ai le plus été livré à moi-même, devant lutter pour trouver à m’occuper et par la suite lutter pour programmer des moments de discussion et d’entretien. Dans le quotidien, je sentais une distance nette avec certaines personnes qui ne comprenaient pas l’intérêt de la démarche ou ne voyaient pas d’un bon œil la présence d’un sociologue. Tout ce qui avait un lien avec les relations de groupe, en dehors des repas, m’était fermé. J’ai saisi que seule une personne s’était engagée sur notre relation d’enquête, l’ayant probablement imposée au groupe ou s’étant affilié les quelques personnes pour qui la démarche semblait avoir un intérêt.
La présentation de ces trois collectifs est construite sur des descriptions factuelles, j’ai essayé, dans la mesure du possible, de détailler les points à partir d’une structure commune qui traite d’une part les données liées à l’environnement des collectifs et d’autre part ce qui relève des données propres aux groupes et leurs activités. Il s’agit d’accéder à une vue synthétique de chaque collectif, une sorte de tableau et d’aide mémoire pour les moments ultérieurs où je traiterai les situations observées et les extraits d’entretien selon l’ordre des thématiques retenues pour l’analyse.
J’ai nommé ces collectifs à partir de noms fictifs, pour deux d’entre eux, Oventik et Héliée, puisqu’une règle d’anonymat des lieux et des personnes a été explicitement formulée de leur part. Pour le troisième, La Nef, j’ai conservé l’identification du lieu et des membres tels qu’ils se présentent, c’est-à-dire sous pseudonymes qu’ils se choisissent et qu’ils changent parfois pour signifier aux autres membres du groupe qu’ils prennent un nouveau départ dans la vie. Ces trois collectifs ne sont pas véritablement des idéal-types construits à la manière wébérienne tel que je l’aurais souhaité à l’origine de ce travail, mais de figures typiques qui ne sauraient traduire qu’une forme de réalité propre au contexte de cette enquête. Proposer des idéal-types de communauté à partir de leurs représentations du commun serait probablement un exercice d’une grande complexité. Il aurait nécessité de multiplier les investigations avec une grille de critères préétablis et en nombre limité afin d’en faire ressortir les contrastes et les régularités. Dans la version actuelle de cette recherche, je propose alors des types où la représentation du commun portée par chaque groupe permet une identification qui leur est spécifique : à Oventik, la commune ; à Héliée, la tribu ; à La Nef, l’îlot.
Portraits de quelques communards
Dans cette enquête, les propos de quelques personnes ressortent plus souvent pour étayer les analyses. Les 18 entretiens menés avec 19 individus28 n’expriment pas toujours la même profondeur de discours. La grande liberté laissée à chacun d’organiser son propos, pour mettre en récit sa trajectoire de vie, donne au matériau une grande diversité qui se reflète dans certains élargissements thématiques initialement inscrits dans ma grille d’observation. J’ai demandé à chacun de commencer son récit par ses origines familiales et de se projeter vers le moment présent de leur vie communautaire. Entre ces deux bornes, mon rôle n’a consisté qu’à ouvrir des parenthèses et remettre sur le fil quand cela était nécessaire. En conséquence, aucune comparaison n’est envisageable entre les différentes trajectoires, mais surtout les niveaux de discours sont très hétéroclites. Certaines personnes adoptaient une narration en position de surplomb et mettaient en perspective leur trajectoire avec des éléments de la grande histoire ou des postures théoriques et idéologiques. D’autres, à l’inverse, fournissaient de plus amples détails sur leur vie personnelle familiale, amicale et collective, donnaient en somme, des éléments caractérisant la vie intime du groupement communautaire. Il n’y a pas de hiérarchie entre ces deux types de discours, mais des moments de l’enquête qui s’appuient sur des énonciations de surplomb et d’autres qui reposent sur des éléments de la vie intime.
Toutefois, si j’ai essayé de faire parler les 19 individus, la contribution des enquêtés à la mise en extrait des hypothèses que j’ai traitées n’est pas uniforme. Certaines personnes reviennent plus que d’autres pour alimenter mes analyses. Je vais donc les présenter par une brève synthèse, et renvoyer vers les annexes au tableau général de présentation des enquêtés selon quelques variables sociodémographiques.
Apolline : Apolline est une femme d’une trentaine d’années. À la fin de ses études en sciences humaines elle part en voyage d’exploration de collectifs avec Lazare, son compagnon. Leur premier point de chute est Oventik, où ils s’installèrent en tant que chevriers. En plus de cette co-référence à la chèvrerie, Apolline s’occupe de la transformation fromagère avec Ismène. Au moment de l’enquête, Apolline et Lazare s’interrogent sur la poursuite de leur expérience de vie à Oventik. Son propos fournit beaucoup d’éléments sur la vie du groupe et les relations intergénérationnelles.
Eschyle : Eschyle est un homme d’une soixantaine d’années, retraité. Il a exercé dans le travail social jusqu’à la fin des années 1990 avant de cofonder, avec Eulalie, la communauté d’Oventik. Durant sa carrière, Eschyle fut un militant engagé dans le syndicalisme d’orientation libertaire. En entretien, il parle assez de lui, mais, il retrace l’histoire de la communauté en grandes périodes et les met en perspective avec les différentes orientations du projet utopique. D’abord autosubsistant comme force de résistance au monde du travail capitaliste, puis élargi à l’imaginaire de la commune autonome depuis que le groupe s’est étoffé.
Eulalie : Eulalie est une femme de moins de 60 ans. Aujourd’hui sans activité extérieure à la communauté, elle a exercé dans le travail social jusqu’à la fin des années 1990 avec Eschyle. Elle est la cofondatrice de la communauté d’Oventik. À l’époque de sa fondation, Eulalie et ses deux enfants s’installent avec Eschyle avec l’idée de monter un groupe pour mettre en pratique leur projet d’autosubsistance. Très liée au milieu du théâtre, elle organise des résidences ponctuelles et participe ainsi à la visibilité du projet. En entretien, Eulalie retrace l’histoire du collectif et donne à son récit des éléments personnifiés apportant des précisions sur la vie du collectif en fonction des phases qu’il a traversées.
Hélias : Hélias est un homme d’une trentaine d’années. Avant d’arriver à Oventik, il exerçait dans l’industrie en tant que contrôleur qualité. Sa trajectoire est assez représentative de ce que l’on peut nommer : une perte de sens. S’interrogeant sur sa fonction et son mode de vie, Hélias décide de quitter son métier pour s’orienter vers la production agricole. Ami avec Ménécée, compagnon de Callirrhoé, ils décident tous trois de fonder un collectif. Dans leurs explorations de terrain, ils rejoignent la communauté d’Oventik et s’y installent. Hélias y est coréférent de l’atelier maraichage. Les discours recueillis auprès d’Hélias apportent une meilleure compréhension des relations intersubjectives. Il interroge régulièrement les manières de lutter contre les dominations issues des relations entre alter ego.
Ménécée : Ménécée est un homme d’une trentaine d’années. À la fin de ses études d’ingénieur, il décide de ne pas s’insérer professionnellement dans cette branche et commence visiter différentes communautés. Au cours de ses explorations, il découvre Oventik où il décide de s’installer, rejoint peu de temps après par Hélias puis Callirrhoé, des amis de longue date. Aujourd’hui Ménécée est coréférent sur l’atelier maraichage. Il vit en couple avec Silène, arrivée deux avant l’enquête à Oventik. Ménécée est un des ardents défenseurs du projet d’utopie communale. Tout son discours est orienté par les conditions de sa réalisation et l’idéal à atteindre.
Ismène : Ismène est une femme d’une trentaine d’années. Après un DEA en sciences sociales, elle ne parvient pas à s’insérer professionnellement. Lasse, elle décide partir en voyage par le biais d’un réseau de woofing. De retour en France elle visite plusieurs communautés avant d’arriver à Oventik où elle s’installe d’abord provisoirement puis de manière pérenne. À Oventik, Ismène est co-référente de la boulangerie et de la fromagerie. Une partie de son activité consiste également à faire le lien avec les lieux de commercialisation. La force des propos d’Isème repose sur l’analyse des relations interpersonnelles dans la communauté. Elle aborde la problématique de la solitude dans l’univers collectif et interroge la place du couple dans les relations entre les individus et la communauté.
Conception proximale et interstitielle de la communauté
Si la communauté fut présente dès les origines de la sociologie comme un concept en miroir de celui de société, son usage fut conduit progressivement vers de nouvelles acceptions. Les thèses de F. Tönnies trouvèrent un écho favorable dans la sociologie anglo-saxonne et furent reprises et aménagées dans les community studies actualisant ainsi l’usage du concept dans les sociétés contemporaines.
Ce qui frappe dans la transformation du concept est le fait qu’il soit passé du caractère central, au sens où les sociologues envisageaient la communauté comme forme hégémonique dans la manière de faire du lien social dans les sociétés traditionnelles, au caractère proximal, un terme que je propose pour décrire le caractère actuel, la place subordonnée de la communauté aux logiques de la société contemporaine. Si la communauté est véritablement la forme d’organisation sociale prédominante dans les sociétés traditionnelles, alors son rôle est central dans la production des formes sociales. Si la communauté devient une organisation secondaire ou en périphérie du centre, alors son rôle est proximal dans la production des formes sociales. On peut repérer cette conception proximale dans les pays anglo-saxons, où les communautés jouent un rôle d’intégration de second ordre, mais néanmoins de grande importance pour la cohésion sociale. Le terme proximal me paraît refléter assez justement cette place particulière conférée à la communauté. De ce point de vue, la sociologie anglo- américaine a pris au sérieux l’idée de la persistance des liens forts au sein des sociétés contemporaines et surtout n’a pas manqué de voir la permanence du passé20 à laquelle F.
Tönnies faisait allusion comme un guide de lecture de ses concepts-normes.
Il faut réussir à imager la production du social comme un point névralgique ou un centre à partir duquel sont produites les relations sociales21. La communauté se tient à une distance plus ou moins grande de ce point, qu’elle soit elle-même ce centre, auquel cas nous avons une conception centrale de la communauté, ou qu’elle s’en tienne à distance faible et nous aurons alors une conception proximale de la communauté. Si elle se tient à grande distance de ce point nous obtenons ainsi une conception que j’appellerai distale, de la communauté. Si Giovanni BUSINO, La permanence du passé, op. cit.
Ce que j’appelle forme sociale, peut être entendu ici, comme forme spécifique de relations intersubjectives, de relations entre les groupes sociaux et de relations à la sphère institutionnelle. l’approche centrale correspond assez fidèlement aux représentations associées aux sociétés traditionnelles et l’approche proximale à l’organisation sociospatiale des pays anglo-américains, l’approche distale permettrait de qualifier assez justement le rapport que la France entretient avec le concept de communauté.
L’intérêt de ces trois concepts, centrale, proximale et distale, est d’ordonner la comparaison historique et culturelle de la place qu’occupe la communauté dans l’explication du social en tant que figure représentative d’une forme typique de relation. Soit la communauté est le social par elle-même soit elle est une société dans la société, soit elle est conçue comme étant aux marges de la société, voire comme une tendance propice à la dé-cohésion sociale. On peut envisager une approche diachronique et synchronique de ces trois états. La première sera plus propice à une sociohistoire de la communauté alors que la seconde permettra la construction d’une approche socioanthropologique, c’est à cette seconde approche que ce travail de recherche s’affilie.
Appartenance à la communauté : de l’hérité à l’intentionnel
Les deux efforts de typologie présentés ci-dessus (Figure 1 Page 52 et Figure 2 Page 54) permettent d’articuler le problème de la communauté selon une autre perspective qui est celle de la définition de la communauté comme produit d’une situation ou comme produit d’une construction. En effet, ce que je nomme la communauté centrale et qu’I. Sainsaulieu définit comme type classique, renvoie à l’idée de communauté comme attribut du social transcendant l’existence des individus. La communauté préexiste aux individus et dépasse le cadre de leur existence. On peut dire qu’elle est le fruit d’une situation générée par un contexte spatial, temporel et institutionnel. l’autre extrémité de cet axe constitué par la focale de la production du social, je partirai sur l’idée que la communauté peut aussi être le fruit d’une intention de faire communauté. L’intentionnalité dans l’acte fondateur de la communauté peut se trouver dans ce que je nomme la communauté distale ou dans ce qu’I. Sainsaulieu définit comme communauté dialectique ou communauté post-moderne. Si le rôle de la communauté est de générer une proximité sociospatiale, alors on peut considérer l’approche d’I. Sainsaulieu comme une synthèse entre les perspectives anglo-américaines et européennes puisque les community studies ont tendance à envisager la communauté, sous l’angle de l’espace alors que la conception du social, plus proche des horizons européens place la communauté dans son potentiel de création de lien, pour l’envisager en tant qu’intermédiaire entre l’individu et la société. Elle crée du proche dans la relation plus que dans l’espace. « La communauté exprime la densité du “socius”, de la relation sociale. »29
La seconde approche qu’I. Sainsaulieu développe repose sur une conception de la proximité politico-culturelle. Ici, c’est la question de l’identité et du multiculturalisme qui entre en jeu. Si l’on saisit vers où peut nous mener ce propos, partant du sentiment de l’unité du nous sur la base d’une identité, ethnique, religieuse partagée, alors l’intérêt personnel raccroché au domaine de recherche présent repose plus sur le mécanisme de construction du récit commun. Sur quelles bases un groupe peut-il décider de créer une histoire commune à partir de laquelle naîtra une conscience du nous ?
Le raisonnement suivi par G. Busino, sur la nature du groupe, conduit à considérer que le groupe produit lui-même une manière de lui appartenir en construisant une identité qui lui est spécifique : Producteur de modèles normatifs et de schèmes permettant d’interpréter les valeurs d’autrui, créateur d’hétéronomie et de schèmes valorisant des coutumes et des caractères autres, le groupe serait ainsi à l’origine des traditions, des comportements, des organisations et, bien évidemment, des critères qui permettent de fixer les conformités au monde normatif, et donc de mettre en place un conformisme social. En d’autres termes, le nous groupal, dans son état structurel, serait presque un être-en-soi comparé à l’être-pour-soi des relations interindividuelles. »30
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Table des matières
Préambule
Introduction générale
Planter le décor
Les questions de recherche
PARTIE 1 : Esquisses théoriques d’une analyse des communautés intentionnelles
Introduction de la première partie
CHAPITRE 1 Des communautés
Introduction
La communauté : une notion clé de la sociologie
Portraits de communautés d’aujourd’hui
Synthèse du chapitre 1
CHAPITRE 2 -Les communautés et l’art de dessiner un commun autonome
Introduction
Sous les apparences trompeuses de la parenté entre commun et communauté .
Cadrage sur la notion d’autonomie
Synthèse du chapitre 2
Synthèse de la première partie
PARTIE 2 : Un monde en partage
Introduction de la deuxième partie
Chapitre 3 : Le partage d’un environnement
Introduction
Partager un espace
Synthèse du chapitre 3
Chapitre 4 : Le partage d’un style de vie
Introduction
Travail vie entière : Le partage d’une activité
Représentations du travail autonome
Représentations du travail commun
Le partage d’un quotidien
Synthèse du chapitre 4
Chapitre 5 : Le partage des ressources
Introduction
Partage et circulation des ressources à l’intérieur de la communauté
Circulation des ressources avec l’extérieur de la communauté
Synthèse du chapitre 5
Synthèse de la deuxième partie
PARTIE 3 : Les communautés dans le monde des relations
Introduction de la troisième partie
Chapitre 6 : Le groupe et le monde des relations
Introduction
Faire famille : de la communauté familiale à la famille élective.
Relations groupales
Synthèse du chapitre 6
CHAPITRE 7 Le monde des relations politiques
Introduction
Amitiés et politique
Micropolitique
Synthèse du chapitre 7
Synthèse de la troisième partie
PARTIE 4 : Les relations au monde
Introduction de la quatrième partie
Chapitre 8 : Logiques du mythe et logiques de l’utopie
Introduction
Les Mythes communautaires
De l’utopie à l’hétérotopie
Synthèse du chapitre 8
Chapitre 9 : Des utopies agraires?
Introduction
Espace et temps dans les communautés
Richesses marginales
Synthèse du chapitre 9
Synthèse de la quatrième partie
Conclusion générale
Bibliographie
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