Entre honte et culpabilité, boire pour ne plus éprouver

Entre honte et culpabilité, boire pour ne plus éprouver

L’enfance, la relation aux parents

L’enfance de Monsieur C. et l’environnement familial dans lequel il a grandi n’ont été abordés qu’au début du suivi, lors des trois premiers entretiens. Lors du premier entretien, Monsieur C. m’explique d’emblée que sa mère était également alcoolique, et qu’elle était décédée d’une cirrhose à l’âge de quarante-huit ans, quand lui-même n’avait que dix-neuf ans. Dès lors, Monsieur C. indique avoir eu une enfance difficile, sans détailler davantage. Lors du second entretien, Monsieur C., se sentant visiblement plus à l’aise et en confiance, aborde davantage son enfance et ses liens familiaux. Cet entretien a lieu au milieu du mois de novembre, alors que les patients accueillis au centre doivent faire une demande s’ils souhaitent avoir une autorisation de sortie pour les fêtes de Noël. Monsieur C. souhaite quant à lui rester au centre, expliquant ne pas apprécier ces festivités. En effet, Monsieur C. m’explique alors qu’il n’a jamais eu de cadeau étant enfant. Monsieur C. parle ensuite de son père, ancien marin aujourd’hui décédé, qui « buvait un peu mais pas plus que ça », selon ses propres mots. Monsieur C., avec une fierté non dissimulée, m’annonce alors qu’une rue porte le nom de son père dans la ville où il habite. Monsieur C. évoque ensuite sa fratrie, composée d’une soeur plus âgée, et de trois demi-soeurs également plus âgées (l’une du côté maternel, de père inconnu, et deux du côté paternel). Monsieur C. se remémorant alors son enfance, m’explique qu’il n’y a jamais eu de violence de la part de ses parents, mais que sa mère, si elle n’était « pas méchante », n’était pas « une mère ». C’est à ce moment précis que Monsieur C. me révèle qu’il a subi des attouchements de la part de sa mère, à l’âge de douze ou treize ans.

Monsieur C. précède cette annonce d’une parole significative : « il y a quelque chose que je n’ai pas osé vous dire la dernière fois, mais maintenant je vous fais confiance », comme s’il se sentait alors suffisamment en sécurité pour faire cette révélation et ainsi se libérer d’un poids. Les attouchements subis par Monsieur C. ont eu lieu à deux reprises, ce sur quoi je reviendrai dans une partie où j’aborderai davantage le traumatisme qu’il a vécu. Revenant sur l’alcoolisme de sa mère, Monsieur C. explique qu’il a vécu pendant plusieurs années seul avec elle, et que c’était alors lui qui vidait ses bouteilles d’alcool, et qu’il était régulièrement amené à expulser les hommes qui venaient la voir. Monsieur C. reparle alors du décès de celle-ci, mais n’en dit rien de plus. Concernant son père, Monsieur C. explique avoir eu une bonne relation avec lui, qu’il était son « Dieu ». Monsieur C. m’est alors apparu tel un petit garçon qui admirait son père, dans une représentation presque héroïque. Pourtant, lors du troisième entretien, Monsieur C. a avancé le fait de ne jamais avoir reçu d’affection de la part de sa mère, et très peu venant de son père. Monsieur C. évoquant précédemment avoir eu une bonne relation avec ce dernier et semblant l’admirer, je me suis demandée dans quelle mesure idéaliser leur relation n’était pas un moyen de nier la relation compliquée à la mère, afin de se réassurer en conservant un imago paternel satisfaisant. En lien avec le manque d’affection reçue, Monsieur C. explique par ailleurs n’avoir jamais été vraiment démonstratif avec ses propres enfants.

D’autre part, Monsieur C., dans le second entretien également, revient sur son parcours scolaire, m’annonçant, une nouvelle fois rempli de fierté, qu’il avait obtenu son certificat d’étude à l’âge de treize ans. Félicité pour cette obtention, Monsieur C. avait alors reçu une pipe et du tabac, les uniques cadeaux qu’il n’ait jamais eus. Par la suite, Monsieur C. a commencé à travailler en usine, à l’âge de quatorze ans, quittant alors tout ses amis. Le sentiment de fierté avait alors disparu du discours de Monsieur C., laissant place à une expression, certes contenue, de peine. Monsieur C. se retrouvant seul dans un monde d’adultes, son seul loisir était d’aller s’évader en forêt pour s’adonner à son passe-temps favori, la lecture. En narrant cette période de sa vie, Monsieur C. eut une remarque intéressante et pleine de lucidité : « je n’ai pas eu d’adolescence, je suis passé d’un grand enfant à un adulte ». Cette parole de Monsieur C. me semble importante car elle traduit combien l’élaboration identitaire a du être laborieuse pour Monsieur C., pris entre des responsabilités d’adulte et des désirs d’enfant, et traumatisé par un environnement familial peu sécurisant. En dehors du travail qu’il a eu à assumer très jeune, Monsieur C. endossait déjà des responsabilités d’homme, voire d’époux auprès de sa mère ; comme si les rôles étaient confus voire inversés.

Le traumatisme

Comme j’indiquais précédemment, Monsieur C., lors du second entretien, a révélé avoir subi des attouchements sexuels de la part de sa mère à deux reprises. Monsieur C. explique s’être enfui la première fois, et l’avoir repoussée la seconde. Monsieur C. vivait seul avec sa mère au moment des faits, son père étant alors en région parisienne, qu’ils ont ensuite rejoint. Monsieur C. ne s’est pas attardé sur son ressenti face à ce traumatisme, mais il explique n’en avoir jamais parlé à quiconque avant ses soixante-sept ans, il y a un an. Le moment de cette révélation correspond à l’amorce du suivi psychologique avec la psychologue du CSAPA. Celle-ci est la première personne auprès de qui il a pu se libérer de ce lourd secret, se sentant par la suite prêt à le révéler à sa femme et à deux de ses soeurs. Revenant sur ce long silence, Monsieur C. explique avoir voulu protéger sa mère, disant alors « c’était ma maman », de nouveau avec l’expression d’un petit garçon, semblant ne pas pouvoir admettre la gravité des faits, ceux-ci étant certainement trop irreprésentables. Jusqu’à ce qu’il considère comme une « libération », Monsieur C. avait conservé une photographie de sa mère sur sa table de chevet.

Comment expliquer et interpréter cela ? Etait-ce de l’ordre du déni ou du refoulement ? Cet enfouissement représentait-il un mécanisme de défense, à l’image d’une forteresse psychique, à la manière dont Ciccone (2008) peut l’évoquer ? Monsieur C. explique aussi son silence par la peur des répercussions sur sa famille ; l’on voit ainsi que des sentiments de honte et de culpabilité semblaient déjà être présents chez Monsieur C., l’empêchant de se détacher de cette « boule au ventre », comme il la nomme, qu’il a gardé enfouie pendant plus de cinquante ans. Par ailleurs, Monsieur C. explique avoir longtemps eu des difficultés pour exprimer ses émotions, pour s’autoriser à pleurer, indiquant même ne pas se souvenir d’avoir déjà pleuré dans son enfance. Nous pouvons alors nous demander ce que cela révèle de son aménagement psychique et de ses mécanismes de défense. Monsieur C. semble en effet avoir toujours maintenu un certain contrôle, conscient ou non, sur ses émotions, ne pouvant se laisser aller à l’expression d’affects négatifs.

Le deuil Déjà fragilisé par un traumatisme narcissique à l’adolescence, Monsieur C. s’est également vu contraint d’affronter une épreuve extrêmement difficile au cours de sa vie ; le décès de son fils, âgé de dix ans, à la suite d’une leucémie. Monsieur C. a évoqué cette perte dès le premier entretien, en expliquant que sa consommation d’alcool était alors devenue un peu plus importante qu’habituellement. Lorsqu’il aborde le décès de son fils, Monsieur C. explique qu’aujourd’hui, il y pense moins tristement, que « c’est le destin », de manière presque fataliste et résignée. Monsieur C. n’a pas toujours évoqué le décès de son fils de la sorte lors des autres entretiens, peut-être plus en confiance pour partager sa peine par la suite. Monsieur C. a notamment expliqué qu’il avait pu être jaloux de ses amis qui partageaient des moments avec leurs fils, laissant sous-entendre un sentiment d’injustice.

En effet, Monsieur C., lors du quatrième entretien, m’a indiqué que lui et sa femme parlaient très peu de la perte de leur fils, et qu’ils avaient même tendance à « abréger » lorsque le sujet était évoqué. Monsieur C. a ajouté qu’ils n’avaient jamais pleuré ensemble, et qu’ils se rendaient sur la tombe de leur fils séparément. L’on peut alors s’interroger sur la possibilité de faire son deuil pour le couple si leur peine ne peut être partagée. Pourquoi Monsieur C. s’est-il toujours refusé à pleurer ? Est-ce une manière pour lui de s’affirmer en tant qu’homme, place à laquelle il a été érigé très jeune ? A défaut d’avoir pu aller contre les événements douloureux de son histoire, maîtriser ses émotions et ses angoisses représente-t-il un moyen de garder le contrôle sur un aspect de sa vie ? En quoi l’alcool a-t-il pu constituer une aide dans cette tentative de maîtrise ? Cela fait notamment référence à ce que Abraham et Torok (1987) avancent lorsqu’ils écrivent « toutes les larmes qui n’auront pu être versées, seront avalées, en même temps que le traumatisme » (p.266). Selon cette perspective, nous pourrions supposer que Monsieur C. noierait son chagrin en ingurgitant un liquide qu’il n’a pu verser.

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Table des matières

Introduction
Partie I : Présentation de la méthodologie de recherche
1) Présentation du lieu de stage
2) Rencontre avec Monsieur C. et quelques éléments d’anamnèse
3) Présentation de la méthode de recherche et de ses limites
Partie II : Présentation clinique de Monsieur C
A) Matériel clinique
1) L’enfance, la relation aux parents
2) Le traumatisme
3) Le deuil
4) L’entrée dans l’alcoolisme
B) Analyse de la dynamique transférentielle
C) Présentation de la problématique
Partie III : Articulation théorico-clinique
A) L’enfance de Monsieur C. : entre carences précoces et trauma tardif
1) Des carences affectives
2) De la défaillance maternelle au traumatisme narcissique
3) De la perte au deuil impossible
B) L’aménagement psychique de Monsieur C.
1) Entre écroulement dépressif et effondrement anaclitique
2) De la lutte contre la dépression à l’aménagement limite
3) Le besoin de gratification, en lien avec la potentialité dépressive du passage à la retraite
C) Le recours à l’alcool pour Monsieur C.
1) Le fantasme d’incorporation
2) Entre honte et culpabilité, boire pour ne plus éprouver
3) Lutter contre le vécu dépressif et l’angoisse de perte d’objet
Conclusion
Bibliographie

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