Compte-rendu d’interview : le responsable opérationnel et la responsable commerciale
Le responsable opérationnel et la responsable commerciale sont très impliqués dans le déroulement des activités de l’entreprise. Ils présentent toutes les consignes de traitement d’un projet à toutes les équipes concernées et s’assurent de leur formation. Comme l’indique l’organigramme, les agents de traitement ainsi que les agents contrôleurs sont sous les ordres du responsable opérationnel. Les commerciaux, les téléopérateurs, les rédacteurs et les community managers sont quant à eux sous la responsabilité de la responsable commerciale. Selon le responsable opérationnel : « Les agents de traitement réclament une augmentation de salaire alors qu’ils n’atteignent toujours pas les objectifs fixés. Les clients nous paient en fonction de notre production. Plus nous donnons de résultats, alors plus nous sommes payés. S’ils veulent gagner plus d’argent, ils devraient travailler plus. C’est comme ça, ce n’est pas moi qui invente, mais c’est le même principe appliqué par toutes les entreprises comme nous. Cela fait plusieurs fois que l’on a eu un retard de livraison, si ça continue, il va y a voir des conséquences, et tout le monde ici sera victime. Ensuite, avec leur niveau d’études, l’augmentation de salaire n’est vraiment pas envisageable. On ne peut pas imposer un niveau bac +2 pour le poste d’AT, sinon ils exigeraient un salaire encore plus élevé. Nous ne pouvons leur proposer alors qu’un salaire de niveau bac vu qu’ils sont tous bacheliers. Tout le monde aimerait toucher plus d’argent à chaque fin du mois, mais ce n’est pas donné à tous. En travaillant dans une société comme celle-ci, c’est-à-dire une société offshore, ils devraient comprendre que parfois l’horaire peut être prolongé. Lorsque le travail l’exige, il se peut que l’on soit amené à travailler la nuit. Même nous, les responsables, on sort souvent très tard. On n’a même pas le temps de conduire nos enfants à l’école. Dans le monde professionnel, les contraintes sont nombreuses, et il faut s’y préparer dès que l’on choisit d’intégrer telle entreprise. En revanche, si nous les faisons travailler tard, nous leur donnons des frais pour qu’ils prennent un taxi. Nous payons également leurs heures supplémentaires à chaque fin de mois. » Selon la responsable commerciale : « Pour permettre à tous les agents de traitement de voir leurs performances, nous affichons toujours un tableau des objectifs. Cet affichage permet à ceux qui n’ont pas atteint les objectifs de s’améliorer la prochaine fois. Nous offrons des primes à ceux qui arrivent à les dépasser. Par contre, nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à ceux qui ne font rien. Le retard du règlement de salaire ne dépend pas entièrement de nous. Ce problème vient de nos clients ou de la banque, néanmoins ce retard ne dépasse jamais une semaine après la fin du mois. Tout travail exige une pression ! Nous estimons que ce n’est pas la première fois qu’ils travaillent. S’ils se plaignent à cause de la pression au travail, c’est peut-être parce qu’ils ne suivent pas le rythme c’est tout. Nous ne faisons aucun traitement de faveur, tous les employés sont ici considérés de la même façon. Ils ont droit à un congé, à condition qu’ils aient une ancienneté de 1 an minimum. Le responsable technique a déjà surpris des employés en train de télécharger des films et de regarder des vidéos pornographiques, ici au travail. Cela dépense toutes les bandes passantes et sature énormément la connexion internet. De la sorte, la production est en baisse, car les autres employés n’arrivent pas à consulter certains sites web. De plus, nous sommes ici pour travailler et non pour nous amuser ou nous divertir en regardant des vidéos. C’est la raison pour laquelle, nous avons fait installer ces logiciels sur tous les ordinateurs ».
Théorie de Dominique PICARD et Edmond Marc LYPIANSKY sur les enjeux relationnels
Les enjeux relationnels sont fidèles à cinq principes : l’ouverture et la fermeture, proximité et la mise à distance, l’expression et la rétention, l’émotionnel et le rationnel, l’autonomie et la dépendance. Pour être aimé des autres, il faut être attractif, ouvert et accueillant. Bien que nécessaire, l’ouverture peut faire courir le risque d’intrusion, d’envahissement et de débordement. À l’inverse, la fermeture aux autres peut conduire à l’isolement. Le réglage de la distance constitue aussi un autre aspect délicat de la relation. Une trop grande proximité crée un sentiment de contrainte, alors qu’une distance trop grande crée un sentiment d’indifférence. Pour chacun, la distance souhaitée n’est jamais la même. Le but c’est de trouver cette bonne distance. L’établissement d’un équilibre satisfaisant entre l’expression totale et la rétention est nécessaire pour éviter les conflits. D’un côté, la franchise et l’authenticité sont des qualités positives, mais il est parfois nécessaire de ne pas dire toutes les vérités pour ne pas mettre l’autre mal à l’aise. De l’autre côté, le fait de ne pas exprimer ses pensées peut rendre l’autre mal à l’aise et installe chez lui de la méfiance, car il aura l’impression de vivre avec un inconnu ou un étranger. La lutte entre l’émotionnel et le rationnel est très présente au niveau interactionnel. Une relation dépourvue d’affection n’est jamais satisfaisante, car elle suppose tout d’abord une maitrise constante de soi, qui est souvent à l’origine des troubles. Ensuite, c’est au niveau émotionnel que s’opère habituellement la découverte d’autrui. Toutes relations sont liées par la difficulté à gérer la dualité que forment l’autonomie et la dépendance. Le respect de l’autonomie peut déboucher sur une forme de vie où deux acteurs font ce qu’ils ont envie de faire sans consulter l’avis de l’autre et sans l’avoir mis au courant. La dépendance se traduit par l’incapacité ou l’interdiction tacite de réaliser quelque chose sans l’autre. Pour expliquer le concept de « pathologie des rapports », Dominique PICARD et Edmond Marc LYPIANSKY affirment que les rapports symétrique et asymétrique peuvent contenir un germe de conflits. La perversion du rapport symétrique se caractérise par le désir de montrer à l’autre qu’on est au même niveau que lui. La perversion du rapport asymétrique quant à elle se traduit par la transformation de la complémentarité en hiérarchie. Il existe une confusion des places lorsque le rapport entre les acteurs dans une situation n’est pas clair. Le désir d’établir deux rapports à la fois avec le même individu peut devenir généralement une source de conflit relationnel. Cela constitue une ambiguïté et pèse sur la relation. Prise entre des exigences contradictoires, elle devient conflictuelle et crée des répercussions sur l’interlocuteur. Les modalités d’une relation dépendent d’un certain nombre de besoins : besoins existentiels, besoins d’intégration, besoins de soutien, besoins de compréhension, besoins de gratification, besoins de reconnaissance, besoins de respect, besoins d’amour. La communication avec autrui nécessite une gestion des exigences parfois contradictoires comme par exemple : s’ouvrir aux autres et se protéger d’eux ; en être proche et les tenir à distance ; communiquer pour maintenir la relation tout en sachant taire ce qui peut être nuisible ; être authentique dans ses émotions tout en abordant les situations rationnellement ; être à la fois autonome et dépendant. Pour pouvoir nouer une relation, il est essentiel d’établir un rapport de place. Le lien noué entre les acteurs d’une relation est le résultat d’un ajustement entre leurs positions respectives. Cet ajustement est tout d’abord déterminé par les modèles proposés par la culture ainsi que les institutions. Dans certains pays par exemple, le rapport entre homme/femme suit des règles hiérarchiques bien définies. Dans les réunions familiales ou dans les cérémonies funèbres, la parole est donnée aux hommes. Cela ne signifie pas pour autant que la femme est quasiment insignifiante dans la société, mais les hommes y tiennent surtout une place prépondérante. Ensuite, il est déterminé par la relation qu’entretient une place avec d’autres places. Et enfin, l’ajustement entre les positions respectives des acteurs d’une relation est déterminé par un rapport psychologique. La définition d’un rapport de place peut se faire de plusieurs façons. Elle est définie selon le degré de familiarité des acteurs, du degré de convergence ou de divergence des opinions, des affinités ou sentiments et enfin selon la similitude ou la différence des positions. Il existe plusieurs types de rapport de place dans une relation. Lorsque les acteurs se positionnent en pairs, on dit qu’ils entretiennent un rapport symétrique. C’est par exemple le cas de deux collègues travaillant dans un même bureau ou deux amis de même génération. Leur relation se caractérise par l’échange de messages dit « en miroir ». Leur mode de salutation ainsi que leur rang dans la hiérarchie sont identiques. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque leurs statuts sont dissemblables, on dit qu’ils entretiennent un rapport asymétrique. Lorsque ce dernier n’implique pas structurellement une relation de pouvoir, on le qualifiera de « rapport asymétrique complémentaire ». Quand il implique une relation de pouvoir, on parlera de « rapport hiérarchique ». C’est le cas entre un salarié et son patron. Le comportement entre ces deux protagonistes diffère et leur relation est marquée par des codes de civilité. Exemple, le salarié ne salue pas son supérieur par son prénom. Le rapport hiérarchique implique également l’existence d’une double position : la position haute et la position basse. La position haute est tenue par les dirigeants d’une entreprise. Elle se caractérise soit par du paternalisme, de la protection, de la condescendance ou de l’exigence. La position basse quant à elle est tenue par les salariés. Elle est marquée par de l’admiration, de la soumission, de la rébellion, de la crainte ou de l’imitation. Pour qu’un rapport de place soit satisfaisant, il est essentiel que les protagonistes s’y sentent à l’aise et qu’ils le considèrent comme juste. Si tel est le cas, on dira que la relation est équilibrée ; dans le cas contraire, on parlera de « déséquilibre ». Généralement, les conflits sont associés à des situations déséquilibrées. À l’origine de ce déséquilibre se trouve en premier une sorte de perversion du rapport lui-même où l’enjeu de la communication ne consiste plus à la création et au renforcement des liens, mais pour assoir une domination et démontrer sa position. Ensuite, la confusion des places est aussi derrière les troubles relationnels. Cette situation arrive lorsque deux partenaires n’arrivent plus à se positionner et n’occupent pas leur place clairement définie.
Repérage et codage paraphrastique des communications récurrentes
Les agents de traitement :
– Nos demandes ne sont jamais prises en compte par les responsables, nous avons demandé une augmentation de salaire et jusqu’à maintenant rien.
– Lors de notre entretien d’embauche, on nous avait pourtant bien dit que nos salaires seraient révisés tous les ans.
– Des fois, on termine très tard, notre travail exige énormément d’efforts et nous ne sommes jamais récompensés pour cela.
– Une fois nous étions retenus au travail jusqu’à 22 h 20 alors qu’on commence à 6 h du matin, nous n’avons plus de vie de famille.
– Ils ne paient pas nos heures supplémentaires.
– Chaque mois, il y a toujours un retard dans le paiement des salaires.
– Nous sommes mal payés
– Le plus embêtant ici aussi est le traitement de faveur qu’ils accordent à certains employés.
– Il est vrai que nous n’avons pas fait des études supérieures, mais cela ne signifie pas que nous sommes des moins que rien.
– L’avantage professionnel peut se traduire par le fait de laisser les salariés consulter certaines choses qui leur sont importantes sur internet.
– Ils observent nos moindres faits et gestes à l’aide des 2 caméras de surveillance perchées sur les murs.
Le responsable opérationnel :
– Les agents de traitement réclament une augmentation de salaire alors qu’ils n’atteignent toujours pas les objectifs fixés.
– S’ils veulent gagner plus d’argent, ils devraient travailler plus.
– Cela fait plusieurs fois que l’on a eu un retard de livraison, si ça continue, il va y a voir des conséquences.
– Avec leur niveau d’études, l’augmentation de salaire n’est vraiment pas envisageable.
– N’importe lequel travailleur espère pouvoir toucher plus à la fin du mois, mais ce n’est pas donné à tous.
– Même nous, les responsables, on sort souvent très tard ; on n’a même pas le temps de conduire nos enfants à l’école.
– Si nous leur faisons travailler tard, nous leur donnons des frais pour qu’ils prennent un taxi.
La responsable commerciale :
– Pour permettre à tous les agents de traitement de voir leurs performances, nous affichons toujours un tableau des objectifs. Cet affichage permet aussi à ceux qui n’ont pas atteint les objectifs de s’améliorer la prochaine fois.
– Nous offrons des primes à ceux qui arrivent à dépasser les objectifs.
– Le retard du paiement des salaires provient de nos clients ou de la banque, néanmoins ce retard ne dépasse jamais une semaine après la fin du mois.
– Nous ne faisons aucun traitement de faveur, tous les employés sont ici considérés de la même façon.
– Le responsable technique a déjà surpris des employés en train de télécharger des films et de regarder des vidéos pornographiques, ici au travail.
– De plus, nous sommes ici pour travailler et non pour nous amuser ou nous divertir en regardant des vidéos.
Validation ou non des hypothèses
L’ensemble des significations attribuées aux formes d’échanges relève des logiques profondes de ce système d’interaction : la revendication d’une justice sociale et la préservation des intérêts. Tous les acteurs agissent et réagissent dans le cadre de ces logiques. Frustrés, les agents de traitement revendiquent des avantages sociaux et multiplient les plaintes et les reproches. Leurs enjeux matériels consistent à réclamer le paiement de leurs heures supplémentaires et l’allègement de leurs horaires de travail. Ils consistent aussi à solliciter la liberté, l’autonomie dans leurs actions et l’impartialité dans l’entreprise. Leur enjeu caché consiste à manifester leur désaccord avec l’autorité des responsables étant donné que leurs demandes ne sont jamais considérées. Ils entretiennent un lien d’inimitié avec les responsables en dénonçant leur malhonnêteté, en dénonçant l’injustice dans l’entreprise et en dénonçant le mauvais fonctionnement de l’entreprise. L’enjeu relationnel des agents de traitement consiste à établir un lien d’inimitié avec le responsable opérationnel et la responsable commerciale. Nous avons vu dans la cinquième règle d’interaction que les agents jouent sur le principe de réciprocité suite au reproche du responsable opérationnel. Ils ont retardé la livraison, car leurs heures supplémentaires n’ont pas été payées. Nous pouvons alors valider notre première hypothèse affirmant que les enjeux relationnels de la communication de groupe en entreprise s’ordonnent selon une stratégie de syndicalisme. Les soucis des supérieurs hiérarchiques sont bien différents de ceux des agents. Leurs enjeux matériels consistent à préserver les intérêts de l’entreprise, à augmenter la productivité et à réclamer des résultats satisfaisants aux agents. Leur enjeu relationnel consiste à renforcer le rapport de pouvoir avec les agents de traitement en leur inspirant la honte, la culpabilité et en leur arrachant la promesse d’une révision salariale. Le responsable opérationnel et la responsable commerciale adoptent une attitude indifférente et ajustent leur position en tant que supérieurs hiérarchiques. Ils ne considèrent pas les plaintes des agents et leur tournent le dos. Il est donc tout à fait normal que les taux de démission et de renvoi des agents de traitement soient élevés. En effet, ceux qui ne veulent pas se soumettre démissionnent et ceux qui ne travaillent pas assez se font renvoyer. De la sorte, nous pouvons aussi affirmer la validité de notre deuxième hypothèse qui affirme que les enjeux relationnels de la communication de groupe en entreprise s’ordonnent selon une stratégie de pouvoir. La situation au sein de l’entreprise est alors marquée par des tensions internes et des manifestations conflictuelles.
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Table des matières
LISTE DES PHOTOS
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE I : MATÉRIEL ET MÉTHODES
Chapitre 01 : Matériel
Section 01 : Présentation de la zone d’études
1-1- Justification et choix du terrain
1-2- Description du terrain
Section 02 : Présentation des modalités de constitution des données
2-1- Échantillonnage
2-2- Techniques de recueil
Section 03 : Présentation des données recueillies
3-1- Informations recueillies auprès des agents de traitement
3-2- Compte-rendu d’interview : le responsable opérationnel et la responsable commerciale
Chapitre 02 : Méthodes
Section 01 : Cadre Conceptuel
Section 02 : Cadre théorique
2-1- Théorie de Dominique PICARD et Edmond Marc LYPIANSKY sur les enjeux relationnels
2-2- L’approche systémique de l’école de Palo Alto et d’Alex MUCCHIELLI
2-3- Théorie de BLAKE et MOUTON sur les systèmes relationnels managériaux typiques
Section 03 : Démarches méthodologiques
3-1- Étapes méthodologiques lors de la recherche
3-2- Chronogramme d’activités
PARTIE II : RÉSULTATS
Chapitre 03 : Traitement Paraphrastique des Données
Section 01 : Repérage et codage paraphrastique des communications récurrentes
Section 02 : Construction des boucles d’échange
Section 03 : Modélisation paraphrastique du système
Chapitre 04 : Analyse Pragmatique des Données
Section 01 : Commentaire du modèle paraphrastique
Section 02 : Modélisation pragmatique du système
Section 03 : Définition des règles d’interaction
PARTIE III : DISCUSSION
Chapitre 05 : Analyse Contextuelle
Section 01 : La Construction du contexte collectif : le vécu émotionnel collectif
Section 02 : La finalité collective des conduites de communication : la logique du système
Section 03 : Validation ou non des hypothèses
Chapitre 06 : Analyse Systémique
Section 01 : Interprétation de chaque forme d’échange
Section 02 : Modélisation des formes d’échange
Section 03 : Recommandations
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
WEBOGRAPHIE
LISTE DES ANNEXES
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