Entre conflits et dialogue : la place de l’Amérindienne dans les sociétés autochtones et occidentales

Ecriture de l’auteure

Dans le silence du vent est un roman constitué de onze chapitres et d’une postface. Le style d’écriture de Louise Erdrich, s’apparentant quelque peu à l’écriture de Faulkner, ainsi que la structure du texte sont plus classiques que pour l’oeuvre de Naomi Fontaine. Kuessipan sort du cadre classique des travaux d’écriture de par son type de texte indéfinissable et l’écriture singulière de l’auteure alors que Dans le silence du vent s’inscrit dans un cadre connu possédant les caractéristiques du roman.
Ce roman, dont la structure est plutôt classique, possède néanmoins des caractéristiques peu communes.
Tout d’abord, ce roman réaliste est une fiction. Les personnages sortent de l’esprit de l’auteure, ils ne sont pas réels. La réserve n’est pas réelle non plus. Louise Erdrich se base sur ce qu’elle connait et s’en inspire afin de créer l’univers de ses romans. Connaissant bien la culture ojibwe, elle se sert de ce savoir pour se projeter dans un décor et une atmosphère. De plus, le récit de Louise Erdrich est réaliste seulement, parfois, des éléments dits « surnaturels » apparaissent. Par exemple, Joe voit des fantômes et son père lui confirme qu’ils sont réels. En admettant que les fantômes sont réels, on rejette l’aspect « surnaturel » et on accepte le côté « mystérieux » de la vie. Il est donc tout à fait normal de croiser des fantômes, cela fait partie de la vie des personnages, de la vie de la communauté et de la culture. Ces éléments révèlent une fois de plus la transcendance des peuples amérindiens.
Néanmoins, Dans le silence du vent se base sur de vrais événements. Louise Erdrich indique dans la postface que « Les événements de cet ouvrage s’inspirent librement de tant d’affaires, de rapports et de récits que le résultat est pure fiction ». En effet, l’auteure s’inspire de nombreux rapports concernant la violence que subissent les femmes amérindiennes au quotidien. D’ailleurs, dans la postface, Louise Erdrich donne quelques chiffres officiels publiés par Amnesty International en 2009 sur le sujet. D’autres éléments « réels » sont utilisés par l’auteure tout au long du texte. Il s’agit de lois émises par l’Etat américain concernant les peuples amérindiens. La profession du père de Joe facilite la visibilité de ces lois car durant l’enquête, Bazil est amené à raconter l’Histoire et ses lois à Joe.
Ce roman est un flashback du narrateur. Le Joe adulte revit l’été de ses treize ans. Le lecteur est plongé dans le récit de l’adolescent, il voit à travers ses yeux et connait les pensées de celui-ci. On relève cependant quelques interventions de la part du narrateur adulte au sein du récit de Joe l’adolescent. Cela entraine un saut dans le temps et nous rappelle que les événements sont passés bien que nous ayons l’impression de vivre les événements en même temps que l’adolescent. Cet aspect de l’écriture de Louise Erdrich rappelle un peu Faulkner. Les ressemblances avec l’écriture de Faulkner sont certes bien plus présentes dans ses autres ouvrages de par l’écriture à voix multiples, autrement dit, le récit choral mais aussi de par les sauts dans le temps et le lien entre les personnages issus de différentes générations. Malgré tout, on retrouve l’influence de cet écrivain dans Dans le silence du vent.
Il est également intéressant de noter le fait que le roman est écrit du point de vue d’un adolescent. L’adolescence est une période de développement complexe pour l’être humain. Celui-ci est à la recherche de sa personne et c’est durant cette étape de la vie qu’il se construit, réalise ses premiers choix importants et a de nouvelles expériences. Cette période parfois instable est alors cruciale pour l’équilibre futur de la personne. Louise Erdrich choisit son personnage principal et narrateur en partie pour cette raison. Le roman traite beaucoup de la psychologie de Joe avant et après que le drame ne survienne. De fait, le lecteur peut constater l’impact qu’un tel événement peut avoir pour l’entourage de la victime et surtout, pour l’enfant de celle-ci. Cela montre que le viol d’une femme ne concerne pas qu’elle mais aussi sa famille et toute une communauté.28 De plus, l’utilisation d’un personnage principal masculin pour parler de la condition des femmes amérindiennes est très importante. Afin de ne pas « réduire » son roman à un plaidoyer féministe, l’auteure fait le choix de plonger le lecteur dans l’esprit d’un garçon qui expérimente le drame familial entrainé par l’agression de sa mère. Non seulement, le sujet de la violence envers les femmes autochtones est étudié de façon plus large et peu commune grâce au ressenti de l’adolescent et au cadre familial exposé mais il est exploité depuis une autre vision qui peut sembler plus neutre que si le narrateur avait été une femme.
Enfin, hormis les nombreux termes utilisés afin de décrire la violence à la fois dans les parties narratives et les parties dialoguées, les mots issus de la langue ojibwe sont caractéristiques de Dans le silence du vent. Tout comme Naomi Fontaine, Louise Erdrich plonge le lecteur dans une culture amérindienne en mêlant deux langues. L’oeuvre originale est principalement rédigée en anglais mais des mots en langue ojibwe apparaissent tout au long du roman. Lorsque les occurrences sont isolées, ces mots sont majoritairement des termes utilisés afin de désigner des éléments n’appartenant qu’à la culture des personnages autochtones. Ils font souvent référence à des éléments considérés comme surnaturels par les cultures occidentales. Cependant, les occurrences sont parfois plus présentes. Dans ce cas, les mots ojibwe sortent de la bouche des anciens. Il s’agit une fois de plus de la démonstration de la conservation de la culture ancestrale par les aïeuls.
Dans le silence du vent est alors un tableau d’une culture amérindienne grâce à la description de la vie d’une famille vivant au sein d’une réserve imaginée et décrite par l’auteure. Cette oeuvre de fiction est, pour Louise Erdrich, un support adéquat afin de décrire la réalité des relations entre « nationaux » et autochtones ainsi que le quotidien des Amérindiens et la condition des femmes amérindiennes. Ce roman, né de la colère de l’auteure envers les injustices et les violences que subissent les communautés autochtones mais surtout les femmes issues de celles-ci, témoigne de l’impact des événements passés sur les sociétés actuelles et de la situation dans laquelle elles sont aujourd’hui. A travers la violence, la colère et le sentiment d’injustice que suscite cet ouvrage, l’auteure laisse transparaitre son grand attachement pour la culture ojibwe et le transmet au lecteur.

Eliane Potiguara et son discours militant

Biographie d’Eliane Potiguara

Eliane Potiguara, auteure de Metade cara metade máscara, est née en 1950 à Rio de Janeiro, au Brésil. Elle descend de la communauté des Potiguara. Etudiante en lettre et en enseignement, elle fit ses études à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Bien que Naomi Fontaine et Louise Erdrich s’investissent grandement dans la reconnaissance des conditions de vie des autochtones dans leurs pays respectifs, Eliane Potiguara est sans nul doute la plus engagée politiquement et socialement envers cette cause. Cette professeure et écrivaine est une femme très militante.
Elle a participé à de nombreux séminaires traitant le sujet des droits des autochtones au sein de l’Organisation des Nations Unies, d’organisations gouvernementales et d’ONGs nationales et internationales. En 1979, Eliane Potiguara a pour but de créer un réseau associatif regroupant des membres (principalement des femmes) issu-e-s de communautés autochtones et/ou souffrant de discrimination raciale et de genre. Ce projet voit le jour en 1987. Il s’agit du réseau GRUMIN, signifiant « Grupo Mulher-Educação Indígena » et se nommant aujourd’hui « Rede de Comunicação Indígena ». Sur sa page internet, l’association est présentée ainsi : “Criado em 1987, o GRUMIN promove o acesso de mulheres e homens indígenas e suas organizações, às informações, mobilizando-os, influenciando-os na formação de opiniões. Desenvolve consciências críticas mobilizando indivíduos e organizações ao “empoderamento”, buscando o exercício dos direitos humanos para o desenvolvimento socio-político-econômico do presente e do futuro de suas tradições e cultura.” Eliane Potiguara eut l’idée de créer un tel projet grâce à son parcours. Elle connaissait l’histoire de sa propre famille et pu également obtenir le témoignage d’une personne âgée vivant sur les terres ancestrales de la famille de l’auteure au sujet de la déterritorialisation de sa communauté, de la violence qu’ils durent affronter et de la difficulté à trouver sa place et son identité au sein d’un territoire en proie à de nombreux changements. Elle constata, à travers plusieurs séjours dans d’autres communautés autochtones, que le discours tenu, où qu’elle aille, était le même que celui de cette vieille personne. Le passé et le présent communs de ces groupes décida Eliane Potiguara à fonder ce réseau afin de pouvoir échanger sur les expériences de chacun et de réfléchir aux problèmes sociopolitiques, économiques et environnementaux qui se posent dans ces sociétés mais aussi, et surtout, dans leurs relations avec la société nationale. Grâce à la réalisation de ce projet, Eliane Potiguara fut comptée parmi les « Dez Mulheres do Ano de 1998 », ou « Dix Femmes de l’Année 1998 »30. En 2005, elle fut nominée parmi les « Mil Mulheres ao Prêmio Nobel da Paz »31. De plus, elle fait partie de plusieurs associations et organisations gouvernementales ou non tels que Inbrapi (Instituto Indígena Brasileiro para Propiedade Intelectual), NEArIN (Núcleo de Escritores e Artistas Indígenas do Inbrapi), Comitê Intertribal, Ashoka, dont elle a reçu un financement afin d’avoir les moyens de lutter pour ses convictions, Cônsul de Poetas del Mundo et Associação Mulheres pela Paz. Elle a également apporté son aide à l’ONU à la création de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones.

Thèmes abordés dans Metade cara metade máscara d’Eliane Potiguara

Metade cara metade máscara, ouvrage rédigé sur trois décennies, aborde de nombreux thèmes relatifs aux cultures amérindiennes et à la condition de ces sociétés souvent marginalisées. Eliane Potiguara expose au lecteur un tableau des cultures amérindiennes, ce qui l’amène à aborder le sujet des relations entre autochtones et personnes issues de la société nationale, ces dernières représentant pour elle la figure du colonisateur. Le thème de la violence est alors exposé de façon récurrente ainsi que celui des Droits de l’Homme. Enfin, le thème de la femme amérindienne et de sa condition est développé tout au long de l’ouvrage.
Caractéristique commune à Kuessipan, Dans le silence du vent et Metade cara metade máscara, l’exaltation de la culture d’origine des auteures est présente. Quand Naomi Fontaine et Louise Erdrich font référence au passé et à la culture ancestrale à travers le temps présent, Eliane Potiguara aborde principalement le passé. Elle redonne une grandeur aux cultures amérindiennes ancestrales en se remémorant l’Histoire des peuples premiers et en ravivant les valeurs et les traditions de ces cultures à travers les parties poétiques.
Elle cite des éléments issus de la biodiversité et faisant partie de la vie quotidienne des peuples amérindiens. Cela permet de décrire au lecteur l’environnement et les ressources dont les Amérindiens du Brésil disposent et cela témoigne du grand attachement de l’auteure pour la biodiversité environnante. Eliane Potiguara utilise, entre autres, des mots tels que « mandioca », « café », « jenipapo », « terra », « rios », « lagos », « montanhas ». Le lecteur se sent ainsi plongé dans l’environnement appartenant à la culture ancestrale du peuple de l’auteure.
Dans Metade cara metade máscara, l’époque de la culture ancestrale semble faire irruption dans la contemporanéité33. Elle est décrite avec admiration et avec un grand positivisme. Cette exaltation du passé contraste avec la description de l’état présent des cultures amérindiennes. Le fait que l’auteure parle du passé avec admiration, certes, mais également avec nostalgie, nous donne des indications sur le présent. Cet aspect de l’écriture d’Eliane Potiguara indique au lecteur que le présent est différent de ce passé merveilleux. L’auteure introduit également dans ses écrits des références aux sociétés amérindiennes dites « précolombiennes ». Elle évoque notamment le peuple Inca dans le texte poétique intitulé Ato de amor entre povos, texte justement dédié aux peuples autochtones d’Amérique latine ainsi qu’à Pablo Neruda34. Ce texte poétique étant un chant de Cunhataí, un des deux personnages principaux utilisés par Eliane Potiguara tout au long de l’ouvrage, traduit l’unité dans la multiplicité des peuples amérindiens. En effet, l’auteure fait référence à de nombreux lieux associés à des peuples autochtones, non pas du Brésil mais d’Amérique latine : « Amazonas », « Ilhas Galápagos », « Andes » ou encore « Potosi ». Cela signifie que le territoire délimité par la nation brésilienne n’est en rien une limite pour Eliane Potiguara. Les peuples autochtones subissent un cadre qui leur a été imposé : le territoire et ses frontières. Cependant, on remarque que malgré ce cadre territorial, les sociétés amérindiennes, bien que toutes différentes les unes des autres, restent unies dans un passé commun mais également dans un projet commun : celui de conserver leur culture et d’obtenir des droits auprès des sociétés nationales.

Ecriture de l’auteure

A la fois poétique et engagée, l’écriture d’Eliane Potiguara reflète à la perfection sa personnalité aussi bien grâce à la structure de l’ouvrage que grâce à son contenu.
Metade cara metade máscara se compose de deux préfaces, la première écrite par Daniel Munduruku et la seconde par Graça Graúna, de sept chapitres, d’une bibliographie et d’une biographie d’Eliane Potiguara. Cependant, bien que cette structure nous semble évidente, on peut remarquer que l’ouvrage est constitué d’une alternance de deux types de textes. En effet, l’auteure rédige parfois sous la forme d’un récit classique et parfois sous une forme poétique.
Il est intéressant de remarquer que le fait que les deux personnages puissent voyager dans le temps, dans l’espace et qu’ils n’aient pas d’appartenance à une tribu en particulier est très important pour l’auteure. En effet, ces éléments permettent au lecteur quel qu’il soit et d’où qu’il soit de s’identifier aux personnages. Eliane Potiguara donne ici aux populations autochtones des représentants. La voix de ces communautés peut alors s’élever et se faire entendre par le biais de Cunhataí et Jurupiranga.
De plus, ces deux personnages sont le fil conducteur de l’ouvrage. Les différentes parties de Metade cara metade máscara furent rédigées sur plusieurs dizaines d’années. L’élément constant au sein de la rédaction de l’auteure est alors la présence de Cunhataí et Jurupiranga. En outre, ces personnages amènent une touche de fiction à l’ouvrage d’Eliane Potiguara. Le fait que ce sont des personnages inventés et qu’ils puissent parcourir le temps et l’espace relève de la fiction. L’auteure prévient d’ailleurs le lecteur que l’espace peut fluctuer également : on oscille alors entre espace onirique et espace physique. L’espace onirique rappelle la transcendance déjà évoquée des peuples amérindiens. La frontière entre le monde du réel et le monde du rêve, le réel et le magique, est infime dans la culture des populations autochtones comme dans Metade cara metade máscara. On peut alors ici faire un rapprochement avec Dans le silence du vent de Louise Erdrich puisque des éléments « surnaturels » apparaissent au sein d’un récit qui, bien que fictif, semble tout à fait réel. Dans l’ouvrage d’Eliane Potiguara, les éléments fictifs peuvent être quelque peu déconcertants car cela rend l’identification du genre de ces écrits encore plus difficile qu’auparavant. L’auteure mêle ainsi de nombreux genres littéraires afin de constituer des écrits riches reflétant son identité et sa culture.
Enfin, à travers l’écriture d’Eliane Potiguara, deux éléments thématiques se détachant des autres sont à relever.
Tout d’abord, l’élément principal ressortant du texte est certainement le sentiment de révolte. Il s’agit de la révolte de peuples pacifiques, s’opposant au rejet, aux discriminations et aux injustices qu’ils subissent de la part d’un peuple arbitraire, la société nationale. Cette révolte passe par les mots d’Eliane Potiguara qui se place comme porte-parole des Amérindiens et en particulier comme porte-parole des femmes amérindiennes. L’auteure ne rejette pas l’Autre, elle demande une reconnaissance : la reconnaissance des actes passés, la reconnaissance et la légitimité des cultures amérindiennes et la reconnaissance de leurs Droits. Ce sentiment de révolte est présent tout au long du texte.
Un autre sentiment est au moins aussi présent que le précédent. En effet, l’auteure expose l’amour pour sa culture de façon très intense. Il semble que la chose la plus importante aux yeux de l’auteure soit l’amour et l’exaltation de sa culture. L’amour est principalement exprimé à travers les parties poétiques, bien que ce sentiment puisse être présent dans certaines parties de récit. Cunhataí semble être le personnage exprimant et transmettant l’amour quel qu’il soit : l’amour pour sa culture, l’amour pour la terre, l’amour charnel, l’amour universel. L’amour sous toutes ses formes est alors transmis par la femme, la femme amérindienne et ses droits étant l’objet de l’ouvrage.
L’oeuvre d’Eliane Potiguara, oscillant entre plusieurs genres littéraires, est donc très complète. Elle révèle les sentiments de l’auteure qui parle au nom de toutes les communautés amérindiennes, de toutes les femmes et par conséquent, au nom de toutes les femmes amérindiennes. L’écrivaine fait passer son message avec une force et un engagement très prononcés, ce qui rend Metade cara metade máscara très poignant.

Les sociétés amérindiennes face aux sociétés occidentales

L’histoire des relations entre les sociétés autochtones et les sociétés occidentales est parsemée de tensions et d’extrêmes conflits. Les exemples d’événements violents engendrés par la volonté des sociétés occidentales de dominer l’Autre ne se comptent pas. Les peuples amérindiens subirent la tentative de destruction de leurs cultures, les génocides, les meurtres en masse, les maladies apportées par les occidentaux, les migrations forcées, la famine, la pauvreté, parfois l’esclavage et de façon constante, la discrimination. Aujourd’hui, les communautés amérindiennes sont de plus en plus considérées comme des peuples légitimes, notamment en Amérique du nord. Quelques avancées ont lieu en faveur de l’obtention des droits de ces communautés. Cependant, le changement social considérable que représentent l’obtention de droits devant la loi, la reconnaissance des cultures amérindiennes et de leur passé douloureux, ainsi que de leur condition actuelle, demande du temps. De ce fait, les relations entre les communautés amérindiennes et les sociétés nationales sont toujours quelque peu tendues dues aux conséquences du passé sur le présent, aux différents modes de vie et à l’image que chacun des partis a de l’autre.
Tout d’abord, la notion de territoire et le concept de frontière peuvent être un sujet de discorde entre les communautés amérindiennes et les sociétés nationales. A l’origine, les peuples amérindiens ne connaissaient pas le concept de frontières. Ceux-ci vivaient en fonction des éléments issus de la biodiversité et se repéraient grâce aux rivières, aux reliefs ou au type de végétation. Or, avec l’arrivée des populations occidentales, apparaissent les frontières délimitant les territoires nationaux indépendamment des éléments environnementaux. Dès lors, les peuples amérindiens se sont situés en territoire brésilien, argentin, étasunien, canadien ou autre. Cet élément pose problème car les communautés amérindiennes vivent alors sur un territoire appartenant à une nation. La terre, qui dans la croyance des Amérindiens n’appartenait réellement à personne, tombe en possession d’une société nationale. Les populations amérindiennes ne sont alors plus en droit de vivre là où elles le souhaitent et doivent se soumettre à des migrations forcées. Il est difficile de concevoir cette idée de frontière pour les peuples amérindiens car les frontières ne faisaient pas partie de leur culture. Ils durent cependant accepter ces délimitations territoriales. Actuellement, les frontières et délimitations territoriales sont toujours source de tensions sociales, politiques, économiques et environnementales. Au Brésil, par exemple, des conflits très intenses ont lieu régulièrement au sujet du territoire. En effet, le Brésil compte parmi sa population de nombreuses communautés amérindiennes. Si certaines communautés vivant dans la forêt amazonienne n’ont jamais rencontré l’Autre, certaines autres entretiennent des relations avec la société nationale. Les conflits ont alors souvent lieu entre les communautés amérindiennes et les grands propriétaires terriens voulant disposer de la terre et de ses ressources naturelles. En effet, les enjeux politiques et économiques de la terre sont considérables pour les sociétés occidentales. On exploite les ressources que la terre nous offre dans le but de se développer économiquement. Dans un monde dominé par des puissances capitalistes et dans le contexte de mondialisation présent, les Amérindiens eux, ne semblent pas toujours avoir leur mot à dire. Les grands propriétaires terriens font pression afin que les communautés amérindiennes présentes sur les zones géographiques qu’ils veulent exploiter migrent vers un autre lieu de vie41. Ces migrations forcées sont très bien décrites dans Metade cara metade máscara d’Eliane Potiguara. Elle raconte cet événement vécu par de nombreuses communautés amérindiennes, notamment par sa famille et expose les impacts sur le présent des Amérindiens, engendrés par ces migrations et par l’intolérance de la société nationale.
Cet extrait de Dans le silence du vent établit un lien entre le concept de frontière et le domaine de la justice. Louise Erdrich dénonce l’absence de la justice lorsqu’une femme amérindienne se fait agresser. Que la personne soit amérindienne ou non et que le crime soit commis en territoire indien ou non, la justice devrait traiter l’affaire de la même façon. Or, ce n’est pas le cas. Le fait que la justice ne prenne pas en compte les affaires de viol dans les réserves est très grave. La réserve peut alors être perçue comme un lieu où tout est permis, sans loi. Par conséquent, si la violence n’est pas encouragée, elle n’est aucunement limitée. La frontière matérialise ici le passage entre le territoire de la société nationale, où justice est faite et où les lois sont à respecter sous peine de jugement, et la réserve, qui est en quelque sorte une zone de non-droit, où la violence peut s’exprimer sans que les autorités ou la justice nationales ne s’y opposent. Au sein de Kuessipan de Naomi Fontaine, les frontières occupent aussi une place. Elles sont perçues comme des éléments étrangers. L’auteure ne semble pas intégrer ce concept comme faisant partie de sa culture. Le thème du territoire et des frontières est abordé à plusieurs reprises par l’évocation des routes et des chemins reliant les lieux les uns aux autres mais aussi par l’image de la clôture contraignant les Innus à vivre dans un espace fermé, délimité par l’Autre, les coupant de la liberté. Le thème du territoire et de ses frontières naturelles ou non est un thème central dans Kuessipan. Cette question fait alors partie intégrante de la vie des Innus.
Le premier paragraphe de ce texte évoque le rapport à la notion de propriété privée que peuvent avoir les Innus. Ici, la « clôture » et la « grille haute » servent à délimiter son chez soi, à s’isoler quelque peu du reste de la communauté et à matérialiser la possession d’un terrain ou d’un bien. Cette clôture représente un premier degré de délimitation : il s’agit d’une frontière entre soi et l’Autre, cet Autre faisant pourtant partie de la même communauté.
Le second paragraphe aborde le thème de la frontière existant entre le territoire de la réserve et le territoire national, introduit par la présence de frontières internes dans le premier paragraphe. Cette partie du texte évoque l’enfermement de la communauté innue et plus généralement, l’isolement des réserves indiennes. La phrase « La clôture plantée là, un gardien contre les loups, les Innus » semble être énoncée par une personne non issue de la communauté innue. Naomi Fontaine se met dans la peau de l’Autre, d’une personne issue d’une communauté occidentale afin que le lecteur comprenne que les Innus sont parfois perçus comme une menace, un danger. L’auteure fait alors preuve de distance quant à sa communauté afin d’explorer le point de vue de la société québécoise. Il est intéressant de noter que c’est l’homme « dominant » qui voit un loup en l’homme « dominé ». Il s’agit d’un élément paradoxal puisque la menace est représentée par une communauté minoritairement peuplée, économiquement plus faible que les sociétés nationales et géographiquement isolée. On constate que les Innus « cherchent l’issue » et qu’ils « veulent fuir, là où il n’y a pas de barricades ». Les Innus sont isolés et privés de leur liberté. Ils semblent piégés dans l’enceinte de la réserve. Naomi Fontaine explique leur désir de liberté et leur besoin de vivre leur vie comme ils l’entendent. Les Innus semblent étouffer et ne pas supporter les frontières que l’Autre leur a imposées.
De plus, la phrase « La ville s’arrête où la réserve commence » illustre l’idée de ségrégation. La communauté innue et la population nationale ne se mélangent pas ou peu. Il y a peu d’interactions entre ces deux groupes de personnes. Nous pouvons noter que plusieurs formes de ségrégation entrent en jeux : une ségrégation de type ethno-raciale, une ségrégation de type spatiale et une ségrégation de type sociale.
La première raison de cette ségrégation est sans aucun doute l’origine des Innus. L’appartenance des Innus à une ethnie les différencie des Québécois. Cette différence est l’objet de la ségrégation ethno-raciale de la population de Uashat. La population « nationale » ne les reconnait pas comme faisant partie de la même société qu’eux. Les Innus et les Québécois ne semblent pas former un seul peuple mais deux communautés, très différentes l’une de l’autre et surtout, bien distinctes de par la délimitation du territoire. Uashat, la communauté de laquelle est issue l’auteure innue, se situe tout près de la ville de Sept-Îles. Ces deux lieux se trouvent dans la même zone géographique et semblent cependant être séparés47. Il s’agit d’une ségrégation spatiale. Les Innus sont isolés des Québécois, ils ne font pas partie des habitants de la ville. Lorsque la ville dont fait partie la population nationale se termine et que la réserve de Uashat apparait, nous pouvons remarquer une rupture dans le paysage. Le paysage de la réserve semble être doté d’une végétation bien moins conséquente que celui de la ville de Sept-Iles. De plus, les habitations des Innus paraissent bien plus modestes de celles des Québécois. Ces aspects de la réserve et le fait que celle-ci soit accolée à la ville donnent l’impression d’une zone de vie laissée à l’abandon. Cela reflète des différences sociales existant entre les habitants de la réserve et ceux de la ville. En effet, le niveau de vie des Innus et celui des Québécois est différent. Les populations amérindiennes ont très souvent un pouvoir économique moindre à celui des populations nationales. Naomi Fontaine témoigne de la pauvreté dans laquelle vivent les Innus. Ils vivent avec très peu de moyens et avec la violence que la pauvreté engendre. A la ségrégation ethno-raciale et spatiale que subissent les Innus, s’ajoute une ségrégation sociale. La raison première de ségrégation étant de type ethno-raciale, on peut émettre l’hypothèse que les ségrégations spatiale et sociale en sont des conséquences.
L’extrait ci-dessus tiré de Dans le silence du vent témoigne de la haine d’un personnage blanc, celui de l’agresseur, envers les Amérindiens. Ce personnage semble complètement instable psychologiquement. Cet élément contraste avec le fait que les Amérindiens aient été considérés,en particulier par le passé, comme dans l’incapacité d’être responsable et de comprendre le mode de vie des sociétés occidentales. Eliane Potiguara commente cet aspect de l’imaginaire collectif des occidentaux autour de la figure de l’individu autochtone. Elle dénonce d’ailleurs le fait que l’Amérindien soit infantilisé par la société brésilienne qui ne l’estime pas capable d’être responsable en tant qu’Homme. De ce fait, ils sont considérés comme des personnes mineures devant la loi et ne sont donc pas libres de prendre leurs propres décisions. Eliane Potiguara dénonce le « paternalisme » du gouvernement brésilien envers les autochtones49. Dans Dans le silence du vent de Louise Erdrich, l’instabilité psychologique du personnage de Linden Lark ainsi que les permanentes interventions de sa mère dans la vie de celui-ci reflètent l’image de l’Amérindien « incapable » de se gérer et par conséquent, d’être responsable de lui-même. Les rôles sont alors inversés et les stéréotypes sont renversés. En outre, le personnage de l’agresseur se déclare lui-même comme étant victime des Amérindiens. Il retourne la situation en prétendant que le plus faible domine le plus fort. Il reconnait l’Amérindien en la figure du faible et l’Occidental en la figure du fort mais assure que le faible écrase le fort. Il se sent lésé face aux Amérindiens, ces derniers lui « [volant] son honneur ». Il veut rétablir ce qui est pour lui la « normalité », c’est-à-dire une hiérarchie imposant à l’Amérindien la figure du faible dominé par un dominant. Le racisme est ici très présent puisque, par définition, ce terme désigne l’idéologie selon laquelle une race serait supérieure à une autre.

La condition sociale de la femme amérindienne

La condition sociale de la femme amérindienne diverge de celle des communautés amérindiennes. En effet, un facteur de plus intervient au moment de la considération de sa condition : le sujet est une femme. Le genre apparait alors comme un facteur décisif de la condition sociale d’un individu et de ses relations avec l’Autre. Naomi Fontaine, Louise Erdrich et Eliane Potiguara s’attardent toutes trois sur cette question, elles-mêmes étant femmes amérindiennes.
Tout d’abord, il convient d’étudier la question de la condition de l’Amérindienne au sein de sa propre communauté. Nous pouvons constater que Louise Erdrich et Eliane Potiguara évoquent la relation entre la femme et la terre, rappelant l’image de la « Terre Mère »54. Louise Erdrich établit un lien entre Géraldine et la nature à plusieurs reprises. Juste avant que Joe et son père ne découvrent Géraldine en état de choc après que son agression soit survenue, Joe commente les plants de fleurs que sa mère a repiqués. Il s’agit de pensées, selon Joe « la seule fleur qui supportait une gelée » (Erdrich, 2013 : 16). Cette phrase ne semble pas s’appliquer uniquement aux pensées. Elle acquiert une autre dimension lorsque l’on pense à l’histoire de Géraldine, cette femme amérindienne qui malgré le traumatisme subit, réussira à se relever. De plus, lorsque Géraldine va mal, Joe et son père plantent des fleurs dans le jardin afin qu’elle se remette du choc. Ils mettent donc le personnage de la mère en relation avec la nature, octroyant à la nature un pouvoir curatif. La figure de la femme amérindienne, notamment celle de la mère de famille, est alors associée à la biodiversité et à la terre. Eliane Potiguara évoque, elle, de façon très explicite la relation existant entre la femme amérindienne et la terre. Cette relation apparait dans Metade cara matade máscara comme une certitude, une évidence et un fait irrévocable. L’auteure y fait référence au sein des poèmes (par exemple « Terra-Mulher » ou « Terra cunhã » p. 73-74), qu’elle consacre à ce sujet mais aussi au sein du récit. Pour l’auteure, la femme amérindienne et la terre sont réellement liées. Si l’homme maltraite la terre, la femme souffre et s’il maltraite la femme, la terre est elle aussi victime de cette maltraitance. La femme amérindienne et la terre préservent toutes deux la vie. Elles sont ainsi perçues par leurs communautés.
Les femmes amérindiennes possèdent également une autre caractéristique commune décrite à la fois dans Kuessipan de Naomi Fontaine et dans Metade cara metade máscara d’Eliane Potiguara. En effet, les deux auteures abordent le sujet des grossesses précoces chez les Amérindiennes. Naomi Fontaine fait de nombreuses références à ce fait social et y consacre même plusieurs textes.
En premier lieu, nous pouvons remarquer que parmi les nombreux portraits de femmes amérindiennes issus des récits des trois auteures, bon nombre de ces figures féminines ont la valeur du travail. Dans Kuessipan de Naomi Fontaine, par exemple, la grand-mère est décrite comme une figure de courage. Il s’agit d’une femme très active. Un texte est consacré à cette femme, tout comme un autre texte est consacré à son grand-père. Il est cependant intéressant de noter le fait que l’auteure ne décrit pas son grand-père et sa grand-mère de la même façon. La principale différence entre ces deux textes est la description des occupations de chacun des personnages. Dans le premier cas56, il s’agit du grand-père de l’auteure, qui est donc un homme. Il s’affaire à chasser, à fabriquer des objets, à étudier la nature et les animaux et à penser à sa femme décédée, à ses terres et à des questions existentielles telles que la vie et la mort. Le grand-père est alors plutôt décrit en fonction de sa personnalité ou de ce qu’il aime. Dans le second cas, le texte concerne la grand-mère de l’auteure, qui est donc une femme. Cette femme semble ne jamais cesser de travailler. Elle a eu dix-neuf enfants, s’occupe de ses petits-enfants, coud, brode, entretient la maison, fait la cuisine, … Elle n’est pas décrite en fonction de ce qu’elle aime faire mais en fonction de ce qu’elle fait. Le travail semble alors être une affaire de femme. Elles possèdent cette valeur. Néanmoins, cet aspect peut se révéler être un indicateur de l’organisation sociale de la communauté amérindienne dont est issue Naomi Fontaine. La femme serait ici plus perçue comme encline à travailler que l’homme. Le texte ci-dessous, autre texte de Kuessipan, tendrait à cette affirmation.

 

 

 

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Remerciements 
Introduction 
I – Trois auteures, trois femmes, trois Amérindiennes : le pouvoir d’une écriture au féminin 
1 – Naomi Fontaine et l’originalité de son récit
1.1 Biographie de Naomi Fontaine
1.2 Thèmes abordés dans Kuessipan de Naomi Fontaine
1.3 Ecriture de l’auteure
2 – Louise Erdrich et la force de son roman
2.1 Biographie de Louise Erdrich
2.2 Thèmes abordés dans Dans le silence du vent de Louise Erdrich
2.3 Ecriture de l’auteure
3 – Eliane Potiguara et son discours militant
3.1 Biographie d’Eliane Potiguara
3.2 Thèmes abordés dans Metade cara metade máscara d’Eliane Potiguara
3.3 Ecriture de l’auteure
II – Littérature et société : combats de femmes
1 – Entre conflits et dialogue : la place de l’Amérindienne dans les sociétés autochtones et occidentales
1.1 Les sociétés amérindiennes face aux sociétés occidentales
1.2 La condition sociale de la femme amérindienne
2 – La femme amérindienne, gardienne de la mémoire
2.1 Préserver et reconstruire ses référents identitaires : l’Amérindienne, pilier de la communauté
2.2 Transmettre la mémoire culturelle : l’Amérindienne porteuse de vie
3 – La femme amérindienne, figure de la résistance
3.1 L’Amérindienne, actrice du présent, constructrice de son futur
3.2 Ecriture et engagement
Conclusion 
Bibliographie
Webographie 
Annexes 

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *