Enseigner la conception en technologie au collège

Enseigner la conception en technologie au collège

Depuis les travaux de la COPRET (Levrat, 1992), l’enseignement de la technologie s’est construit en France sur une mise en tension de trois orientations distinctes, pouvant être complémentaires mais également concurrentes : (i) modélisation technique versus sciences et technologies industrielles (Longeot & Jourdan, 1981), (ii) pratiques sociales de référence (Lebeaume, 1999; Martinand, 1989) et (iii) compréhension du monde des objets techniques (Deforge, 1985; Ginestié, 1999a; Simondon, 1989a). Si l’enjeu essentiel de tout système éducatif est de permettre aux élèves d’accéder à la compréhension de leur environnement technologique, c’est cette dernière entrée qui semble la plus riche pour organiser l’enseignement de la technologie.

La conception d’un objet occupe cette place particulière qui donne un sens social aux processus de fabrication en les inscrivant dans les organisations sociales des usages de cet objet et de ses usagers (Barlex & Trebell, 2008; Benson & Lunt, 2009; Ginestié, 2010b). Elle constitue une passerelle qui lie les choix techniques d’obtention du résultat avec les intentionnalités humaines portées par la demande réelle ou construite des usagers (Lebahar, 2009). En ce sens, concevoir un objet relève de ce processus complexe qui consiste à prévoir une matérialité à un objet qui n’existe encore que dans l’esprit de ceux qui le conçoivent (Lebahar, 2008). Ainsi, le mode d’existence des objets techniques repose en grande partie sur la capacité à organiser l’activité humaine en l’orientant vers une fin, celle de produire un objet (Lebahar, 2009; Vérillon & Andreucci, 2006).

Il était donc légitime que tous les systèmes éducatifs ayant inscrit l’éducation technologique dans le champ de leurs enseignements scolaires aient mis en œuvre des curricula qui donnent une place importante à la conception (M. De Vries, 2006; M. De Vries & Mottier, 2006). C’est le cas en France dans l’enseignement de la technologie au collège (Lebeaume, 2008). Dans ce premier chapitre, nous examinerons les fondements épistémologiques qui organisent cet enseignement scolaire afin d’entendre en quoi l’identification des savoirs en jeux est déterminante pour comprendre quelques éléments du processus d’enseignement-apprentissage à l’œuvre ici.

Comprendre le monde des objets techniques

Mode d’existence des objets techniques

Considérer l’éducation technologique comme le lieu de construction de savoirs qui facilitent la compréhension du monde des objets techniques qui peuplent l’environnement familier ou non des élèves relève pour partie de la compréhension du mode d’existence de ces objets et de leur usage. Il s’agit comme l’indique Simondon, (1989a), de réintroduire la réalité technique dans la culture. La technique et précisément les objets techniques ne constituent pas un monde à part avec une existence propre que l’on pourrait dissocier de la culture. Pour Simondon, « la culture est déséquilibrée car elle accorde à certains objets, comme l’objet esthétique ou l’objet sacré, un droit de cité dans le monde des significations alors qu’elle refoule d’autres objets ». Les objets techniques n’auraient pas de significations mais seulement un usage, une fonction utile (Barthelemy, 2005; Carbone, Fielding, Simondon, & Merleau-Ponty, 2005). Simondon (1989a) réfute cette opposition entre la culture et la technique qui n’est que le résultat de l’ignorance des enjeux et des défis que représentent les objets techniques pour les hommes. (Simondon, 2005a, 2005b, 2006).

Poursuivant l’œuvre de Simondon en examinant la portée d’un point de vue éducatif, Deforge (1985), influencé en ce sens par les outils de l’approche systémique qui se généralisaient dans les enseignements technologiques universitaires et au-delà, propose de développer et d’organiser la pluralité des points pour décrire un objet. Pour cet auteur, il s’agit de proposer des modélisations techniques que l’on peut aisément référer à des technologies et qui peuvent supporter tout un ensemble de signes et de symboles organisés dans des langages techniques de description de l’objet selon le point de vue adopté. De fait, il adopte la posture anthropologique qui indique que les modes de description des objets s’organisent dans des langages qui fondent des communautés de signification et que c’est la diversité de ces langages qui crée la richesse de la compréhension (Ginestié, 2010a). Il y a, en effet, une mise en tension des points de vue qui, si elles décrivent la même chose, ne la décrivent pas de la même manière, ne la décrivent pas dans le même but et ne la décrivent pas avec les mêmes langages. La richesse d’une telle approche multiréférentielle repose ainsi sur la diversité des significations construites, construisant ainsi une polysémie de l’objet ainsi décrit (Engeström & Sannino, 2010). Pour Deforge, épousant ainsi les thèses constructivistes, ce sont ces variations signifiantes qui sont la source des apprentissages pour les élèves tout autant qu’elles lui permettent d’adopter une attitude critique d’un point de vue à partir d’un autre (Deforge, 1993). Il s’agit pour lui de mettre de la raison dans le rapport que construisent les enfants au monde des objets techniques, de la raison technique si l’on suit les positions de Mauss dans une approche sociologique des objets techniques (Mauss, 1948, 2006).

Selon cette option, qui sera reconstruite différemment par Martinand (1989) et surtout par Lebeaume (1999) ensuite, quatre points de vue, parmi l’infinité que l’on pourrait identifier, sont à privilégier car, toujours selon Deforge (1993), ils organisent les quatre grands champs de l’activité humaine qui préside à la création, à la diffusion, à l’usage et à l’identification des objets. Rappelons-nous au passage que ces travaux datent tous de la période de mutation de la production industrielle depuis un modèle de production de masse en série à une production industrielle différenciée ; depuis la Ford T qui proposait le même modèle de voiture à tous, nos systèmes de production industrielle évoluent vers la production massive (dans une perspective d’optimisation des coûts) de la voiture de chacune et chacun (avec une diversification des éléments distinctifs qui permettent à chacune et chacun de s’approprier son objet) (Deforge, 1990).

De fait, on voit bien en termes d’éducation, les enjeux sociaux qui organisent ce rapport au monde des objets techniques, ne serait-ce que d’un point de vue d’une éducation citoyenne ; Deforge avait habitude de dire que l’éducation technologique devait permettre de mettre de la raison dans le rapport des enfants aux objets industriels en leur permettant de comprendre comment les organisations de production industrielle s’organisent pour séduire les consommateurs tout en satisfaisant les besoins de l’usager (Deforge, 1997). Un objet technique, pour Deforge, n’a d’existence que comme élément d’un système de valeurs sociales et qu’il prend sens dans ce système tout en augmentant la signification du système dans lequel il existe (Deforge, 1995). C’est cette double construction de significations que décrit Lebahar (1994).

Ce réseau d’interactions qui fait sens tant au niveau de l’élément considéré que dans l’ensemble du système considéré a été modélisé dans de nombreux outils ; par exemple, l’analyse de la valeur va populariser dans l’enseignement l’analyse fonctionnelle en organisant ces fonctions en fonctions d’estime et fonctions techniques. Il s’agit de rendre compte de ces variations de perception et donc de compréhension que chacun peut construire sur l’objet qu’il considère. Les anthropologues montrent que l’objet est un construit social d’une relation entre un sujet et un objet (Leroi-Gourhan, 1964; Sigault, 1994) ; c’est la nature de la relation que le sujet établit avec l’objet qui construit la nature de l’objet et non l’inverse (Ginestié, 2011; Rabardel, 1993; Vérillon & Andreucci, 2006). En éducation, la construction de sens sur les objets procède donc de cette construction sociale de relations orientées par l’enseignement dans le cadre des dispositifs dans lequel l’élève s’inscrit (Ginestié, 2008b). Rappelons ici qu’en tant qu’institution, l’école n’existe que parce qu’une institution politique décide qu’une institution enseignante a pour mission de transmettre une institution de savoirs constitués à une institution élève (Brousseau, 1998). De fait, l’orientation scolaire agit tout autant sur le cadre dans lequel se construisent les relations que sur leur signification sociale, voire sur les valeurs sociales qui les conditionnent. Par exemple, à propos de la montre, Deforge (1985) indiquait qu’elle « montre et se montre ».

Regards sur les objets techniques

Deforge (1985) définit quatre regards à porter sur les objets qui vont influencer la mise en place de l’enseignement de la technologie et qui reste à ce jour une référence. Ces différents regards consistent à considérer les objets tour à tour comme des « êtres en soi » dans un système des objets, comme des objets dans un système de consommation, comme des machines dans un système d’utilisation et comme des produits dans un système de production. Ces quatre espaces se caractérisent par les systèmes sémiotiques qu’ils mettent en relation.

Le premier regard, celui des produits en tant qu’être en soi dans un système des objets, permet d’envisager les objets selon leurs lignées, leurs propres évolutions et leurs appartenances à des familles d’objet. La compréhension d’un objet industriel passe par la connaissance de sa fonction d’usage, premier critère constitutif d’une famille d’objets. Elle doit également intégrer, avec le concept de lignée, la dimension temporelle et évolutive, condition sine qua non d’une réflexion sur les techniques industrielles et leurs produits. Une lignée, selon Deforge, est constituée par des objets, rangés par ordre chronologique, ayant la même fonction d’usage et mettant en œuvre le même principe constitutif. De leur origine à leur abandon, les objets d’une lignée se succèdent dans un ordre évolutif censé aller, par perfectionnements successifs, dans le sens du progrès. L’approche intrinsèque des lignées doit être complétée par un examen de tous les facteurs techniques, socioculturels ou socio économiques qui peuvent perturber son évolution (publicité, mode…).

Le second regard, s’intéresse aux relations entre l’objet, considéré en tant qu’objet de consommation, le système économique et le système social dans lesquels il se place. Ce point de vue permet la mise en relation entre fonction d’usage « pourquoi l’objet existe » et fonction de signe « comment je le distingue d’autres objets ayant le même usage ». Cette approche permet de considérer la valeur et la valorisation des fonctions. Le rapport à la rareté, à l’appartenance symbolique lie les fonctions de signe au prix du produit, à la valeur marchande de l’objet.

Le troisième regard, propose une réflexion sur le produit en tant que machine et au système de production. Il établit ainsi une relation entre l’homme et la machine, notamment en ce qui concerne la répartition des activités entre l’utilisateur et la machine. De plus, Deforge propose une extension de l’appellation de machine à tout objet utilisé par l’homme pour la réalisation d’un acte technique. C’est à ce niveau qu’interviennent en particulier les questions d’ergonomie et que sont traités les interactions homme – machine.

Avec le quatrième regard, Deforge pose des questions sur le « comment c’est fait », le « comment le faire » ou le « pourquoi c’est fait ainsi » selon le système considéré. L’attention porte sur l’élaboration des solutions retenues, solutions qui dépendent directement des variables éducatives, sociales, psychologiques, organisationnelles et économiques. Pour l’auteur, ce regard est nécessaire car « il ne suffit pas de produire selon les règles technologiques pour que le système fonctionne et que les produits se vendent ».

Pour conclure, les enseignements technologiques ne s’intéressent pas à toutes les relations sujet-objet, ils examinent une catégorie particulière d’objets techniques pris comme produits d’un processus de production intentionnel et rationnel. Autrement dit, les enseignements technologiques seraient consacrés à l’étude du monde des objets techniques, monde pour lequel les modes d’existences constitueraient un descripteur privilégié. L’objet technique existe parce qu’il répond à un besoin, il existe parce qu’il se fabrique et pour le fabriquer, il faut le concevoir. Nous privilégions dans notre étude l’articulation conception-fabrication-utilisation comme un objet d’enseignement pertinent pour une éducation technologique et nous nous proposons de l’étudier au travers des processus d’enseignement-apprentissage mis en œuvre.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE La conception en technologie au collège
1. Enseigner la conception en technologie au collège
1.1. Comprendre le monde des objets techniques
1.1.1. Mode d’existence des objets techniques
1.1.2. Regards sur les objets techniques
1.2. La conception en technologie au collège
1.2.1. La place de la conception dans les prescriptions
1.2.2. Les savoirs associés à la conception
1.2.3. Enseignement de la conception et usage d’outils
1.2.4. Les outils de CAO utilisés
1.2.5. Des références pour l’enseignement de la conception
2. Épistémologie de référence
2.1. Les sciences de la conception
2.1.1. Objet technique et artefact
2.1.2. Quelques perspectives à partir d’éléments rétrospectifs
2.2. La conception industrielle
2.2.1. Une approche non linéaire et itérative
2.2.2. Une approche nécessairement pluridisciplinaire
2.2.3. Le rôle des outils informatiques
2.2.4. Une référence pour l’enseignement de la technologie
2.3. L’activité de conception
2.3.1. Des perspectives pour modéliser l’activité de conception
2.3.1.1. L’approche par résolution de problèmes
2.3.1.2. Coévolution du problème et de la solution
2.3.1.3. La notion de contrainte en résolution de problèmes
2.3.1.4. Pour une approche réflexive
2.3.1.5. Vers une approche duale
2.3.2. La construction de représentations
2.3.2.1. Les intermédiaires graphiques
2.3.2.2. L’analyse des intermédiaires graphiques
2.3.3. Modéliser l’activité de conception
2.3.3.1. L’hypothèse de la conception générique
2.3.3.2. La conception créative
3. Conclusion de la première partie
DEUXIÈME PARTIE Cadre théorique pour analyser l’activité de conception
1. État de la recherche
2. Les questions de recherche
3. Théorie de l’activité
3.1. Activité, intention, but et motivation
3.2. L’activité, trois niveaux hiérarchisés
3.3. La relation entre tâche et activité
4. L’activité instrumentée
4.1. L’approche instrumentale
4.2. Processus d’instrumentalisation et genèse instrumentale
5. Situation-problème et obstacle
5.1. Situation, milieu didactique
5.2. Obstacle épistémologique, psychologique et didactique
5.3. Objectif-obstacle
6. Apprentissage de la conception
6.1. Tâches de conception
6.2. Rôle des outils informatiques en conception
6.2.1. Pour les spécialistes
6.2.2. Pour les élèves
6.2.3. Évolution du modèle intégrant les outils
6.3. Résolution de problèmes
6.3.1. Résolution de problèmes « ouvert » / « fermé »
6.3.2. Résolution de problèmes et difficultés d’apprentissage
6.3.3. Intérêts et limites de la résolution de problème
6.4. Travail de groupe et interactions didactiques
7. Cohérence du cadre théorique
8. Problématique d’analyse de l’activité
9. Choix méthodologiques pour l’analyse de l’activité
9.1. Tâche / Activité
9.2. Observer et analyser les activités des élèves
TROISIÈME PARTIE Approche de l’analyse de l’enseignement de la conception en technologie : Difficultés des élèves
1. Identification des savoirs
1.1. Compétences : connaissances et capacités
1.2. Entretiens avec des « spécialistes » de l’enseignement de la conception
2. Analyse d’une situation d’enseignement-apprentissage de la conception en technologie au collège
2.1. Analyse de la tâche donnée aux élèves
2.2. Analyse de l’activité a priori des élèves
2.3. Recueil et traitement des données
2.3.1. Méthodologie de l’étude
2.3.2. Test statistique (Khi2)
2.3.3. Planification et dessins élaborés
2.3.4. Échanges verbaux entre les élèves et avec le professeur
2.3.5. Les difficultés rencontrées par les élèves
2.4. Des conclusions en vue d’un choix pour poursuivre l’analyse
CONCLUSION

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