Epidémiologie de la maladie de Parkinson
Aspects méthodologiques
Diagnostic et identification des patients
Deux facteurs importants (méthodes diagnostiques et d’identification des patients) sont à prendre en compte pour interpréter les résultats des études épidémiologiques. Compte tenu du caractère purement clinique du diagnostic de MP, il existe un risque d’erreur diagnostique. Comparé au diagnostic définitif obtenu lors de l’examen anatomopathologique des patients, le diagnostic établi par des neurologues montre malgré tout de bonnes performances (valeur prédictive positive = 90 %),28 en particulier si le neurologue est spécialisé dans les mouvements anormaux (valeur prédictive positive = 98 %).29 Différents critères diagnostiques ont été définis et ils peuvent avoir un impact sur les estimations de la fréquence de la MP en fonction de leur caractère plus ou moins strict.30,31 De plus, les études qui reposent sur un diagnostic déclaré de MP ou sur des codes issus de bases administratives sans validation ultérieure comportent un risque d’erreur de classement plus important. Différentes méthodes peuvent être utilisées pour identifier les patients parkinsoniens comme les études en porte-à-porte,32 les bases de données administratives,33 les certificats de décès,34 les registres,35 la consommation de médicaments antiparkinsoniens ou les services hospitaliers. Ces différentes méthodes peuvent avoir un impact important sur les résultats obtenus. Les études en porte-à-porte représentent la méthode de référence ; toutes les personnes d’une population donnée sont dépistées pour la MP, le plus souvent à l’aide d’un questionnaire, et les personnes dépistées positives sont examinées par un médecin dans un deuxième temps afin d’établir un diagnostic. Elles nécessitent donc un outil de dépistage sensible et simple à utiliser. Ces études ont l’avantage de permettre d’identifier des personnes qui ne sont pas diagnostiquées mais elles sont couteuses et difficiles à mettre en œuvre. De plus, compte tenu de la fréquence de la MP, elles ne détectent habituellement qu’un petit nombre de patients. Une limite de ces études est liée au refus de participer qui peut entrainer un biais de sélection si la participation est associée à l’état de santé. Les certificats de décès sont peu sensibles puisque plusieurs études ont montré que la MP était mentionnée sur les certificats de décès dans environ la moitié des cas. 36,37 Les études qui reposent sur des cas identifiés dans des services hospitaliers comportent un risque de biais de sélection puisqu’elles concernent des patients souvent plus jeunes avec une plus grande fréquence d’antécédents familiaux et qui ne sont donc pas représentatifs de l’ensemble des patients parkinsoniens. Plusieurs études ont utilisé la consommation de médicaments antiparkinsoniens comme « traceur » de la MP pour estimer sa fréquence. Une des premières études, conduite dans les années 80, montrait que la lévodopa était le médicament qui permettait le mieux d’identifier les cas parkinsoniens à cette époque.38 Par la suite, plusieurs études ont considéré uniquement la consommation ou les ventes de lévodopa pour estimer la prévalence de MP.39-43 Une étude a comparé le diagnostic établi à partir de la consommation de lévodopa avec celui de l’examen clinique. Elle montrait que la majorité des patients parkinsoniens recevaient de la lévodopa (sensibilité = 88 %), mais qu’un quart des consommateurs de lévodopa n’avaient pas la MP (valeur prédictive positive = 75 %).43 Pour tenter d’améliorer la sensibilité, certaines études ont utilisé la consommation de sélégiline44 ou d’autres antiparkinsoniens en plus de celle de lévodopa.45-48 Toutefois, ces définitions étaient associées à une valeur prédictive positive plus faible (60 %) par rapport à la seule consommation de lévodopa.46 Des performances diagnostiques différentes sont d’ailleurs observées entre les différents médicaments antiparkinsoniens.
Une seule étude a développé un modèle prédictif incluant l’ensemble des médicaments antiparkinsoniens comme des variables indépendantes dans le modèle.50 Cette étude montrait que cette approche permettait d’améliorer les performances diagnostiques avec une spécificité de 99,9 % et une valeur prédictive positive de 92,2 %. En revanche, la sensibilité était faible (66,2 %) dans cette étude en porte-à-porte car un tiers des cas parkinsoniens n’étaient pas traités.
Evaluation des expositions
Compte tenu de la fréquence relativement faible de la MP, la plupart des résultats ont d’abord été obtenus dans le cadre d’études cas-témoins ayant inclus des cas prévalents. Dans ces études, le recueil de données d’exposition a lieu chez des personnes âgées et de manière rétrospective ; les données recueillies, surtout pour les périodes anciennes, risquent d’être inexactes et d’inclure des valeurs manquantes. De plus, la MP peut être responsable d’un déclin cognitif chez certains sujets, en particulier ceux avec des formes plus avancées de la maladie, ce qui peut entraîner un biais de rappel différentiel. Ce n’est que plus récemment que de grandes études de cohorte ont pu identifier un nombre suffisant de cas incidents de MP, avec les avantages habituels de ce type d’étude par rapport aux études cas témoin. Toutefois, plusieurs de ces études ont reposé sur l’inclusion de sujets âgés de 65 ans et plus au début de l’étude qui étaient pour la plupart retraités et pouvaient également avoir des difficultés à se remémorer les expositions les plus anciennes. Dans ce contexte, il est également difficile d’avoir recours à des biomarqueurs d’exposition. D’une part, dans le cadre de l’exposition aux pesticides, les niveaux des pesticides dans le sang ne reflètent pas les niveaux antérieurs pour de très nombreuses molécules ; d’autre part, compte tenu de la longue durée de gestation évoquée pour la MP (cf. 1.1.4. Histoire naturelle), il est possible que les dosages réalisés à cet âge puissent déjà être affectés par la maladie (causalité inverse) et des études avec une longue période de suivi sont nécessaires. Une difficulté supplémentaire est liée à la définition de la fenêtre d’exposition pertinente pour évaluer les expositions environnementales. L’hypothèse selon laquelle l’apparition de la maladie est le résultat d’une perte progressive de neurones ou évoluant par à coups au cours de la vie suggère qu’il est important d’évaluer les expositions sur de longues périodes et même « vie entière ».19 L’existence d’une période pré symptomatique (cf. 1.1.4. Histoire naturelle) suggère que les expositions survenues dans les années précédant le début de maladie ne jouent pas un rôle dans sa survenue ; bien que la durée de cette période pré-symptomatique ne soit pas connue avec précision, il est habituel dans les études épidémiologiques d’exclure de l’analyse les expositions survenant dans les trois à sept ans avant le début de la maladie.
Epidémiologie descriptive
Avec une incidence habituellement comprise entre 0,1 et 0,2 pour 1 000 personnes-années, la MP est la seconde maladie neurodégénérative après la maladie d’Alzheimer.51 Sa prévalence est généralement comprise entre 1,0 et 2,0 cas pour 1000 personnes.52 La fréquence de la maladie varie considérablement en fonction de l’âge. Elle est rare avant 50 ans, mais sa fréquence augmente fortement à partir de l’âge de 60 ans. Ainsi, après 60 ans, l’incidence est d’environ 3,5 pour 1 000 personnes-années et la prévalence est comprise entre 12,8 et 15,0 pour 1 000 personnes.52 En raison du vieillissement de la population dans de nombreux pays, des projections estiment que le nombre de personnes atteintes de MP aura doublé en 2030.53 La MP est habituellement plus fréquente chez les hommes que chez les femmes, avec un sexe ratio d’environ 1,5 hommes pour une femme.54,55 En tenant compte des différences d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, le risque vie entière de MP a été estimé, aux Etats-Unis, comme étant de 2,0 % chez les hommes et de 1,3 % chez les femmes.56 Cette différence pourrait être due à certaines expositions professionnelles plus fréquentes chez les hommes, à l’effet neuroprotecteur des œstrogènes ou à un facteur génétique. Des différences de prévalence et d’incidence de la MP ont été observées dans différents pays, mais elles sont souvent difficiles à interpréter en raison de différences méthodologiques entre les études. Une étude collaborative incluant cinq études européennes (Espagne, France, Hollande, Italie) ayant utilisé une méthodologie et des critères diagnostiques similaires n’a pas mis en évidence de différence de prévalence entre ces pays.57 En revanche, une méta-analyse de six études retrouve une prévalence plus faible en Afrique qu’en Europe ou en Amérique du nord.58 D’après une revue d’études menées en Asie, la prévalence de la MP serait légèrement plus faible en Asie par rapport aux pays occidentaux,59 même si certaines études retrouvent des estimations similaires.32 Toutefois, il est difficile de savoir si ces différences sont dues à des facteurs environnementaux ou s’ils reflètent des différences entre les populations (espérance de vie) ou des différences d’ordre méthodologique (cf. 1.2.1. Aspects méthodologiques). Une étude en porte-à-porte a utilisé la même méthodologie pour estimer la prévalence de la MP dans le Mississipi (Etats-Unis) chez des Noirs américains et des Caucasiens et au Nigéria. 60 Cette étude ne retrouvait pas de différence importante entre les deux groupes ethniques du Mississipi, tandis que la prévalence était plus faible au Nigéria. Les auteurs interprétaient ces résultats comme étant en faveur du rôle de facteurs environnementaux dans la MP. Peu d’études se sont intéressées aux tendances temporelles dans la fréquence de la MP. Le diagnostic et la définition de la maladie ont changé au cours du temps et les règles de codage des certificats de décès ont évolué ce qui rend l’interprétation des tendances temporelles difficiles.61 Une étude réalisée dans le Minnesota a néanmoins montré la stabilité de l’incidence de la MP sur une courte période (1976-1990).62 Il semble donc que dans cette région du nord des Etats-Unis, aucun facteur de risque environnemental de la MP ne soit intervenu au cours de cette courte période. En revanche, dans une étude finlandaise l’incidence de la MP augmentait entre 1971 et 1992 chez les hommes.63 Peu de données sur la fréquence de la MP sont disponibles en France (Figure 1). Une étude en population générale parmi des personnes âgées de 65 ans et plus en Gironde et en Dordogne estime, en 1994, une prévalence de 1 400 cas pour 100 000 personnes dans cette classe d’âge.64 Une autre étude réalisée en 2000 à partir des données de remboursement de l’Assurance Maladie, incluant les bénéficiaires du régime général âgés de 65 ans et plus, rapporte une prévalence de la MP de 1 250 cas pour 100 000 personnes.
Facteurs de risque ou protecteurs de la maladie de Parkinson
Maladie de Parkinson : une maladie multifactorielle
En dehors de formes familiales rares liées à des mutations de gènes majeurs, les causes de la MP sont inconnues. La MP est généralement considérée comme étant une maladie multifactorielle résultant dans la plupart des cas de l’effet de facteurs multiples, qu’ils soient génétiques ou environnementaux.66 Les études de jumeaux retrouvent une concordance faible et similaire chez les jumeaux monozygotes (0-20 %) et dizygotes (5-12 %), même lorsque les jumeaux ont été suivis de manière longitudinale67-69 ; elles suggèrent que la composante génétique ne joue pas un rôle majeur dans la MP. Celle-ci semble toutefois plus importante parmi les patients diagnostiqués avant 50 ans, en raison d’une concordance de 100 % parmi des jumeaux monozygotes contre 17 % chez des jumeaux dizygotes.67 De même, les études d’agrégation familiale montrent que le risque de MP chez les apparentés de patients parkinsoniens est plus élevé lorsque la maladie a débuté à un âge précoce.
A ce jour, 11 formes monogéniques de MP (cinq gènes dominants et six récessifs) associées à une transmission mendélienne de la maladie ont été identifiées.71 Elles ne concernent qu’une minorité de patients et ont souvent des caractéristiques particulières, notamment un âge de début précoce.71,72 En plus de ces formes mendéliennes, plusieurs gènes de susceptibilité ont été incriminés dans les formes sporadiques73,74 avec des odds ratio (OR) compris entre 0,75 et 3,36.75 Parallèlement, de nombreuses études épidémiologiques et toxicologiques apportent des résultats importants en faveur du rôle de l’environnement (Tableau 2).66 Parmi les facteurs environnementaux étudiés, l’exposition professionnelle aux pesticides, le tabagisme et la consommation de café sont ceux pour lesquels les résultats des études épidémiologiques sont les plus cohérents.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. La maladie de Parkinson
1.1.1. Définition clinique
1.1.2. Mécanismes biologiques
1.1.3. Diagnostic
1.1.4. Histoire naturelle
1.1.5. Traitement antiparkinsonien
1.1.5.1. Traitement médical symptomatique
1.1.5.2. Traitement neuroprotecteur
1.1.5.3. Traitement chirurgical
1.1.5.4. Prise en charge
1.2. Epidémiologie de la maladie de Parkinson
1.2.1. Aspects méthodologiques
1.2.1.1. Diagnostic et identification des patients
1.2.1.2. Evaluation des expositions
1.2.2. Epidémiologie descriptive
1.2.3. Facteurs de risque ou protecteurs de la maladie de Parkinson
1.2.3.1. Maladie de Parkinson : une maladie multifactorielle
1.2.3.2. Exposition aux pesticides
1.2.3.2.1. Déterminants des niveaux d’exposition aux pesticides
1.2.3.2.2. Méthodes d’évaluation des expositions
1.2.3.2.3. Etudes écologiques
1.2.3.2.4. Etudes cas-témoins
1.2.3.2.5. Etudes de cohorte
1.2.3.2.6. Exposition non-professionnelle
1.2.3.2.7. Etudes toxicologiques
1.2.3.3. Autres variables agricoles
1.2.3.4. Autres facteurs environnementaux
1.2.3.4.1. Tabagisme
1.2.3.4.2. Consommation de café
2. OBJECTIFS
3. ETUDE PARTAGE
3.1. La Mutualité Sociale Agricole
3.2. Objectifs généraux
3.3. Bases de données médico-administratives de la MSA
4. DEVELOPPEMENT DES MODELES PREDICITFS
4.1. Matériels et méthodes
4.1.1. Validation du diagnostic de maladie de Parkinson
4.1.2. Définition des prédicteurs
4.1.3. Démarche pour développer les modèles prédictifs
4.1.3.1. Inspection des données
4.1.3.2. Codage des prédicteurs et spécification du modèle
4.1.3.3. Estimation des coefficients du modèle
4.1.3.4. Evaluation des performances du modèle
4.1.3.5. Validation interne du modèle
4.1.4. Description des différents modèles prédictifs
4.2. Résultats
4.2.1. Inclusion des participants
4.2.2. Caractéristiques des participants
4.2.3. Modèles prédictifs
4.2.1. Performances des modèles prédictifs
4.2.2. Description des faux-négatifs et des faux-positifs
4.2.3. Influence de la durée
4.3. Discussion
4.3.1. Facteurs influençant les performances du modèle prédictif
4.3.2. Erreurs de classement
4.3.3. Estimation de la prévalence de la MP à partir du modèle prédictif
4.3.4. Autres applications possibles des modèles prédictifs
4.3.5. Limites des modèles prédictifs
5. CONCLUSION
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