Alors que la France est fortement marquée par les bouleversements politiques et les guerres de religion, le sentiment qui domine le début du XVIIème siècle est celui d’une grande instabilité du monde et de la vie humaine. Ainsi, le mouvement baroque, né de ce monde en mouvement, est une esthétique de l’incertain, du flou et de la surabondance qui marque le début d’une inconstance au niveau de la création littéraire.
Mais, à partir de 1661, le règne de Louis XIV marque les prémices d’un renouveau sur l’élan créateur. Á l’encontre de la vision baroque du monde, le classicisme survient à l’heure cherchant à atteindre une langue pure et claire basée sur l’équilibre et la mesure. Ainsi, dans la deuxième moitié du siècle, et plus précisément de 1660 à 1680, le classicisme connaît son apogée et traduit l’expression d’un art antique et de raison qui défend le respect de l’imitation des Anciens. Le terme désigne « un ensemble de valeurs et de critères qui dessinent un idéal s’incarnant dans « l’honnête homme » et qui développent une esthétique fondée sur une recherche de la perfection ». Couvert d’ordre et d’ambitions morales, ce courant littéraire triomphera en France avec l’appui du monarque absolu, « Louis XIV », pour la fondation de plusieurs académies veillant sur les principes et les usages admis par les règles de l’esthétique classique. Dans cette période, le pouvoir royal est impliqué dans les arts à travers son soutien aux artistes et la création de l’Académie française qui établit une norme pour le vocabulaire, de syntaxe ou poétiques.
Dans ces conditions, ce souci pour la codification de la langue installe des expositions et des cercles littéraires : c’est l’exemple de la Grammaire de Port-Royal qui établit pour la première fois les règles de grammaire et est à la base, jusqu’à aujourd’hui, de la grammaire française. Ainsi, réunis dans plusieurs académies, les grands littérateurs de l’époque vont établir des normes qui reposent sur le respect strict des règles qui autorisent la production d’œuvres inspirées du modèle de l’art antique marqué par l’équilibre et la mesure.
Par ailleurs, le classicisme s’inscrit dans la logique du naturel. Il promulgue des ouvrages qui donnent l’impression de naturel et qui ne doivent en aucun cas choquer le public. Dans ce souci, les règles de bienséance et de vraisemblance sont établies à cette période. En créant ces modèles, les écrivains classiques doivent produire des œuvres dont l’objectif principal est de rechercher au plus haut degré le naturel. En d’autres termes l’intrigue de l’œuvre classique doit donner l’impression du vrai et doit inscrire le lecteur dans une logique que la morale peut admettre. C’est d’ailleurs ce qui est reproché à Corneille dans Le Cid où l’héroïne s’est résignée à épouser le propre meurtrier de son père, chose que la morale ne peut pas accorder. D’un autre côté, par respect à la bienséance, les écrivains classiques sont contraints de représenter sur scène ce qui est dépourvu de toute violence physique. Ainsi, toutes les scènes violentes seront racontées par les personnages comme la mort de Phèdre dans ce roman éponyme de Jean Racine.
Dès lors, l’idéal de l’art classique, s’accompagne d’un idéal moralisant matérialisé par « l’honnête homme ». Cette expression englobe toutes les qualités d’un homme raffiné. Celuici est, d’une certaine manière, un homme qui maîtrise ses émotions, qui est cultivé, modeste, tolérant et a bon goût.
En effet, les considérations et les pratiques religieuses ont aussi marqué le siècle avec la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685, qui s’est terminée par la tolérance visà-vis des protestants, et le poids des jésuites et des jansénistes. Ces derniers, en plus de leur influence politique, critiquée par les tenants du gallicanisme, vont contribuer à la formation de la pensée du siècle et au développement des écoles classiques.
En outre, les œuvres classiques s’affirment sur une volonté d’imitation et de réinvention des œuvres antiques dans une visée morale et didactique. Cette imitation n’est pas effective car ces écrivains réutilisent les œuvres antiques dans le but d’en faire des œuvres modernes. Avant tout, il faut plaire pour attirer le public car « On ne considère en France que ce qui plaît ; c’est la grande règle et pour ainsi dire la seule». D’ailleurs, c’est dans ce contexte que Jean de La Fontaine, puisant ses sources dans la littérature mondiale, reprend Les Fables d’Ésope et de Phèdre en leur attribuant une version moderne dont la morale sociale et politique ne peut être comprise que dans le contexte du XVIIème siècle. S’inspirant de ce riche patrimoine, il usera d’une forme didactique en suivant l’exemple de ses devanciers. Sa préface aux fables de 1668 en propose une illustration éloquente : « après tout je n’ai entrepris la chose que sur l’exemple ». Ainsi, le choix de notre sujet dont l’intitulé est: « Morale et littérature dans Les Fables de Jean de La Fontaine » renferme dans son originalité la démarche littéraire entreprise par le fabuliste.
UNIVERS ESTHETIQUE ET PRISE DE POSITION
Les Fables de La Fontaine dressent le tableau pittoresque de l’état de la France du XVIIème siècle. Dans cette mouvance, le poète emploi une satire très rigoureuse et indirecte. En auteur engagé, il procède par une nuance de figures rhétoriques pour faire une critique virulente de la société de son temps. De ce fait, l’allégorie de l’animal constitue une astuce tenace qui permet de montrer l’image néfaste de l’homme et d’expliciter son degré de bestialité. Le recueil témoigne, donc, d’une prise de position du poète pour montrer la figure négative du monarque.
Aussi, en peignant sous les traits de l’animal l’attitude désastreuse de l’homme du XVIIème siècle, La Fontaine met en scène les caractères les plus répugnants de la société d’alors. Cette prise de position est combinée avec un caractère général du classicisme qui consiste à l’imitation des auteurs gréco-latins. Toutefois, cette imitation est loin d’être intégrale car, en s’inspirant de ces modèles, l’auteur innove le genre et prend ses distances par rapport à ses devanciers. Dans ce cas, son désir d’innovation lui permet de créer une œuvre nouvelle, différente du modèle et qui devait porter les marques de leur propre génie avant de porter celles du texte antérieur. En poursuivant cette analyse, on notera que l’ouvrage est en conformité avec les exigences classiques car toutes les règles s’y retrouvent en permanence.
LE RAFFINEMENT CLASSIQUE
Le recueil se distingue naturellement par la pertinence des récits, du ton et du goût classique qui l’habitent. En effet, cette omniprésence des outils classiques est marquée par sa méthode et l’éloquence des mots. Conformément aux règles de cette époque, La Fontaine effectue une pratique d’écriture basée sur la reprise et l’adaptation des textes antiques. Mais cette méthode plus connue sous le vocable de l’imitatio se produit suivant la reprise d’un texte ancien connu de tous et que l’on réécrit à sa manière suivant le goût de son siècle. Ainsi, pour être en phase avec son époque, il tente de mêler l’utile à l’agréable afin de séduire ses lecteurs. Evidemment, il affirme sa conception très classique du genre destinée à allier l’instruction et l’agrément : « En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire, / Et conter pour conter me semble peu d’affaire ». Alors, cette volonté de plaire et d’instruire l’amène à innover le genre de la fable.
Par ailleurs, on peut souligner que le débat philosophique était aussi une constante dans la période classique. De ce fait, ce même mouvement aura une incidence sur le recueil par son souci de l’ordre et par la philosophie de René Descartes.
L’inspiration : à l’école des Anciens
Le XVIIème siècle est plein de valeurs esthétiques. Ainsi la seconde moitié, encore appelée siècle classique, a vu s’accroitre des théoriciens de la littérature tentant d’instaurer des règles strictes inspirées des modèles antiques. Alors l’art du XVIIème siècle est toujours l’équivalent de l’imitation c’est pourquoi la majorité des œuvres classiques est issue du recueil antique. L’auteur n’est rien d’autre qu’un simple traducteur qui vient un peu tard comme l’affirment ces célèbres vers de La Bruyère : « Tout est dit : et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé : l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes ».
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Table des matières
INTRODUCTION
Première Partie : Épaisseur éthique et écriture poétique
Chapitre 1 : L’historique du genre
1-1 ) Origine et définition
1-2 ) L’état du genre au XVIIème siècle
1-3 ) Le but de la fable
Chapitre 2 : L’esthétique de la moralité
2-1) Le procédé ludique
2-2) Les préceptes moraux
2-3) Du récit à la moralité
Chapitre 3 : Les personnages dans la fiction
3-1) Le symbolisme animal
3-2) La psychologie des personnages
3-3) La classe des personnages
Deuxième Partie : Univers esthétique et prise de position
Chapitre 4 : Le raffinement classique
4-1) L’inspiration : à l’école des Anciens
4-1-1) Le modèle ésopique
4-1-2) Phèdre et la fable latine
4-1-3) Les sources orientales
4-2 Les visées du genre : instruire et plaire
4-2-1) le projet éducatif
4-2-2) la fonction ludique
4-3) Les questions philosophiques
4-3-1) Interrogation sur la conscience animale et les composantes de l’univers
4-3-2) La vérité sous le voile de la fiction
Chapitre 5 : Une œuvre satirique
5-1) Louis XIV et la monarchie absolue
5-2) La peinture des mœurs et des institutions
5-3) La critique des caractères des hommes
Chapitre 6 : La dimension narratologique
6-1) Les postures énonciatives
6-2) Les modes d’expression
6-3) L’allure du récit
CONCLUSION