Enquête Philosophique au cœur des révolutions contemporaines

En 1966, Michelangelo Antonioni part réaliser Blow up en Angleterre. Il tournera ensuite consécutivement trois autres films à l’étranger : Zabriskie Point en 1970, aux Etats-Unis ; Chung Kuo – Cina, un documentaire sur la Chine en 1972 ; et Profession : Reporter en 1974 au Tchad, en Angleterre, en Allemagne et en Espagne. C’est à cette période de transit entre 1966 et 1974, à cette rencontre de Michelangelo Antonioni avec des pays étrangers que nous allons nous intéresser au cours de ce mémoire à travers l’étude de trois de ces films : Blow up, Zabriskie Point et Profession: Reporter. Nous n’incluons pas le documentaire Chung Kuo – Cina afin de ne considérer que les œuvres de fiction.

L’intrigue de ces trois films peut être résumée ainsi : dans Blow up un photographe de mode vivant à Londres photographie un couple dans un parc, photographies qui au cours d’une séance d’agrandissement semblent se révéler être celles d’un meurtre. Zabriskie Point est le nom d’une localité dans le désert de Mojave en Arizona où se retrouvent Mark, jeune homme en fuite surplombant le désert en avion, et Daria qui traverse le désert en voiture pour se rendre à Phoenix. Profession: Reporter est l’histoire d’un journaliste venu faire un documentaire sur l’Afrique qui, devant le cadavre de son voisin de chambre décide d’échanger leur identité.

Bien que ces trois films soient très différents l’un de l’autre (et nous tiendrons compte tout au long de ce mémoire de leurs spécificités et de leurs originalités), leur réunion nous a semblé cohérente et pertinente à plusieurs titres.

D’une part, parce qu’ils constituent une période singulière dans l’œuvre de Michelangelo Antonioni. Certes Antonioni a réalisé d’autres films à l’étranger. Ainsi dès son second long métrage, I Vinti, en 1952, le cinéaste est parti tourner en Angleterre et en France. De même, beaucoup plus récemment, dans Par delà les nuages, réalisé avec Wim Wenders, certains passages se déroulent en France. Mais à partir de 1966, le cinéaste a commencé un long voyage autour du monde, tournant consécutivement quatre films à l’étranger pendant une période de presque dix ans, sans revenir tourner en Italie durant ce périple. Antonioni lui-même distingue cette période parmi l’ensemble de ses films. Dès cette époque, après avoir tourné Blow up, il déclare : « Peut-être quelque chose a-t-il changé en moi […]. Les choses qui m’occupaient auparavant me semblent maintenant limitées. J’éprouve le besoin de faire d’autres expériences, de voir d’autres gens, d’apprendre des choses nouvelles». En 1975, il explique pourquoi après Le Désert rouge, il ne s’est plus occupé de la société italienne :

Il me semblait que j’avais montré tout ce que j’avais à montrer de la société italienne […]. Puis je suis allé à l’étranger, parce qu’il me semblait qu’ici mon costume cinématographique était devenu un peu étroit. Il aurait d’ailleurs été impossible à cette époque-là de situer le photographe de Blow up en Italie. Après Blow up, je me suis senti projeté hors de mon pays, je n’avais aucune envie de revenir tourner ici.

De plus, en 1967, lorsqu’ Antonioni évoque Blow up, il le dit différent « en tout » de ses films précédents. Par son environnement, mais aussi parce qu’il ne s’intéresse plus aux rapports amoureux entre deux personnes mais au rapport entre un individu et la réalité . Dans ces trois films d’ailleurs, on constate certains changements (outre celui de l’environnement) : les personnages principaux sont des hommes, les intrigues sont plus « aventureuses » par rapport à ses films précédents : La Nuit, L’Eclipse et Le Désert Rouge.

D’autre part, le voyage, le désir de découvrir l’étranger est très présent dans ses écrits, sa vie et son oeuvre. Comme le fait remarquer Andrea Martini, « Antonioni est l’un des rares auteurs qui aient constamment considéré le metteur en scène comme l’interprète de ce qu’une fois on appelait le théâtre du monde » . Voyageur, Antonioni l’a toujours été. Dans ses écrits, il est très souvent fait mention des voyages qu’il fait, en repérage pour des films ou non. De tous ces voyages, il voudrait faire des images. Il dit ainsi « quand je voyage, j’aurais envie de tourner partout » . Antonioni est quelqu’un de profondément curieux. « Ce qui me captive le plus, ce que j’aime le plus, c’est observer », déclare-t-il en 1967, « voila pourquoi j’aime voyager, pour voir de nouvelles choses défiler devant mes yeux – même un nouveau visage. C’est comme ça que je vis et je peux passer des heures à observer les choses, les gens et les endroits » . « Je n’ai jamais eu d’inquiétudes de provincial, » déclare-t-il encore en 1978, « je pourrais tourner des films partout, le monde m’intéresse. Déjà à l’époque, [il parle de la période de I Vinti] j’étais l’un des rares à traiter de sujets autres qu’italiens, et Londres est restée depuis l’une des villes que j’aime le plus » . Il est en effet l’un des rares cinéastes italiens à avoir tourné à l’étranger mais aussi dans autant de lieux différents en Italie même : La plaine du Pô, Milan, Rome, Ravenne, la Sicile, Venise. Et sa curiosité dépasse même les limites planétaires ; ainsi en 1983, il dit :

Si l’âge me le permettait, demain j’irais sur la lune, je ne sais pas où j’irais… J’aimerais beaucoup voir ces mondes nouveaux (…) J’ai fait un long voyage aux Etats-Unis juste après Blow up, je suis allé visiter Cap Kennedy et ils m’ont mis cet appareil qu’ils utilisent pour simuler l’alunissage, c’était incroyablement amusant : me trouver là-haut, faire semblant de descendre sur la lune, a été une des plus belles expériences de ma vie.

Le cinéaste avait d’ailleurs d’autres projets de films à tourner à l’étranger : par exemple, Techniquement Douce, histoire d’un journaliste de trente-sept ans lassé par sa vie qui décide d’un changement radical et qui part dans la jungle Amazonienne à la recherche d’une existence plus libre. Antonioni aurait dû tourner ce film pendant la période qui nous intéresse, après Zabriskie Point. En 1971, il avait commencé les repérages en Sardaigne lorsque Carlo Ponti décida d’abandonner ce projet et lui proposa le sujet de Profession : Reporter. En 1978, il avait également commencé des repérages en Ouzbékistan, pays où il voulait situer L’Aquilone, histoire d’un cerf volant à qui il faut toujours plus de fil pour s’élever de plus en plus haut dans le ciel au dessus des steppes. En 1985, il avait même en projet un film de science fiction Destination Verna, racontant l’histoire d’une femme d’un certain âge qui n’attend plus rien de la vie et à qui on propose une place dans un navire spatial pour la planète Verna, planète en dehors du système solaire…

Il est aussi intéressant de remarquer, en dehors des projets, combien l’idée de voyage, de déplacement, de mouvement, est présente dans les films eux-mêmes. Parfois ce sont des objets, parfois des discussions, ou encore le vagabondage des personnages qui évoquent ce désir.

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Table des matières

Introduction
I : « Reportage » et Enquête Philosophique au cœur des révolutions contemporaines
A. Blow Up : « Swinging London » et réalité insaisissable
1. Le bouillonnement culturel et social du « Swinging London »
2. Réalité insaisissable
B. Zabriskie Point : Un poème sur l’Amérique
1. Signes et Symboles de l’Amérique à travers Los Angeles, La
Révolution Estudiantine et la Vallée de la Mort
2. Entre imaginaire et réel
C. Profession : Reporter : Un décadrage continuel
1. Le Tchad, L’Angleterre, L’Allemagne, l’Espagne
et la carte du trafic d’armes
2. « Une épiphanie sans épiphanie »
II : Vers le Désert
A. Vers un paysage de mort ?
1. La mort en différé : glissement de la mort
2. Un équilibre délicat entre vie et mort
B. Vers le Vide
1. Paysages désertiques
2. Des images « vides »
C. Vers un espace nomade
1. Personnages nomades
2. Espaces lisses
Conclusion 

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