ENQUÊTE AUPRÈS D’INITIATEURS DE BIBLIOTHÈQUES DE RUE
Les questions de fréquentation et de non-fréquentation des bibliothèques municipales
Depuis 1970, les bibliothèques municipales françaises se sont développées de manière flagrante, permettant ainsi de desservir une part plus grande de la population. En effet, les chiffres présentés dans La démocratisation culturelle par les bibliothèques de lecture publique, une préoccupation d’hier ? montrent que le nombre de bibliothèques est passé de 804 à 4293 entre 1974 et 2008, augmentant ainsi le nombre d’inscrits (6,8% de la population desservie en 1974 face à 14,6% en 2008)4. Ce pourcentage, pouvant paraître faible quant aux objectifs d’ouverture des bibliothèques au plus grand nombre, n’est pour le moins pas négligeable puisqu’il ne prend pas en compte une part de la population qui fréquente la bibliothèque sans y être inscrite.
En effet, il est important de noter que le nombre d’inscrits d’un établissement de lecture publique ne représente en aucun cas le flux de fréquentation de celui-ci, dans la mesure où la bibliothèque demeure un lieu ouvert à tous sans inscription obligatoire préalable. Il faut par ailleurs souligner le fait que malgré l’essor indéniable d’Internet dans les foyers français qui pourrait détourner les usagers des bibliothèques, l’enquête nationale du CREDOC5 de 2005 fait le constat que la fréquentation des bibliothèques reste en hausse depuis le début des années 806 et encore jusqu’à aujourd’hui7. Les sociologues et conservateurs Bruno Maresca, Françoise Gaudet et Christophe Evans s’appuient sur cette enquête du CREDOC afin d’analyser les publics fréquentant les bibliothèques municipales. Ils font le constat que moins de la moitié des français (35%) de plus de 15 ans fréquentent la bibliothèque, municipale ou non, quel qu’en soit leur usage. Parmi cette partie de la population, seulement un français sur cinq s’est inscrit à au moins un établissement de lecture publique. Ce dernier chiffre montre que les bibliothèques françaises ont encore du chemin à faire quant à leur fréquentation, notamment par rapport à d’autres pays européens qui ont une fréquentation bien plus élevée que chez nous.
En France, c’est 75% de la population qui ne fréquente pas la bibliothèque municipale8. Ce chiffre n’est pas négligeable puisqu’il représente une partie conséquente de la population que les bibliothèques de lecture publique doivent encore essayer de toucher. Mais avant de déterminer les causes de non fréquentation ainsi que les moyens d’atteindre ces publics, il est utile de se référer aux quatre familles d’usages auxquelles il est fait mention dans Les bibliothèques municipales en France après le tournant Internet : Attractivité, fréquentation et devenir9 , et ainsi mieux cerner les usages qui sont faits de la bibliothèque. Le premier usage évoqué par les auteurs est nommé « usage classique ». Il renvoie à une catégorie d’utilisateurs, les usagers, qui fréquentent la bibliothèque dans laquelle ils sont inscrits et où ils empruntent généralement des documents. Le second usage renvoie également à la catégorie des usagers et est nommé « fréquentation sans inscription ».
Il s’agit bien là d’usagers dans la mesure où ils font usage de la bibliothèque, mais ils n’ont pas forcément la nécessité ou le besoin d’emprunter des documents et donc de posséder une carte de prêt. La troisième catégorie, appelée « inscription sans fréquentation des locaux », réunie des utilisateurs particuliers de la bibliothèque dans la mesure où ils sont à cheval entre le statut d’usagers et celui de non-usagers. En effet, l’utilisateur ne fréquente pas le lieu de la bibliothèque, mais cela n’exclut pas la possibilité pour lui de faire usage de sa carte de prêt par le biais d’une tierce personne. Enfin, la dernière catégorie mentionne les personnes qui semblent n’avoir aucune attache avec quelque bibliothèque que ce soit. Les auteurs la classifient sous l’appellation « ni fréquentation ni inscription ». Cette dernière catégorie englobe les non-usagers, mais il convient de relativiser ce non-usage qui peut être trompeur.
En effet, la frontière entre les différents publics et leur manière de faire usage de la bibliothèque est parfois très faible. Il est par ailleurs important d’évoquer un autre type d’utilisateur en parallèle de ceux précédemment évoqués : l’ancien usager. La fréquentation et l’usage de la bibliothèque n’est en effet pas linéaire dans l’existence des individus. Un usager peut avoir été longtemps assidu aux bibliothèques et à un autre moment de sa vie ne plus prioriser l’établissement de lecture publique dans ses centres d’intérêt.
Une évolution des pratiques de lecture avec l’avènement d’Internet et du numérique
C’est en 1997 qu’Internet commence à s’implanter dans les foyers français. Son développement est rapide, et l’on référence déjà en 2005 que la moitié de la population est équipée en haut débit19. Cette implantation active du web inquiète les professionnels du livre, qui se voient concurrencés en matière d’accessibilité aux savoirs et à la culture. La recherche d’informations est désormais au coeur du quotidien de chacun et relève d’une activité individuelle où la bibliothèque peine à trouver sa place. Avec la mondialisation qui s’additionne aux nouvelles technologies, le rapport à la connaissance évolue et s’intègre à la société de l’immédiateté que nous évoquions dans la partie précédente. Les citoyens embrassent une logique de consommation qui amène à requestionner le rôle des bibliothèques publiques, ainsi que leur légitimité. Une crainte est également émise face à la rivalité constituée par la télévision, occupant un temps qui aurait pu être consacré à la lecture. Houda Bachisse et Christine Dufour évoquent dans leur article20 la question de la désertion, qui semble-t-il est de plus en plus mentionnée dans le domaine des sciences de l’information, et qui serait la conséquence la plus flagrante de l’avènement du numérique.
Il convient cependant de nuancer l’impact de la culture de l’image et de l’écran sur le livre, qui conserve une place de choix dans le quotidien des français. Claudie Tabet21 en fait le constat suite à l’observation de lecteurs dans les transports en commun, révélant une population toujours encline à cette pratique culturelle, malgré une baisse de fréquentation des bibliothèques. Les individus ne se montrent pas fermés à l’acte de la lecture en lui-même, mais davantage à un système d’approvisionnement de livres qui ne leur convient pas. En effet, les bibliothèques publiques ne disposent pas d’un privilège d’accès à l’écrit, faisant que chaque lecteur possède sa propre expérience en matière d’acquisition. Dans une perspective identique, la démarche de la lecture se veut individuelle. Selon Patrick Bazin22 elle relève avant tout d’une expérimentation de soi au travers de la matérialité du livre-objet. Ce caractère propre à chacun n’exclut pas la dimension collective générée par le réseau qui l’entoure.
L’auteur distingue deux acteurs jouant un rôle essentiel à travers ces deux notions opposées. Tout d’abord l’institution, notamment représentée par l’école et la bibliothèque, qui permet à l’individu d’acquérir un savoir de manière personnelle. Le second est quant à lui incarné par les appartenances et la communauté, faisant ainsi évoluer l’expérience intime vers une expérience partagée. Malgré une pratique de la lecture encore courante, on observe un fléchissement de celle-ci au niveau national depuis les années 7023. Cette tendance décroissante, visible à travers le nombre moyen de livres lus chez les moins de 25 ans, ne signe pourtant pas l’arrêt de mort des bibliothèques, mais souligne particulièrement le témoignage d’une transformation des habitudes de lecture. En effet, on peut constater que la part des « gros lecteurs » est en diminution, tandis que celle des « lecteurs moyens » est en hausse. Les attentes de la part des publics ont évolué. Mises bout à bout il semble impossible d’y répondre individuellement. Comme le souligne Xavier Galaup24, cela nécessiterait de proposer des offres de services personnalisés, ce qui semble ambitieux à mettre en place dans une offre globale de bibliothèque. Afin de répondre aux exigences des usagers – plage horaire plus grande, temps de prêt plus long, davantage de convivialité, des réponses plus instantanées aux questions – il est suggéré au Congrès de l’ABF25 de 2007 de rendre le lieu physique plus attrayant et de proposer une plus large palette d’outils et de services. Il est également conseillé de modérer l’usage de ressources en ligne afin de ne pas égarer les lecteurs.
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Table des matières
INTRODUCTION
LES NOUVELLES PRATIQUES HORS-LES-MURS DES BIBLIOTHÈQUES MUNICIPALES À LA CONQUÊTE D’UN NOUVEAU TERRITOIRE ET DE SES PUBLICS
1 Le constat d’un nouveau public à atteindre
1.1. Les questions de fréquentation et de non-fréquentation des bibliothèques municipales
1.2. Une évolution des pratiques de lecture avec l’avènement d’Internet et du numérique
1.3. Une image de la bibliothèque à actualiser et démystifier
2 Une adaptation de la bibliothèque aux nouvelles approches de lecture
2.1. Une réappropriation du territoire par la bibliothèque…
2.2. … mais aussi par le public
2.3. La contingence du livre-objet et des technologies
3 Des actions hors-les-murs
3.1. La bibliothèque vers une démocratisation culturelle
3.2. La mise en oeuvre de pratiques innovantes
3.3. La pratique du bookcrossing, un renouveau dans le lien social
BIBLIOGRAPHIE
1 Bibliothèque et société
1.1. Monographies
1.2. Article de revue
2 Impact du numérique sur les bibliothèques municipales, leurs publics et leur législation
2.1. Monographies
2.2. Articles de revues
2.3. Charte
3 Nouveaux publics et nouvelles attentes
3.1. Monographies
3.2. Articles de revues
3.3. Travaux universitaires
3.4. Billets de blogs
4 Bibliothèque hors-les-murs
4.1. Monographies
4.2. Articles de revues
4.3. Sitographie
4.4. Article de journal
5 Bookcrossing
5.1. Monographies
5.2. Articles de revues
5.3. Articles de colloques
5.4. Sitographie
5.5. Article de journal
6 Méthodologie de l’enquête
6.1. Monographies
LES ENJEUX DU BOOKCROSSING EN BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE : ENQUÊTE AUPRÈS D’INITIATEURS DE BIBLIOTHÈQUES DE RUE
1 Méthodologie de l’enquête
1.1. Objectif de l’enquête
1.2. Délimitation de l’enquête
2 Résultats de l’enquête
2.1. Analyse des répondants à l’enquête
2.2. Des objectifs convergents
2.3. L’implication des bibliothèques municipales dans les projets de bookcrossing
2.4. Le bilan des initiateurs de bookcrossing
CONCLUSION
ANNEXES
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