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La classification HER2
La détermination du statut HER2 est essentielle au diagnostic de cancer du sein, à tous les stades de la maladie, puisqu’elle conditionne l’indication de traitement spécifique ciblant HER2. Elle repose sur l’immunohistochimie (IHC) permettant une analyse de la protéine et l’hybridation in situ fluorescente (FISH) qui analyse le gène (11,12). Classiquement, il existait une classification dichotomique du statut HER2 (positif/négatif), puisqu’il était admis que seuls les cancers du sein HER2 positifs bénéficiaient des traitements anti-HER2. L’émergence de nouvelles thérapies efficaces en cas de niveaux intermédiaires d’expression de HER2 va changer ce paradigme.
Les seuils de positivité en immunohistochimie et en FISH ont évolué au cours du temps jusqu’aux recommandations de 2018 de l’ASCO et du Collège des Pathologistes Américains actuellement en vigueur. Le GEFPICS (Groupe d’Etude des Facteurs pronostics Immunohistochimiques dans le cancer du sein) a proposé en 2021 une mise à jour française qui tend à modifier la classification dichotomique de HER2 (11,13) :
– Un score 0 en immunohistochimie correspond à un statut HER2 négatif (score 0) ;
– Un score 1+ correspond à un statut HER2 négatif (score 1+), appartenant à la catégorie HER2 faible ;
– Un score 2+ négatif en FISH correspond à un statut HER2 négatif (score 2+ non amplifié), appartenant à la catégorie HER2 faible ;
– Un score 2+ positif en FISH correspond à un statut HER2 positif (score 2+ amplifié) ;
– Un score 3+ correspond à un statut HER2 positif (score 3+).
La synthèse des algorithmes décisionnels en immunohistochimie (IHC) et en FISH est présentée dans les figures 1 et 2.
Epidémiologie et caractéristiques des tumeurs HER2 -faibles
Les tumeurs HER2-faibles (HIC 1+ ou 2+ non amplifié en FISH) représentent une proportion significative de cancer du sein, évaluée entre 40 et 50% (10,14). Bien qu’actuellement considéré et traité de la même manière qu’un cancer ne présentant aucune expression de HER2 (HER2-0), plusieurs études suggèrent que le cancer du sein HER2-faible présente des caractéristiques différentes. Tout d’abord, les tumeurs HER2-faibles sont plus fréquentes dans les cancers du sein surexprimant les récepteurs hormonaux (luminaux) en comparaison à la population RO-/RP- (triple négatives). Elles expriment les récepteurs hormonaux dans la majorité des cas (65 à 83%) (14). Deux études récentes ont présenté des analyses des caractéristiques clinicopathologiques et moléculaires du cancer du sein HER2-faible. Schettini et al. ont réalisé une analyse moléculaire avec la signature PAM50 sur plus de 3600 patientes atteintes d’un cancer du sein et ont montré que les tumeurs RH+ et HER2-faibles présentaient des niveaux d’expression du gène ERBB2 et des gènes dits « luminaux » plus élevés que les patientes atteintes de la maladie HER2-0 (14). Dans une autre étude utilisant la signature PAM50 sur 804 patientes atteintes de cancers du sein précoces, les tumeurs HER2-faibles présentaient une proportion plus élevée de tumeurs dites « HER2-enrichi » en comparaison aux tumeurs HER2-0, et ce quel que soit le statut des récepteurs hormonaux (15). Ces données confirment l’existence de caractéristiques moléculaires intrinsèques aux tumeurs HER2-faibles distinctes des tumeurs HER2 négatives, suggérant potentiellement des différences cliniques entre ces deux sous types.
Pronostic du cancer HER2-faible
Plusieurs études rétrospectives suggèrent un impact clinique négatif de l’expression modérée de HER2 (IHC 2+ sans amplification du gène HER2 en FISH), dans les cancers du sein précoces. Les études de Rossi et al. et de Eggeman et al. ont montré respectivement dans des populations de 1150 et 5907 patientes avec un cancer du sein précoce, que les tumeurs HER2 2+ non amplifiées présentaient une taille plus grande, un grade plus élevé, un index de prolifération Ki 67 plus élevé, un envahissement ganglionnaire plus fréquent, en comparaison aux tumeurs HER2 0 ou 1+ (16,17). Il existait respectivement dans l’étude de Rossi et al. et Eggeman et al. un impact négatif du statut HER2 2+ sur la survie sans maladie à 5 ans (HR 2,596; IC 95% : 1,782-3,781 ; p < 0,001 ), et une diminution de la survie sans maladie (HR ajusté 1,21 ; IC 95% 1.052-1.408 ; p = 0.008) en population RH+. Kim et al. ont publié en 2020 une étude portant sur 3192 cancers du sein précoces HER2 négatif/RH+ dans laquelle les tumeurs HER2 2+ (non amplifiées en FISH), présentaient aussi un grade plus élevé que les tumeurs HER2-0 (p = 0,001). La survie sans récidive à 5 ans des patientes HER2-faibles était inférieure aux tumeurs HER2-0, mais uniquement pour les patientes âgées de plus de 55 ans (18). Dans l’étude de Jacot et al. qui concerne des patientes atteintes de cancers du sein triple-négatifs, les tumeurs HER2-faibles présentaient à l’inverse un grade tumoral inférieur à celui des tumeurs HER2-0 (p = 0,007). Leur survie sans récidive était plus faible (HR=3,16 ; IC 95% 1,27-7,85; p = 0,034) sans impact sur la survie globale (19). A l’inverse, plusieurs travaux suggèrent que le statut HER2-faible n’influence pas le pronostic des patientes (15,20) et certaines études suggèrent même un meilleur pronostic (21–23). En situation néo-adjuvante, une étude conduite sur plus de 2 300 patientes atteintes de cancers du sein précoces HER2-négatifs traitées par chimiothérapie, a montré que les tumeurs HER2-faibles avaient un taux de réponse complète inférieur aux tumeurs HER2-0 (29,2% contre 39%, p = 0,0002). Cependant, les patients présentant une tumeur HER2-faible avaient une meilleure survie sans maladie à 3 ans (83,4%; IC 95% 80,5-85,9 versus 76,1% ; IC 95% 72,9-79,0; p = 0,0084)(21). Mutai et al. retrouvaient un impact pronostic favorable du statut HER2-faible sur la survie globale à 10 ans de patientes atteintes de cancers du sein précoces RH+, mais uniquement pour les patients avec un haut risque génomique évalué par le test Oncotype Dx® (HR 0,31; IC 95% 0,11- 0,78 ; p= 0,01) (22).
En situation métastatique, peu d’études sont disponibles, avec des résultats très contradictoires. Dans une étude rétrospective de 2021, conduite sur 1739 patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique HER2-négatif en Autriche, le statut HER2-faible n’avait pas d’impact sur la survie globale, que ce soit dans le sous-groupe RH+ (HR 0,8; IC 95 % 0,74-1,05; p = 0,171) ou le sous-groupe triple négatif (HR 0,92; IC 95 % 0,68-1,25; p=0,585) (24). Ces résultats sont en accord avec deux autres études (14,20). Une étude plus récente menée en Chine sur 1433 patientes a montré à l’inverse que les patientes avec une tumeur HER2-faible avaient une meilleure survie globale que celles présentant des tumeurs totalement HER2 négatives, dans la population globale (48,5 mois contre 43,0 mois, p = 0,004) ou dans le sous-groupe RO+/RP+ (54,9 mois contre 48,1 mois, p = 0,011). En revanche cela n’était pas démontré dans le sous-groupe RO-/RP- (29,5 mois contre 29,9 mois, p = 0,718) (25).
Données d’efficacité thérapeutique du ciblage HER2 dans les cancers du sein HER2-faibles et perspectives de développement
La prise en charge du cancer du sein avec surexpression de HER2 a été révolutionnée par le développement d’un anticorps monoclonal dirigé contre HER2 : le trastuzumab, désormais utilisé en situation néo-adjuvante, adjuvante et métastatique (5,9,26,27). Le pertuzumab, un anticorps ciblant un autre épitope de HER2 a ensuite été développé et fait désormais partie du standard thérapeutique en première ligne métastatique, en association avec une chimiothérapie à base de taxanes et au trastuzumab (6). L’utilisation en deuxième ligne métastatique du lapatinib associé à la capécitabine, a été supplantée par le trastuzumab-emtansine (T-DM1), un anticorps drogue-conjugué (ADC) qui associe l’activité de l’anticorps anti-HER2 à un agent cytotoxique. Ce dernier est aussi utilisé après traitement néo-adjuvant en cas de résidu tumoral sur la pièce opératoire (8,28). Au-delà de la deuxième ligne, les possibilités thérapeutiques peuvent reposer sur les inhibiteurs de tyrosine kinase anti-HER2, qui sont caractérisés par un faible poids moléculaire et un meilleur franchissement de la barrière hémato-encéphalique avec une potentielle meilleure efficacité sur les métastases cérébrales. On peut citer le tucatinib, qui vient compléter l’arsenal thérapeutique de la population HER2-positive, en association avec le trastuzumab et la capécitabine (29), ou encore le lapatinib associé à la capécitabine qui a permis d’obtenir un contrôle de la maladie métastatique cérébrale chez deux tiers des patients dans une étude de phase II (30). L’ensemble de ces traitements anti-HER2 a permis une amélioration de la survie globale et sans récidive des patientes atteintes de cancer du sein avec surexpression de HER2, en situation précoce et métastatique.
Ces traitements n’ont pas montré de bénéfice dans la population de patientes avec une tumeur HER2-faible. Le trastuzumab n’a pas montré une amélioration de la survie des patients atteints d’un cancer du sein à faible taux de HER2 (31). Le pertuzumab et le T-DM1 n’ont pas été testés spécifiquement dans la population HER2-faible, mais les données cliniques rétrospectives ont montré des résultats insuffisants pour justifier des essais dédiés (32,33). Les options de traitements ciblés pour les patientes atteintes d’un cancer du sein HER2 négatif sont donc limitées. Les progrès de l’ingénierie pharmaceutique ont cependant permis le développement de nouvelles approches thérapeutiques. Parmi les applications les plus avancées, les anticorps drogues conjugués (ADC) sont conçus pour délivrer, de manière sélective, un puissant cytotoxique à l’intérieur des cellules tumorales exprimant l’antigène de surface cible. L’anticorps conjugué se fixe spécifiquement sur des récepteurs de surface des cellules tumorales, permettant l’internalisation et le relargage intracellulaire de l’agent cytotoxique (Figure 3). Ce mécanisme d’action engendre une toxicité systémique moins importante comparativement aux chimiothérapies classiques avec un meilleur rapport bénéfice risque. Ces approches ont été réalisées avec succès dans les cancers du sein métastatiques avec surexpression de HER2 prétraités. Le trastuzumab-deruxtecan (T-DXd) est un ADC combinant le trastuzumab à un inhibiteur de topoisomérase de type I. Les résultats majeurs de l’étude DESTINY-Breast03 (NCT03529110) menée sur 524 patientes, comparant l’utilisation du T-DM1 au T-DXd en deuxième ligne vont vers un nouveau standard en deuxième ligne métastatique avec un bénéfice en survie sans progression pour le bras T-DXd (HR 0.2840 ; IC 95% 0.2165-0.3727; p < 0.0001) ainsi qu’en survie globale (survie globale à 12 mois : 94.1% ; IC 95 % : 90.3-96 versus 85,9% ; IC 95 % : 80.9-89.7 pour le T-DM1; HR : 0.5546 ; IC 95% 0.3587-0.8576; p = 0.007172) (34). Le T-DXd bénéficie actuellement d’une autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) et de l’Agence Européenne du Médicament pour la prise en charge du cancer du sein métastatique HER2 positif, en progression après T-DM1.
Le T-DXd a aussi montré des données d’efficacité dans la population HER2-faible. Il est composé d’un cytotoxique (exatécan, dérivé de l’irinotécan), connecté à un anticorps monoclonal par une liaison clivable permettant un effet bystander élevé, c’est-à-dire un effet sur les cellules n’exprimant pas HER2 adjacentes aux cellules présentant l’antigène (35). L’essai de phase I d’escalade de dose du trastuzumab-deruxtecan chez 54 patientes HER2-faible métastatiques lourdement pré-traitées a montré un taux de réponse objective de 37% (IC 95% : 24.3 – 51.3), une durée de réponse médiane de 10.4 mois (IC 95% : 8.8 – non atteinte), et un taux de contrôle de la maladie de 87% (IC 95% : 75.1- 94.6). La survie sans progression médiane était de 11.1 mois (IC 95% : 7.6 – non atteinte) (33). Ces taux de réponse élevés ont justifié une étude de phase III (DESTINY-Breast04, NCT03734029) comparant le T-DXd à une chimiothérapie (capécitabine, éribuline, gemcitabine, paclitaxel ou nab-paclitaxel) chez les patientes atteintes de cancers du sein métastatiques/non résécables HER2-faibles prétraités (une ou deux lignes de chimiothérapie). Cette étude randomisée a inclus 480 patientes atteintes d’un cancer du sein RH+ et 60 patientes atteintes d’un cancer triple-négatif. Les résultats préliminaires non publiés montrent une amélioration significative de la survie sans maladie et de la survie globale chez les patientes HER2-faibles, indépendamment du statut RH, avec un profil de tolérance acceptable, les données complètes seront présentées prochainement. L’étude DAISY, une étude UNICANCER de phase II évaluant l’activité du T-DXd sur des cancers du sein métastatiques en fonction de l’expression de HER2, a montré des résultats prometteurs. Cette étude a rapporté une survie sans progression de 11.1 mois (IC 95% [6.0-8.7]) pour la cohorte HER2 positif (n=68), 6.7 mois (IC 95% [4.4-8.3]) pour la cohorte HER2-faible (n=73), 4.2 mois (IC 95% [2,0-5.7]) dans la cohorte HER2-0 (n=38) (36). Par ailleurs, d’autres nouveaux ADC dirigés contre HER2 comme le trastuzumab-duocarmazine et le RC-48 ont été testés dans le cancer du sein à faible expression de HER2, respectivement dans un essai de phase I et I/II (NCT04602117, NCT03052634). Le trastuzumab-duocarmazine associe un anticorps monoclonal (trastuzumab) lié de façon covalente à un agent alkylant. Une étude de phase I a étudié son efficacité sur 49 patientes avec un cancer du sein métastatique HER2-faible lourdement prétraitées. 9 des 32 patientes RH+ (28%, IC 95% : 13,8-46,8) et 6 des 15 patientes RH- (40%, IC 95% : 16,3-67,6) présentaient une réponse objective. La survie sans progression était respectivement de 4,1 mois (IC 95% : 2,4-5,4) et 4,9 mois (IC 95%, 1,2- non atteinte) (37). Des anticorps bispécifiques ainsi que des vaccins anti-HER2 sont aussi à l’étude élargissant l’arsenal thérapeutique potentiel des tumeurs HER2-faibles (38–43). L’individualisation de cette nouvelle entité de cancer du sein à la lumière des avancées pharmaceutiques en cours ouvre de grands espoirs thérapeutiques.
La plateforme ESME
Le but de ce travail de thèse est de réaliser une analyse exhaustive des caractéristiques, de la prise en charge et de la survie en vie réelle des patients atteints de cancer du sein métastatique HER2-faible à partir de la plateforme de données ESME (Epidémio-Statégie Médico-Economique). Le programme de recherche ESME est un projet mené par Unicancer, le réseau hospitalier français des Centres de Lutte Contre le Cancer (CLCC), visant à établir une base de données complète à partir de renseignements de vie réelle de patients traités pour un cancer en France. Il a pour but d’améliorer les connaissances sur la pratique médicale en milieu réel, sur la santé publique et sur l’utilisation des soins de santé. Le programme ESME-CSM constitue un recueil rétrospectif, multicentrique, regroupant les données de 18 Centres de Lutte contre le Cancer (soit 20 sites). Dans notre étude, les patients sélectionnés étaient des hommes ou des femmes, âgés de ≥18 ans, atteints de cancer du sein métastatique et dont la première métastase a été traitée (totalement ou partiellement) entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2016. La sélection des patientes s’est concentrée sur les patientes atteintes d’un cancer du sein HER2 négatif (excluant HER2 +++ ou HER2 ++ avec FISH/CISH positif), avec des données d’immunohistochimie (IHC) complètes disponibles sur le statut RH et HER2 et sur le traitement de première ligne.
Conclusion
Peu de données de littérature sur le cancer du sein HER2-faible sont disponibles, et celles-ci concernent principalement les stades localisés à partir d’études rétrospectives. Aucune donnée scientifique ne soutient l’expression faible de HER2 comme un facteur pronostique indépendant. L’étude qui est présentée à suivre, est réalisée grâce à la base de données ESME-CSM et constitue à notre connaissance, la plus grande cohorte française de patientes atteintes de cancer du sein métastatique HER2-négatif, permettant une description de cette population en vie réelle. L’intérêt porté à cette catégorie de cancer du sein, historiquement non éligible aux traitements anti-HER2, réside dans l’émergence de nouveaux traitements qui semblent efficaces même en cas d’expression faible à modérée de HER2.
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Table des matières
MEMBRES DU JURY
PARTIE I REMERCIEMENTS
1) INTRODUCTION
2) LA CLASSIFICATION HER2
3) EPIDEMIOLOGIE ET CARACTERISTIQUES DES TUMEURS HER2-FAIBLES
4) PRONOSTIC DU CANCER HER2-FAIBLE
5) DONNEES D’EFFICACITE THERAPEUTIQUE DU CIBLAGE HER2 DANS LES CANCERS DU SEIN HER2-FAIBLES ET PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT
6) LA PLATEFORME ESME
7) CONCLUSION
PARTIE II : ARTICLE ORIGINAL
ABSTRACT
INTRODUCTION
METHODS
RESULTS
DISCUSSION
CONCLUSION
FIGURES AND TABLES
REFERENCES
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