Epidémiologie de la crise suicidaire
Chaque année, 804 000 personnes se suicident dans le monde. Soit une personne toutes les 40 secondes Aucune région ni aucune tranche d’âge n’est épargnée. Il touche toutefois particulièrement les jeunes de 15 à 29 ans, chez qui il constitue la deuxième cause de mortalité à l’échelle mondiale. [1].Selon les données de l’INSERM, en 2012, 9859 décès par suicide ont été enregistrés en France [4]. Au sein de l’Europe, la France se situe dans le groupe des pays à fréquence élevée de suicide après la Finlande, la Belgique et la plupart des pays de l’Est.Les disparités régionales de mortalité par suicide sont marquées, avec des taux plus élevés dans la moitié nord de la France. [5] La prévalence des TS est difficile à estimer. En effet, il n’y a pas d’enquête systématique, notamment en population générale.En France on évaluait en 2002 à près de 195 000 le nombre de TS ayant donné lieu à un contact avec le système de soins[6]. Si les victimes du suicide sont pour près des trois quarts des hommes, les tentatives de suicide sont majoritairement le fait des femmes[7]. 3,9 % de la population a eu des pensées de suicide durant l’année écoulée. Le genre est une variable importante : les femmes sont en proportion plus nombreuses que les hommes à avoir pensé au suicide au cours de l’année. [7,8] La population de la Martinique a été estimée à 386486 habitants en 2013 [9]. Le centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC)note 21 suicides en 2012 (16 hommes 5 femmes) soit 0.74% de l’ensemble des décès [4]. Le baromètre santé DOM de 2014[10] nous indique que 5 % des Martiniquais (3 % des hommes, 6 % des femmes) ont déjà fait une TS au cours de leur vie, moins souvent que les métropolitains (7 %). Au cours des douze derniers mois, 4 % des personnes ont pensé à se suicider, et 0,6 % ont fait une TS, ces proportions étant comparables à celles observées en métropole ou dans les autres DOM [7] L’enquête ETADAM montre que parmi les jeunes scolarisés (14-19 ans) sur la période 2007-2008, 11% ont déjà fait une TS (14% des filles contre 7% des garçons), et 12.8% (7% des garçons et 17% des filles) ont déclaré avoir pensé au suicide (assez souvent ou très souvent) au cours des 12 derniers mois [11]. Une étude menée en Martinique en 2013 a estimé à uneTS tous les 3 jours prise en charge dans les services d’urgence et de réanimation du CHUM (centre hospitalier universitaire de la Martinique) chez les jeunes âgés de 11 à 18 ans.
Facteurs de risque
La population masculine est la plus touchée par le suicide(environ 75 %). Le taux de suicide augmente avec l’âge, plus fortement pour les hommes que pour les femmes [13]. Les modes de suicide varient selon le sexe [14]. Pour les hommes, les deux modes prépondérants sont la pendaison (41 % des décès) et les armes à feu (25 %). Pour les femmes, on observe une plus grande diversité des modes de suicide : empoisonnements médicamenteux (27 %), pendaison (27 %), noyade (17 %), saut d’un lieu élevé (10 %). Les tentatives de suicide sont majoritairement le fait des femmes [8].Le moyen le plus fréquemment utilisé pour une TS est l’intoxication médicamenteuse .
Un antécédent de TS est l’un des plus importants facteurs de risque de suicide [3]. Après une TS, on note 40 % de récidives, dont la moitié dans l’année suivante.Il y a 1 % de mortalité par suicide dans l’année qui suit la TS [16]. Les troubles mentaux représentent dans le monde un facteur majeur associé au suicide. Les troubles les plus fréquemment associés sont les troubles dysthymiques, l’alcoolisme, les troubles psychotiques (schizophrénie en particulier), les troubles anxieux, les troubles de la personnalité [3] Les suicidants présentent 4 fois plus d’événements de vie (EV) dans les 6 derniers mois que la population générale et 1,5 fois plus que les déprimés ne faisant pas de TS. Un pic de fréquence est retrouvé dans le dernier mois précédant le geste qui concentre 1/3 des EV [3]. Il existe des facteurs de risque de suicide en dehors des maladies mentales : les troubles somatiques, les violences (sexuelles et non sexuelles), et les facteurs de risque sociodémographiques (le sexe féminin, les âges extrêmes, l’état matrimonial, certaines professions, le chômage, l’habitat urbain et la migration) [17]. Il est à noter qu’en Martinique, les indicateurs de précarité sont les suivants: 21.8% de la population en touche le RSA en 2013, 7094 personnes touchent l’allocation de solidarité spécifique en 2012, 95039 (24.3% de la population) bénéficie la CMU [9].
La crise suicidaire en France : notions d’histoire
La généalogie de la politisation du suicide a été décrite par Arnaud CAMPEON en 2003 [18]. L’idéologie chrétienne a pendant longtemps condamné le « meurtre à soi même ». Il faut attendre 1810 pour qu’arrive la dépénalisation de l’acte suicidaire. Cette dépénalisation n’a pas empêché le renforcement de ce tabou qu’était le suicide et sa réprobation morale.Durkheim, en 1897 fournira un premier éclairage social à la problématique suicidaire, ce qui permettra petit à petit à accorder un peu plus de visibilité au sujet. En France, vers la fin des années 50 apparaissent des centres d’accueil et centre d’écoute, dans un nouveau contexte de droit à la santé et de forte demande sociale après la seconde guerre mondiale. En 1967 SOS amitié est reconnu d’utilité publique. L’OMS en 1969 puis 1975, à travers un document consacré à la prévention du suicide dans le monde, demande aux pays de créer des instances nationales pour organiser les services existants. C’est ainsi que se crée le GEPS (groupement d’étude et de prévention du suicide) en 1969, premier organe représentatif de la problématique suicidaire. L’étude de la section de la Rationalisation des choix budgétaires (RCB), montrant qu’une politique de prévention est économiquement rentable pour la collectivité (au-delà des avantages attendus sur le plan humain) a légitimé le rôle de l’état. En 1982 l’ouvrage controversé Suicide, mode d’emploi qui donne des recettes « sans violence » pour mettre fin à ses jours fait l’effet d’une bombe, et la polémique se fait forte au sein de l’espace public. De ce débat public, et grâce à l’action de l’association de défense contre l’incitation au suicide (ADIS), émerge une loi adoptée en 1987, permettant le retrait légal du livre. Plus tard, et avec le rapport élaboré par le Conseil économique et social en 1992, la problématique suicidaire est reconnue institutionnellement, les programmes d’action se transforment et se territorialisent. Le suicide apparait comme l’une des dix priorités nationales de santé publique lors de la première Conférence nationale de santé en 1996. Les initiatives régionales à travers les programmes régionaux de santé, impulsent la réflexion et le programme national de prévention est créé (2000-2005) [3] et renouvelé en 2011 .
Particularité culturelles à la Martinique
Massé a proposé en 2001 une étude anthropologique de la détresse en Martinique [20]. Les valeurs et pratiques sociales créoles, exacerberaient les impacts des évènements de vie« soit en fragilisant l’individu et en le dépouillant des mécanismes de réactions adéquats pour gérer les évènements de vie difficiles, soit en accordant une importance disproportionnée à ces évènements ».Les traumatismes identitaires post coloniaux, conforteraient une image négative, « l’Antillais cultiverait une autodévalorisation qui alimente une détresse psychologique chronique […]. Les identités personnelles et collectives antillaises portent des marques profondes du passé colonial qui deviennent autant de cicatrices qui fragilisent l’Antillais confronté à des expériences de vie difficile ».Les conditions d’existence (chômage, isolement social), les rapports sociaux anxiogènes (de classe, de genre, intrafamiliaux) et les fragilités identitaires doivent être prises en compte dans le même temps que les causes structurelles (économiques et politiques) qui les ont alimentés. Les croyances magicoreligieuses quant à elles apparaissent comme des agents culturels potentiellement pathogènes. Le quimbois, en tant qu’élément d’explication et d’interprétation du sens de la détresse, est une cause de détresse en soi, à travers les explications qu’il suppose. Sa variante moderne semble être celle de l’opposition des démons et de Satan, omniprésentes dans le discours des Eglises fondamentalistes protestantes et des catholiques charismatiques.L’anthropologie de la détresse en Martinique est une approche intéressante dans l’analyse de l’influence et d’interpénétration des niveaux de réalité de la souffrance.
Offre de santé en Martinique
Démographie médicale
Il y avait 311 Médecins généralistes[9] libéraux en Martinique en exercice au 1/1/2014, soit une densité de 80 pour 100 000 habitants. Contre 106/100000 en Métropole. La Martinique souffre d’une pénurie de MG[21]. Il y avait 10 Psychiatres libéraux (ou mixtes) en 2014, et 54 psychiatres salariés exclusifs [9] Il y avait en 2014, 26 médecins du travail qui sont salariés exclusifs [9] 185 psychologues sont enregistrés au répertoire ADELI en 2015, 18 libéraux uniquement (12 secteur centre, 4 secteur Nord-Atlantique, 2 secteur Sud), et 167 salariés ou avec une activité mixte (139 secteur centre, 11 Secteur Nord Atlantique, 6 secteur Nord Caraïbes, 11 secteur Sud) .
Hospitalisation en psychiatrie
En Martinique, dans le cadre du plan régional de santé 2011-2016, une refonte du dispositif de prise en charge hospitalière met en réseau le CHU, l’hôpital psychiatrique (Colson/Mangot Vulcin), les cliniques et les centres médicopsychologiques (CMP).Au total 331 lits d’hospitalisation complète existent en Martinique [9] pour l’ensemble des patients atteints de pathologie psychiatrique.
– Les urgences psychiatriques sont basées au sein des urgences du CHU de Pierre Zobda-Quitmann. 24h/24, un infirmier psychiatrique et un psychiatre assurent la permanence des soins.
– La filière «urgence psychiatrique» s’articule autour de l’U72 (hospitalisation de courte durée), pivot entre l’accueil des urgences et les structures d’hospitalisation de santé mentale de secteur, au CH Mangot Vulcin
– Le service UAD(unité anxiété dépression) est situé au CHU Pierre Zobda Quitman et dispose de 10 lits d’hospitalisation dédiés exclusivement aux troubles anxio dépressifs. Ce service est attenant au centre de crise (CDC) qui dispose de 7 lits d’hospitalisation de courte durée. Le CDC prend en charge les patients en crise (notamment suicidaire) ou atteints de psycho traumatisme. L’hospitalisation y est libre.
– L’hospitalisation peut se faire également en clinique privée (Anse Colas, clinique Sainte-Marie) .
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Table des matières
1. Avant-propos
1.1. Naissance de la thèse
1.2. Cas clinique
2. Introduction
2.1. Généralités
2.1.1. Définitions
2.1.2. Epidémiologie de la crise suicidaire
2.1.3. Facteurs de risque
2.1.4. La crise suicidaire en France : notions d’histoire
2.1.5. Particularité culturelles à la Martinique
2.2. Offre de santé en Martinique
2.2.1. Démographie médicale
2.2.2. Hospitalisation en psychiatrie
2.2.3. CMP
2.2.4. Réseau
2.3. Problématique
2.4. Objectifs de la thèse
3. Enquête préalable
3.1. Contexte de l’étude
3.2. Matériel et méthode
3.3. Résultats enquête préalable
3.3.1. Enquête A= « intervenants »
3.3.2. Enquête B = « Tout public »
3.4. Perspectives de l’enquête préalable
4. Etude qualitative
4.1. Matériel et méthode
4.1.1. Choix de la méthode
4.1.2. Objectif de l’étude
4.1.3. Constitution de l’échantillon
4.1.4. Canevas d’entretien
4.1.5. Caractéristique de l’entretien
4.1.6. Collecte de l’information
4.1.7. Ethique
4.2. Résultats
4.2.1. Constitution des échantillons
4.2.2. Analyse des entretiens
4.2.3. Résultats qualitatifs
5. Discussion
5.1. Forces et faiblesses de ce travail
5.1.1. Biais
5.1.1. Forces
5.2. Discussion des résultats
5.2.1. Lien entre étude préalable et étude quantitative
5.2.2. Les médecins généralistes en souffrance face à la prise en charge de la crise suicidaire
5.2.3. La place centrale du MG au sein d’un réseau performant est essentielle
5.2.4. Les médecins généralistes et leur propre risque suicidaire
5.3. Perspectives
5.3.1. Evaluation de la prévalence du suicide en Martinique
5.3.2. Informer la population
5.3.3. Décloisonnement
6. Conclusion
7. Annexes