Entrer dans une parfumerie

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Entrer dans une parfumerie

Lorsqu’on souhaite se choisir un nouveau parfum et que l’on entre, à cet effet, dans une parfumerie, on se sent vite submergée par l’offre. Le nombre de flacons, leurs couleurs, leurs formes, les noms des parfums, tous ces éléments devraient concourir à aider notre choix – et il se peut qu’ils y concourent. Mais ces différents éléments visuels nous renseignent-ils vraiment sur le contenu du flacon ? Les noms, tels qu’Intuition ou Rose d’Eté, qu’ils soient évocateurs ou descriptifs, nous donnent-ils vraiment un indice sur la fragrance ? Un flacon élancé ou sphérique, une publicité joyeuse ou mystérieuse, avec une égérie et une histoire racontée dans un court métrage ont avant tout un pouvoir suggestif : pour en connaître le contenu, il faut sentir le parfum.

Plus que dans d’autres domaines, le conseil de la vendeuse jouera un rôle crucial dans le choix de la future fragrance. Il n’est pas exclu de se promener dans les rayons et de sentir les parfums qui nous attireraient par leurs packagings, leurs marques ou leurs publicités, mais il est probable que nous connaîtrions des clivages importants sur les odeurs qui pourraient ou non nous plaire. Le conseil du vendeur permet donc une orientation et un accompagnement vers les odeurs au-delà d’un choix sur le contenant. Cet accompagnement est probablement beaucoup plus fort dans la parfumerie que dans d’autres domaines où le client sera à même de se prononcer de manière beaucoup plus directe sur un meuble, un vêtement, un plat au restaurant ou un bijou. En matière d’odeurs aussi, on dit que la réaction « j’aime – je n’aime pas » est assez directe (Schaal, 1998: 35). Pourtant, avant d’arriver à ce moment de choix, encore faut-il sélectionner les parfums à sentir. Et, une fois ces derniers sentis comment sera élu celui qui sera finalement acheté ?

Eléments d’autoréflexion

Cette élection du parfum et les relations qui y étaient mêlées m’interpelèrent petit à petit. Mon intérêt pour le rôle des objets dans les interactions naquit lors d’un cours. Je décidais de m’intéresser particulièrement au parfum, car il réunissait plusieurs paradoxes. C’est tout d’abord un objet dont le coût est bien supérieur à son prix de production : nous n’achetons donc pas qu’une odeur, lorsque nous achetons du parfum. Il se porte, mais ne se voit pas et, alors qu’il est invisible, il est surtout produit et distribué par des entreprises de haute couture, de maroquinerie ou de joaillerie pour qui le visuel est au coeur de leur commerce. Bien que j’aie su que les vendeuses pouvaient être formées à vendre les produits d’une marque, j’ignorais tout de l’ampleur et de la généralisation du phénomène que mes données me révélèrent. De plus, je m’attendais à ce que l’histoire olfactive de la cliente prenne une place plus important dans l’échange avec la vendeuse et dans l’élection du parfum.

Qui a choisi le parfum que vous avez acheté ? Lorsqu’on choisit un parfum, le plaisir hédoniste et personnel que l’on peut avoir au contact d’une odeur – ce plaisir qui rencontre notre histoire olfactive, forcément intime et idiosyncrasique – nous porte à croire que nous sommes seuls électeurs de ce choix. Pourtant, ce serait faire fi de tous les éléments qui ont été mis en place pour le guider. L’image de la marque génère celle du parfum par le canal de la publicité avec ses couleurs, ses formes, sa musique, l’aspect du flacon, la couleur du jus, la beauté du stand, son égérie et l’histoire qu’elle raconte, l’onomastique et l’univers qu’il évoque. Mais cette image générée passe aussi par le lien avec le vendeur, son discours, les notes qu’il peut évoquer et que nous croyons dès lors sentir, sans toujours les percevoir vraiment. Tout ceci et bien d’autres choses encore concourent à orienter notre choix.

Ainsi, nous ne sommes pas seuls lorsque nous choisissons un parfum. Le pourrionsnous d’ailleurs dans l’océan de choix qui s’offre aujourd’hui au consommateur ? A titre indicatif – et bien que toute l’offre ne puisse se retrouver dans un seul supermarché ou boutique – Pascale Caussat cite les chiffres de Michael Edwards qui « a recensé plus de deux milles lancements de parfums en 2015, dont cinq cents dans la niche. » (Caussat, 2016 : 126). Ces chiffres ne tiennent compte que des nouveautés et seulement pour l’année 2015. Il est dès lors vertigineux de s’imaginer combien de parfums différents peuvent exister sur le marché, sachant que certains ont été créés il y a des décennies et s’y trouvent encore. Ainsi, l’orientation orchestrée du client – mais qui n’est pas forcément une orientation maligne – mérite qu’on s’y attarde, car, comme nous le verrons plus loin, elle n’obéit pas toujours aux mêmes règles selon les points de vente.

Préciosité conservée du parfum et étymologies

Le parfum en Occident commence son histoire en étant plus précieux que l’or. La myrrhe ou l’encens, amenés à dos d’homme ou de chameau de la péninsule arabique jusqu’aux bords de la Méditerranée et au reste de l’Europe coûtaient plus cher que l’or (Rasse, 2003 : 131). L’or, l’encens et la myrrhe sont d’ailleurs les cadeaux amenés à la naissance de Jésus (Mt 2, 11). L’usage des parfums était réservé au service religieux, à la lutte contre la maladie ou à une élite qui, en le portant, se distinguait (Rasse, 2003 : 133). Cette aura de préciosité de la matière première perdura jusqu’au XIXème siècle, moment où apparurent les odeurs de synthèse (Barry, Turonnet & Vindry, 1998). Pourtant, malgré la facilité de la chimie à reproduire une molécule odorante, le parfum semble garder, en Occident, ce côté précieux qui l’a accompagné depuis plusieurs millénaires. De plus, comme objet consomptible, il se perd lorsqu’on le vaporise.

Dans l’Antiquité, les résines devaient être brûlées – probablement transformées en fumées – pour être senties ; aujourd’hui, le parfum doit être vaporisé par la vendeuse sur la mouillette pour être senti par la cliente. Bien que l’étymologie per fumum – par, au moyen de la fumée – soit souvent citée par la littérature, elle me semble plausible pour l’anglais perfume. Cependant, pour l’italien profumo, l’étymologie pro fumo – à la place de, comme de la fumée –, me semble plus appropriée. Enfin, pour le français « parfum », l’étymologie de par fumus – égal, assimilable à la fumée –, me semble préférable. Signalons encore que le Robert Dixit Mobile s’abstient de s’intéresser au préfixe et ne donne l’étymologie que de « fumer »2.

A noter que, comme je l’ai mentionné précédemment, les résines étaient le plus souvent fumées et ce depuis la Haute Antiquité, ce qui expliquerait le lien au mot fumus – fumée. Mais d’autres types de parfums semblent avoir existé, notamment issus de fleurs ou d’aromates. Certains parfums n’étaient pas brûlés, mais étaient extraits différemment, notamment en pressant, bouillant, imprégnant et filtrant des matières premières, telles que des fleurs ou des herbes aromatiques, par exemple (Barry, Turonnet & Vindry, 1998 : 11). Depuis la Haute Antiquité, puis à la Basse Antiquité et à travers tout le Moyen-Âge, on peut imaginer que les parfums et leurs noms latins, vernaculaires ou vulgaires évoluèrent également selon l’usage que pouvaient en faire les différentes populations, notamment en lien avec leurs rites qui, eux-mêmes, se transformèrent. Reste que cette évanescence du produit qui est consommé – aujourd’hui, plutôt vaporisé que brûlé, voire appliqué sous la forme de crèmes pour le corps, si l’on pense aux parfums pour soi – lui conserve peut-être aussi son caractère éphémère et précieux.

De plus, le produit consommé est inhalé, mais non avalé, comme peuvent l’être d’autres produits de consommation immédiate. Cette ambivalence entre le parfum qui entre en nous, mais peut tout de même être encore senti par d’autres, lui donne une place à part dans sa manière d’être consommé dans notre société. La mouillette présentée par la vendeuse peut être sentie par de nombreuses personnes. Cependant, il est souvent annoncé que le parfum doit être une chose personnelle et les clientes aiment que leur odeur soit la plus unique possible, comme le signala Salma qui rapportait les propos d’une cliente :

Le parfum et le luxe Qu’est-ce qui, dans le parfum, détermine qu’une enseigne est, ou non, liée au marché du luxe ? En quoi cette étiquette est-elle possible ? Le seul lieu qui se réclama vendre du luxe fut paradoxalement …le supermarché. Les marques qui y étaient vendues étaient considérées comme des marques de luxe. Au supermarché, cela semblait être dû à leurs prix. Il y avait d’autres marques présentes, en dehors des grands groupes, mais celles des grands groupes semblaient être considérées comme appartenant au luxe parce qu’elles étaient onéreuses. D’autres éléments peuvent donner cette impression de luxe, comme la rareté du produit. La boutique de niche s’inscrivait probablement plus dans cet axe-là, mais pas seulement, puisqu’elle se distinguait aussi par l’accueil. Pascale Caussat décrit par exemple le fait d’offrir systématiquement un café ou un thé à la cliente qui entrerait dans la boutique.

Elle signale aussi que les vendeurs sont très connaisseurs de toutes les références vendues. Elle ajoute, en citant François Hénin, qu’il n’y a, dans ces boutiques, « ni briefing matinal, ni cadeau pour un achat de la cliente, ni prime sur la vente pour le vendeur » (Caussat, 2016 : 129). Tous ces éléments se veulent des marques de disctinction. Cependant, ni les vendeuses de la boutique de niche, ni la coach – aux prix pourtant prohibitifs pour ses entretiens – ne se sont réclamées comme appartenant au domaine du luxe. Les premières disaient servir des personnes plus passionnées, quant à la coach, elle disait même se battre contre cette image « de la fierté de porter une marque » et disait lutter contre « l’appartenance à cette classe qui peut s’offrir ça ». J’explique ceci par le fait que, au supermarché, c’était le prix qui définissait un parfum luxueux, or, s’adresser ainsi à une clientèle fortunée pouvait être mal perçu, voire se fermer un certain accès. Ainsi, le discours du luxe se déplaçait vers d’autres éléments, comme la passion des gens qui seraient allés dans une boutique de niche. Quant à la coach, il était important pour elle de se défendre de viser le marché du luxe, voire de l’hyper-luxe puisqu’elle construisait son discours contre les marques qui s’en réclamaient.

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Table des matières

0. Avant-propos
1. Introduction
1.1 Du parfum
1.1.1 Entrer dans une parfumerie
1.1.2 Eléments d’autoréflexion
1.1.3 Qui a choisi le parfum que vous avez acheté ?
1.1.4 Préciosité conservée du parfum et étymologies
1.1.5 Qu’achète-t-on lorsqu’on achète du parfum ?
1.1.6 Le parfum et le luxe
1.2 Le terrain
1.2.1 Résumé du terrain
1.2.2 Eléments d’analyse
1.2.3 Le supermarché
1.2.4 La boutique de Nichep
1.2.5 La coach en parfums
1.2.6 Discours sur l’altérité : le « mass market » et la « fausse niche »
1.3 Premier niveau d’abstraction
1.3.1 Différences dans les discours : genre, prix et temporalité
1.3.2 Un discours contra, mais dont l’objectif demeurait de vendre
1.4 Qu’est-ce qui a de la valeur lors de l’achat
1.4.1 Economie de l’expérience
1.4.2 On achète plus un discours sur l’odeur que l’odeur elle-même
1.5 Faire de la vente une expérience
2. Cadre théorique
2.1 Introduction au cadre théorique
2.2 Historique de la réflexion et cadre théorique
2.3 Problématique
3. Méthodologies
3.1 Introduction aux méthodologies
3.2 Historique du terrain
3.3 Méthodes de récolte des données
3.4 Analyse des données, méthodes croisées et motifs d’utilisation
3.5 Constitution du corpus : de l’anthropologie des odeurs à une socio-anthropologie du marketing et de la consommation
3.6 De la subjectivité notoire en anthropologie
3.7 Autoréflexions et critiques quant aux méthodologies
4. Historique du parfum et de son industrialisation
4.1 Introduction à l’historique du parfum et à son industrialisation
4.2 L’Antiquité ou le parfum religieux
4.3 Le Moyen-Âge et l’Ancien Régime : âge d’or du maître gantier et parfumeur
4.4 De Louis XIV au Second Empire : vers l’industrialisation de la parfumerie
4.5 Début du XXème siècle : l’essor des couturiers parfumeurs
4.6 L’après-guerre : le parfum comme objet de consommation de masse
4.7 Conclusions au chapitre historique
5. Trois systèmes discursifs de vente du parfum
5.1 Introduction au terrain
5.2 Le supermarché
5.3 La boutique de niche
5.4 La coach en parfums
5.5 Conclusions aux pages empiriques
6. Formations du personnel de vente en parfumerie
6.1 Introduction aux formations du personnel de vente en parfumerie
6.2 Un système de vente
6.2.1 La représentante en parfumerie
6.2.2 Le rôle de la représentante auprès des détaillantes
6.2.3 Les réunions pour représentantes au sein de la marque
6.2.4 Le rôle des détaillantes
6.2.5 Le lien privilégié que pouvaient avoir les représentantes et les détaillantes
6.2.6 Un aperçu des marges
6.3 Les cours des marques
6.3.1 Assignation des apprentis à une marque
6.3.2 Un autre type de formation : l’école privée
6.3.3 Les objectifs de vente
6.3.4 Les structures des cours
6.3.5 Un exemple de vente du parfum en accord avec un cours
6.3.6 Les guides et supports de cours
6.3.7 Conter l’histoire de la marque et l’histoire du parfum
6.3.8 Le vocabulaire autour de l’olfaction
6.3.9 Le vocabulaire des objets autour du parfum
6.3.10 Les discours sur l’acidité de la peau
6.3.11 Les vendeuses pouvaient avoir changé de marque
6.4 Les techniques de vente
6.4.1 Les conseils des guides étape par étape
6.4.2 Instiller des mots
6.4.3 La vente différenciée pour les hommes
6.4.4 L’impossibilité de porter un parfum du genre opposé pour la vente
6.4.5 Des conseils pour la vente aux générations Y et Z
6.4.6 L’« Allure Marque » ou l’attitude maîtrisée
6.4.7 La « cliente mystère » ou le rappel à l’ordre
6.5 Conclusions aux formations du personnel de vente en parfumerie
7. Conclusions
7.1 La quête du parfum
7.2 La contestation
7.3 L’économie des expériences
7.4 Le storytelling
7.5 Les formations
7.6 En définitive, qui choisit votre parfum ?
Bibliographie

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