Les maladies émergentes ou ré-émergentes causées par certains eucaryotes pathogènes comme les protozoaires, constituent actuellement un des grands enjeux de santé publique. L’un de ces protozoaires, Blastocystis sp., colonise le tube digestif de l’homme et de nombreux animaux et est à ce jour le parasite intestinal le plus fréquemment retrouvé dans les selles humaines. En effet, sa prévalence peut atteindre les 20% dans les pays développés et largement dépasser les 50% dans les pays en développement (Tan 2008 ; Tan et al. 2010 ; Clark et al. 2013). Cette différence de prévalence entre ces pays peut essentiellement s’expliquer par des conditions d’hygiène plus précaires puisque la voie oro-fécale est considérée comme la principale voie de transmission de ce parasite. Une telle prévalence de Blastocystis sp. dans la population humaine à travers le monde pose donc naturellement la question de l’impact réel de ce parasite en santé publique.
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, un intérêt croissant s’est porté sur ce parasite. Ceci s’est traduit entre autres par la création récente de la Blastocystis Research Foundation aux Etats-Unis (http://www.bhomcenter.org/), par l’ajout par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de Blastocystis sp. sur la liste des parasites d’origine hydrique (WHO 2008) et par l’augmentation significative du nombre annuel de publications portant sur ce parasite. La pathogénicité de Blastocystis sp. est longtemps restée controversée mais l’accumulation récente de données génomiques et épidémiologiques couplées à celles d’études in vivo et in vitro et de cas cliniques indique que l’infection à Blastocystis sp. est associée à une variété de troubles gastro-intestinaux (Tan 2008 ; Tan et al. 2010 ; Clark et al. 2013). De plus, ce parasite pourrait jouer un rôle majeur dans une pathologie intestinale chronique fréquente dans les pays industrialisés comme le Syndrome du Côlon Irritable ou IBS, dans l’apparition de lésions cutanées comme l’urticaire (Poirier et al. 2012 ; Roberts et al. 2014) et serait très fréquent chez les patients immunodéprimés en faisant un parasite opportuniste de premier plan (Marcos et Gotuzzo 2013). D’autre part, une considérable hétérogénéité moléculaire des isolats de Blastocystis sp. trouvés chez l’homme comme chez l’animal a été mise en évidence avec l’identification d’au moins 17 sous-types (STs) différents notés ST1 à ST17 (Alfellani et al. 2013a). Chacun de ces STs pourrait représenter une espèce si on tient compte des distances évolutives les séparant dans un arbre phylogénétique et présente une spécificité d’hôte très variable. Une corrélation éventuelle entre ST et pathogénicité des isolats a été proposée par de nombreux auteurs mais cette hypothèse reste à confirmer.
La biologie de Blastocystis sp.
Un organisme polymorphe
Blastocystis sp. est un unicellulaire eucaryote strictement anaérobie puisque très sensible à toute exposition à l’air (Tan 2008). La morphologie de ce parasite a été largement étudiée en microscopie optique et électronique à transmission ou à balayage en observant des échantillons de selles fraîches et de cultures axéniques ou xéniques (Zierdt 1973, 1988, 1991; Zierdt et Tan 1976 ; Matsumoto et al. 1987 ; Melhorn 1988 ; Yoshikawa et al. 1988, 1995, 2007 ; Dunn et al. 1989 ; Stenzel et Boreham 1991, 1996; Teow et al. 1992; Boreham et Stenzel 1993 ; Stenzel et al. 1994, 1995, 1997 ; Yoshikawa et Hayakawa 1996a,b ; Suresh et al. 1994, 1997, 2009 ; Moe et al. 1996 ; Zaman et al. 1997, 1998, 1999 ; Chen et al. 1999 ; Pakandl 1999 ; Vdovenko 2000 ; Tan et al. 2002 ; Tan 2004, 2008; Tan et Suresh 2006a,b ; Zhang et al. 2012). La caractéristique majeure de cet organisme est son polymorphisme se traduisant par une variation importante de sa taille et par l’existence de différentes formes allant d’une forme sphérique à une forme amiboïde. Par conséquent, cette multitude de formes différentes rend difficile l’assignation d’une forme spécifique au parasite. Quatre formes majeures de Blastocystis sp. ont été décrites dans les selles ou en culture in vitro: vacuolaire, kystique, granulaire et amiboïde (Tan 2004, 2008) (Figures 2 et 3). En général, les formes vacuolaires et à un moindre degré, les formes granulaires sont prédominantes dans les échantillons de selles fraîches et en culture in vitro. La forme amiboïde est quant à elle plus fréquemment observée dans les échantillons de culture in vitro que dans les selles fraîches même si une excrétion prédominante de la forme amiboïde a été rapportée dans les selles de quelques patients symptomatiques (Tan et Suresh 2006b). La forme kystique est principalement observée dans les échantillons de selles et rarement en culture in vitro. Pour certaines de ces formes, on note la présence d’organites particuliers ressemblant à des mitochondries, ce qui peut paraître surprenant chez un organisme anaérobie. Ces organites appelés MLO pour « mitochondria-like organelle » ont une forme sphérique ou ovale avec un diamètre de 1 à 3 µm. Leur nombre est variable selon les isolats ou même selon les formes d’un même isolat. Ils sont entourés d’une double membrane présentant des crêtes et leur matrice est dense aux électrons. Différentes colorations au DAPI et au MitoLight ont confirmé que cet organite possédait un génome et ont mis en évidence un potentiel transmembranaire (Nasirudeen et Tan 2004) (Figure 4). L’appareil de Golgi de Blastocystis sp. se trouve toujours près du noyau et de petits granules sécrétoires denses aux électrons sont souvent observés près de cet appareil. La fonction générale de cet organite est la synthèse de glucides qui a été démontrée par histochimie au niveau ultrastructural (Yoshikawa et al. 1995).
La forme vacuolaire
Elle représente la forme la plus aisément identifiable et la plus fréquente dans les selles ou en culture in vitro et permet l’identification de l’organisme par examen microscopique des selles dans le cadre du diagnostic. Elle est arrondie ou ovalaire et son diamètre moyen est généralement compris entre 4 et 150 µm. Ces variations de taille sont observées entre isolats mais aussi au sein d’un même isolat (Yaicharoen et al. 2006). Dunn et al. (1989) ont ainsi mis en évidence, à partir de 10 isolats humains, une variation de taille allant de 4 à 63 µm. La forme vacuolaire peut parfois atteindre 200 µm de diamètre en culture axénique (Stenzel et Boreham 1996). Cette forme possède une large vacuole centrale occupant 90% du volume de la cellule, ce qui pousse les organites et le cytoplasme dans un anneau périphérique mince, difficile à visualiser en microscopie optique. La vacuole centrale peut apparaître vide ou contenant un fin matériel floconneux. Elle contiendrait des carbohydrates, des lipides et des protéases ce qui évoque un rôle de stockage pour cet organite (Yoshikawa et al. 1995; Puthia et al. 2008 ; Tan 2008). En microscopie électronique à transmission, cette vacuole apparait claire aux électrons ou présente un aspect finement granuleux distribué de manière irrégulière (Figure 3) (Stenzel et Boreham 1996; Tan 2008). L’anneau cytoplasmique renferme les noyaux en nombre variable, un appareil de Golgi et un réticulum endoplasmique, des microtubules et des MLOs. Cette forme est souvent entourée d’un manteau de surface, appelé couche fibrillaire ou d’une capsule d’épaisseur variable pouvant être apparentée à un glycocalyx (Lanuza et al. 1996). Certaines cellules en sont pourtant complètement dépourvues in vitro (Dunn et al. 1989). Le rôle possible de ce glycocalyx serait de piéger des bactéries, en vue d’un apport de nutriments pour la croissance de la cellule (Zaman et al. 1999).
La forme granulaire
La forme granulaire de Blastocystis sp. est morphologiquement similaire à la forme vacuolaire, mais elle est caractérisée par la présence de granules très hétérogènes au sein de la vacuole centrale. Sa taille est légèrement plus petite que celle de la forme vacuolaire, et varie de 3 à 80 µm. Les granules ont des aspects hétérogènes et ont été décrits comme de petites vésicules ou des gouttes lipidiques (Dunn et al. 1989) (Figure 3). La forme granulaire est principalement trouvée dans des cultures relativement anciennes ou en présence d’antibiotiques. Pour certains auteurs, elle serait plutôt une forme vacuolaire au contenu cellulaire particulier plutôt qu’un stade parasitaire distinct (Boreham et Stenzel 1993 ; Stenzel et Boreham 1996).
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Table des matières
Introduction
Analyse bibliographique
I. La biologie de Blastocystis sp.
I.1. Un organisme polymorphe
I.1.1. La forme vacuolaire
I.1.2. La forme granulaire
I.1.3. La forme kystique
I.1.4. La forme amiboïde
I.1.5. Les autres formes
I.2. Une reproduction et un cycle biologique encore hypothétiques
II. La taxonomie et la diversité génétique de Blastocystis sp.
II.1. Sa découverte et sa classification au sein des eucaryotes
II.2. La diversité génétique des isolats et la classification au sein du genre Blastocystis
III. Les méthodes de diagnostic de Blastocystis sp. et sa mise en culture
III.1. L’observation microscopique des selles
III.2. La mise en culture des selles
III.3. Les méthodes moléculaires et le sous-typage des isolats
IV. Une forte prévalence de Blastocystis sp. dans la population humaine
V. La distribution des sous-types de Blastocystis sp. dans la population humaine
VI. La distribution des sous-types de Blastocystis sp. chez les animaux et l’évaluation du potentiel zoonotique du parasite
VII. Les autres modes de transmission de Blastocystis sp.
VIII. Des données génomiques récentes concernant Blastocystis sp.
VIII.1. Quelques généralités sur le génome nucléaire
VIII.2. Le génome mitochondrial
IX. Les molécules et mécanismes impliqués dans la pathogénicité de Blastocystis sp.
SOMMAIRE
IX.1. La prédiction de protéines impliquées dans les interactions hôte-parasite
IX.2. Les données in vitro et l’identification de facteurs de virulence
IX.3. Le développement de modèles animaux de blastocystose et la physiopathologie du parasite
X. L’impact de Blastocystis sp. en santé humaine et quelques aspects cliniques
X.1. Blastocystose et immunodépression
X.2. Blastocystose et syndrome du côlon irritable, colite et autres troubles digestifs
X.3. Blastocystose et urticaire
X.4. Une corrélation entre sous-types de Blastocystis sp. et pathogénicité des isolats?
XI. Les traitements de la blastocystose
Résultats
I. Prévalence et biodiversité de Blastocystis sp. chez l’homme
I.1. Analyse de la population totale au Liban
I.1.1. Introduction
I.1.2. Résultats
I.1.3. Conclusions
I.2. Analyse d’une population de patients diarrhéiques au Liban
I.2.1. Introduction
I.2.2. Matériels et méthodes
I.2.3. Résultats
I.2.4. Conclusions
I.3. Analyse d’une population d’écoliers au Liban
I.3.1. Introduction
I.3.2. Matériels et méthodes
I.3.3. Résultats
I.3.4. Conclusions
I.4. Analyse d’une population d’enfants au Sénégal
SOMMAIRE
I.4.1. Introduction
I.4.2. Résultats
I.4.3. Conclusions
I.5. Analyse de la population totale en France
I.5.1. Introduction
I.5.2. Matériels et méthodes et résultats
I.5.3. Conclusions
II. Facteurs de risque de transmission de Blastocystis sp. à l’homme
II.1. Analyse des sources de transmission animales et environnementales au Liban
II.1.1. Introduction
II.1.2. Matériels et méthodes
II.1.3. Résultats
II.1.4. Conclusions
II.2. Prévalence du parasite chez les animaux du zoo de La Palmyre en France
II.2.1. Introduction
II.2.2. Matériels et méthodes
II.2.3. Résultats
II.2.4. Conclusions
II.3. Prévalence du parasite dans une population de chiens en France
II.2.1. Introduction
II.2.2. Matériels et méthodes
II.2.3. Résultats
II.2.4. Conclusions
III. Pathogénicité de Blastocystis sp.
III.1. Etude d’un cas clinique d’appendicite
III.1.1. Introduction
III.1.2. Résultats
III.1.3. Conclusions
SOMMAIRE
Discussion
Conclusion
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