Enjeux croisés d’une approche de la lecture analytique par l’étude d’une œuvre d’art

Un problème aux données croisées : expérience personnelle, constats et hypothèses

Postulat de base, méthodologie et réflexion sur la place de l’image dans la construction du sens d’un texte

Depuis le début de l’année, je mène les lectures analytiques dans mes classes de 2nde et de 1ère en suivant et en appliquant le processus transactionnel, issu des travaux américains et québécois, notamment de Serge Terwagne dans Les cercles de lecture, 2006). Ce déroulement implique deux postures détaillées par Sylviane Arh (2013 : 20): l’une dite « esthétique » qui met en avant les impressions et les souvenirs de lecture, les réactions spontanées et de natures diverses, traduisant une implication subjective du lecteur et l’autre dite «efférente» qui tend à se ressaisir des premières réactions pour en discuter et élargir l’interprétation en mettant plus à distance le texte. J’ai ainsi pu me rendre compte très rapidement de la difficulté qu’une telle démarche, bien qu’elle soit très positive lorsqu’elle aboutit à la problématisation, à la compréhension et à la construction du sens d’un texte, est vécue très difficilement par les élèves. En effet, l’habitude de certaines pratiques que je pourrais qualifier de « scolaires » mises en place pendant le cycle 3 et le cycle 4 ne les préparent pas aux exercices tels qu’ils sont pensés au lycée. L’étude des textes au collège est peut-être par trop simplifiée, portée par des interrogations précises, principalement sur des questions de repérage. Lorsque j’ai demandé, lors de la première séance d’initiation à la lecture analytique, à mes élèves de 2nde de me dire ce qu’ils ressentaient, quelles étaient leurs impressions face à tel texte et ce qu’ils voyaient lorsqu’ils le lisaient, un silence lourd s’est installé dans la salle et les yeux des élèves, bien avant leurs récriminations m’ont montré à quel point ils n’avaient pas l’habitude de devoir faire appel à leurs sentiments et d’être placé en posture de critique. Les élèves ont semblé perdus face aux premiers textes, ils ne comprenaient pas ce que j’attendais d’eux. Certains voulaient probablement me faire plaisir en retrouvant ou du moins en citant les figures de style que le Brevet des Collèges leur avait encore laissé à l’esprit mais peu osaient dire ce qu’ils ressentaient vraiment, la réponse la plus courante étant « rien », trahissant tout autant une attitude bravache face à leur incompréhension, que le manque de confiance qu’ils ont dans leur propre réflexion, face à leur propre imagination qu’ils ne jugent pas digne d’être exprimée ou qu’ils ne savent peut-être pas comment exprimer. Finalement, nos élèves ont peu l’habitude qu’on leur demande leur avis, ce qui engendre chez eux une attitude passive, attentiste de la vérité que le professeur voudrait bien leur délivrer, ce à quoi je me refuse absolument.

Face à ce qui me semblait un écueil certain dans la manière dont je voulais mener les lectures analytiques, je me suis interrogée sur ce qui pourrait avoir le double avantage de donner confiance en eux, en ce qu’ils savent et ce qu’ils ressentent à mes élèves et de les placer dans une posture de lecteurs critiques, investis de leur lecture et capables de partir de leurs propres émotions pour construire le sens d’un texte d’après leurs impressions de sujets-lecteurs. Ayant enseigné les Arts Plastiques et l’Histoire des Arts l’année dernière, j’ai pu constater que mes élèves, des collégiens aux niveaux très hétérogènes, parvenaient assez facilement, face à une œuvre d’art, à dépasser le stade de la description et à s’investir dans ce qui leur était présenté, allant même jusqu’à débattre de manière parfaitement argumentée – sans, par ailleurs, en avoir forcément pleinement conscience – d’interprétations éventuellement plurielles. Cette expérience personnelle, qui m’avait déjà aidée à me positionner sur la manière dont je comptais mener mes lectures analytiques, c’est-à-dire en partant du texte pur et des impressions qu’il suscite, avant d’intégrer toute question d’époque, d’auteur, de contexte…comme il est d’usage dans les études d’Art, m’a permis de formuler des hypothèses sur la possibilité de dépasser les difficultés rencontrées par mes élèves de 2nde face à la lecture analytique : l’œuvre d’art fait partie intégrante de ma pratique pédagogique, non seulement parce que les passerelles entre la littérature et les autres arts m’ont toujours fascinée (mon mémoire de Master Recherche en Littérature Française portait d’ailleurs déjà sur ce sujet-là ) mais également parce que je sais que le biais de l’image capte l’attention des élèves et change leur rapport au texte. C’est donc très régulièrement que j’ai employé l’image dans mes cours pour accompagner un texte, le plus souvent pour illustrer une idée comme cette séance sur le poème « New York » (1956) de Léopold Sédar Senghor accompagné d’une photographie de la ville et des trois premières minutes du film Gatsby Le Magnifique (2013) de Baz Luhrmann pour parler de la ville en classe de 1ère et pour favoriser l’implication subjective des élèves, qui me semble plus évidente via l’image. Pourtant, je n’envisageais pas d’autres réelles utilisations de l’image, dans un cadre différent que celui du document complémentaire pour le baccalauréat en 1ère et d’une activité qui « change un peu » en ouverture de séquence ou pour illustrer un texte. Cependant, j’ai pris conscience de deux étapes qui ont changé ma perception de ce qui était à l’origine simplement un goût personnel pour les œuvres d’art. Tout d’abord, je me suis rendue compte que proposer un tableau comme incitation à un sujet d’invention amenait les élèves à un niveau supérieur d’écriture. En effet, alors que mes élèves de 2nde avaient déjà l’habitude de côtoyer régulièrement l’image dans mes cours et dans le cadre d’une séquence sur l’étude de l’œuvre intégrale Bel-Ami (1885) de Maupassant, j’ai proposé à ma classe une évaluation-diagnostic de milieu de séquence sous la formulation suivante : « A votre tour, à la manière de Maupassant, décrivez un paysage en vous aidant du tableau de Camille Pissaro ci-joint ». Cette incitation était accompagnée de l’œuvre Les Toits Rouges, coin de village, effet d’hiver (1877) de Camille Pissaro. Après l’étude croisée de la description de Rouen faite par Flaubert dans Mme Bovary et de celle de Maupassant, cette écriture d’invention « A la manière de… » avait pour objectif la manipulation des ressorts de la description. J’ai choisi de proposer une œuvre d’art comme incitation à l’écriture car consciente de la difficulté de décrire un paysage purement fictif à partir de rien et du fossé que cela créerait entre les élèves qui parviennent à se représenter des images mentalement, par invention, souvenir ou assimilation et les élèves qui, selon leurs propres dires, « n’ont pas d’imagination », idée à laquelle je suis opposée – je pense plutôt qu’ils ne savent pas vraiment s’écouter et lire en eux par rejet, fainéantise ou démotivation pour certains exercices car ils peuvent faire preuve d’une créativité sans faille pour d’autres – mais dont je ne peux que constater le côté handicapant, je savais que le fait de décrire un paysage purement mental serait une activité trop complexe pour la grande hétérogénéité de mes élèves de 2nde. De plus, je gardais en tête la définition de l’association de l’écriture et du regard porté sur une œuvre artistique proposée dans Pratiquer le dialogue arts plastiques – écriture d’Odette et Michel Neumayer (2005 : 15):

L’écriture. Elle est un outil majeur. Elle fait sonner les mots que chacun porte en lui. Elle donne à entendre ce dialogue intérieur de soi à soi qui unit le geste à le pensée. Elle porte à la fois cette petite voix intérieure qui nous parle, nous invective, nous contrôle et s’adresse également à l’œuvre qui répond par moments et se dérobe à d’autres, et cette dimension qui nous fait basculer dans d’autres versions de nous-mêmes. Elle est alors fiction ou pourquoi pas poésie.

Le regard. En cet état découvert par une pratique inédite pour celui qui n’écrit pas ou ne peint pas au quotidien, le regard devient un puissant levier. Il accompagne, évalue, anticipe, fouille et bâtit. Les consignes, les premières réalisations, la stimulation créée par les dispositifs de l’atelier et les temps de verbalisation contribuent à se placer à une distance suffisante pour « voir ». Afficher ou exposer revient alors à se doter des moyens de « lire » ce qui sous une autre disposition et hors d’un face à face, restait invisible. Parler, c’est faire entrer dans les mots, dans les faits, d’autres destinataires afin de « voir ce que cela donne ». 

Enjeux théoriques et institutionnels, conditions du problème

Ecrits institutionnels et tour d’horizon de la question : la lecture analytique fait débat

La lecture analytique occupe une place prépondérante dans le cadre de l’enseignement du français. Si elle s’inscrit dans les programmes de collège, c’est véritablement au lycée qu’elle prend tout son sens puisqu’elle se trouve à l’origine de deux des exercices des Epreuves Anticipées de Français pour le baccalauréat: l’oral et le commentaire littéraire. Le Bulletin Officiel n°9 du 30 septembre 2010 présentant les programmes de lycée général et technologique fixe les objectifs de la lecture analytique comme devant viser « la construction progressive et précise de la signification d’un texte, quelle qu’en soit l’ampleur ; elle consiste donc en un travail d’interprétation que le professeur conduit avec ses élèves, à partir de leur réactions et de leurs propositions ». Par ailleurs, il apparaît nécessaire que la lecture analytique soit « une activité de classe, un travail collectif interprétatif que le professeur orchestre », « une recherche en commun, une exploration, un cheminement, une patiente construction, un processus collectif de dévoilement du /des sens à partir d’un questionnement qui aura été adroitement établi par la classe au départ » ainsi que l’affirment M.-L Lepetit, I. Nauche, D. Stissi et J.-P Taboulot, dans Pratiquer la lecture analytique au collège et au lycée pour développer des compétences de lecteur et préparer les élèves à l’épreuve orale des EAF, cités par Sylviane Arh (2013 : 85). Ainsi pouvons-nous voir se détacher les attentes principales liées à la lecture analytique : une construction qui se réalise progressivement par l’intervention de tous et qui, si elle est dirigée par le professeur, doit partir des élèves. Dans ces perspectives, il convient de trouver des approches qui doivent favoriser et susciter l’engagement de l’élève en tant que sujet-lecteur en mettant en place un nouveau rapport entre lui et le texte qui passerait par l’appropriation subjective de celui-ci puis par sa restitution dans le but d’une construction progressive du sens. Il s’agit de placer les élèves dans une posture non plus passive d’un « exercice » selon des règles précises données par des consignes qu’il faut absolument respecter pour « réussir » mais active de lecteur capable d’évaluer, de prendre position et de réagir par lui-même. Or, c’est là l’une des principales difficultés de nos élèves qui ne parviennent pas à concilier l’expression d’émotions et de jugements et la construction de connaissances et de compétences à mobiliser dans la lecture.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Première partie – Démarche de problématisation : repenser la lecture analytique à travers l’étude d’une œuvre d’art, un cadre théorique complexe.
I. Un problème aux données croisées : expérience personnelle, constats et hypothèses
1. Postulat de base, méthodologie et réflexion sur la place de l’image dans la construction du sens d’un texte
II. Enjeux théoriques et institutionnels, conditions du problème
1. Ecrits institutionnels et tour d’horizon de la question : la lecture analytique fait débat
2. Les Arts à l’Ecole : écrits institutionnels et apports de la recherche en sciences de l’éducation: objet d’étude en lui-même ou médiation pédagogique ?
III. Enjeux croisés d’une approche de la lecture analytique par l’étude d’une œuvre d’art
1. Les conditions du problème
Deuxième partie – Protocole méthodologique : trois perspectives pour une approche de la lecture analytique par l’œuvre d’art.
I. La question mise au travail : lecture de l’image, lecture du texte et sujet lecteur
1. Les ambitions et les attentes au regard des compétences mobilisées
II. Passer par l’œuvre d’art en cours : approches de l’objet d’étude : « La poésie, du Romantisme au Surréalisme » en classe de 2nde
1. Une séquence fondée sur l’œuvre d’art
2. Une première séance d’expérimentation qui tourne à l’échec : de l’importance d’une matérialisation des attendus
III. Vers une expérimentation
1. Reconstruction d’une séance exploratoire : poser le cadre de l’expérimentation
2. Œuvre d’art proposée en regard d’un texte (complémentarité)
3. Œuvre d’art à rapprocher d’un texte (recherche)
Troisième partie – Bilan : analyse des données au regard des attentes, vers une sémiotique de l’œuvre d’art, analogie avec la lecture analytique
I. Analyse des expérimentations : réussites et compétences mises en jeu
II. Difficultés rencontrées et écueils identifiés
III. Bilan personnel et objectifs futurs
Conclusion
Bibliographie / sitographie
Annexes

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *