Si la diffusion des sciences commence dès le milieu du XIXe siècle, le journalisme santé ou médical trouve ses origines après-guerre, dans les années 50, à l’heure où les médias, les sciences mais aussi les politiques de santé sont en plein essor . On observe d’abord l’émergence du journalisme scientifique au sens large, puis du journalisme médical. Pour le sociologue Dominique Marchetti, « l’histoire de l’information scientifique et médicale participe d’un large mouvement de spécialisation du journalisme qui tend alors à se renforcer, comme le montre le développement de nombreux espaces spécifiques dans les quotidiens nationaux et régionaux entre le début des décennies 50 et 70 ». Quelques journalistes-médecins et une majorité de journalistes spécialisés en science médicale se partagent la profession mais l’information reste sous le contrôle des autorités médicales à cette phase : « Le champ journalistique apparaît alors comme un univers faiblement autonome au regard de l’espace médical qui possède un ordre professionnel et est très fortement dominé par les grands patrons ». Les rubriques santé fleurissent en presse écrite quotidienne et trouvent leur place à la radio comme à la télévision. Des magazines spécialisés en santé émergent, comme Les Médicales à partir de 1956 sur la première chaîne de télévision, « cette période de l’après-guerre aux années 70 fait donc apparaître un développement progressif du journalisme médical dans les médias d’information générale, qui va s’accélérer nettement et prendre d’autres formes dans les années 80 et 90 ». Selon Dominique Marchetti, le journalisme santé vit un tournant à partir des années 80, « les rapports entre les champs journalistique et médical (et plus largement scientifique) sont plus fortement médiatisés par des enjeux politiques, économiques ou moraux, voire par les attentes réelles ou supposées de l’opinion publique » ; la survenue de grandes affaires sanitaires, telles que celles du sang contaminé ou du vaccin anti-hépatite B donneront en effet au journalisme santé une orientation différente.
Dominique Wolton, chercheur en sciences sociales, indique que désormais, « il n’y a plus deux acteurs, les scientifiques et le public, mais au moins quatre : la science, la politique, la communication et les publics ». La science, ou plutôt les sciences, avec par exemple, l’arrivée de l’énergie atomique ou du génie génétique, ne suscitent plus systématiquement chez le public l’idée du progrès .
Parallèlement, la santé devient un sujet de plus en plus concernant à partir des années 80 et la chercheuse en sciences de l’information, Hélène Romeyer, précise que la santé n’est plus un souci individuel dont on n’ose pas parler, elle devient une affaire publique: « Les médias sont contraints de lui accorder une place grandissante parce que les interventions politiques se multiplient dans ce domaine et parce que les patients, leur entourage, et la société désirent être informés et participer aux débats ». La médiatisation d’affaires privées et l’apparition de collectifs de malades contribuent à faire passer la santé dans l’espace public. Aujourd’hui, la santé est partout dans les médias, à la radio, à la télévision, dans la presse quotidienne, magazine ou professionnelle. La récente épidémie de Covid-19 (débutée en décembre 2019), n’a fait que confirmer la place centrale de l’information santé. En 2019, le marché de la presse magazine santé se partage principalement entre trois titres : Santé Magazine (316 356 exemplaires), Top Santé (280 763 exemplaires) et Dr Good ! (210 159 exemplaires). Le lectorat de la presse magazine santé en France est majoritairement féminin (70%) provenant des classes populaires ou des fractions inférieures des classes moyennes et dominé par les retraités et les employés . Le magazine Dr Good !, dernier-né de sa catégorie, est un bimestriel sorti en 2018, qui tente de renouveler le genre et montre une nette progression face à ses concurrents; d’après son cofondateur, Franck Cymes, le magazine aurait fait « le meilleur lancement des 10 dernières années » (98 000 exemplaires pour le deuxième numéro et 193 000 pour le troisième en 2018). L’objectif de Franck Cymes, outre le fait de faire incarner le magazine par son médiatique frère médecin, consiste à aller vers une forte digitalisation du média ainsi qu’à élargir le lectorat en direction de la gente masculine et d’un public plus jeune en adoptant un ton positif et « feel good ». Le média cible les 35-50 ans, propose quelques articles spécifiquement tournés vers les hommes et se décline dans sa version Dr Good ! Kids pour les enfants de 8 à 12 ans. Dr Good ! devient une marque à part entière, avec l’apparition d’un magazine culinaire Dr Good ! C’est bon !, et plus récemment, d’un magazine sur les animaux Dr Good ! Veto (Juin 2020). Le magazine papier aborde des sujets plutôt « froids » : dossiers thématiques, questions-réponses, conseils pratiques, rubriques cuisine et beauté. La newsletter, reçue par mail trois fois par semaine, repose quant à elle sur un décryptage en lien avec l’actualité liée à la santé, telle que l’avancée des études sur le traitement du Covid-19 dans le contexte épidémique. Outre la version numérique, la digitalisation du titre porte aussi sur la mise en ligne de podcasts, deux fois par semaine, de stories Instagram, de live Facebook et d’une web télé proposant des lives depuis début 2020.
Le traitement médiatique de la santé dans la presse magazine spécialisée (en santé) en 2020 mérite de s’interroger. La transformation de l’espace social depuis les années 50, l’augmentation du niveau d’éducation et du niveau de vie participent à l’intérêt croissant de la population pour les questions de santé . Le journalisme santé n’est plus sous le contrôle d’une élite composée de grands professeurs parisiens, le pouvoir médical est désormais contesté, les conflits d’intérêts et les grands scandales sanitaires défient la confiance du public envers les autorités. Désormais, la santé est un enjeu politique et économique avec une consommation de services et de produits de santé qui a explosé .
Dans ce contexte concurrentiel, il nous paraît intéressant de nous pencher sur le discours porté par le magazine à succès Dr Good !. Nous tenterons de comprendre quelle place il souhaite tenir dans le secteur de l’information santé. Comment le titre réussit-il à capter ses lecteurs et à répondre à leurs préoccupations ? De quelle façon la parole médicale est-elle convoquée et qui sont les acteurs de ce journalisme spécialisé ? Nous nous intéresserons principalement dans cette étude à un corpus constitué de la version papier du magazine, au travers des numéros les plus récents des années 2019 et 2020. Nous n’omettrons cependant pas le contenu digital sur certains aspects, intéressants pour notre étude.
UNE LIGNE EDITORIALE POSITIVE
Champ lexical et discursif du bien-être
L’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bienêtre physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladies ou d’infirmité ». Bien-être et santé semblent donc intimement liés, voire synonymes, selon cette définition, puisque le bien-être est une condition inhérente à la bonne santé. Pour le dictionnaire Le Petit Robert, le bien-être est une « sensation agréable procurée par la satisfaction de besoins physiques, l’absence de soucis » ou encore une « situation matérielle qui permet de satisfaire les besoins de l’existence». Ce thème du bien-être apparaît dès la couverture du magazine, dans le titre « Dr Good ! », dans lequel on retrouve l’adjectif anglais « good », étant traduit littéralement dans le Larousse bilingue par « bon, agréable ». Juste devant, le préfixe « Dr », pour « Docteur » faisant référence aux praticiens en médecine tandis que le point d’exclamation vient ajouter de l’énergie à ce titre. Sur cette même couverture, on remarque, par exemple sur le numéro 14 de novembre-décembre 2019, que le grand dossier s’intitule « NEZ, GORGE, OREILLES, en hiver on les chouchoute ! ». Sous ce titre principal du numéro, on peut lire en sous-titres : « Les bons gestes pour faire barrière aux microbes -Les réflexes qui soulagent rhume, angine, otite…». A travers ces termes « chouchouter », « bons », « soulagent », on peut souligner la volonté de signifier l’amélioration de l’état de santé puisque ces mots sont juxtaposés à des termes médicaux comme « microbe » ou « rhume, angine, otite ». L’intitulation du magazine et ce titre de grand dossier du numéro 14, laissent apercevoir la promiscuité de la santé et du bien-être et la volonté éditoriale d’insister sur ce rapprochement. Les termes se rapportant au champ lexical du bien-être ou du mieux-être sont nombreux au fil des pages du magazine. Si l’on prend comme exemple le numéro 17 post-confinement Covid-19, de mai-juin 2020, on y trouve les formules suivantes : « La pratique de la méditation apaise », « Un masque qui a le sourire », « Rire, c’est du sérieux », « Une émotion plaisante », « Détendre les tissus (…), améliorer efficacement la mobilité » ou encore « Cette façon de prendre soin de soi entraîne rapidement un cercle vertueux de mieux-être physique tout sauf triste ». La liste est encore longue dans ce numéro comme dans les autres, de formulations appartenant au même champ lexical, plongeant le lecteur dans un univers de réconfort.
On retrouve le lien entre bien-être et santé, évoqué par Sophie Moirand, linguiste, qui pour définir le profil sémantique du mot bien-être, s’attache à dégager les co-textes, c’est-à-dire les mots et structures associées. Elle remarque dans son étude, que le bien-être est « systématiquement associé à un certain type de verbes : des verbes composés avec le préfixe RE et ses variantes (avec ou sans trait d’union) et/ou la forme réciproque SE et ses variantes cotextuelles (soi, soi-même) accordées à l’inscription du destinataire (en on, vous, ou je…), ainsi qu’aux axiologiques comme bon et bien, voire nouveau ».
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Table des matières
INTRODUCTION
I- UNE LIGNE EDITORIALE POSITIVE
A) Champ lexical et discursif du bien-être
B) L’image du bien-être dans le magazine
C) Dr Good !, un journalisme de solutions ?
II- ASPECTS DE LA VULGARISATION DANS DR GOOD !
A) De l’information pratique à la vulgarisation
B) Une iconographie didactique
C) Quand la conversation se mêle au journalisme
III- L’OMNIPRÉSENCE DES SPÉCIALISTES
A) Un magazine incarné par Michel Cymes
B) Journalisme spécialisé et collaboration avec les experts
C) Les influenceurs santé autour de Dr Good
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
RÉSUMÉ