Essai de portrait collectif
Essayons tout d‟abord de savoir qui sont les entomologistes bretons. Il est entendu que si certaines caractéristiques sociales les rassemblent peut-être, d‟autres, au contraire, doivent montrer la diversité de parcours qui se cache derrière le dénominateur commun qu‟est leur centre d‟intérêt partagé. Que pouvons-nous dire de leur sexe, de leur âge ou des éventuelles traditions familiales qui les ont influencés ? Leur activité professionnelle, leur niveau de vie et leur position sociale sont autant d‟éléments qui ont pu jouer sur leur positionnement dans la sociabilité savante locale et plus largement, dans les réseaux naturalistes. Leur nombre, suivant les époques et leur répartition géographique, a nécessairement influé sur leur capacité à se côtoyer et à échanger. L‟analyse quantitative de tous ces aspects, agrémentée d‟exemples concrets, nous permettra de dresser un portrait collectif, préalable requis pour la compréhension des différents niveaux de mise en réseau de nos entomologistes. Reprenons donc à notre compte la réflexion de Jean-Pierre Chaline qui cherche à caractériser « l‟homme des sociétés savantes »1, en essayant, sur notre terrain d‟étude, de définir l‟homme qui pratique l‟entomologie.
L’ « homme entomologiste »
La formule manque peut-être d‟élégance, mais elle a ceci de pertinent que « l‟homme de l‟entomologie » est bien un homme. Évacuons d‟emblée la question du sexe : l‟entomologie en Bretagne au XIXe siècle est masculine, sans conteste. Au cours de nos dépouillements, nous n‟avons pu relever, en tout et pour tout, que la mention de huit femmes. Et encore, nous ne pouvons pas attester la pratique d‟une véritable activité entomologique dans chaque cas. Ces femmes restent d‟ailleurs souvent assez énigmatiques : nous n‟avons pu apprendre que très peu de choses à leur sujet. Nous les énumèrerons ci-après par ordre chronologique d‟apparition dans les sources.
La première Bretonne à être citée pour un fait entomologique est une certaine mademoiselle Lanveur, dont nous ne savons rien d‟autre que sa prise d‟un « Sphinx phénix […] à Quimper le 1er octobre 1834 »2. Bien plus tard, en 1879, le coléoptériste Ernest Hervé (1836-1914) entretient l‟auditoire de la Société d‟études scientifiques du Finistère du résultat de l‟élevage d‟un bombyx exotique Ŕ « Attacus Yama Maï » Ŕ entrepris par Mme Rigolage3. Celle-ci, qui était probablement la femme du principal du collège de Morlaix4, n‟a laissé aucune autre trace d‟élevages ou d‟une quelconque autre forme d‟attachement aux insectes. Mlle P. Leroy semble, quant à elle, avoir eu dans les années 1890 une activité entomologique régulière en tant que collaboratrice de l‟abbé Jules Dominique pour qui elle capture des hyménoptères et des hémiptères à de nombreuses reprises5. Peut-être résidente à Saint-Brevin, localité de la majorité de ses découvertes, elle prospecte alors dans plusieurs communes de la Loire-Inférieure, et même au moins une fois dans le Morbihan. Une mystérieuse « Mlle Inauen » est citée dans un article de 1903 pour avoir capturé au moins une espèce de papillon Ŕ « Eurycreon asinalis Hb. » Ŕ lors d‟une chasse à la miellée à Pornichet. En 1924, Mme Aubry, à Dinan, collectionne les coléoptères et recherche des insectes exotiques qu‟elle propose d‟échanger contre ses spécimens « gallo-rhénans »8. Mme Febvay du Couëdic est citée en 1930, elle est désignée comme accompagnatrice de son fils André, lépidoptériste costarmoricain, pendant ses vacances dans le sud de la France et chasse les papillons en sa compagnie9. Maryvonne Cazalet, une nazairienne « Diplômée d‟Études Supérieures des Sciences Naturelles » publie en 1935 un article conséquent, intitulé « Recherches
bionomiques sur l‟estuaire du Frémur (Limite des Côtes-du-Nord et de l‟Ille-et- Vilaine) »10, dans lequel il est notamment question de plusieurs insectes. Enfin, avec Mlle Hubert, cette courte liste se clôt déjà. Celle-ci est d‟ailleurs la première à intervenir publiquement pendant la séance d‟une société savante bretonne sur un sujet entomologique. Elle présente en effet à la SSNOF, le 4 novembre 1937, une communication au sujet de hannetons capturés le mois précédent. Jean-Pierre Chaline, dans son essai sur les sociétés savantes du XIXe siècle n‟évoque pas la question féminine, ce qui pourrait corroborer l‟idée de l‟absence des femmes dans ce type de milieux. Caroline Barrera confirme cette hypothèse à travers l‟exemple de la sociabilité savante de la région toulousaine dans les deux premiers tiers du XIXe siècle ; elle conclut en effet que l‟ « intégration […] des femmes n‟est pas encore à l‟ordre du jour »13. Mais Patrick Matagne, montre qu‟à une époque un peu plus tardive et dans un contexte plus proche du nôtre, la proportion de femmes actives au sein de la Société botanique des Deux-Sèvres atteint 14% à son maximum en 190114. Il précise d‟ailleurs que celles-ci sont surtout des enseignantes. Il ne reprend pas cet exemple, cela dit, dans sa synthèse sur les naturalistes français : en fait, il n‟y dit pas un mot de cette question, manquant peut-être d‟éléments pour tirer des conclusions générales sur la place des femmes dans l‟étude des sciences naturelles.
Nos relevés, basés sur un nombre de données beaucoup trop faible pour autoriser des conclusions strictes, semblent montrer une relative augmentation du nombre de femmes ainsi qu‟une plus grande mise en avant de leurs travaux à la fin de la période étudiée. Même si quelques unes ont échappé à notre vigilance, ou aider leur mari dans leur pratique entomologique sans être mentionnées dans les sources, il est en revanche indubitable que le rôle qu‟elles ont joué dans le développement de l‟entomologie en Bretagne est resté marginal tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
L’entomologie, une passion de jeunesse ?
Il n‟est pas évident de connaître l‟âge moyen à partir duquel tous ces entomologistes ont commencé à s‟intéresser aux insectes. Les sources permettant de dater avec précision le début de l‟activité entomologique de tel ou tel passionné sont rares. Il est assez exceptionnel de disposer de témoignages tels que celui de Joseph- Henri Dehermann-Roy (1845-1929), lépidoptériste nantais qui nous apprend avoir commencé à s‟intéresser aux papillons à l‟âge de 23 ans. Des informations indirectes, comme celles contenues dans le rapport d‟admission à la SEF du militaire Ernest Pradier (1813-1875), entomologiste né à Lorient et ayant notamment résidé à Rennes, qui nous permettent de situer vers l‟âge de 25 ans le début de son activité entomologique ne sont pas beaucoup plus fréquentes. Nos sources sont donc peu explicites à ce sujet et nous renseignent souvent « en creux ». Malgré tout, dans le cas de 125 individus, nous disposons à la fois de leur année de naissance et d‟une date à laquelle nous pouvons attester qu‟ils s‟adonnaient déjà à l‟entomologie.
Au moins 65 d‟entre eux (52%) étudiaient déjà les insectes à l‟âge de 35 ans. Environ un quart (32 personnes) avaient d‟ailleurs commencé avant l‟âge de 25 ans ; et, dans plus de 12 cas (9,6%), c‟est à l‟adolescence, avant l‟âge de 16 ans, qu‟ils s‟étaient pris de passion pour ces invertébrés. Nous pouvons même citer parmi ceuxci quelques enfants. Ainsi, Gabriel Revelière (1896-1963), de Saint-Nazaire, est présenté à une séance de la SSNOF en 1905 comme « un jeune entomologiste de neuf ans » qui a « trouvé en nombre à Quiberon pendant les étés 1904 et 1905 » « un […] coléoptère intéressant pour la faune bretonne : Geotrupes pyrenaeus Sharp. »19. De même, Jean Cherel (1904-1989), Rennais quant à lui, était selon ses descendants tellement passionné par l‟entomologie « que, tout enfant, à l‟âge de 9-10 ans, il s‟enhardit à rendre visite à Monsieur Léon Bleuze, entomologiste déjà âgé qui demeurait à Rennes ».
Il est évident que la proportion de jeunes entomologistes serait beaucoup plus importante si nous disposions pour chaque individu de la date de son initiation à l‟étude des insectes. En effet, c‟est trop souvent la seule présence dans une liste d‟abonnés, la mention de quelques dates de captures d‟espèces particulières ou d‟une proposition d‟échanges parue dans une revue qui nous informe de l‟existence d‟un entomologiste : autant d‟indices qui renseignent mal sur les débuts de celui-ci.
D‟ailleurs, dans le cas des passionnés dont la première mention d‟activité correspond à un âge avancé, aucun élément ne permet de penser que leur penchant pour les invertébrés était récent à ce moment-là. Si certains ont commencé à étudier les insectes pendant leurs vieux jours, ils devaient être fort rares.
Les entomologistes tomberaient donc « dans le bain » assez jeunes. Si le fait ne parait guère surprenant, il est difficile de le mettre en perspective au moyen d‟autres études sur des sujets proches. Patrick Matagne n‟en dit mot dans son essai de synthèse sur les naturalistes français21 et nous n‟avons pas connaissance de recherches historiques s‟intéressant à l‟âge des naturalistes. Les entomologistes participant souvent à la sociabilité savante locale, nous pouvons essayer de confronter nos résultats à ceux que fournit Jean-Pierre Chaline dans une étude sur les sociétaires des cercles d‟érudits au XIXe siècle en France22. Il nuance une « idée communément admise [qui] est qu‟ils sont plutôt vieux23 » : si l‟âge moyen des membres est souvent assez élevé, il montre que nombre d‟entre eux ont été admis au sein des sociétés bien auparavant ; il n‟était pas rare de voir des hommes de moins d‟une trentaine d‟années au sein de tels cercles. Dans son étude locale sur la Société académique de Nantes au XIXe siècle, qui nous concerne un peu plus directement puisque quelques-uns des entomologistes de notre corpus en étaient membres, Catherine Blanloeil prouve quant à elle la relative jeunesse des sociétaires de ce cercle : 52,8% d‟entre eux ont en effet été admis avant l‟âge de 35 ans et même 6% avant l‟âge de 25 ans.
Ces conclusions viennent appuyer nos résultats. L‟entomologie impliquant beaucoup de sorties sur le terrain, on peut penser qu‟elle est plus à même de séduire les jeunes hommes que la pratique de certaines autres disciplines « d‟intérieur »ayant droit de cité au sein des sociétés savantes. Rien d‟étonnant, donc, à ce que cette activité naturaliste ait eu des adeptes qui s‟y sont souvent adonnés encore plus jeunes que la moyenne des membres de sociétés savantes plus généralistes.
Découvrant les insectes à un âge souvent assez jeune, « nos » entomologistes peuvent être confortés dans l‟exercice de leur activité en étant encouragés soit par leur famille soit par leurs pairs lorsqu‟ils fréquentent les sociétés savantes locales. Parfois, donc, ce sont les parents qui initient leurs enfants à l‟entomologie. Dans la famille nantaise Bourgault-Ducoudray, le père, Louis-Henri (1805-1877) emmène son jeune fils Louis-Albert (1840-1910) sur le terrain avec lui dès avant l‟âge de 13 ans, puisque Prosper Grolleau relate une excursion faite en leur compagnie en 1853, qualifiant l‟enfant de « jeune amateur ». Louis-Albert Bourgault-Ducoudray se prend au jeu, puisqu‟il suit la voie de son père en devenant membre de la SEF en 1858. Le Brestois Arthur Bavay (1840-1929), abonné à plusieurs revues entomologiques, est aussi imité par son fils René qui, en 1892 alors qu‟il est étudiant, publie des offres d‟échange de coléoptères dans la Feuille des jeunes naturalistes. Chez les Revelière, c‟est peut-être même le grand-père, Jules (1831-1907), résidant à Blain, qui initie, peu avant son décès, son petit-fils nazairien Gabriel à la capture des coléoptères. Le réseau familial peut être vecteur d‟encouragement même quand il ne compte pas d‟entomologistes en son sein. Ainsi, quand l‟oncle des frères Ollivry, M. Grassal, leur offre un papillon attrapé à l‟aide de son chapeau lors d‟une partie de chasse28, il les conforte implicitement dans leur passion des insectes. Le père de Bertrand Couraye, quant à lui, ne semble pas s‟intéresser aux insectes quand son fils, de 16 ans « offre contre des lépidoptères ou des minéraux, des staurotides du Morbihan » dans la Feuille des jeunes naturalistes en 188629. Mais, en tant que principal du collège de Josselin, il encourage probablement son fils dans « le goût des études sérieuses »à fort potentiel éducatif que celui-ci développe en constituant sa collection entomologique.
Distribution spatio-temporelle des entomologistes bretons
La fin du XIXe siècle, « âge d’or » de l’entomologie
Si le nombre de personnes s‟adonnant aux joies de l‟entomologie n‟a pas été homogène entre 1800 et 1939, il n‟a pas non plus toujours été crescendo.
Dans le premier tiers du XIXe siècle, quelques Nantais seulement s‟affairent, autour du pionnier Julien-François Vaudouer (1775-1851) qui consacre une grande part de sa vie à l‟entomologie. Celui-ci reste quand même assez seul, puisque ses principaux correspondants vivent en dehors de la région, à Noirmoutier ou à Paris121. En dehors de cette ville, l‟entomologie n‟a pas encore commencé à percer en Bretagne, à quelques exceptions près. Ainsi, dans les années 1820, le futur notaire Armand Taslé, naturaliste tous azimuts bien que surtout botaniste, crée avec quelques amis la Société polymathique du Morbihan. Mais a-t-il déjà, alors, commencé à identifier les papillons de ce département dont il communiquera bien plus tard une liste de 290 espèces à William-John Griffith ? En tout cas, un peu plus tard, en 1839, il est certain que le tout nouveau sous-préfet d‟Ancenis, Prosper Grolleau, a déjà commencé à tenir ses cahiers d‟élevage de chenilles depuis plusieurs années.
Dans le Finistère, le chevalier de Fréminville et Émile Souvestre publient à tour de rôle, au milieu des années 1830, une liste des insectes présents dans le département du Finistère. Le grand nombre de papillons énumérés par le deuxième auteur prouve d‟ailleurs sa connaissance réelle de ces insectes. Cela dit, même s‟il a fréquenté des collectionneurs et sans doute collectionné lui-même, la place de l‟entomologie parmi les préoccupations de ce littérateur bien connu qui s‟intéresse à tout reste sans doute assez modeste : vraisemblablement celle d‟un support parmi d‟autres de sa curiosité encyclopédique. Sa publication n‟est d‟ailleurs pas suivie d‟une poussée de l‟activité entomologique dans le département.
Il faut donc attendre un peu pour percevoir un frémissement en ce domaine. C‟est encore dans la région nantaise qu‟il a lieu, à la fin des années 1840, avec le lancement d‟un catalogue des lépidoptères de Bretagne impulsé par Édouard Bureau et une bonne dizaine de naturalistes de la ville126. Ici et là en Bretagne, plusieurs éléments permettent de se rendre compte que l‟entomologie commence à faire de nouveaux adeptes… Mais c‟est véritablement dans le dernier tiers du XIXe siècle que leur nombre va littéralement exploser entomologique.
La figure ci-dessus montre bien, en effet, que les années 1860 à 1900 (et en particulier les années 1875 à 1900) sont le théâtre d‟une intense activité chez les entomologistes bretons. Les articles fleurissent, et les propositions de relations pour échanges d‟insectes n‟ont jamais été aussi abondantes dans les revues nationales dont le nombre, lui aussi, augmente sans discontinuer. Entre 1800 et 1900, on assiste donc à une croissance constante du nombre d‟entomologistes dans toute la région. Celle-ci ne dure cependant plus guère par la suite. En effet, au cours des dernières décennies de notre période d‟étude, le nombre de nouveaux passionnés décroît légèrement, même s‟il reste important, puis stagne jusqu‟au début de la Deuxième Guerre mondiale.
On pourra toujours objecter que ces résultats sont biaisés par le fait que, disposant d‟un plus grand nombre de sources pour le dernier tiers du XIXe siècle, il est logique que nous y repérions plus d‟amateurs d‟insectes. Mais cette abondance des revues spécialisées et autres bulletins de sociétés savantes n‟est-elle pas aussi le reflet du dynamisme entomologique de l‟époque ? En tout cas, il semble que nous puissions rapporter le déclin du nombre de nouveaux entomologistes en Bretagne que nous constatons à partir du début du XXe siècle à une tendance qui touche les naturalistes au niveau national. C‟est ce que conclut Jean-Pierre Chaline, qui constate pendant l‟entre-deux-guerres « la désaffection qui frappe les groupes de naturalistes, la veille encore très nombreux à se former ». La compréhension de cette évolution chronologique ne peut être dissociée de l‟analyse de la localisation géographique de ces individus puisqu‟elle est souvent liée aux dynamiques locales.
Une entomologie ligérienne et urbaine
La répartition géographique des entomologistes est très hétérogène au niveau régional : suivant les départements, les proportions peuvent varier de plus de un à dix. L‟activité entomologique est toujours restée anecdotique dans le département des Côtes-du-Nord. Les entomologistes s‟y comptent sur les doigts des deux mains sur un siècle et demi, et encore ! En dehors de deux lépidoptéristes, Paul Mabille (1835-1923) et André Febvay du Couëdic (1909-1936), actifs à près d‟un demi-siècle d‟écart, et du coléoptériste Emmanuel Chiron du Brossay (1839-1910) qui a résidé pendant un temps à Plérin128 et y a collecté entre autres le carabique Aëpus robini1, nous ne savons quasiment rien des autres dont nous avons relevé les noms ! Mabille, spécialiste des Hesperiidae, a découvert plusieurs noctuelles des dunes non loin de Dinan130 où il résidait, jeune professeur, avant de quitter la Bretagne en 1863. Quant à Febvay du Couëdic, qui habitait Saint-Brieuc avant son décès accidentel en 1936, il s‟est illustré par plusieurs notes dans l’Amateur de papillons et a beaucoup collecté en Bretagne.
Dans le Finistère et le Morbihan, l‟étude des insectes reste le fruit d‟un nombre de personnes assez faible, bien qu‟incomparable avec celui des Côtes-du-Nord : on connaît une trentaine d‟entomologistes sur la totalité de la période dans chacun de ces deux départements. Rien de comparable non plus avec les deux départements que nous n‟avons pas encore cités. En effet, la Loire-Inférieure, et, dans une moindre mesure, l‟Ille-et Vilaine, concentrent un nombre très important de passionnés d‟insectes : ce sont près des trois quarts (72,2%) des entomologistes de Bretagne qui y ont vécu !
Des réseaux d’entomologistes
L‟entomologiste, comme tout être social, a souvent besoin d‟être en contact avec ses pairs. Pour pouvoir interagir avec leurs homologues au sujet de leurs préoccupations disciplinaires, les entomologistes bretons s‟organisent au sein de réseaux naturalistes. Nicolas Robin montre que le lorrain Jean-Baptiste Mougeot développe son réseau régional de botanistes principalement en dehors des sociétés savantes, même s‟il est responsable de la section botanique de la Société d‟émulation des Vosges qui semble peu dynamique en ce qui concerne les sciences naturelles.
Plus proche de notre propos, au contraire, le phytoécologue Émile Gadeceau (1845 Ŕ 1928), décrit par Christian Perrein, s‟investit beaucoup que ce soit à la Société académique de Nantes, à la société d‟horticulture3 ou à la Société des sciences naturelles de l‟ouest de la France. Le rapport des naturalistes aux organisations érudites de leur région semble donc assez disparate, sans doute suivant la place que celles-ci laissent aux spécialités de ceux-là. Comment les entomologistes bretons investissent-ils la sociabilité savante locale pour en tirer parti dans des villes comme Nantes ou Rennes où elle est bien présente ? Comment font-ils, par ailleurs, pour entrer en contact avec d‟autres passionnés en l‟absence d‟association adéquate aux environs de leur lieu de résidence ? En dehors des réseaux locaux, impliquant des relations physiques régulières, ils peuvent avoir besoin d‟être en contact avec leurs homologues à une échelle géographique plus large. Lorsque Chantal Boone décrit les réseaux dans lesquels s‟insère l‟entomologiste landais Léon Dufour au début du XIXe siècle, elle observe une dichotomie entre son investissement à Saint-Sever et ses rapports aux naturalistes d‟autres villes de France. Il fréquente régulièrement les érudits locaux, notamment de par son exercice de la médecine, mais réserve la primauté de ses découvertes entomologiques aux milieux scientifiques parisiens, Bordeaux, la ville savante dont il est le plus proche, ne tenant qu‟une place limitée dans son réseau national. Le rôle de la capitale dans les réseaux nationaux est-il aussi prépondérant plus tard dans le siècle, à l‟âge d‟or de l‟entomologie bretonne ?
Les différences d‟utilisation des réseaux locaux et des réseaux nationaux sont-elles aussi tranchées chez les passionnés d‟insectes bretons que dans le cas de Léon Dufour ? Comment leurs réseaux s‟imbriquent-ils et se différencient-ils en fonction des aspects de la discipline entomologique qui motivent le plus tel ou tel individu ?
Ce sont quelques-unes des questions auxquelles nous allons dorénavant essayer de répondre.
Nantes, une ville d’entomologistes
Du début du XIXe siècle à 1890
À Nantes, au début du XIXe siècle, les rares personnes qui s‟occupent d‟entomologie entretiennent déjà quelques liens, nous l‟avons déjà dit, autour de Julien-François Vaudouer. Mais ces rapports ne sont pas formalisés, et les structures qui pourraient éventuellement entretenir une dynamique ne le font pas. La Société académique de Nantes existe depuis 1818, et est même, de fait, plus ancienne puisqu‟héritière de l‟Institut départemental de la Loire-Inférieure qui a fonctionné sous diverses appellations dès la fin du XVIIIe siècle. Cette société savante à ambition polymathique s‟occupe pourtant bien peu d‟histoire naturelle au début de son existence, et sûrement pas d‟entomologie. De manière générale, l‟étude de la faune est « rattachée à la médecine dans [son] programme. C‟est le parent pauvre des recherches nantaises en sciences naturelles. La zoologie est d‟abord conçue dans ses rapports avec l‟agriculture »6, voire même totalement réduite à ces rapports. M. Le Boyer, président de la SAN, le reconnaît de manière éloquente lors du discours qu‟il prononce en 1821 : « Quant à la zoologie, on s‟en occupe peu dans notre département. A l‟exception des primes d‟encouragement accordées pour les plus beaux chevaux, on ne fait rien pour améliorer les races d‟animaux champêtres ».
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Table des matières
Remerciements
Liste des principales abréviations utilisées
Introduction
Chapitre 1 Ŕ Essai de portrait collectif
I – L‟ « homme entomologiste »
II – L‟entomologie, une passion de jeunesse ?
III Ŕ Entomologie, vie professionnelle et position sociale
IV Ŕ Distribution spatio-temporelle des entomologistes bretons
A Ŕ La fin du XIXe siècle, « âge d‟or » de l‟entomologie
B Ŕ Une entomologie ligérienne et urbaine
Chapitre 2 Ŕ Des réseaux d‟entomologistes
I Ŕ Nantes, une ville d‟entomologistes
A Ŕ Du début du XIXe siècle à 1890
B Ŕ Après 1890 : le rôle animateur et structurant de la Société des
sciences naturelles de l‟Ouest de la France
II Ŕ Le pôle entomologique rennais
III Ŕ Les réseaux d‟entomologistes dans les autres villes bretonnes
IV Ŕ Les Bretons dans les réseaux nationaux
A Ŕ La Société entomologique de France, une organisation incontournable ?
B Ŕ Des réseaux nationaux de différentes natures
Chapitre 3 Ŕ Travaux et pratiques
I Ŕ Les groupes taxonomiques étudiés
A Ŕ L‟étude très majoritaire des coléoptères et des lépidoptères
B Ŕ Les recherches dispersées sur les autres ordres d‟insectes
C Ŕ La question de la spécialisation
II Ŕ Les différents types de travaux réalisés
A Ŕ Des catalogues départementaux aux idées écologistes
B Ŕ Les autres types de travaux menés par les entomologistes
III Ŕ L‟entomologiste, un homme de terrain et de laboratoire
Conclusion
Sources
Sources manuscrites
Archives de la Société entomologique de France
Archives nationales
Archives départementales du Finistère
Archives départementales du Morbihan
Archives départementales de la Loire-Atlantique
Archives municipales de Nantes
Archives municipales de Rennes
Bibliothèque de Rennes-Métropole
Autres sources manuscrites
Sources imprimées
Périodiques
Ouvrages et articles importants
Collections entomologiques .
Sources orales
Bibliographie
Histoire de l‟entomologie et des entomologistes
Histoire des sciences et des naturalistes
Sommaire
Annexe : Liste des entomologistes bretons entre 1800 et 1939
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