Présentation de l’auteur
Ahmadou Kourouma est née en 1927 dans la petite ville de Boundiali en Côte d’Ivoire. Il est d’origine malinké et son nom Kourouma signifie « guerrier » en langue malinké. Il suit des études à Bamako, au Mali, puis rejoint la métropole pour suivre des études en mathématiques à Lyon en France avant de devenir ingénieur électrique. De 1950 à 1954, il est tirailleur sénégalais en Indochine. En 1960, date à laquelle la majeure partie des pays africains ont accédé à l’indépendance en l’occurrence son pays natal, il revient en Côte D’Ivoire, mais son séjour n’y durera pas longtemps car il sera vite affecté par le régime dictatorial du président Houphouët-Boigny ; c’est ainsi qu’il connut la prison en 1963 pour avoir participé à un faux complot. Il s’est exilé en Algérie, au Caméroun et au Togo de 1964 à 1994 avant de revenir en Cote –d’Ivoire. Ce romancier est l’un des écrivains les plus engagés du continent africain. Il a contribué avec son écritoire à la dénonciation des dérives des nouveaux dirigeants africains. Ainsi, il est l’auteur de plusieurs succès littéraires. Son œuvre romanesque présente une fréquence thématique dans laquelle pouvoir, politique, violence, sorcellerie, tradition, en somme situation sociopolitique sont mis en scène. La figure de la femme et du dictateur n’est pas non plus à bannir dans ses écrits. Nous le constatons dans les soleils des indépendances par le personnage Salimata mais aussi dans En attendant le vote des bêtes sauvages avec les dirigeants politiques. En effet, dans son premier ouvrage, Les soleils des indépendances(1968), il s’intéresse au désenchantement des indépendances et à la corruption des nouveaux régimes. Le deuxième Monné outrages et défis(1990) retraçant un siècle d’histoire coloniale. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages (1998),il met en exergue l’histoire d’un chasseur devenu dictateur. En 2OOO, l’écrivain publie Allah n’est pas obligé un livre qui a obtenu le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycées.La même année, il est récompensé par le prix Jean-Giono pour l’ensemble de son œuvre.En septembre 2002,lorsque la guerre civile éclate en Cote d’ivoire, il prend position contre l’ivoirité « Une absurdité qui nous a mené au désordre » et pour le retour de la paix dans son pays. Kourouma était marié et père de quatre enfants.Onze ans après sa mort en novembre 2014 plus précisément,sa dépouille a été transférée de Lyon en Côte d’ivoire.Kourouma est également l’auteur de plusieurs livres pour enfants tels que :Yacouba,chasseur africain,1998,Le griot, homme de parole 2000,Le chasseur, héro africain,Le forgeron, homme de savoir et Prince,Suzerain actif.
Définition des concepts clés
Dans notre étude, le lecteur risque de tomber sur des concepts qui reviennent régulièrement. Ainsi,pour éviter toute incompréhension des differents concepts que nous aurons à employer de façon récurrente dans notre étude nous tenterons de les définir enfin de partager avec le lectorat la même compréhension que nous avons de ces concepts.
-Enonciation : Selon Emile Benveniste, l’énonciation est la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation. Il faut considérer que d’autres chercheurs ont travaillé sur le concept surtout avec la linguistique de l’énonciation qui constitue un tournant décisif dans les sciences du langage. Mais comme nous avons comme théorie de base celle du chercheur Benveniste, on a jugé plus cohérent de donner son point de vue sur le concept qu’il a défini dans son ouvrage Problème de linguistique générale 2 que nous avons donné précédemment. C’est une notion qu’il oppose au concept « énoncé » terme polysémique qui est le résultat de l’acte d’énonciation Dans une œuvre littéraire, l’énonciation peut être considérée comme une activité énonciative à travers lequel l’auteur met à son service les outils et procédés linguistique pour faire passer ses préoccupations, ses idées, sa posture dans le champ littéraire. Pierre Vaast a donné dans son ouvrage Les outils d’analyse littéraires (1994) le concept la définition suivante : «l’énonciation est la situation dans laquelle un texte, un énoncé, ou un message a été produit .Elle suppose la présence d’un émetteur(ou auteur)qui s’adresse à un récepteur(ou lecteur),à un moment et dans un lieu donné »p61.
-Polyphonie : Divers linguistes se sont intéressés au phénomène de la polyphonie. C’est en effet le linguiste russe Mikhael Bakhtine qui a introduit cette notion pour l’étude de la littérature romanesque, elle a ensuite été utilisée en linguistique pour analyser les énoncés ou plusieurs voix se font entendre. C’est bien ce qui se passe dans notre corpus de base et sur quoi notre étude va porter. Les études menées sur le roman de Dostoïevski ont amené à l’auteur parler du principe de dialogisme tout en le différenciant de la polyphonie. En effet, il considère la polyphonie comme une dialogisation intérieure au discours produit par un seul et unique locuteur. En outre, signalons que Ducrot, approfondissant les études sur le concept, met en cause l’unicité du sujet parlant. Il conteste cette conception et admet la distinction des différents acteurs de l’énonciation à savoir le sujet parlant, le locuteur et l’énonciateur. Nous pouvons définir donc la polyphonie comme, la présence simultanée de deux ou plusieurs voix à travers une même énonciation.
-Discours : Couramment, on parle de discours pour des énoncés solennels ou péjorativement pour des paroles sans aucune importance. Il peut désigner aussi n’importe quel usage restreint de la langue. De nos jours, avec les sciences du langage, on fait face à deux exemples du terme. Un emploi au singulier «l’analyse du discours »et un emploi au pluriel « la particularité des discours »Mais comme nous sommes dans l’analyse d’un discours littéraire, on se basera sur le premier exemple du terme c’est-à-dire sa considération au singulier. Il est donc clair que donner une définition du concept de « discours » en linguistique n’est pas chose aisée du fait de son caractère polysémique. Néanmoins, nous essayerons de donner une définissons de la notion plus ou moins acceptable. En effet, ce sur quoi tout le monde peut être d’accord, c’est que le discours est l’utilisation réelle du langage c’est-à-dire l’usage réel de la langue par un locuteur dans une situation réelle. En d’autres termes, c’est une énonciation constituée d’un ensemble d’énoncés inscrit dans ce que l’on pourrait appeler en linguistique le cadre énonciatif. Le petit Larousse le définit comme étant la réalisation concrète, écrite ou orale, de la langue considérée comme un système abstrait.
-Dialogisme : Notion utilisée par Bakhtine dans ses études littéraires, le « dialogisme » peut être défini selon sa conception comme étant un principe qui gouverne toute pratique langagière, et au-delà toute pratique humaine, c’est une notion qui repose fortement sur l’idée d’un dialogue, d’une interaction entre deux ou plusieurs discours, voix ou énoncés. Le mot a été popularisé par Bakhtine qui a aussi forgé le concept qu’il traduit.C’est une notion qui a d’abord pénétré dans en sémiotique littéraire,avant de s’imposer dans les sciences du langage ,puis de s’étendre à l’ensemble des sciences sociales.On trouve ainsi,le dialogisme d’un texte comme se fut le cas dans notre étude.
-Discours rapporté : Le discours rapporté est un procédé linguistique par lequel, les paroles ou les pensées de l’auteur sont rapportés telles qu’elles ont été prononcées. Il peut se présenter sous trois formes que sont : Le discours direct, indirect et indirect libre. C’est un procédé souvent présent dans les romans selon les périodes. Ahmadou Kourouma n’est pas en reste. Ces œuvres se caractérisent par un fort emploi du discours rapporté. C’est ce qui donne en principe à ses textes un caractère et surtout polyphonique.
-Énoncé : C’est le produit de l’énonciation.Il en est le résultat.L’énoncé est ce que le produit est pour la production.
-Modalisation : Le terme vient du latin « modus ».Elle définit l’attitude du sujet de l’énonciation par rapport à son énoné ,et notamment la manière dont celui-ci nuance ou appuie son propos à l’aide de modalisateurs qui sont des outils par lesquels,le locuteur manifeste la manière dont il envisage son propre énoncé.C’est ce que nous allons voire dans cette recherche en montrant leur manifestation en tant que moyen morphologique, lexical,syntaxique ou intonatif par lequel se montre l’attitude du locuteur au sujet de cs qu’il dit.
-Déictiques : Elles sont des marques de la langue qui permettent de repérer le locuteur par rapport à l’objet du procès.Elles ne sont pas lien au contexte, donc ne sont interprétables que dans la situation d’énonciation.On parle parfois en pareil cas d’embrayeurs.
-Deixis : Ce sont des coordonnées pragmatiques de l’énonciation.
Les déictiques spatiaux
Les déictiques spatiaux ont pour fonction principale de situer les objets qui ont pour point de référence le corps de l’énonciateur.Ils déterminent la position de ce dernier par rapport à son environnement au moment de l’énonciation et ne sont interprétables qu’en prenant en considération celui ci(l’énonciateur). En outre, ils sont considérés comme : « le centre de tous les axes qui permettent d’interpréter linguistiquement l’espace ».(Momar Cisse,Alé Gone Seck)Ils sont composés principalement de :ici,labàs,derrière,avant,en haut, en bas, devant… Parmi ces éléments, force est de reconnaitre l’importance de l’adverbe « ici »qui apparaît comme « variable pragmatique puisque son interprétation référenceielle varie en fonction des instances de l’énonciation »Cisse Momar et Seck Ale Ngoné,outils d’analyse textuelle, En effet, « ici » constitue un embrayeur spatial de façon constante.C’est dire dans tous ses emplois, il ne peut désigner d’autres lieux que celui dans lequel s’effectue l’acte discursif. Comme le pronom personnel « je », « ici » est un embrayeur saturé car chacun de ses occurrences ne renvoie qu’à un seul référent spécifique. Dans notre corpus ces éléments déictiques ont permis de situer les différents protagonistes par rapport à l’espace au moment de l’énonciation.Les passages suivants serviront d’exemples d’illustration.
Exemple : « Il a geulé plus fort encore : « Enlevez-moi d’ici.Sinon.je vais vous fétiche.Vous fétiche tous »p105,106
Dans cet exemple, l’analyse du contexte situationnelle permet d’établir la référence de effet, c’est lorsque Yacouba et Birahima ont été arrêtés par la faction ULIMO.Pour sortir des mauvaises conditions de détention, il brandit des menaces à l’endroit de ceux qui l’ont détenu à qui le « vous » référe.Il est donc évident que « ici » fait référence à la prison.C’ect le même cas dans les exemples suivants :
Exemples : – « Seydou s’était tourné et avait dit : « je reste ici pour jouir de mon grade de colonel. »page221 Le déictiques « ici »renvoie à Worosso.
-« moi j’étais à l’arrière du 4×4 coincé entre Yacouba et Sékou. »
-« On mangeait bien, on mangé du riz gras avec sauce graine Et làbas,il y’avait des salaires. »p82
Cependant, le déictiques « ici » peut ne pas viser de façon restrictive comme dans les extraits cités précédemment le point précis de son occurrence dans la séquence verbale.Il peut englober la totalité de l’œuvre.Dans notre corpus, le « ici » nous ramène en Cote d’ivoire ou le docteur Mamadou a fait ses études, au Liberia, théâtre de la guerre tribale d’ou est originaire Mamadou, d’autres pays comme la Sierra Leone, autre théâtre de guerre, la Guinée, la Gambie, le Togo, le Burkina Faso… D’autres éléments déictiques comme les démonstratifs participent également au référencement des interlocuteurs dans l’acte discursif.
Le dialogisme
Le terme « dialogisme » est employé par Mikail Bakhtine pour désigner la relation que chaque énoncé a avec les autres.Selon lui, « il n’est pas d’énoncé sans relation aux autres énoncés.(…) Le terme qu’il emploie, pour désigner cette relation de chaque énoncé aux autres est « dialogisme. »(Torodov 2002 :95).En effet, c’est un terme très proche de la notion de « dialogue » ce qui laisse entendre que le dialogisme aurait un lien direct avec le dialogue tenu entre deux personnes.Alors que le dialogisme de M Bakhtine va au delà, car, par dialogisme, il entend non seulement les répliques pouvant être tenues entre deux interlocuteurs ,mais aussi les relations qui peuvent se tenir entre le discours d’autrui et celui du « je ».Le dictionnaire des termes et concepts pour l’analyse du discours définit le terme comme : « la capacité de l’énoncé,à faire entendre,outre la voix de l’énonciateur,une ou plusieurs autres voix qui le feuillettent énonciativement »(2001,p83).Le dialogisme refère au dialogue avec des discours antérieurs(dialogisme interdiscursif).C’est pourquoi certains linguistes comme T. Torodov préféreront le terme « intertextualité » au lieu du dialogisme de Bakhtine qui, dont les recherches sur la notion ont montré,l’importance de l’altérité qui se trouve au principe de toute expression verbale.Le discours n’est donc pas seulement une entité homogène mais au sens propre,une réalité « altérée »(Sarfati 2007 508) Ce qui revient à dire que le discours,quelque soit le sujet,l’énonciateur ou l’interlocuteur,le temps et le lieu dans lequel il a été tenu,porte toujours la marque des « autres » peut être des personnages comme dans les discours tenus par Kourouma dans presque toutes ses oeuvres .Des discours imprégnés de la voix des autres comme celle de sa grand mère, de Yacouba son formateur, des mœurs,des croyances sociales…etc.Tout au long de l’œuvre de Kourouma,ce phénomène de la représentation de l’autre apparaît de manière claire.C’est ce qui fait de notre corpus une œuvre dialogique au sens Bakhtinien, qui considère que les mots ont tous déjà servi et porte en eux mêmes les traces de leurs usages précédents.Une approche que Kourouma a bien réussi dans son discours avec l’emploi des citations, des proverbes, de parenthèses, de guillemets des différentes formes de discours rapportés dont nous parlerons dans ce même chapitre, sans oublier l’usage de sa langue maternelle.C’est ainsi que Alain Rabatel,explique que le dialogisme est avant tout « une multiplicité des dialectes,sociolectes et idiolectes du genre romanesque »(Rabatel 2009 :366).Prenons à titre d’exemples les passages suivants :
(1) « Il faut toujours remercier l’arbre à karité sous lequel on a ramassé beaucoup de bon fruits pendant la bonne saison. »p14
(2) « Le genoux ne porte jamais le chapeau quand la tête est sur le cou »p9
(3) On suit l’éléphant dans la brousse pour ne pas être mouillé par la rosée »p163
(4) « C’est Sain Abacha qui était sous la pluie et c’était Houphouët Bobigny qui tirait les poissons de la rivière »p173
(5) « Moi je ne serai jamais ingrat envers Balla(sexe de mon père) !Gnamokodé (batard) !p14
(6) « Grand-mère disait cela et demander à ma maman de prier. »p15
Dans les deux premiers extraits,nous avons des proverbes.Ils n’appartiennent donc pas exclusivement à l’énonciateur d’autant plus que se sont des termes qui ont déjà servi dans des discours.Nous y reviendrons ultérieurement.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I:CADRE THÉORIQUE ET METHODOLOGIQUE
I-1-1 Contexte et justification
I-1-2 Question de recherche
I-1-3 Objectifs
I-1-4 Hypothèse
I-2 Revue de la littérature
I-3 Méthodologie de la recherche
I-3-1 Présentation de l’auteur et du corpus
I-3-1-1 Présentation de l’auteur
I-3-1-2 Présentation du corpus
I-3-2- traitement des données
I-3-3-Théories de base et concepts clés
I-3-3-1-Théorie de base
I-3-3-2-Définition des concepts clés
CHAPITRE II : L’ENONCIATION ET LA MODALISATION DANS ALLAH N’ESP PAS OBLIGE
II-1-L’enonciation dans Allah n’est pas obligé
II-1-1-La situation d’énonciation
II-1-2-Les indices d’énonciation
II-1-2-1-Les déictiques
II-1-2-1-1-Les deictiques personnels
II-1-2-1-1-a-Les pronoms personnels
II-1-2-1-1-b-Les possessifs
II-1-2-2-Les déictiques spatiaux
II-1-2-2-3-Les déictiques temporels
II-2 La modalisation dans Allah n’est pas obligé
II-2-1 Les modalités expressives
II-2-1-1-L’assertion
II-2-1-2 L’interrogation
II-2-1-3 L’injonction
II-2-2-Le choix lexical
II-2-2-1-Les substantifs subjectifs
II-2-2-2-Les adjectifs
II-2-2-3-Les adverbes et les verbes
CHAPITREIII : L’APPROCHE POLYPHONIQUE DANS ALLAH N’EST PAS OBLIGÉ
III-1-Le dialogisme
III-2-L’intertextualité
III-2-Le discours rapporté
III-2-1-La discours direct (DD)s
III-2-2-Le discours indirect
III-2-3-Le discours indirect libre
III-2-4-Le discours narrativisé
III-3-Analyse de quelques voix
III-3-1-Le proverbe comme représentation de la voix sociale
CONCLUSION
BIBLIOGRPHIE
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