Depuis 1992, année de création de la sous-section universitaire du conseil national des universités (004 de la section 47 du CNU), puis 1995, année de création du diplôme d’études spécialisées (DES), la génétique médicale est devenue une spécialité médicale indépendante au même titre que la neurologie ou l’oncologie. Les spécificités de cette discipline ont été reconnues ainsi que la nécessité d’une formation particulière qui allie des stages auprès des généticiens cliniciens (pour mieux cerner la nécessité d’une expertise clinique, les attentes des personnes et leurs droits par exemple) et auprès des généticiens exerçant en laboratoires (ayant l’expertise technique biologique et bio-informatique pour trier, interpréter et valider les données issues du génome). Cette formation de 4 ans procure ainsi une vision globale de l’exercice de cette discipline médicale avec les contraintes matérielles et réglementaires, les incertitudes dans l’interprétation des résultats et leurs gestions vis-à-vis des patients, le développement rapide et les nombreux enjeux techniques, économiques, juridiques et éthiques liés à la réalisation d’un test génétique. L’exercice de la génétique médicale donne également l’opportunité de se confronter à des situations extrêmement variées puisque concernant tous les âges de la vie d’une personne (de la période prénatale jusqu’à la personne âgée) et toutes les spécialités médicales. Les généticiens sont ainsi positionnés au cœur de la régulation de l’accès aux tests génétiques, tant par leur formation académique et leurs expériences de terrain, que par les textes réglementaires qui leur confèrent des compétences en termes de prescriptions, d’informations adéquates et de retour de résultats pour les patients et leurs familles.
L’accroissement vertigineux du nombre de facteurs génétiques impliqués dans toutes les pathologies définissent actuellement une véritable médecine fondée sur la génomique (Wise et al. 2019). Du fait d’une véritable révolution des outils technologiques permettant une analyse (ou séquençage) rapide et massif de gènes et du génome entier (dénommée dans la littérature « panel de gènes », «exome » ou « génome ») pour la médecine d’aujourd’hui (Lappalainen et al. 2019) et celle d’hier, par exemple dans l’identification d’agents infectieux anciens lors d’épidémies passées (Spyrou et al. 2019), l’analyse des caractéristiques génétiques d’une personne est devenue un examen courant voire indispensable dans toutes les disciplines médicales. Tout particulièrement développé dans les maladies rares, ce test génétique permet ainsi d’identifier la cause de la symptomatologie présente chez le patient (et ainsi mettre fin à l’errance diagnostique) (Sawyer et al. 2016), de préciser le pronostic, de proposer un traitement spécifique (Dugger, Platt, et Goldstein 2018) ou d’aménager la prise en charge. Ce diagnostic génétique est également un élément de reconnaissance sociale facilitant les démarches auprès des organismes de protection sociale (type Assurance Maladie pour une prise en charge en ALD ou Maison Départementale des Personnes Handicapées pour l’attribution d’aides spécifiques) et permet d’orienter le patient vers une association de malades adéquate contribuant à mettre fin à un isolement souvent rapporté par les familles (Garau 2016). La mise en lien avec d’autres personnes affectées par la même maladie est un élément majeur dans l’accompagnement proposé. Ce diagnostic autorise également la possibilité d’un conseil génétique fiable, c’est-à-dire de préciser le risque que d’autres personnes de la famille soient également concernées (notion de maladie héréditaire) et le risque de récurrence pour une autre grossesse (avec la proposition d’un diagnostic préimplantatoire ou prénatal précoce).
Enjeux médicaux
Le développement massif des tests génétiques est-il toujours utile dans le diagnostic ou la prise en charge d’un patient ? Existe-t-il des spécificités selon les disciplines médicales, l’âge du patient ou la gravité de sa pathologie ? Ainsi, il existe parfois une problématique de définition de la maladie. Par exemple, devient on malade lors des premières manifestations cliniques (douleurs, fièvre, asthénie…) ou lorsque les biomarqueurs sanguins sont anormaux (dosage hormonal ou marqueur tumoral) ou encore au moment du résultat anormal du test génétique plaçant la personne à risque d’une maladie non encore symptomatique ?
Le décalage entre les possibilités techniques d’étude du génome humain et les interprétations médicales qui peuvent en être faites pourrait générer un nouveau statut de la personne, entre malade et bien portant. En effet, l’essor des nouvelles technologies d’analyse du génome entier (puce à ADN, exome ou génome) conduit à la mise en évidence de variants génétiques dont la signification n’est pas connue, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de faire un lien direct entre la variation génétique et les symptômes observés (notion de corrélation génotype-phénotype). Ces techniques progressent plus rapidement que les connaissances médico scientifiques. Ainsi, l’interprétation des résultats et la transmission de l’information au patient sont complexes.
Il arrive parfois que des données non encore stabilisées définissent un nouveau statut de la personne. Par exemple dans le cadre du dépistage néonatal de la mucoviscidose, les catégories cliniques, diagnostiques, statutaires fabriquées sont multiples : « malade de forme typique » ou « modérée », « porteur sain suspect », ou encore « bien portant » suspecté de devenir « malade » sont pris en charge au sein des Centres de Ressources et de Compétence de la Mucoviscidose (CRCM). Seuls les individus sans ou avec une seule mutation repérée, un test de la sueur négatif, sans recherche génotypique extensive, seront désignés médicalement comme « indemnes ». Certains enfants n’ayant pas les critères requis de la maladie mais montrant des signes biologiques atypiques ont évolué vers une figure nouvelle, génératrice d’anxiété pour les parents . Cette problématique de la définition de la maladie avait été soulevée précédemment par la réalisation d’un test génétique dans un cadre prédictif où le patient peut se savoir porteur d’une anomalie, préalablement identifiée dans la famille, sans en présenter les symptômes.
Enjeux sociologiques et éthiques
De nouvelles représentations et de nouveaux comportements médicaux émergent liés, en grande partie, aux nouvelles possibilités techniques d’étude du génome. Ces techniques mises récemment à la disposition des médecins peuvent contribuer à la prise en charge de tout patient mais n’ont probablement pas été accompagnées des formations adéquates permettant une prescription adaptée. De même, la vulgarisation de la matière génétique auprès du grand public et l’attente disproportionnée qui en résulte par rapport aux services réellement rendus sont de nature à inciter les patients à demander ou à accepter la prescription d’un test génétique.
Ainsi, les enjeux suivants ont été mis en évidence :
– une nouvelle temporalité dans la prescription d’un test génétique toujours de plus en plus précoce dans l’histoire de la maladie d’une personne,
– une évolution des liens qui unissent la famille,
– une première typologie des représentations et pratiques médicales associées à cette offre d’examens.
D’un point de vue médicale, l’enjeu est souvent de faire un diagnostic rapide pour une prise en charge précoce car les propositions thérapeutiques permettent parfois un traitement circonscrit ou une adaptation de la prise en charge pour anticiper les impacts connus et donc une diminution des conséquences médicales. Il existe donc une évolution indéniable vers des tests biologiques (dont les tests génétiques) systématiques, avec par exemple un élargissement du dépistage néonatal. A titre d’exemple, il a été réalisé au Pays de Galles un dépistage précoce d’une maladie musculaire relativement fréquente (1 garçon sur 3500), grave et évolutive, la dystrophie musculaire de Duchenne, par un dosage biochimique des enzymes musculaires entre 1990 et 2011 (Moat et al. 2013). Alors qu’il n’existait pas de traitement curatif, les justifications de ce dépistage étaient une réduction du délai diagnostique (habituellement autour de 4-5 ans), une meilleure connaissance des risques de récidive pour d’autres grossesses du couple et ainsi de leur offrir des choix reproductifs ainsi qu’une planification adéquate des soins de l’enfant. Au delà des questions éthiques (utilité médicale validée ? Faux-positifs ? Retentissement sur l’enfant et sa famille ?), on retient un glissement vers l’amont de l’histoire de la personne (néonatal puis prénatal puis préconceptionnel) dans une nouvelle conception du temps.
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Table des matières
Introduction
1) Enjeux médicaux
2) Enjeux sociologiques et éthiques
3) Enjeux juridiques
Généralisation des tests génétiques en population
Pratiques médicales génétiques par des professionnels non-généticiens
Objectifs de recherche
Objectifs
Méthodologie
Analyse de l’évolution des tests génétiques en population générale
Analyse qualitative des pratiques de génétiques réalisées par les médecins non généticiens
Résultats
Points clés de l’analyse de l’évolution des tests génétiques en population générale
Points clés de l’analyse de l’étude qualitative en focus groups des médecins non-généticiens
1) Une pratique segmentée car ancrée dans les particularismes de chacune des maladies
2) Des situations problématiques sources de tensions du fait des limites de compétences
3) Un cadre réglementaire Français non adapté aux pratiques
4) Les stratégies pour faire face à ces tensions
Discussion
La réglementation française en matière de tests génétiques à faire évoluer
Un risque de prescription automatique qui questionne le respect de l’autonomie des patients
Modes de coopération à nouer entre spécialités médicales et génétiques
Conclusions et perspectives
Bibliographie
Annexes