ÉPIDEMIOLOGIE CLINIQUE ET RESISTANCE ACTUELLE DES BACTEROIDES DU GROUPE FRAGILIS AU CHU DE CAEN

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Culture et identification
Caractéristiques biochimiques et morphologiques
Le groupe B. fragilis se compose de bacille à Gram négatif anaérobies modérés pouvant se développer dans une atmosphère constituée de 2 à 8 % d’oxygène (1). Ces bacilles aux extrémités arrondies sont non-sporulés, non-mobiles, non-pigmentés et possèdent des propriétés glucidolytiques. Ils se différencient des autres anaérobies par certaines caractéristiques biochimiques : ils sont résistants à la bile, à la vancomycine, à la kanamycine et à la colistine. Ces caractéristiques morphologiques  et biochimiques permettent de les différencier des autres bacilles à Gram négatif anaérobie, comme les Prevotella, Porphyromonas, Fusobacterium ou encore Leptotrichia (Tableau 5) (11,30).
Au sein du groupe fragilis, les bacilles présentent des propriétés de dégradation des sucres, des propriétés biochimiques et des profils de résistance différents. Par exemple, B. fragilis et B. vulgatus seront indole négatif tandis que B. thetaiotaomicron, B. ovatus dégradent le tryptophane. Un arbre représentant l’identification des Bacteroides du groupe fragilis par leurs propriétés glucidolytiques est présenté dans la Figure 3 (5,31).

Culture et anaérobiose

La culture des bactéries anaérobies est un travail qui demande une maîtrise parfaite de l’atmosphère dans laquelle les germes pourront se développer. Une anaérobiose non maîtrisée peut aboutir à un retard ou une absence de croissance bactérienne, voire à une perte définitive de la souche.
Historiquement, ces espèces étaient cultivées en plaçant une bougie dans une jarre ou bien selon la méthode des tubes étanches aux gaz décrite par Hungate et al. (32). Ces méthodes fastidieuses ont été remplacées par des techniques actuelles plus simples. Aujourd’hui, l’anaérobiose est assurée par des automates créant des atmosphères pauvres en oxygène (par exemple : Anoxomat®, Bact-R plus® (Sobioda)) ou bien des sachets à base de charbon actif capable d’absorber l’oxygène (Par exemple : Genbag, bioMérieux, France). Des jarres ou des sacs hermétiques servent alors à enfermer les milieux de culture et maintenir une atmosphère anaérobie. D’autres systèmes plus optimisés existent, il s’agit des chambres d’anaérobiose ou « boîtes à gants ». L’atmosphère est contrôlée par un automate injectant un mélange de gaz dépourvu d’oxygène. Ces systèmes perfectionnés permettent une prise en charge des échantillons intégralement en anaérobiose et ainsi d’augmenter la chance d’isoler les espèces anaérobies les plus fragiles. L’enceinte de la chambre est accessible grâce à des gants (6,8).
La plupart des germes anaérobies requièrent des milieux de croissance enrichis. Les Bacteroides sont les germes anaérobies les moins exigeants. Capables de fermenter des sucres complexes, un milieu contenant des polysaccharides tel de l’amidon, de la pectine ou encore de l’hémicellulose leur conviendra, les sucres simples ne sont pas nécessaires à leur survie. Une source directe de nitrate et de sulfure est importante. En effet, les Bacteroides ont une capacité réduite à obtenir les nitrates à partir des acides aminés et ne peuvent pas réduire les sulfates en sulfures. Quant à l’hémine, elle n’est pas indispensable à la culture des Bacteroides, mais accélère très nettement le temps de croissance. Des milieux de croissance plus simples peuvent donc suffire à leur croissance. Dans ce cas, le temps de doublement sera affecté et la croissance bactérienne sera plus lente (33).
Bien que les Bacteroides soient moins exigeants, leur culture est tout de même plus longue que celle des germes isolés habituellement au laboratoire. Le temps de doublement du genre Bacteroides peut être de 30 à 60 minutes dans un milieu favorable. Des petites colonies seront formées en 24h et 48h seront requis pour obtenir des colonies de taille plus conséquente (33,34). Des milieux enrichis en sang permettent une meilleure croissance des isolats. Les milieux de cultures sont divisés en deux types : les milieux sélectifs et les non-sélectifs.
Les milieux sélectifs : les infections à germe anaérobies étant polymicrobiennes, des milieux sélectifs sont utiles pour faciliter leur isolement en primo-culture. Leur caractère sélectif est obtenu grâce à l’incorporation dans les géloses d’antibiotiques ou des biocides inhibant la pousse des bactéries non désirées (35). Nous pourrons citer :
– Le milieu Kanamycin-Vancomycin-Lacked Blood (KVLB ou LKV) : sélectif des bactéries à Gram négatif
– Le milieu Bacteroides Bile Esculin (BBE) : sélectif de Bacteroides fragilis
– Le milieu Tryptone-Soja enrichi en sang et néomycine : limite la croissance du Staphylococcus aureus et d’une partie des Enterobacteriaceae
Les milieux non-sélectifs ont pour but de stimuler la croissance des bactéries en culture pure. L’utilisation de ces géloses nécessite que les souches bactériennes aient été isolées au préalable. Ils sont utilisés pour déterminer la sensibilité aux antibiotiques ou simplement favoriser la croissance bactérienne. Les milieux non-sélectifs les plus utilisés sont présentés ci-dessous (35) :
– Le milieu Brucella (caséine, peptone, extrait de levure, dextrose, sodium chloride et bisulfide) enrichi avec 5% de sang de cheval, vitamine K1 et hémine sous forme de géloses ou bouillon (BBA™ (bioMérieux, France) ou BBL™ Brucella (BD, Allemagne) sont utilisées pour la croissance des bactéries anaérobies strictes et autres germes exigeants.
– Le milieu Wilkins-Chalgren (caséine, peptone, extrait de levure, glucose, gélatine, arginine et pyruvate) enrichi avec 5% de sang de cheval est un milieu utilisé pour les anaérobies à croissance rapide.
– Les géloses Columbia avec 5% de sang de mouton (COS™, bioMérieux, France) sont également utilisées pour la croissance des germes exigeants.
Le milieu recommandé actuellement par le Comité de l’Antibiogramme de la Société Française de Microbiologie (CA-SFM) et le Clinical and Laboratory Standards Institute (CLSI) pour l’évaluation de la sensibilité aux antibiotiques des bactéries anaérobies est un milieu complexe et riche de type Brucella enrichi en sang de cheval, en vitamine K1 et en hémine (36).

Identification bactérienne

Plusieurs méthodes sont utilisables pour l’identification des bactéries : les méthodes phénotypiques conventionnelles, la spectrophotométrie de masse de type MALDI-TOF MS (Matrix Assisted Laser Desorption Ionization – Time of Flight Mass spectrometry) et les méthodes moléculaires.
L’aspect à la coloration de Gram, la mobilité ou encore la sporulation, la morphologie et la pigmentation des colonies, permettent d’orienter l’identification bactérienne. Les méthodes d’identification conventionnelles sont basées sur la détermination des caractères biochimiques ainsi que le profil de résistance aux antibiotiques. Les caractères biochimiques et la sensibilité à certains antibiotiques clefs peuvent être déterminés par des galeries d’identification spécifiques aux anaérobies (Exemple : Galerie API Rapid 32A, bioMérieux). Elles permettent une identification allant jusqu’à l’espèce pour le genre Bacteroides (31).
Les méthodes de spectrométrie de masse de type MALDI-TOF MS permettent une identification rapide et robuste de la majorité des espèces bactériennes anaérobies. L’identification se fait grâce à la comparaison de spectres protéiques extraits des isolats bactériens à une bibliothèque de spectres rattachés à des espèces connues. Il est indispensable de veiller à la qualité de la librairie d’identification (changement régulier de nomenclature, augmentation du nombre de spectres) afin d’assurer un résultat le plus fiable possible (37,38).
Enfin les méthodes dites moléculaires consistent à identifier les espèces en analysant certains gènes. Deux techniques sont applicables aux Bacteroides : l’analyse de l’ADN codant pour l’ARN ribosomal 16S ou la technique MLSA spécifiques aux Bacteroides. Ces techniques sont plus longues et coûteuses que les deux précédentes. Elles sont principalement utilisées lorsque les techniques de routine sont mises en défaut ou bien à des fins de recherche (39).
Aujourd’hui, la méthode la plus utilisée en routine est la spectrométrie de masse de type MALDI-TOF MS. Les caractéristiques morphologiques et biochimiques ont toutefois encore leur place pour l’orientation dans l’identification des bactéries.
Facteurs de virulence
B. fragilis est le plus commun des germes anaérobies isolés dans les infections à germes anaérobies chez l’Homme (13). Bien qu’ils soient physiologiquement présents dans les microbiotes humains et participent à leur bon fonctionnement, comme digestion des sucres du bol alimentaire, les Bacteroides du groupe fragilis possèdent de nombreux facteurs de virulence qui expliquent leur pathogénicité. Premièrement, ces bactéries possèdent des structures leurs permettant d’adhérer aux tissus épithéliaux (pili, fimbriae, agglutinines, capsule) ; deuxièmement, elles sont capables de se protéger et contourner le système immunitaire de l’hôte grâce à leur capsule et leurs lipopolysaccharides (LPS) ; troisièmement, elles produisent des enzymes cytotoxiques pouvant amener à la destruction des tissus les entourant (collagénase, hyaluronidase) (13,20,40). Certaines souches produisent des entérotoxines qui détruisent les jonctions serrées de la barrière épithéliale digestive et provoquent des diarrhées (41).
Résistances naturelles et acquises aux antibiotiques
Sensibilité des germes anaérobies aux antibiotiques
Les germes anaérobies sont habituellement sensibles à un grand nombre de classes d’antibiotiques : incluant les blactamines sauf l’aztréonam et les céphalosporines de 4ème et 5ème génération, la clindamycine, la rifampicine, le chloramphénicol. Seules les fluoroquinolones de dernière génération (moxifloxacine, délafloxacine) sont actives sur les germes anaérobies. Contrairement à ces molécules, les antibiotiques de la famille des nitroimidazolés (métronidazole, ornidazole) sont uniquement actifs sur les germes anaérobies, les seules espèces naturellement résistantes étant les bacilles à Gram positif aérotolérants (Cutibacterium, Propionibacterium, Actinomyces spp). Ils sont donc rarement utilisés en monothérapie.
Sensibilité et molécules antibiotiques de référence dans les infections à Bacteroides spp.
Les classes d’antibiotiques efficaces sur les Bacteroides du groupe fragilis et pouvant être initiées en cas de suspicion d’infection anaérobie sont définies par les guidelines du CLSI et CA-SFM/EUCAST. La liste principale contient quatre classes antibiotiques :
– Nitroimidazolés : métronidazole
– blactamines : pénicilline avec inhibiteur de pénicillinases (ticarcilline-acide clavulanique, pipéracilline-tazobactam) et carbapénème (méropénème, imipénème)
– Macrolides : clindamycine
– Fluoroquinolones : moxifloxacine
Du fait du profil de résistance naturelle des Bacteroides du groupe fragilis décrite ci-après, le traitement probabiliste des infections pouvant impliquer les Bacteroides du groupe fragilis et germes aérobies-anaérobies facultatifs associés, repose sur l’utilisation d’une ßlalactamine associée à un inhibiteur de pénicillinases en monothérapie, ou d’une céphalosporine de 3ème génération associée au métronidazole.
Résistances naturelles
Les Bacteroides du groupe fragilis sont naturellement résistants à plusieurs familles antibiotiques. Résistance aux aminosides : comme toutes les bactéries anaérobies strictes, les Bacteroides présentent une résistance naturelle aux aminosides du fait de l’absence de chaîne respiratoire membranaire. En effet, la chaîne respiratoire est nécessaire pour permettre le transport actif des aminosides dans les cellules bactériennes, au travers de la membrane cytoplasmique. Sans elle, les molécules ne peuvent atteindre leur cible ribosomale.
Résistance naturelle aux blactamines : spécifique du genre Bacteroides, la quasi-totalité des souches sont résistantes aux aminopénicillines, aux céphalosporines de 1ère, 2nd (céfamandole et céfuroxime) et 3ème génération. Ceci est le fait de la production d’une b-lactamase, chromosomique codée par cepA. Cette enzyme est particulière : il s’agit d’une céphalosporinase inhibée par les inhibiteurs de pénicillinases. Cette β-lactamase cepA appartient aux sérine-b-lactamases de classe A de la classification d’Ambler et al., mais fait en revanche partie des céphalosporinases à spectre étendu de type 2E de la classification de Bush et al. Son activité est similaire à celle des cefuroximases retrouvées chez Proteus vulgaris (42). Il est à noter que cepA n’est pas systématiquement retrouvé dans le génome des bactéries du groupe fragilis. Il est présent chez 78,9 % à 90 % des Bacteroides du groupe fragilis en Europe et son taux d’expression n’est pas corrélé à la CMI (36,43,44).
Hétérogénéité de la résistance aux antibiotiques au sein du groupe fragilis : le profil de sensibilité aux antibiotiques n’est pas homogène au sein des espèces du groupe Bacteroides fragilis, comme le rapporte le Tableau 6 issu de l’étude de Snydman et al. (2010) faite sur plus de 1000 isolats de Bacteroides du groupe fragilis. On constate notamment que les CMI50 et CMI90 de l’espèce B. fragilis pour l’association pipéracilline-tazobactam sont plus faibles de deux à quatre dilutions par rapport à celles des autres espèces. Ce constat est également visible avec les CMI50 de B. vulgatus pour la moxifloxacine qui se situent deux à quatre dilutions au-dessus de celles des autres membres du groupe. Ces variations de sensibilités sont également rapportées dans d’autres études (13,45). Les pourcentages de résistance aux antibiotiques en fonction des espèces sont également des indicateurs de l’hétérogénéité des sensibilités : le pourcentage de résistance à la céfoxitine varie entre 4,1 % des isolats testés pour B. fragilis à 17,9 % pour B. ovatus. De même, la résistance aux carbapénèmes semble être plus élevée chez B. uniformis avec 1,7% des isolats testés résistants contre une quasi-absence de résistance dans les autres espèces.
Résistances acquises aux antibiotiques
Des résistances aux antibiotiques de première ligne, tel le métronidazole ou la clindamycine, ont été observées depuis plusieurs années. Il en est de même pour les antibiotiques de seconde intention comme les carbapénèmes. Les principaux gènes de résistance aux pénicillines, macrolides, métronidazole, quinolones et tétracyclines sont colligés dans le Tableau 7. Résistance aux blactamines. Les βlactamines actives sur les germes anaérobies jouent un rôle majeur dans la prise en charge de ces infections du fait de leur large spectre incluant les germes aéro-anaérobies facultatifs associés qui sont résistants au métronidazole. Du fait de leur résistance naturelle aux céphalosporines, les pénicillines avec inhibiteurs de pénicillinases ou les carbapénèmes seront les βlactamines recommandées pour les Bacteroides du groupe fragilis. Ces molécules bactéricides ont pour cible d’action la paroi bactérienne en inhibant la synthèse du peptidoglycane.
En plus du gène cepA, qui est naturellement associé au genre Bacteroides, d’autres gènes de résistance aux βlactamines peuvent être acquis. Le gène cfxA, confère une résistance à la céfoxitine et aux aminopénicillines de haut niveau, il était présent chez 17 % des Bacteroides spp. en Europe en 2006. Le gène cfiA est à l’origine de la résistance aux carbapénèmes par production d’une métalloenzyme, blactamase de classe B, échangeable par séquence d’insertion. Il est présent chez 1 à 5 % des B. fragilis en Europe. Ces deux gènes confèrent des résistances enzymatiques aux βlactamines (11).
Résistance aux MLS (Macrolides Lincosamides Streptogramines). Les macrolides sont des molécules bactériostatiques de haut poids moléculaire. Ils inhibent la synthèse protéique en se fixant sur la sous-unité 50S du ribosome bactérien.
Les résistances aux macrolides ont été largement étudiées et de nombreuses familles de gènes de résistance sont connues. Chez les Bacteroides spp., les gènes fréquemment rencontrés dans la résistance aux macrolides sont : ermF, linA, mefA et la famille msr. Ces gènes sont responsables de résistance via divers mécanismes : l’efflux grâce à des pompes (mefA, msr), la modification de cible par méthylation ribosomale modifiant le site de fixation des macrolides (ermF) ou encore la dégradation enzymatique des macrolides (linA) (46). Les gènes ermF et linA sont les gènes principalement retrouvés dans le cas des résistances aux macrolides chez Bacteroides fragilis. Les macrolides, et notamment la clindamycine, ont été largement utilisés pour traiter les infections à germes anaérobies dès les années 1950. Les résistances sont aujourd’hui très répandues en Europe, où plus de 30 % des souches de B. fragilis possèdent un mécanisme de résistance à la clindamycine (45). La résistance à la clindamycine peut être observable sur l’antibiogramme dans certains cas uniquement après 48h d’incubation. Une lecture précoce risque d’engendrer le rendu d’une fausse sensibilité (36).
Résistance au métronidazole. Le métronidazole est l’antibiotique de référence à activité anti-anaérobies. Il s’agit d’une prodrogue qui est activée grâce à des donneurs d’électrons intracellulaires présents uniquement chez les bactéries anaérobies et chez certains protozoaires. Les dérivés actifs du métronidazole ont pour cible l’ADN bactérien. Ils entraînent des ruptures simples et doubles brins qui perturbent sa réplication, ce qui va conduire à la mort cellulaire bactérienne.
Les résistances au métronidazole sont rares mais semblent en augmentation depuis le début des années 1980. Elles représentaient 1 à 4 % des souches de Bacteroides du groupe fragilis en Europe en 2010, en fonction des études (45,47), contre une quasi absence au début des années 1980 (48). Plusieurs mécanismes sont connus : pompes d’efflux et nitroréduction. Dans certains cas, aucun mécanisme n’a encore été identifié. De manière générale, la résistance via les gènes nim A-I, est la plus fréquente. Cette famille de gènes est à l’origine de la synthèse d’une enzyme nitro-imidazole réductase, capable de réduire les groupes nitrés et ainsi de les rendre non toxiques (49). Ces gènes peuvent être chromosomiques ou plasmidiques, et donc échangeable de Bacteroides à Bacteroides. Ils sont proches les uns des autres avec plus de 70 % d’homologie. Il est également à noter, que plusieurs études ont mis en évidence que la présence de gène nim dans le génome des Bacteroides spp. n’était pas systématiquement synonyme d’augmentation des CMI au métronidazole (50).
Résistance aux fluoroquinolones. Les quinolones ont pour cible d’action l’ADN gyrase et la topoisiomérase IV. Leur mécanisme d’action est l’inhibition de ces enzymes, ce qui entraine des erreurs de réplication et un fort taux de mutation sur l’ADN. Seul la moxifloxacine a une activité importante sur les germes anaérobies. En 2006, les résistances aux quinolones en Europe, notamment à la moxifloxacine dépassaient les 10 %. Plusieurs mécanismes sont en cause : i) la mutation de cible (mutation au niveau de gyrA), II) les pompes d’efflux (par exemple présence de bexA codant pour une pompe de type MATE (Multidrug And Toxic compound Extrusion)). A noter que chez B. thetaiotaomicron, l’hyperexpression de bexA est constitutif et confère une résistance naturelle bas niveau aux fluoroquinolones (11,13). Le gène bexA peut également être retrouvé chez d’autre espèce.
Résistance aux tétracyclines. Les tétracyclines sont des molécules qui ont été largement utilisées dans les années 1950 à 1970. Leur cible d’action est le ribosome où elles empêchent l’élongation de l’ARN. Des gènes résistances aux tétracyclines sont également connus. Dans le groupe fragilis, elles sont principalement dues à tetQ, qui confère une protection ribosomale empêchant la liaison de la molécule à son site ribosomal (13).
METHODES D’EVALUATION DE LA SENSIBILITE AUX ANTIBIOTIQUES DES GERMES ANAEROBIES
Définitions
L’antibiogramme est une méthode qualitative, qui permet de déterminer le profil de sensibilité aux antibiotiques des bactéries isolées en culture pure. Cet outil est essentiel en médecine anti-infectieuse car il permet d’optimiser les traitements antibiotiques et de les adapter en cas de résistance.
Quelle que soit la méthode, l’antibiogramme a pour objectif d’évaluer la Concentration Minimale Inhibitrice (CMI) d’un ou plusieurs antibiotiques sur un isolat bactérien. La CMI est définie comme la plus faible concentration d’antibiotique inhibant la croissance bactérienne dans des conditions d’inoculum et de culture standardisées. Si on s’intéresse à une collection de souches, la CMI50 est la concentration minimale inhibitrice médiane et la CMI90 la concentration d’antibiotique qui inhibe la croissance de 90 % des souches. Les méthodes actuellement utilisées dans les laboratoires pour évaluer la CMI d’une souche vis à vis d’un antibiotique sont la diffusion en milieu solide (disques ou bandelettes chargées d’un gradient d’antibiotique) et la microdilution en milieu liquide. Après mesure de CMI, il est possible de définir si les souches sont sensibles (S), sensibles à forte posologie (I) ou résistantes (R) en fonction des concentrations critiques définies par des données PK/PD et d’efficacité clinique. Ces techniques fournissent donc un résultat qualitatif (S, I, R) à partir de données quantifiables (CMIs approchées en milieu liquide ou par méthode de E-test, ou diamètre d’inhibition par la méthode de diffusion en gélose).
Différentes méthodes existent pour mesurer la sensibilité aux antibiotiques. La méthode de référence pour les germes à croissance aérobie est la macrodilution en milieu liquide. Pour les germes anaérobies, il s’agit de la dilution en milieu gélosé solide. Ces méthodes de détermination des CMI ne sont pas utilisables en routine du fait de leur lourdeur, et des alternatives ont été développées. Pour la méthode de diffusion des disques en gélose, il s’agit des diamètres d’inhibition de croissance. Pour la microdilution en milieu liquide ou la méthode E-test, il s’agit de CMIs approchées. Dans tous les cas, comme pour toute méthode de mesure, les méthodes utilisées en routine sont soumises à des erreurs ou imprécisions qui doivent être connues.
Méthode de référence : la dilution en milieu solide
La technique utilisée comme référence pour les germes anaérobies est la dilution en milieu solide,  inventée en 1959 par Edward Steers. Il s’agit d’une méthode manuelle de détermination de CMI en dilution en milieu solide. Cette technique est longue, fastidieuse et ne peut pas être réalisée en routine. Elle est essentiellement pratiquée par des centres de référence et à visées de recherche. La technique est la suivante : des géloses sont additionnées d’antibiotiques à des concentrations croissantes, pour constituer une gamme d’au moins dix dilutions par molécule à tester. Chaque boîte est ensuite inoculée avec un ensemenceur multiple de type Steers où 30 à 100 souches pourront être évaluées en simultané, en fonction du modèle d’ensemenceur. La lecture se fait gélose par gélose et la CMI est définie à la première gélose où la croissance bactérienne disparaît (53).
L’inconvénient majeur de cette technique est le temps de réalisation : les géloses enrichies en antibiotique sont préparées manuellement, extemporanément et une dizaine de boîtes de pétri seront nécessaires pour l’évaluation de chaque molécule. L’avantage réside dans la capacité de tester plusieurs dizaines de souches par gélose grâce à l’ensemenceur multiple.
Méthodes corrélées à la méthode de référence
Plusieurs techniques pour déterminer la sensibilité aux antibiotiques sont utilisées dans les laboratoires de microbiologie en routine. Deux techniques seront développées dans cette thèse : l’antibiogramme par diffusion et les CMI par microdilution en milieu liquide.
Diffusion en milieu gélosé
Cette méthode est simple et manuelle. Elle consiste à déposer des disques imprégnés d’une molécule antibiotique sur une gélose préalablement inoculée avec une suspension bactérienne calibrée. Après une incubation à 35±2°C, le profil de sensibilité aux antibiotiques est ensuite déterminé en mesurant le diamètre d’inhibition de la croissance bactérienne autour des disques. Ils sont interprétés selon des diamètres critiques de référence définis par le CA-SFM/EUCAST (36). Cette technique a pour avantage d’être peu coûteuse et facilement réalisable en routine de laboratoire. Sa limite principale est la lecture qui est dépendante du lecteur et de la qualité de l’inoculum bactérien initial. La diffusion est la technique utilisée en première intention au CHU de Caen pour les germes anaérobies.
Microdilution en milieu liquide
Les techniques de mesure des CMI par microdilution en milieu liquide sont considérées comme  plus précises et sont relativement récentes pour les anaérobies. Elles peuvent être manuelle ou semi-automatique si la lecture se fait par spectrophotométrie ou turbidimétrie. Les antibiotiques sont dilués dans du bouillon de culture dans des plaques de 96 puits. L’inoculation se fait avec des suspensions bactériennes calibrées et la lecture est réalisée à 24 ou 48h d’incubation. La CMI est définie par le premier puits qui ne présente pas de croissance bactérienne pour la molécule. Les plaques utilisées pour la pratique courante sont des plaques commercialisées, permettant de balayer un panel réduit, mais ciblé de molécules utilisables en médecine. La lecture peut être simplifiée grâce à l’utilisation de lecteur de plaque.
L’avantage de cette technique est la facilité de lecture des CMI, plus franche que la lecture de diamètre par la technique de diffusion. Le principal inconvénient est le coût de cette technique, faisant que seules les souches présentant des résistances ou un profil inhabituel seront testées avec cette méthode. Les méthodes en microdilution ne sont à l’heure recommandées que pour tester les Bacteroides du groupe fragilis et sont considérées comme équivalentes à la méthode de dilution en milieu gélosé par le CLSI.
E-test
La méthode consiste à déposer une bandelette chargée en antibiotique, dont le gradient de concentration augmente sur sa longueur, sur une gélose préalablement inoculée comme pour un antibiogramme par diffusion de disques. La CMI est lue à 48 h (CASFM) et correspond au point de contact entre la bandelette et la base de l’ellipse de croissance du film bactérien.
Recommandations actuelles pour la réalisation de l’antibiogramme des Bacteroides spp
Deux référentiels principaux sont utilisés pour définir les bonnes pratiques de réalisation et d’interprétation des antibiogrammes. En France, jusqu’à 2013, le référentiel national était celui du CA-SFM (Comité de l’Antibiogramme de la Société Française de Microbiologie). A partir de 2014, le CA-SFM a adopté le référentiel européen de l’EUCAST (European Committee on Antimicrobial Susceptibility Testing), avec certaines adaptations devenant le CA-SFM-EUCAST (36). Le second référentiel est le référentiel américain, le CLSI (Clinical and Laboratory Standards Institute) (54).
Il est à noter que les recommandations d’antibiogramme pour évaluer la susceptibilité des bactéries anaérobies strictes dispensées par le CA-SFM/EUCAST ont évolué entre l’année 2013 et 2020. En 2013, la liste standard et complémentaire de molécules à tester, pour les germes anaérobies, comprenait 21 molécules et a été réduite à 13 molécules en 2020 (https://resapath.anses.fr/resapath_uploadfiles /files/Documents/2013_CASFM.pdf). Ainsi, les céphalosporines, les macrolides sauf la clindamycine, le linézolide et une partie des pénicillines ont disparu. Des changements dans les charges des disques ont été également faits : pour le métronidazole, changement de 16 µg à 5 µg et pour la pipéracilline-tazobactam, changement de 75/10 µg à 30/6 µg. Pour le contrôle interne de qualité des méthodes utilisées, une souche de référence B. thetaiotaomicron (ATCC 79741) est recommandée et des valeurs cibles de sensibilité aux antibiotiques définies. Les valeurs seuils pour la cefoxitine ont par ailleurs disparu entre les deux versions et celles de l’imipénème ont été remaniées avec une réduction de la CMI critique haute passant de 8 à 4 mg/L.
La liste des molécules présentée dans le Tableau 8 est celle applicable à toutes les bactéries anaérobies, Gram positif et négatif confondu. Dans le cas des Bacteroides du groupe fragilis, l’amoxicilline et la vancomycine ne sont pas des antibiotiques dont le résultat est nécessaire. Recommandations du CLSI : Le référentiel américain définit deux techniques d’antibiogramme applicables aux bactéries anaérobies : la dilution en milieu solide et la microdilution en milieu liquide. Les recommandations sont les suivantes :
– la dilution en milieu gélosé pour tous les anaérobies en utilisant une gélose Brucella additionnée d’hémine (5 µg/mL), de vitamine K1 (1 µg/mL), et de 5 % de sang de mouton laqué
– pour le groupe des Bacteroides fragilis uniquement, le CLSI recommande la microdilution en milieu liquide avec le bouillon Brucella supplémenté d’hémine (5 µg/mL), vitamine K1 (1 µg/mL), et sang de mouton laqué (5 % v/v).
L’inoculum est réalisé avec une suspension bactérienne équivalent à 0,5
McFarland pour obtenir 105 UFC par spot en dilution en gélose et 106 UFC/mL en microdilution en milieu liquide. La durée d’incubation est de 46 à 48h pour la microdilution et de 42 à 48h pour la dilution en milieu solide à 36°C ± 1°C, en atmosphère anaérobie.
Recommandations actuelles du CA-SFM/EUCAST : Les recommandations européennes sont les mêmes que celles émises par le CLSI pour la microdilution en milieu liquide et la dilution en milieu solide.
Cependant, Le CA-SFM/EUCAST ne précise pas que la microdilution n’est applicable que sur le groupe Bacteroides fragilis et propose également la méthode par diffusion en milieu solide. Le milieu utilisé est la gélose Brucella additionnée de vitamine K1 (1 mg/L), d’hémine (5 mg/L) et de 5 % de sang de mouton. L’inoculum est de 1 McFarland en bouillon Schaedler ou Brucella. L’incubation se fait en atmosphère anaérobie à 35 ± 2°C, 24 à 48 ± 4h. Pour la clindamycine, la lecture doit se faire après 48h d’incubation.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIERES
LISTE DES ABREVIATIONS
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION
A. GENERALITES
B. HABITAT NATUREL ET MODE DE VIE DES BACTERIES ANAEROBIES
C. PATHOGENICITE
D. LE GENRE BACTEROIDES
1. Taxonomie
2. Culture et identification
a. Caractéristiques biochimiques et morphologiques
b. Culture et anaérobiose
c. Identification bactérienne
3. Facteurs de virulence
4. Résistances naturelles et acquises aux antibiotiques
a. Sensibilité des germes anaérobies aux antibiotiques
b. Sensibilité et molécules antibiotiques de référence dans les infections à Bacteroides spp.
c. Résistances naturelles
d. Résistances acquises aux antibiotiques
E. METHODES D’EVALUATION DE LA SENSIBILITE AUX ANTIBIOTIQUES DES GERMES ANAEROBIES
1. Définitions
2. Méthode de référence : la dilution en milieu solide
3. Méthodes corrélées à la méthode de référence
a. Diffusion en milieu gélosé
b. Microdilution en milieu liquide
c. E-test
4. Recommandations actuelles pour la réalisation de l’antibiogramme des Bacteroides spp
OBJECTIFS
MATERIEL ET METHODE
A. ÉPIDEMIOLOGIE CLINIQUE ET RESISTANCE ACTUELLE DES BACTEROIDES DU GROUPE FRAGILIS AU CHU DE CAEN
B. COLLECTION DE SOUCHES
C. CULTURE DES SOUCHES DE B. FRAGILIS
1. Milieux de culture
2. Anaérobiose
D. METHODE D’IDENTIFICATION BACTERIENNE
E. DETECTION DES GENES DE RESISTANCES PAR AMPLIFICATION GENIQUE (PCR)
1. Gènes recherchés et amorces
2. Extraction de l’ADN bactérien
3. PCR
F. METHODES D’ANTIBIOGRAMMES
1. Méthode de référence : dilution en milieu solide par Steers
2. Méthode de diffusion de disques en milieu solide
3. Microdilution en milieu liquide : méthode Sensititre™
4. Microdilution en milieu liquide : Micronaut-S™
5. Tests complémentaires : mesure des CMI par E-tests
G. INTERPRETATION ET EVALUATION DES METHODES
RESULTATS
A. ÉPIDEMIOLOGIE CLINIQUE ET RESISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES DES BACTEROIDES DU GROUPE FRAGILIS AU CHU DE CAEN 52
B. CARACTERISATION DE LA COLLECTION DE SOUCHES ETUDIEES
1. Identification des isolats
2. Sensibilité selon la méthode de référence (Steers)
3. Caractérisation génétique de la résistance
C. ÉVALUATION DES METHODES ANTIBIOGRAMMES :
1. Méthode par diffusion de disques en milieu solide
2. Évaluation de la méthode de microdilution en milieu liquide
a. Distribution des CMIs observées
b. Évaluation du système Sensititre™
c. Évaluation du système Micronaut-S™
d. Synthèse
D. COMPARAISON GENOTYPE-PHENOTYPE DE LA RESISTANCE
1. Fréquence de mise en évidence des gènes de résistance
2. Corrélation phénotype-génotype avec la méthode de référence
a. blactamines
b. Clindamycine
c. Métronidazole
DISCUSSION
A. LIMITES GENERALES DES METHODES ANTIBIOGRAMMES
B. BIAIS ET LIMITES DE L’ETUDE
C. COMPARAISON A LA METHODE DE REFERENCE ET PROFIL GENETIQUE
D. ANTIBIOGRAMME ET ALGORITHME DECISIONNEL
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE

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