La fusion thermonucléaire
L’énergie de l’univers et des étoiles est le produit de la fusion thermonucléaire. La fusion des deux isotopes de l’hydrogène deutérium 21D (ou 2H) et du tritium 31T (ou 2H) dégage huit fois plus d’énergie que la fission et entre 106 à 107 fois plus que les combustibles fossiles. La figure 1 illustre cette réaction. Les efforts de recherche ont pour ambition de reproduire sur Terre des conditions favorables à cette réaction de fusion pour répondre à la demande croissante en énergie tout en résolvant les problèmes énergétiques et environnementaux. En effet, le deutérium se retrouve en grande quantité dans la mer (un litre d’eau de mer fournirait une énergie équivalente à 300 litres de pétrole) et le tritium (obtenue à partir du lithium par la réaction 6Li + n → T + α) disposerait d’une ressource suffisante pour 10 000 ans compte tenue de la consommation actuelle. Une température de l’ordre des 107K est maintenue par les noyaux d’hélium ; les neutrons créés ralentissent dans un liquide caloporteur pour une installation à génération de vapeur (centrales thermiques actuelles) et transportent ainsi l’énergie exploitable. Le milieu matériel dans lequel évoluent ces réactions thermonucléaires est extrêmement chaud et très ionisé, on parle alors de plasma. Afin que l’énergie libérée lors des réactions de fusion soit au moins égale à l’énergie fournie au système, cette réaction doit obéir au critère de Lawson (Lindl (1998)) : le produit de la densité du mélange du combustible et du temps que met ce mélange à perdre son énergie (temps de confinement) doit dépasser un seuil. Pour pouvoir exploiter la fusion comme source d’énergie, le critère du triple produit, dérivé de celui de Lawson (température, densité et temps de confinement) doit être respecté. Ainsi la puissance transférée au milieu par les particules issues des réactions suffit à les entretenir sans apport d’énergie extérieur (l’ignition) et la combustion est alors auto-entretenue. Deux types de fusion sont alors envisageables.
– La fusion par confinement magnétique (FCM) : une petite quantité de combustible à très basse densité (n ∼ 1022/m3) est piégée dans une boîte immatérielle formée par des champs magnétiques et est maintenue à très haute température pendant un temps de confinement assez long (τ ∼ 1s). Le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) exploite ce principe : les lignes de champ magnétique se renferment sur elles mêmes sans sortir de l’enceinte, ces dernières sont générées par des bobines extérieures ainsi que par le courant circulant dans le plasma. Cependant, cette technique n’est pas satisfaisante, dans la mesure où le confinement du plasma n’est pas aussi facilement assuré pour une durée aussi longue et les matériaux se doivent de résister aux neutrons fortement énergétiques.
– La fusion par confinement inertiel (FCI) : un petit volume de combustible est porté à très haute densité (n ∼ 1033/m3) et à haute température pendant un temps de confinement très court (τ ∼ 10−11s), des faisceaux de lumière laser (ou de particules chargées) extrêmement puissants sont focalisés sur une microbille contenant le combustible. Le confinement du combustible est ainsi le résultat de sa propre inertie. Actuellement, deux grandes installations utilisent cette méthode ; le projet (National Ignition Facility) est construit et en cours de fonctionnement au Lawrence Livermore Laboratory aux États-Unis et le LMJ (Laser mégajoule) est le projet français développé au CEA. Ces projets permettront d’avancer dans la compréhension de la physique de la fusion inertielle, mais également de développer l’astrophysique de laboratoire. Cependant, de nombreux phénomènes physiques se doivent d’être maîtrisés pour le bon fonctionnement de la fusion. En effet, la propagation des faisceaux de lumière laser dans le plasma entourant la cible (interaction laser-plasma) et les instabilités hydrodynamiques nuisent au bon déroulement de la FCI. Ces travaux de thèse se situent dans cette problématique, à savoir les instabilités de Rayleigh-Taylor que l’on détaillera par la suite.
Etat de l’art sur les instabilité de RayleighTaylor
Études numériques Deux types d’approches sont généralement utilisées pour les simulations d’instabilités de Rayleigh-Taylor :
– L’approche lagrangienne qui utilise la méthode des éléments finis ou de volume finis (Magnaudet et al. (1995)), mais cette approche est trop coûteuse ;
– L’approche eulérienne qui prend en compte l’évolution de la distribution de la phase tel que les méthode de marqueur (Daly (1967), Daly (1969), Rider & Kothe (1995)), la méthode des surfaces de niveau (Hirt & Nichols (1981), Youngs (1982)). Cette méthode est moins précise mais permet de développer des algorithmes plus aisément lorsque l’interface est fortement déformée.
Une méthode originale multigrille permet de résoudre les écoulements incompressibles de deux fluides avec tension de surface et est appliquée aux instabilités de Rayleigh-Taylor. Cette méthode a ainsi permis de réduire le coût en taille mémoire de 50% (Vincent & Caltagirone (2000)). Une revue des simulations d’instabilités de Rayleigh-Taylor est donnée dans Le Creurer & Gauthier (2008)
Études expérimentales Les premières expériences d’IRT ont été menées par Lewis (Lewis (1950)) et avaient pour but de valider la théorie linéaire de Taylor. Dans ces expériences, la photographie à grande vitesse fut utilisée pour observer l’IRT générée en accélérant vers le bas des liquides dans un tube en utilisant la pression de l’air. Emmons (1960) améliora le dispositif de Lewis en accélérant un petit réservoir contenant du liquide et de l’air. Schneider et al. (1998) utilisèrent un moteur électrique linéaire pour accélérer les systèmes liquide. Puis des méthodes alternatives ont été développées pour pallier aux faibles durées d’expériences en utilisant la gravité pour engendrer l’IRT (Linden & Redondo (1991),Dalziel et al. (1999)). Cependant, ce dispositif présente un inconvénient majeur. En effet, les perturbations à l’état initial ne sont pas maîtrisées. Finalement, le dispositif décrit plus haut pour des perturbations mono-modes (Waddell et al. (2001)) fut proposé.
Conclusion générale et perspectives
L’objectif de ce travail de thèse est le développement d’une méthode numérique pour les équations de Navier-Stokes en approximation anélastique, appliquée aux instabilités de Rayleigh-Taylor. Des simulations numériques directes étaient effectuées jusqu’au début de ce projet à l’aide du code AMENOPHIS, développé pour des fluides miscibles, visqueux, compressibles et thermiquement conducteurs. Une nouvelle option a été développée dans le but d’augmenter le pas de temps contraint par la contrainte CFL, considérablement réduit par la présence d’ondes acoustiques. Ces ondes acoustiques étant les principales responsables du coût élevé de la résolution des équations complètes de Navier-Stokes, il a donc fallu développer un algorithme permettant la résolution des équations de Navier-Stokes dans le cadre de l’approximation dite « anélastique », qui permet de filtrer ces ondes grâce à un développement asymptotique. Une fois ces équations de Navier-Stokes obtenues dans une configuration Rayleigh-Taylor, en approximation anélastique, nous avons pu étudier la stabilité numérique de l’instabilité de Rayleigh-Taylor dans le cadre de fluides parfaits. En établissant la relation de dispersion, nous avons ainsi mis en évidence l’effet stabilisant de la stratification et déstabilisant du rapport des densités des deux fluides. Finalement, l’étude la stabilité linéaire nous a permis de déterminer les fonctions propres des vitesses verticale et horizontale et la pression retenue pour l’initialisation des perturbations dans le code AMENOPHIS. Cette méthode d’initialisation permet de rendre compatible les conditions initales en pression et en vitesse assurant ainsi la contrainte imposée par la conservation de la masse (div(ρ (0)~u) = 0). Cependant, il serait encore plus judicieux de résoudre un probème de Poisson pour l’initialisation des perturbations de pression. L’implantation de l’option anélastique du code AMENOPHIS a demandé de nombreuses modifications dans l’algorithme de résolution. En effet, la méthode de résolution retenue pour cette approximation est la méthode d’Uzawa généralement utilisée dans le cadre de fluides incompressibles. De plus la méthode de décomposition de domaine appliquée à des équations à caractère elliptique, demande un algorithme différent de celui utilisé pour des équations paraboliques (telles qu’elles étaient considérées dans les versions précédentes). En outre, l’existence de modes de pression parasite a nécessité une résolution particulière pour le mode de Fourier |K| = 0. L’étude du problème de Stokes dans le cadre d’une configuration stratifiée (à stratification constante) a permis de montrer que le problème était elliptique et que les spectres de l’opérateur de Stokes présentent des similitudes avec les résultats analytiques. Nous avons également présenté les modes propres de Stokes de cette même configuration. Les modes propres de l’instabilité de Rayleigh-Taylor classique mériteraient certainement d’être analysés. Une fois le développement du code terminé, la validation reste une étape importante avant une étude paramétrique des résultats numériques. Les algorithmes et l’implantation dans le code AMENOPHIS sont validés par les comparaisons de l’opérateur d’Uzawa développé en Fortran et à l’aide de Mathematica. De plus des résultats numériques ont été comparés à une expérience avec des fluides incompressibles. Finalement, une étude des solutions numériques obtenues avec les options anélastique et compressible a été menée. La comparaison des résultats numériques obtenus par la version anélastique de AMENOPHIS à ceux obtenus expérimentalement dans l’étude menée par Waddell et al. a révélé un développement similaire de l’instabilité de Rayleigh-Taylor. Nous avons également mis en évidence une légère différence dans les caractéristiques du développement de l’instabilité de RayleighTaylor en comparant les simulations effectuées avec la version anélastique et compressible, qui serait due au filtrage des ondes acoustiques dans la version anélastique. Cette constatation nous incite à vérifier ces différents comportements en phase linéaire. De plus, le pas de temps moyen passe de 0.22×10−4 (en version compressible) à 0.71×10−3 (en version anélastique), pour un exemple de solution mono-mode, soit un facteur ≈ 32 ; ce qui satisfait aux attentes de ces travaux de thèse. Finalement, l’abandon de la compressibilité dynamique (liée à l’équation d’état), nous incite à étudier le comportement de l’instabilité de Rayleigh-Taylor en faisant varier le paramètre de stratification (Sr) représentatif de la compressibilité statique. Le développement de l’instabilité de Rayleigh-Taylor semble différent d’une stratification à l’autre. Cette constatation mérite d’étudier plus de simulations afin de se conforter sur les comportements particuliers de ce type de configurations. Ces différents résultats numériques présentés ne sont considérés qu’en 2D. Cependant, la version anélastique a été développée en 3D. À l’issu de ce travail, il est envisageable de simuler des couches de mélange turbulentes issues des instabilités de Rayleigh-Taylor dans l’approximation anélastique, avec des délais de traitements considérablement réduits et acceptables, par rapport à ceux obtenus avec les équations de Navier-Stokes complètes. L’étape de validation permet également d’élargir des perspectives d’évolution du code AMENOPHIS. Les différences des résultats numériques et expérimentaux nous encouragent à envisager un point d’amélioration qui consiste à prendre en compte une viscosité qui dépend de la concentration. La version anélastique permettrait également de prendre en compte des configurations non-stratifiées qui correspondraient à la limite de stratification nulle de la version anélastique.
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Table des matières
Introduction générale
I Modèle physique
1 Instabilité de Rayleigh-Taylor
2 Etat de l’art sur les instabilité de Rayleigh-Taylor
2.1 Études numériques
2.2 Études expérimentales
3 Équations du mélange
3.1 Thermodynamique d’un corps pur
3.2 Mélange de gaz parfaits
3.3 Équations thermo-mécaniques d’évolution du mélange
3.4 Conditions aux limites et conditions initiales
3.5 Adimensionnement des équations complètes de Navier-Stokes
4 Équilibre hydrostatique
II Approximation anélastique
1 Contrainte CFL et ondes acoustiques
2 Approximation anélastique appliquée au mélange de deux fluides
3 Approximation anélastique
4 Système d’équations du mélange
5 Stabilité linéaire de l’IRT
5.1 État de l’art sur la stabilité linéaire
5.2 Méthode des modes normaux
5.3 Analyse en modes normaux en approximation anélastique
5.4 Relation de dispersion
5.5 Influence des paramètres sur le taux de croissance
5.5.1 Influence de la stratification
5.5.2 Influence du nombre d’Atwood
5.5.3 Influence des hauteurs de chaque fluide
5.6 Fonctions propres
IIIRappels sur les méthodes numériques
1 Rappels sur les méthodes spectrales
1.1 Méthodes des résidus pondérés
1.1.1 Polynômes de Tchebycheff
1.2 Méthode de collocation de Tchebycheff
1.2.1 Transformation de coordonnées
1.2.2 Dérivation spectrale
1.2.3 Intégration spectrale
2 Rappels sur les méthodes de résolution des problèmes de Stokes incompressibles
3 Algorithme de résolution en multidomaine
4 Adaptation dynamique multidomaine
5 Application au code AMENOPHIS
5.1 Discrétisation spatiale
5.2 Schéma numérique temporel
5.3 Critère d’adaptation dynamique multidomaine
5.4 Initialisation des perturbations
IV Méthode d’Uzawa pour les équations de Navier-Sokes en approximation anélastique
1 Modes propres du problème de Stokes en AN dans un canal plan infini
1.1 Modèle physique
1.2 Équations du modèle
1.3 Conclusion de l’étude
1.4 Invariance du problème de Stokes
2 Découplage des vitesses en 3D
3 Méthode de décomposition de domaine
3.1 Conditions de raccord
3.2 Méthode de la matrice d’influence appliquée au système couplé en vitesse/pression
3.3 Matrice d’influence
3.4 cas particulier |K| = 0
3.5 Résolution des équations paraboliques
4 Résolution selon la méthode d’Uzawa
5 Modes de pression parasite
V Validation du code numérique pour l’approximation anélastique
1 Comparaison des opérateurs codés sous MATHEMATICA et FORTRAN
2 Étude d’expérience d’IRT : systèmes liquides à faible nombre d’Atwood avec perturbations initiales mono-mode
2.1 Descriptif de l’expérience
2.2 Résultats expérimentaux
2.3 Simulation anélastique
2.4 Comparaisons des résultats expérimentaux et numériques
3 Comparaison des simulations des versions compressible et anélastique
VI Influence de la stratification initiale des deux fluides
1 Champ de densité à l’instant initial
2 Étude du développement de l’IRT selon le paramètre de stratification
Conclusion générale et perspectives
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