Le tourisme est-il une révolution urbaine ?
La thèse de la transformation de l’urbanité des villes, dont le tourisme fait partie, est une étude géographique contemporaine. C’est la traduction de l’individu et son espace par le concept de ‘l’urbanité’ Selon Stocks et Lucas, le tourisme est un élément primordial de l’évolution urbaine des métropoles contemporaines. Ils estiment que parmi les causes principales de la révolution urbaine contemporaine, il n’y a pas que le secteur industriel, comme affirment les thèses d’Henri Lefebvre (1970) et d’Edward Soja(2000), mais aussi le secteur du tourisme. Dans cet article, la nouveauté géographique est d’ajouter les pratiques des individus, ce qui est peu développé dans les travaux des concepts de « l’urbanité » de Jacques Lévy et Michel Lussault : «cette approche à partir de ces quatre attributs permet une lecture systématique de la dimension urbaine d’un lieu. Elle n’est cependant pas pleinement satisfaisante pour en comprendre toute la complexité, car l’une des dimensions est absente : celle des pratiques. En effet, l’urbanité ne relève pas seulement de la densité et de la diversité des réalités sociétales présentes à un endroit, mais plus fondamentalement de la manière dont les individus font avec ces éléments […] » (Stock & Lucas, 2012, p. 17-18). Alors parmi les théories de la révolution urbaine du tourisme nous retenons ‘les pratiques’ dans le concept de l’urbanité pour distinguer les différents lieux urbains par l’analyse des pratiques des individus : «le concept d’urbanité sert à désigner la qualité urbaine différentielle des lieux géographiques en appréciant le couplage entre les quatre éléments fondamentaux que sont la concentration, l’hétérogénéité, la centralité et la publicité des réalités centrales en tant qu’ils sont agencés par les pratiques des individus.» Avec cette évolution théorique de l’urbanité dans les études géographiques on a pu atteindre la thèse que la première révolution urbaine du tourisme est «le développement des stations touristiques dans le monde». L’urbanité et les stations touristiques. Les propositions conceptuelles de Stocks et Lucas d’analyser un espace urbain quel que soit son caractère d’activité est de partir du concept de l’urbanisation et introduire le concept de l’urbanité : « […] inclure l’ensemble des changements participant d’une manière ou d’une autre à l’augmentation et à la complexification de l’urbanité. Le concept de l’urbanisation regroupe de ce point de vue des dynamiques différentielles et différenciantes : émergence de lieux dont la qualité urbaine varie (métropole, station touristique) et processus différents (urbanisation résidentielle, touristique, industrielle, politique, commerciale, etc.) (Mathis Stock & Lucas, 2012, p. 19). » Avec ces deux concepts se trouvent l’origine du constat et de l’analyse de l’équipe MIT que les stations touristiques sont un caractère spécifique des fonctions urbaines et des services de qualité métropolitaine peu diversifiées. Certes, la comparaison entre les métropoles et les stations touristiques est l’élément essentiel pour distinguer l’urbanité puisque parmi ces éléments essentiels figurent la densité et la diversité (Michel Lussault et Jacques Lévy, op.cit) Et leur deuxième proposition est liée à la civilisation de loisirs et à la IVème modalité de l’urbanisation avec l’augmentation et la complexité de l’urbanité des villes par la centralité touristique des villes. 8 On est alors en droit de se demander si cette hypothèse de complexité est essentiellement une complexité particulière des pratiques des individus contemporains ou de l’urbanisation et l’urbanité dans son ensemble ? Répondant à Boyer, Stocks et Lucas disent que la civilisation de loisirs a déclenché des acteurs des villes qui ont changé l’urbanisation et l’urbanité avec l’émergence de nouveaux lieux touristiques lors des mutations des espaces urbains et du changement des valeurs économiques des quartiers. Parallèlement l’augmentation des prix du foncier est influencée par les pratiques touristiques qui vont engendrer des phénomènes comme la « gentrification ». Nous assistons à la création d’une nouvelle notion, celle de « Dreamland », selon l’expression moderne. Il s’agit d’une révolution de la ville, différente de celle de la ville industrielle, ainsi que de l’évolution de la création de centralité des villes qui n’est plus que commerciale, administrative ou de loisir ; apparait alors « la centralité touristique »: « […]la reconnaissance d’un centre par les pratiques touristiques – notamment dans le cas d’une configuration singulière : le centre d’une ville devenue ville « touristifiée »
– pose notamment la question de l’émergence d’une nouvelle configuration urbaine suite à l’investissement par le tourisme. »(Mathis Stock & Lucas, 2012, p. 27).
En allant plus loin, dans son article « la troisième révolution », Philippe Violier développe que le tourisme est devenu totalement mondial, c’est-à-dire qu’il a touché une échelle au-delà de la ville et de la métropole de Mathis Stocks et Léopold Lucas, en ajoutant que le tourisme a évolué en passant d’un tourisme de masse à un tourisme de masse personnalisé. Une similitude des concepts avec l’article cité ci-dessus est l’évolution des pratiques des individus qui appartiennent aux concepts de l’urbanité (Mathis Stock et Léopold Lucas op.cit) ; Philippe Violier a ajouté la diffusion de ces pratiques à l’échelle mondiale parmi les évolutions du tourisme:« […] dans les hauts lieux où sont coprésents des touristes issus des différentes sociétés du monde, des manières d’habiter le monde très contrastées sont rendues visibles. Les individus fortement dotés en capital et en compétences, appartenant à des sociétés anciennement touristiques, qui circulent selon des pratiques relativement auto-organisées, se donnent à voir aux individus des sociétés émergentes.» On peut ajouter que Philippe Duhamel précise que la troisième révolution du tourisme est une révolution urbaine que l’on peut observer par l’évolution urbaine, c’est-à-dire par les lieux et les territoires : «La troisième révolution touristique peut également être observée par l’évolution des lieux et territoires. L’époque contemporaine, depuis les années 1980, solde progressivement la conquête touristique du monde. L’écoumène touristique, c’est-à-dire l’espace habité temporairement par les touristes, est plus vaste que l’écoumène investi par les résidents, c’est-à-dire les habitants permanents. Aucun lieu n’échappe au tourisme. » (Duhamel, 2016). Enfin, on peut tirer de ces appuis que la révolution urbaine du tourisme des grandes métropoles a créé la révolution touristique mondiale par la mondialisation et la diffusion des pratiques des individus et l’augmentation des degrés de l’urbanité par les étrangers. Est-ce que le succès du tourisme de masse vers un tourisme de masse personnalisé est une révolution urbaine du tourisme mondial par les évolutions de l’urbanisation et l’urbanité ?
Station touristique et urbanité
La spécificité d’appréhender les stations touristiques, ces lieux qui ont été construits essentiellement pour ‘le touriste’, est un exemple permettant de mieux comprendre le concept de lieu touristique développé par Knafou, Stock et Coëffé13. C’est un lieu spécifiquement construit dans un terrain vierge de nature paysagère riche, prêt à être aménagé, différent des lieux touristiques qui sont construits à partir des villages. Comme l’affirment Mathis Stock, Vincent Coëffé et Philippe Violier : «nombre de lieux touristiques ont certes émergé à partir de noyaux villageois comme Chamonix, Saint-Moritz, Megève, Juan-les-pins ou encore Saint-Tropez. Mais un très petit nombre d’entre eux a été urbanisé à partir d’espace non appropriés, délaissés, dévalorisés : ce fut le cas d’Arcachon (à partir du milieu du XIXème siècle) par exemple ou des stations littorales du Languedoc-Roussillon (dans les années 1960- 1970)»(Mathis Stock et al., 2017, p. 387) Pour mieux appréhender cet espace touristique, nous allons commencer par étudier l’exemple de l’analyse des ‘stations balnéaires’ en Angleterre, puisque c’est la situation la plus ancienne, en nous appuyant sur l’article «la double révolution urbaine de tourisme » de Mathis Stock et Léopold Lucas. Les stations en Europe datent de 1800. Selon ces deux chercheurs, l’historicité des stations est basée sur les études de Walton en Angleterre. Nous verrons par la suite pourquoi le choix d’une telle étude de cas pour montrer la valeur urbaine de ce lieu touristique. La réponse, c’est le nombre important de créations de stations dans une période où le tourisme est encore ‘rare’14. Certes il s’agit d’un essor et d’une stratégie de modernité de l’ère précédente. Walton (1983) a archivé les données chiffrées : « entre 1851 et 1881, le nombre de stations balnéaires s’accroît de 71 à 106.» (Mathis Stock & Lucas, 2012, p. 20). Ce processus de « massification » des stations est un essor d’origine européenne (voir carte : Stock et Antonescu, 2011) qui va être propagé par la suite à l’échelle mondiale. Certes c’est la cause du succès du développement urbain où les villes changeaient et se créaient non seulement avec l’industrialisation mais encore avec la touristification. Par ailleurs, on assiste à une urbanité spécifique des stations, une centralité de services, que l’on trouve habituellement dans les grandes villes, avec une fonction urbaine faible. Les pratiques des populations locales se situent entre des activités urbaines et rurales permettant la confrontation avec les pratiques des étrangers. À partir de 1980, cette stratégie de stations touristiques émerge au niveau mondial : «à partir de 1980, un champ mondial émerge avec des flux multiples entre les États-Unis et l’Europe, l’Europe et l’Asie, l’Asie et l’Europe, les Caraïbes, les îles tropicales, etc. Pour certaines stations touristiques, ceci signifie une concurrence au niveau mondial, et non plus au niveau national. » (Mathis Stock et al., 2017, p. 334) Où vont les révolutions urbaines touristiques d’aujourd’hui hors des changements technologiques du transport?
La mobilité mondiale entre migration et frontières
L’évolution vers la mondialisation et le défi d’une meilleure connectivité entre les pays et les nations pour partager les biens et les valeurs ont provoqué un monde en mouvements. Parmi ces mouvements on trouve les migrations, les cadres internationaux, les étudiants internationaux, les réfugiés, les touristes, les diasporas, etc… L’expansion des mouvements internationaux a engendré la mise en place d’organisations mondiales 17 pour mettre les pays sous les mêmes codes et les mêmes conditions vers une meilleure gestion des flux. Les économistes observent la mobilité internationale surtout du côté matériel, c’est-à-dire du point de vue du monde de l’entreprise en mesurant, par exemple les mouvements des capitaux , et pour certains l’étude des salariés expatriés (Cerdin, 1999) ou détachés. Est-ce que l’étude des mobilités internationales se résume à ces seuls aspects matériel et économiques ? Dans la mouvance de certains chercheurs en géographie, Michel Lussault affirme que le droit à la mobilité est un droit générique qui enveloppe d’autres droits qui concernent le logement, le transport, la santé et l’éducation ; il cite l’exemple de la mobilité de migration ,«L’UNESCO s’est emparé depuis longtemps de cette question en se focalisant sur sa dimension migratoire. Dans ce cadre, le droit à la mobilité consiste à pouvoir migrer sans entrave». (Lussault, 2013). Dans sa thèse il a voulu montrer la valeur de la liberté dans les mouvements des individus et a fait l’éloge de François Asher qui a formalisé ce droit générique de donner aux individus la capacité d’accéder à des biens publics communs ou privés. En insistant sur la question de la liberté dans les mobilités, il dit qu’«une grande majorité d’individus aspire à la mobilité : ils estiment qu’elle est une condition de réalisation de l’existence et d’affirmation de la liberté» (Lussault, 2013). Michel Lussault a mis en valeur la mobilité des migrations en s’appuyant sur la position de l’UNESCO concernant le droit à la mobilité. La mobilité mondiale englobe de nombreux mouvements dans l’espace ; en ce qui nous concerne, nous allons prendre le système de la mobilité de migration et la mobilité des frontaliers comme un exemple majeur pour appréhender les principaux types de systèmes de mobilité mondiale et pour pouvoir saisir et différencier les divers types de mobilité. Il faut enfin prendre en compte le fait que considérer les mouvements des touristes c’est appréhender un ensemble de mouvements mondiaux. Jacques Lévy a ajouté aux variables des migrations internationales celle des arrivées de touristes : «deux variables ont été retenues en vue d’apprécier à quel point les sociétés nationales sont concernées par la mobilité : les migrations internationales, d’une part, et les arrivées de touristes, d’autre part.» (Lévy, 2008b). Nous nous proposons plutôt d’expliquer la mobilité internationale d’une autre manière, sans écarter les touristes de la mobilité internationale, mais nous prendrons une autre entrée, celle des voyages.
Mobilité internationale et la question des frontières, la géopolitique !
Dans cette partie, nous allons essayer de montrer comment nous affranchir des frontières. On est alors loin des théories de l’évolution des colonisations. Nous allons expliquer le duel de la frontière et de la mobilité internationale par la mondialisation. Dominique Wolton explique les propos de Marshall Macluhan sur le concept du ‘village global’ : sous l’effet de la mondialisation actuelle, le monde est ‘ouvert pour tous’. La réduction des coûts et du temps par les technologies18 va aboutir à mondialiser la même culture (WOLTON, 2005). Se pose alors le problème, de ne pas confondre la mobilité internationale par les technologies et la mobilité internationale des individus. Certes, les deux types de mobilité dépasse les frontières planétaire mais une est indirecte et l’autre directe, comme l’affirme Jacques LÉVY qui dit que les technologies jouent un rôle dans la mobilité immatérielle : «les flux immatériels, depuis le développement des réseaux de télécommunication informatique, offrent des capacités d’interaction inédites qui accompagnent significativement cette dynamique» (Lévy, 2008b). Se pose alors la question de la complexité de la mobilité internationale des individus face à la géopolitique. Sous cet angle, la mobilité internationale nous pousse à nous intéresser aux individus qui passent les frontières en voie directe. Comment distinguer les mouvements des individus par-delà les frontières dans un contexte de mondialisation ? La compréhension de la mondialisation et des frontières est nécessaire pour mieux cerner la réflexion sur la mobilité internationale. D’ailleurs la migration internationale est la forme la plus ancienne de la mondialisation. Le concept de mondialisation fait appel à un ‘système unifié’ comme l’explique Roger Brunet (Carroué, 2006) ; dans cette perspective, on ne parle plus de frontières ; citons par exemple l’espace Schengen créé par l’Union Européenne. Mais en ce qui concerne spécifiquement le concept de frontières, on ne peut plus parler de ‘système unifié’ puisque ces frontières existent et qu’elles séparent les pays, ce qui est le cas de nombreux pays en dehors de l’espace Schengen. A l’origine, dans les définitions du concept auprès des économistes se trouve la question de ‘l’État-Nation’ ou le concept de ‘triade’ tel que Ohmae Kenichi le définit : « le développement mondial de la firme transnationale doit dépasser son cadre national et s’organiser sur la conquête des trois grands marchés des pays développés que sont les État Unis, l’Europe occidentale et le Japon : le concept de triade est porté sur les fonts baptismaux » (Carroué, 2006). De son côté, Théodore Lwitt : «propose une représentation géopolitique en annonçant l’avènement d’une « société globale « dénuée de toute différence nationale, régionale ou locale et fondée sur la convergence des marchés et sur l’uniformisation des modes de consommation à l’échelle planétaire sur hégémonie américaine.» (Carroué, 2006). On remarque que les chercheurs délimitent la mondialisation par des territoires que se soit en utilisant les différents termes géographiques qui intègrent la logique politique par les nations ou les États ou la géopolitique. La politique des lieux est alors nécessaire pour ce concept. Michel Lussault affirme cette idée que « la « prolificité » des lieux résulte du fait que toujours s’y énonce avec flagrance, pour chaque protagoniste, le problème de la régulation de cet espace qui est « entre » les réalités, auquel il doit, inévitablement, apporter une réponse en situation » (Lussault, 2017). On voit clairement qu’avec l’ouverture des frontières, la gestion et la connaissance des territoires est primordiale pour une mondialisation économique. Les géographes préfèrent utiliser la terminologie « monde » plutôt que » la mondialisation » comme l’explique Laurent Carroué :«[…]si dans le dictionnaire de Roger Brunet les mots de la géographie (Brunet et alii, 1992) on trouve bien un article «Monde» (p.335), il n’y a pas, par contre, un article « Mondialisation», témoignant ainsi du caractère très récent de cette nouvelle terminologie et du relatif retard de la géographie à se l’approprier, même dans ses segments qui se considéraient alors à la pointe de la modernité » (Carroué, 2006). Certes, la mondialisation des géographes aborde plusieurs contextes et réclame une approche pluridisciplinaire (historique, économique, géographique, sociologique…) mais sans oublier l’espace ! La spécificité des géographes est de rendre la mondialisation dynamique et en liaison avec plusieurs domaines. La consultation de divers auteurs qui font autorité amène à penser que les meilleures explications géographiques de la mondialisation sont celles d’Olivier Dollfus, Jacques Levy et Yves Lacoste. Olivier Dollfus expose que le monde est un espace uni qui englobe tous les espaces. Il intègre alors la géographie avec toute sa dimension dans son nouveau concept de ‘système monde ‘qui date des années 1980. C’est grâce à lui que la géographie a adopté le terme de ‘Monde’ avec un ‘M majuscule’ et il a toujours travaillé à intégrer la géographie dans le système de la mondialisation avec la précaution et la contradiction de ne pas mettre la mondialisation dans le même contexte que le système politique et géopolitique. Olivier Dollfus a dynamisé ‘la mondialisation’ en lui intégrant l’expression de système comme l’explique Laurent Carroué: « Dollfuss a poussé plus loin en décrivant le Monde comme un métasystème géographique, un système de système. On peut comprendre la formule comme un emboitement de systèmes socio-économiques de niveaux inférieurs mais inter reliés. Mais il faut aussi entendre le système Monde comme en interrelation avec le système terre, expression qui est également de Dollfuss.» (Carroué, 2006) Par la suite, on trouve que Jacques Lévy s’est inspiré des pensées d’Olivier Dollfus où il a adopté le Monde comme espace et sans négliger son ajout de l’approche géohistorique20 du mouvement. Comme l’indique Lévy dans son article : «le Monde fait partie intégrante des mondes humains .par ailleurs, la mondialisation permet « le bouclage »(Dolfuss, 1990), c’est-à-dire le couplage obligé, de deux entités, la terre (réalité bio-physique) et le Monde (réalité sociale).»(Lévy, 2007). Il est également convaincu par l’approche systémique qu’a expliquée Dolfuss. Ce sont deux géographes français qui ont suivi la révolution de la théorie générale des systèmes TSG et ils ont abordé la mondialisation par des causalités planaires. Dans cet article il a expliqué son accrochage à cette théorie en expliquant comment il faut saisir la relation entre la mondialisation et le système : «la mondialisation peut se lire comme un ensemble en partie contradictoire d’actions spatiales menées par une multitude d’opérateurs, avec tout de même une certaine cohérence dans son effet, celui de produire un espace d’échelle mondiale plus consistant – parfois beaucoup plus consistant – que celui qui préexistait. En ce sens, la mondialisation fait système.» (Lévy, 2007). Ce qui attire l’attention dans les pensées de Jacques Lévy c’est son regard de l’évolution temporaire de la mondialisation par la géohistorique qui nous montre les hauts, les bas et les origines de ce mouvement. Par ailleurs, il a dévoilé entre les traits de cette approche les périodes de stagnation du mouvement de la mondialisation. On trouve deux facteurs historiques majeurs qui ont joué sur les échanges entre les pays. Premièrement, la réalité politique mondiale : durant la période des guerres mondiales, le mouvement de la mondialisation était une action à rejeter du fait du cloisonnement des pays et la rupture des échanges. Deuxièmement la réalité économique : la crise économique de 1929 a favorisé une période de freinage des mobilités internationales, comme l’explique Jacques Lévy : « […] la crise économique enclenchée après le Krach de 1929 mettent les États en première ligne. Dans leur refus de l’affaiblissement de leurs prérogatives, alors qu’ils sont au faîte de leurs puissance, les acteurs étatiques réunissent facilement à mobiliser leurs sociétés respectives dans le sens de la haine de l’autre et du nationalisme le plus exacerbé. Ce paroxysme de l’état est un point bas de la mondialisation.» (Lévy, 2008b). Le retour des échanges internationaux a commencé à partir des années de 1980 où l’on a assisté à de nombreux changements de régimes politiques comme l’effondrement de communisme en Europe de l’Est (URSS) et la fameuse chute du mur de Berlin21. Ce renversement a tourné vers l’initiative de l’ouverture vers l’autre. Ce balancement dans l’évolution de la mondialisation a donné naissance à un nouveau concept de la mondialisation contemporaine dans la géographie française, la « société-Monde » de Jacques Lévy. L’intégration des êtres humains dans le système planétaire et leurs interactions est expliqué par le concept de « Monde-société » qui est le quatrième modèle. Jacques Lévy, a considéré le Monde comme société en agrandissant le paradigme de la mondialisation par rapport aux autres modèles (ensemble de mondes, champs de forces et réseau hiérarchisé) : « […] la combinaison réussie des trois autres modèles: la communauté de destin, l’identité politique, l’intégration économique, structurées à l’échelle mondiale.» (Lévy, 2007).
Les paradoxes entre le voyage des voyageurs et le nomadisme : Gens du voyage ou nomadisme? Un mode de vie ou un voyage ?
Le voyageur des congés payés est un voyageur de mobilité dans un système mondial connu Le nomade est une personne en mobilité d’habitat dans un espace de passage. Il vit au sein d’un groupe soudé par le sang (Knafou, 1998a), par la naissance, une pratique par identité spécifique et des mœurs propres à un groupe clos aux autres où l’on considère que les autres sont des étrangers et ce n’est pas le nomade l’étranger. Les nomades se déplacent en groupe, en famille, en clan lors que le voyageur se déplace individuellement ou en petit groupe temporellement constitué. Ce nomade c’est un voyageur mais un voyageur différent aux natures de mobilité spécifiques. En fait on peut les expliquer en rentrant dans le détail des pratiques des individus. Regardons de près le voyageur d’aujourd’hui en dehors des pratiques de voyage aléatoire, le nomadisme. C’est majoritairement un habiter temporaire urbain dans un lieu d’accueil existant sur place. « Il subsiste enfin un pastoralisme nomade en voie d’extinction. Il ne concerne vraiment que des populations marginalisées et pauvres. En position de soumission, ces nomades n’ont qu’une très faible maitrise de leur espace et sont progressivement repoussés vers des zones écologiquement limites où ils s’éteignent doucement, laissant la place à des projets organisés autour de thèmes techniques qui vont du forage mécanisé au ranch d’élevage.» (Knafou, 1998b, p. 41). Pour approfondir cette question regardons le cas des mobilités tsiganes en Europe analysées par Samuel Delépine. Dans cette étude de cas sur les tsiganes en Europe comme exemple, l’auteur a donné un autre patronyme au ‘nomade’, c’est ‘les gens de voyage’26. En fait, la distinction entre les deux appellations est que la première est un caractère et la deuxième est un statut. On constate ici que le concept de ‘nomadisme’ est un concept difficile à appliquer. Dans le statut français des « gens du voyage » il ne s’agit plus de voyageurs ; on trouve le paradoxe suivant puisque 90% des gens du voyage sont tsiganes européens sédentaires avec un mode de vie itinérant. « […] le mot « voyageur » ici désigne bien un individu d’origine tsigane qui pratique ou pourrait adopter un mode de vie itinérant. Les gens de voyage français entrent dans cette catégorie mais les voyageurs ne sont pas forcément des gens de voyage qui est une catégorie administrative.» (Moriniaux, 2010, p. 60). Alors, si ‘gens du voyage’ est un terme administrative, la personne concernée n’est pas un voyageur ni non plus un nomade. Quelle est donc sa nature de mobilité ? Par la loi Besson, l’Etat Français a reconnu la spécificité des tsiganes les faisant bénéficier d’espaces d’accueil dans chaque ville de plus 5 000 habitants. Par ailleurs ces personnes bénéficient de la nationalité française. Ces mesures n’existent pas dans tous les pays. On peut mettre en évidence la thèse que les gens de voyage ne sont pas des nomades mais constituent une sorte de mobilité locale d’individus, ou même une circulation entre les aires d’accueil ou des terrains familiaux. Le texte de la loi Besson débute par cette phrase « Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d’accueil ou des terrains prévus à cet effet. » ; il ne comporte pas le mot « nomade » 27. Ainsi, le droit français exclut l’hypothèse que les gens de voyage sont des nomades. Dans ce cas concret, on ne peut pas dire que chaque voyageur qui bénéficie d’un habitat mobile est un nomade. Alors pourquoi le concept de nomade ? Et quand peut-on l’utiliser ? Pour Denis Retaillé, « « le » nomade est défini par la mobilité de son habitat ; or, dans la pratique, ce n’est pas l’observation de chaque vie individuelle mais l’appartenance à un groupe réputé nomade qui fait « le » nomade ; car parmi ces nomades, les sédentaires sont nombreux, sans doute majoritaire.» (Knafou, 1998b, p. 38). Pourquoi Jean Didier Urbain utilise-t-il alors ce concept en le liant aux pratiques de loisir alors que les arguments ci-dessus exposés démontrent que le nomade est un individu dont l’identité est très fortement liée )à l’appartenance à un groupe socio-ethnique ? Même si on trouve que ‘le nomade moderne’ décrit par Denis Retaillé est « un individu, incontestablement, n’appartenant pas à un groupe qui l’envelopperait tout entier […]. Le nomade « moderne » est un hyper-mobile, il ne tient pas en place, rien ne semble plus urgent pour lui que le changement de lieu. » (Knafou, 1998b, p. 47). Pour Jean Didier Urbain il faut s’éloigner des hôtels et de l’état de touriste ; il a donné ce titre « les paradoxes du nomadisme de loisir » en utilisant le concept de nomadisme juste pour interpeller les pratiques des touristes, on ne trouve aucun lien de nomadisme dans ses commentaires. Il étaye les pratiques des voyageurs d’aventure. «Le paradoxe du tourisme est de même nature que le double bind28. Le touriste recherche le différent, l’autre, il se précipite donc dans les endroits « non touristiques.il lui faut ne pas être là où il veut aller» (Urbain, 2002, p. 277) Certes, on tient la thèse que le nomade est un individu qui n’est pas un voyageur ni un touriste ni un immigrant, c’est un individu spécifique parmi un groupe socio-ethnique de personnes qui pratiquent un mode de vie et de circulation propre à elles. Pour ne pas tomber dans les conflits d’hyper-concepts de voyage et de mobilité il nous faut plus de détails ; on va vers le duel des concepts de la mobilité à l’habiter pour mieux étayer la réalité des mouvements. Est-ce que le concept d’habiter est nécessaire pour nommer la nature des mouvements par les pratiques ?
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
LES METHODES DE RECHERCHE : LA CONSTRUCTION D’UNE RECHERCHE MIXTE EN GEOGRAPHIE DE L’INDIVIDU MOBILE
METHODE DE PRODUCTION DES DONNEES : L’ENQUETE
METHODE D’ANALYSE
LE CHOIX DE TUNIS COMME TERRAIN DE RECHERCHE
QUELLE EST LA SITUATION DE L’ETRANGER TEMPORAIRE EN TUNISIE DANS LE CONTEXTE ACTUEL ?
LE CHOIX DE LA CAPITALE COMME CONTEXTE DE RECHERCHE
PREMIÈRE PARTIE : APPROCHE CONCEPTUELLE
INTRODUCTION PARTIE 1
CHAPITRE 1 : LA REVOLUTION TOURISTIQUE, ESPACE ET URBANITE : UNE QUESTION D’EVOLUTION DU TRANSPORT OU DE L’URBAIN ?
INTRODUCTION CHAPITRE 1
1.1 – NAISSANCE D’UNE REFLEXION DE DEPART : LE TOURISME SANS LIEU N’EST PAS DU TOURISME ET LE LIEU SANS TOURISME N’EST PAS UN LIEU TOURISTIQUE !
Le tourisme est-il une révolution urbaine ?
1.2 – POINT DE DEPART DE LA REFLEXION, LA THESE DE » L’ACCUEIL MASSIF DES ETRANGERS »
1.2.1 – Tourisme de masse et l’hébergement touristique : massification des hôtels et des stations touristiques ?
1.2.2 – Tourisme, urbanité et hôtel
1.2.3 – Station touristique et urbanité
1.2.4 – Tourisme post-masse et innovation numérique
CONCLUSION CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 : L’APPROCHE SOCIOGEOGRAPHIQUE DE LA MOBILITE MONDIALE SE LIMITE-T-ELLE AU SEUL MOUVEMENT MATERIEL ?
INTRODUCTION CHAPITRE 2
2.1 – LA MOBILITE MONDIALE ENTRE MIGRATION ET FRONTIERES
2.2 – MOBILITE INTERNATIONALE COMME MIGRATION
2.3 – MOBILITE INTERNATIONALE ET LA QUESTION DES FRONTIERES, LA GEOPOLITIQUE !
2.4 – LA MONDIALISATION, EN QUETE DU DEPLACEMENT DES VOYAGEURS COMME MODALITE PRIMORDIALE DE LA MOBILITE MONDIALE
2.4.1 – Le voyage comme mobilité mondiale des individus
2.4.2 – La distinction terminologique liée à la mobilité mondiale des individus de voyage contemporain
Conclusion chapitre2
CHAPITRE 3 : L’EXIGENCE DE L’INDIVIDU DANS LA MOBILITE MONDIALE
INTRODUCTION CHAPITRE 3
3.1 – L’HABITER ET LA MOBILITE : UNE QUESTION DE COMPLEMENTARITE ET NON PAS DE DISPARITE !
L’habiter comme concept révolutionnaire de la géographie contemporaine
3.1.1 – De la philosophie Heideggérienne à la géographie des théories de l’habiter
3.1.2 – L’école allemande face aux géographes français
3.1.3 – L’habiter de la mobilité mondiale
3.1.4 – Qu’est-ce que l’habiter poly-topique ?
3.1.5 – Le modèle de Heidegger-Moles
3.1.6 – Habiter l’habitat poly-topique
3.1.7 – Les pratiques mondiales par Jacques Lévy
3.2 – HABITER COMME L’ART «DE FAIRE AVEC DE L’ESPACE»
3.2.1 – L’espace
3.2.2 – Est-ce le problème de la distance qui rend le lieu de l’habiter un espace ?
3.2.3 – L’espace habité par Olivier Lazzarotti
3.3 – DIMENSION PRATIQUE: L’HABITER COMME PRATIQUE DE L’ESPACE GEOGRAPHIQUE
3.3.1 – Les pratiques de l’habiter entre le quotidien et le hors quotidien
3.3.2 – Pratique de l’espace comme pratique quotidienne ou hors quotidienne : le cas des pratiques touristiques
CONCLUSION CHAPITRE 3
CONCLUSION PARTIE 1 ET HYPOTHESES DE TRAVAIL
DEUXIÈME PARTIE : ETUDE EXPLORATOIRE PAR LES ACTEURS DE LA LOCATION MEUBLEE : UNE PISTE POUR CERNER L’HABITER DE SEJOUR TEMPORAIRE MONDIAL MOBILE A GRAND TUNIS
INTRODUCTION PARTIE 2
CHAPITRE 1 : ANALYSE THEMATIQUE DES PHASES D’ENQUETE PAR ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS DES ACTEURS DE LA LOCATION MEUBLEE DE L’HABITER MONDIAL MOBILE DE COURT SEJOUR A GRAND TUNIS
Introduction chapitre 1
1.1 – La démarche de la recherche exploratoire
1.2 – Analyse thématique des phases d’enquête exploratoire
1.3 – Analyse thématique de la deuxième phase : les acteurs de l’immobilier de la location meublée
1.4 – Analyse thématique de la troisième phase : les acteurs d’intermédiaire de la location meublée: les courtiers
1.5 – Analyse thématique de la quatrième phase: les acteurs intermédiaires : les taxis individuels
1.6 – Analyse thématique de la cinquième phase : les acteurs du service de santé
Conclusion chapitre 1
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE SPATIAL : L’ESPACE DE LA LOCATION MEUBLEE DE L’HABITER ETRANGER DE COURT SEJOUR PAR RAPPORT AUX RESULTATS DES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS
Introduction chapitre 2
2.1 – Encadrement des espaces de la location meublée des étrangers de court séjour à Grand Tunis par rapport aux acteurs interviewés
2.2 – Parc du logement à Grand-Tunis : résultat des deux gouvernorats de Tunis et l’Ariana où se trouve la majorité de la location meublée des étrangers de court séjour
2.3 – L’emplacement des services de santé par rapport au parc de logement de la location meublée des étrangers de court séjour
2.4 – L’emplacement des hébergements touristiques hôtel et hors-hôtel par rapport au parc de la location meublée selon l’ONTT
Conclusion chapitre 2
CONCLUSION PARTIE 2
TROISIÈME PARTIE : COMMENT LES ETRANGERS LOGES EN MEUBLE HABITENT-ILS TUNIS ?
INTRODUCTION PARTIE 3
Méthode de production des données
La collecte de l’information : choix des lieux d’enquête
L’échantillonnage de la population à enquêter : définir les caractéristiques de la population et la taille de l’échantillon
L’objet du questionnaire et sa conception
Thèmes du questionnaire
Étape test du questionnaire
Le questionnaire final
CHAPITRE 1 : QUELLES SONT LES CARACTERISTIQUES DE CET HABITER ETRANGER DE COURT SEJOUR EN LOCATION MEUBLEE? UNE ANALYSE STATISTIQUE UNIVARIEE
1.1 – Les caractéristiques de la population des étrangers en court séjour en location meublée
1.2 – Les motifs de séjour et la place des pratiques touristiques
1.3 – La plupart des personnes interrogées a recours à la location meublée de courte durée
1.4 – Les raisons du choix de l’époque du séjour
1.5 – Le degré d’altérité
1.6 – Les intermédiaires de l’organisation de séjour
1.7 – Mobilité et déplacement
Conclusion chapitre 1
CHAPITRE 2 : QUELLES SONT LES SPECIFICITES DE CET HABITER ETRANGER DE COURT SEJOUR EN LOCATION MEUBLEE? UNE ANALYSE FACTORIELLE
Introduction chapitre 2
2.1 – Analyse des liens entre les variables de connaissance et les variables de la location meublée de l’habiter étrangers de court séjour
2.2 – Analyse explicative des liens entre deux variables de nature différente
2.3 – Analyse factorielle pour les variables métriques: analyse en composantes principales (ACP)
Conclusion chapitre2
CONCLUSION PARTIE 3
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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