Postures de recherche
Etudier des familles engage à s’impliquer intimement auprès de ses membres et suppose ainsi « la mise en œuvre d’un certain nombre de qualités personnelles » (Beaud, Weber, 1997 : 25). Ceci est bien évidement valable pour la majorité des enquêtes ethnographiques mais lorsqu’il s’agit de parler d’évènements familiaux comme de sexualité, nous touchons là un degré d’intimité exacerbé. Parler de soi sans appréhension ou peur du jugement ne va justement pas de soi et dépend pour beaucoup du positionnement de la chercheuse.
Je partais sur le terrain avec mes a priori et surtout avec des catégories bien établies quant à ce qui fait une femme et un homme. Bien que je ne doutais pas dela faisabilité d’un être « tenable » grâce à la chirurgie, je m’inquiétais tout de même de mon premier regard posé sur la personne. J’avais peur d’avoir une vision insistante que la personne pourrait alors ressentir tel un « décryptage » des moindres détails de son physique.
L’apprentie ethnologue ne pouvait ainsi faire abstraction de ses propres préjugés face à l’autre. L’impossible neutralité qu’impliquent de telles interactions – non pas qu’elles soient extraordinaires mais peu communes en leurs formes – doit donc être une source d’informations. La situation qu’elle créait du seul fait de sa présence engage cette dernière à réfléchir sur ce qu’elle provoque et nécessite un retour sur elle-même.
La perception péjorative à l’égard de Céline reflète ainsi le malaise éprouvé lorsqu’on est confronté à une personne qui nerentre pas dans les « standards » de la féminité. Elle me renvoyait en effet à l’image du travesti bienplus qu’à celle d’une femme. Céline ne correspondait donc pas à mes attentes quant son physique. Jusque là, je n’avais pas été confrontée à ce genre de situation. En effet, toutes les personnes que j’avais rencontré étaient toutes en « adéquation » avec mes catégories et attributs « genrés » lentement intégrés au fur et à mesure de mon existence bien que je me pensais bien plus « ouverte » d’esprit. Mais ici, alors que je me devais d’être respectueuse envers Céline, la situation était d’autant plus insoutenable que son discours n’était pas aussi naturel et libreque ceux des autres personnes.
Je n’avais pas l’impression de recevoir un récit de vie tant ses paroles s’enchaînaient de manière « mécaniques ». Je devais donc tant bien que mal prendre mon « mal » en patience et être à l’écoute de ses dires tout en réfléchissant à la façon de m’exprimer.
Outre ce trouble situationnel, je devais, à chaque fois, prendre en compte un élément décisif quant à mon approche discursive. En effet, lorsque nous rencontrons des personnes qui sont dans « l’entre-deux », à l’exemple de Nathalie, Annabelle ou encore Eric, il faut prêter aussi une attention toute particulière à la nomination et au genre grammaticalusités. Je devais donc m’adapter à la façon dont les informateurs se disaient. Souvent lorsqu’ils et elles relatent des souvenirs, ils-elles peuvent se nommer en fonction de leur « sexe » de l’époque notamment quand il s’agit d’impliquer des partenaires, une situation conjugale ou familiale. Le genre grammatical n’est donc pas celui du présent et cela m’a entraîné parfois à continuer de parler sur le même mode du passé. Mais cela est vite signifié par la personne en face d’elle. Je vous donnerai deux exemples où je me suis retrouvée dans une telle situation.
Malgré ces divergences grammaticales et attentes quant à l’hexis corporel des personnes, j’élaborais des stratégies afin de nuancer mes émotions à l’écoute des récits de vie. Il fallait alors négocier entre le professionnel et le personnel. Certes, il s’agissait de pratiquer une anthropologie du proche puisque les personnes partagent la même langue, la même culture et vivent dans le même pays. Mais ces différents éléments que l’ethnologue des « sociétés exotiques » n’a pas à affronter peut être aussi source de déstabilisation pour celui ou celle qui s’intéresse à sa société. Dans ce cas, on peut évidemment se dire qu’il est plus facile d’accéder au terrain et de recueillir des données. Mais il est toujours nécessaire de modifier notre regard et à défaut de mener une enquête par dépaysement, je m’engageais dans celle de la distanciation pour reprendre les termes consacrés. Prendre de la distance vis-à-vis de la vie des gens n’est pas chose simple lorsqu’ils partagent le même mode de vie que la chercheuse.
Parallèlement, la situation familiale que je « regardais » n’était pas non plus si proche de la mienne ou celle de la plupart des français. Ainsi, il fallait jongler entre un regard familier de choses banales du quotidien de ces familles et un regard éloigné pour en déduire des significations anthropologiques.
Cette tension entre familiarité et étrangeté (Beaud, Weber, op.cit. : 47) n’est donc pas si évidente à gérer lorsqu’il s’agit de la plus connue des formes d’interactions, à savoir celle de la parenté. Comprendre ce qui se passe doit donc passer par des allers-retours entre soi et les autres mais aussi entre les différents rôles de la chercheuse.
Je m’engageais intimement auprès des gens mais je devais aussi revenir sur ce que je représentais. Suite aux différents entretiens effectués, Ode et Justine ont pu alors se rendre compte de ma bienveillance à l’égard de leurs amis et m’ont proposé de participer aux UEEH 2006 afin de faire un atelier et présenter ma recherche. J’étais ainsi prise à partie afin de montrer une réalité mais certaines personnes ne voyaient pas cette intervention d’un « bon œil » car je n’étais pas « concernée ». Pourquoi une étudiante non transsexuelle se permet de parler à « notre » place ? Tel était leur raisonnement lors de la préparation des différentes interventions. Bien évidemment, jene l’ai su qu’aprèsmais je pouvais ainsi me rendre compte concrètement de ma position en tant qu’étudiante « étrangère » au groupe. Ceci étant, mon intervention a intéressé plusieurs personnes et ce fut une expérience d’autant plus riche qu’elle a permis à certaines de se dévoiler et de parler sincèrement de leur situation peu « banale ». Cet atelier fut aussi l’occasion de rencontrer des personnes qui sesont confiées et qui me demandait des « conseils » quant à l’approche qu’ils devraient avoir avec leurs enfants et conjoints puisque je m’y « connaissais ». J’endossais alors le rôle de « conseillère familiale » bien que je ne me donnais à aucun moment ce titre là. Chemin faisant, chaque personne qui m’a ainsi rencontré attendait avec impatience le résultat de « mon enquête » pour se rendre compte, effectivement, de ce pourquoi j’étais allée « fouiner » dans leur intimité.
LES RECITS DE VIE
L’analyse présentée dans ce mémoire se basant essentiellement sur les récits de vie des personnes rencontrées, il nous a semblé important de présenter ces différents parcours. Nous les avons alors reconstitué de manière chronologique afin de vous donnez une approche plus fluide et lisible des entretiens recueillis.
Cette relecture s’est voulue fidèle aux dires des personnes mais il est évident que ce premier travail est emprunt des pistes de réflexion chères à l’auteure. En effet, le résumé est déjà une étape d’interprétation plus ou moins inconsciente de ce que cherche l’anthropologue.
Nous vous donnerons ainsi, dans un premier temps, les différentes reconstitutions des parcours de vie puis, dans un second temps, nous dégagerons les thèmes récurrents afin d’esquisser l’approche comparative qui nous permettra ensuite de produire une analyse réaliste d’un forme de parenté peu connue ou plutôt méconnue.
LA RECONSTITUTION DES PARCOURS DE VIE
Afin de faciliter la lecture des récits, nous avons esquissé les schémas de parenté de chaque personne. Nous retraçons simplement l’unité familiale à travers la conjugalité et la parentalité pour rendre compte des différences de parcours. Les personnes transsexuelles sont représentées en fonction de leur sexe désiré.
Le coming out « dans un milieu réduit » et les conséquences sur la vie de famille Maryse annonce à sa concubineson intention de devenir une femme. La réaction de cette dernière est de lui dire qu’elle n’est pas une lesbienne. Elles se séparent et Maryse débute sa transition seule dans une maison de campagne. En ce qui concerne leur fille, Ode, Annabelle et Maryse passent un « contrat verbal » qui permetalors à Maryse de voir sa fille uniquement si elle est habillée de manière « unisexe ». Ce contrat est rompu par Maryselorsque sa fille se rend compte des changements corporels de son père ainsi que ceux des réactions des personnes rencontrées au quotidien (« Bonjour Madame »). Ode découvre également les vêtements de son père et lui demande de s’habiller en fille. Marysedécide alors de tout lui expliquer quant à sa réassignation sexuelle. Suite à cet évènement, Annabelle refuse que sa fille aille voir son père et lance une procédure devant la justice afin d’avoir la garde de Ode. Pendant plusieurs mois, Maryse est donc privée de sa fille. Annabelle décide aussi que sa fille consulte un pédopsychiatre dans un Centre Médico-Psycho-Pédagogique Universitaire [CMPPU] car cette dernière a peur de perdre son sexe. Il s’ensuit, d’après Maryse, un hyper protectionnisme d’Annabelle vis-à-vis de Ode. Le spécialiste considère alors le pèrecomme une « personne dangereuse ». Maryse décide d’écrire une lettre au pédopsychiatre pour se défendre quant à sa dangerosité à l’égard de l’équilibre mental de sa fille.
La perte du rôle de père : un plaidoyer à l’encontre d’Annabelle
Maryse me propose de lire cette lettre car elle la considère comme une étape importante du recouvrement de son rôle de parent. Ce plaidoyer a effectivement « arrangé » la situation entre les parents et leur fille.
La lettre débute sur la demande conjointe des parents afin que Ode consulte un psychiatre. Maryse ne pense pas être que sa transformation soit l’unique raison de l’angoisse de sa fille qui est de perdre son sexe de petite fille et objecte la surprotection de son ex conjointe. Maryse a toujours pris le parti de dire lavérité à sa fille et l’interdiction de la voir aggrave sûrement les idées que peut se faire Ode sur son père. La situation de non-dit provoquée par Annabelle engendre chez Ode le regret que son père devienne une femme. Afin de prouver ses dires, Maryse évoque l’époque où elle avait encore le droit de voir sa fille. Elle parle ainsi d’une période idyllique où elle pouvait dévoiler « sa vraie nature » à son enfant qui découvrait alors la personne qui « se cachait » sous l’image de son père. Elle se réfère à des situations vécues avec sa fille auprès d’amis qui constataient alors la joie de l’enfant à être avec son père malgré son changement physique. Cette relation heureuse prend fin lorsque Annabelle décide de faire intervenir la justice et Maryse ne voit plus sa fille pendant huit mois. Annabelle et Maryse deviennent ainsi des ennemies. Ode ne veut plus parler à son père. Maryse avance également le fait que sa fille a la faculté de tromper les adultes et de faire comme si elle n’avait rien compris à sa situation familiale alors que lors de l’une des rares entrevues avec son père, elle a clairement dit à sa mère : « Pourquoi tu ne veux pas que papa devienne une fille ? ». Elle prouve par là qu’elle comprend la situation et que c’est la faute de sa mère si elle ne peut se rendre compte de la réalité du changement son père. Ode reste dans une position de l’ordre établi puisque un père trans n’est pas « normal ».
La situation change soudainement, Ode désire voir son père, lui parler, signe qu’elle n’est pas si bien seule avec sa mère.
Le recouvrement de la parenté et relations actuelles entre les parents et leur fille
C’est à la suite du recours juridique d’Annabelle que Maryse avait écrit cette lettre auprès du pédopsychiatre de sa fille. Dans le même temps, elle avait pris un avocat et voulait que justice soit rendue en concluant une garde alternée mais la décision de justice a stipulé un simple droit de visite. Pour en venir à ce résultat, la justice avait demandé une expertise psychiatrique qui en a déduit que Maryse était une personne immature. Cette décision est toujours valable actuellement mais la situation entre les deux parents a évolué positivement. En effet, plusieurs évènements ont permis à Annabelle de reconsidérer Maryse : Ode suit un enseignement à distance, ce qui implique du temps à consacrer pour ses devoirs, elle a rencontré Albert (son actuel compagnon), elle a vu différents spécialistes pour résoudre les difficultés de sa fille. Au départ, les problèmes de Ode étaient, selon Annabelle, liés directement à la transition de son père or, après avoir consulté un neurologue, elle s’est rendue compte que les problèmes étaient des conséquences de la maladie infantile de Ode. Annabelle a alors rétablit Maryse de sa fonction de père puisque ce n’était plus de sa faute. Maryse est donc devenue très vite indispensable pour l’éducation de leur fille notamment en ce qui concernait sa scolarité. Annabelle pouvait alors laissé sa fille d’autant plus que cela lui permettait de profiter de sa nouvelle vie de couple avec Albert.
Annabelle et Maryse se sont donc arrangées à l’amiable pour la garde de leur fille. Même si ce n’est pas officiel, Ode est désormais dans une situation de garde alternée.
Alors qu’Annabelle a retrouvé en Maryse une certaine confiance et reconnaissance, la difficulté vient désormais de son ami, Albert. Ce dernier ne comprend pas la situation et cela se traduit majoritairement par l’appellation de Maryse au masculin. C’est Ode qui prend alors la défense de son père et qui explique à Albert qu’il faut en parler au féminin. Elle-même ne l’appelle plus « papa » mais par son prénom, Maryse. La situation entre Albert et Maryse est quelque peu paradoxale car, d’une certaine manière, c’est grâce à lui qu’Annabelle a reconnu le père de son enfant. En effet, c’est par le biais d’un ami d’Albert qu’elle s’est rendue compte que les raisons fondamentales aux difficultés deOde étaient neurologiques. Ode se retrouve ainsi non plus tiraillée entre sa mèreet son père, mais entre son pèreet l’ami de sa mère, elle se met ainsi dans une position défensive en faveur de l’identité de son père.
Relations familiales
Maryse est née dans une famille laïque mais très emprunte des valeurs judéo chrétiennes. Ses parents étaient instituteurs. Son père lui a donné une éducation « militaire ».
Sa mère était une femme soumise. Elle tenait le rôle du fils parfait. Arrivée au lycée, elle ne fait que sa seconde au milieu de ses camardes. La première et terminale se font ensuite par un enseignement à distance, c’était en quelque sorte un isolement car elle était mal dans sa peau.
Elle ne trouvait pas sa place auprès des personnes de son âge. Elle est donc partie de chez ses parents après avoir obtenu son baccalauréat littéraire. Elle ne supportait plus l’ambiance rigide qui y régnait. Maryse s’est retrouvée dans la capitale et a poursuivi une vie de bohème avec des artistes. Elle apparaissait alors comme quelqu’un d’androgyne maisne trouvait pas vraiment sa place. Suite à des difficultés financières, elle demande de l’aide auprès de son grand-père paternel. Ce sera le point de départ de la rupture avec ses parents : son père lui avait demandé le remboursement de la somme alors que le grand-père venait de mourir. Maryse, offensée, ne donnera alors des nouvelles que par courrier. Par ce moyen, elle leur annonce la rencontre avec Annabelle et sa transition. Elle ne les revoit qu’à la naissance de Ode où l’accueil ne sera pas chaleureux.
Transition et conception de soi : ce n’est pas un choix
En ce qui concerne sa transition voire mêmeson parcours biographique, Maryse n’en parle pas vraiment. Il apparaît simplement qu’elle a vécu complètement isolée dans une maison de campagne pour passer vers leféminin. Elle raconte qu’elle a pris conscience de sa « différence » vers l’âge de quatre ans et qu’ellene supportait pas de voir sa sœur être traitée comme une fille, elle en était jalouse. Elle mettra le mot « transsexualité » sur son mal être lorsqu’elle habitait la capitale où elle se comportait de manière androgyne jusqu’à sa rencontre avec Annabelle. De la même manière qu’elle faisait plaisir à ses parents en étant un garçon exemplaire, elle a endossé une identité masculine durant cinq années de vie commune avec Annabelle. Tout le long de sa vie, Maryse a eu peur des préjugés, des autres et n’en avait jamais parlé avant son coming out auprès d’Annabelle.
Durant sa transition, elle sera membre d’une association [Association d’Aide aux Transsexuels] dont elle partira dès son changement d’état civil. Elle ne gardera pour contact de cette association qu’une amie, une semblable.
Alors qu’elle fait sa transition, sa fille lui est donc retirée par son ex-compagne. C’est une période très difficile car elle commençait son parcours et débutait alors ses consultations chez le psychologue. Elle ne pouvait montrer à ce dernier qu’elle était en dépression car il aurait pu lui interrompre son traitement hormonal. De même, lorsqu’elle écrit la lettre au pédopsychiatre afin de recouvrer sa fonction de père, elle ne dit mot sur ce qu’elle ressent quant au sentiment de maternité éprouvé envers sa fille. Maryse se considère en effet comme « une seconde mère », elle sait alors ce qu’il faut dire ou ne pas dire pour ne pas choquer. Elle insiste sur le fait qu’elle n’a rien choisi en ce qui concerne sa transsexualité. Elle reconnaît l’égoïsme de sa part lors de son coming outmais le simple fait qu’Annabelle ait voulu l’empêcher de voir sa fille lui a fait prendre conscience à quel point ellene pourrait pas vivre sans sa fille. De plus, si elle avait vraiment eu un choix à faire, elle aurait largement préféré avoir une vision masculine des choses en étant dans son corps de garçon, cela aurait été pour elle beaucoup plus simple que d’avoir recours à une réassignation de sexe. Elle ne se considère plus aujourd’hui comme une personne transsexuelle puisqu’elle n’est plus en transition. Ceci étant, elle ne renie pas son passé. Si elle rencontre un homme et qu’il s’avère être le grand amour, elle ne lui cachera pas sa transition.
Aujourd’hui, elle se sent dépassée par l’attitude d’Albert. Elle ne comprend pas qu’on puisse être aussi arrogant envers des personnes qui souffrent. Pour expliquer son sentiment et sa souffrance, elle compare la transsexualité aux maladies chroniques. On ne peut pas juger une personne sans lui avoir demander comment elle se définissait. Elle pense qu’individualiser une personne, mettre un prénom est essentiel dans la relation à l’autre. Elle en vient alors à m’expliquer le choix de son prénom féminin : il a la même racine que celui de sa grand-mère et son nom ressemble à celui d’un poète qui a écrit des vers portant ce prénom. Elle considère alors que c’est plus une évidence qu’un choix de s’être nommer Maryse.
Après sa transition dans une maison isolée de tout et de tous, Maryse s’installa dans un appartement situé dans un village de deux mille habitants. Elle fût reconnue tout de suite comme Madame E. De même, l’achat de son appartement l’a aidé lors de sa demande de changement d’état civil. En effet, sur l’acte notarial, il ne figurait plus Monsieur E. mais Madame E. Cette première reconnaissance en tant que femme a ainsi favorisé son changement de prénom. En ce qui concerne sa vie professionnelle, Maryse a gardé le même emploi, à savoir guide dans un monument historique. Après le mois de convalescence suivant son opération, elle ne voulait pas faire les visites guidées de peur d’effrayer les touristes. Elle demanda alors à son employeur de la mettre dans leservice administratif afin de ne pas avoir à supporter le regard des visiteurs. Cela a duré une journée, elle s’est vite rendue compte que les personnes n’ont pas d’a priori, ils sont là pour être guidé et visiter un monument. A l’inverse, quelques difficultés sont apparues auprès de ses collègues. Ils n’arrivaient pas à la nommer au féminin et ce, pour certains d’entres eux, durant trois années. Aujourd’hui, ils arrivent tous à l’appeler Maryse. De plus, elle a toujours eu des activités « sanssexe particulier », ce qui a facilité sa reconnaissance. Il reste désormais pour elle à renouer des liens avec ses parents et sa sœur car dans sa vie sociale et parentale, elle est Maryse. Sa famille a du mal à comprendre que leur fils n’a pas changé de personnalité avec son changement de sexe.
Enfance et adolescence
Nadia ne se rappelle pas exactement de l’âge où elle a pris conscience de sa transsexualité mais ses souvenirsde recherche de soi débutentdurant sa scolarité primaire. Petit garçon, elle est envoyée par ses parents dansune école de frères à cause de sa rébellion vis-à-vis du système scolaire. Ellese retrouve alors coincée entre ses camarades de classes et ses parents qui ne lui laissait pas beaucoup de liberté. Ces derniers sont pour elle des gens inintéressants avec qui elle ne partageait rien et qui ne l’autorisait pas non plus à inviter des amis, il faudra qu’elle attende son quinzième anniversaire pour le faire.Les seuls moments où elle peut se retrouver entoute tranquillité, c’est lorsqu’elle est seule dans sa chambre. Elle parle alors d’un univers féminin. L’arrivée de son jeune frère à l‘âge de sept ans ne change rien à sa solitude. Elle a cependant quelques amis à l’école mais cela ne lui convient pas car elle reste cantonnée dans un univers très masculin. Elle ne sait pas encore pourquoi elle ne trouve pas sa place, elle veut en parler mais n’ose pas du fait du contexte religieux de son établissement scolaire et la rigidité de ses parents. Son corps androgyne, imberbe et rond la satisfait mais l’éloigne encore plus des garçons de son âge. Elle ne l’estime pas masculin pourtant on lui demande de l’être notamment en pratiquant des sports collectifs. Nadia voit bien qu’elle n’a pas des muscles bien dessinés comme les autres et durant toute son adolescence, elle en sera perturbée.
Elle fait deux rencontres : un garçon qui est dans sa classe et une fille qui est élève dans l’école des sœurs. Nadia évoque alors ses premières expériences sexuelles avec les deux jeunes gens. Elle commence par flirter avec le jeune homme et tente de lui montrer sa féminité. Pour se faire, elle décide d’aller le voir habillée en fille mais c’est un fiasco, il la jette purement et simplement. Il attendait d’elle qu’elle prenne le rôle du garçon dans leur relation alors que Nadia attendait la même chose de lui. Parallèlement, Nadia rencontre une jeune fille et prend conscience qu’elle préfère être en compagnie du sexe féminin. A cette époque, Nadia se définit comme un « garçon féminin » car elle aime partager les activités des filles telles que faire les boutiques. Nadia se retrouve dans cet espace de féminité, elle en est satisfaite.
Plusieurs vies « hétéros » : va-et-vient entre le masculin et le féminin
Nadia est âgée à peine de dix huit ans lorsqu’elle rencontre Chantal, c’est le coup de foudre. Elles décident très vite de partir vivre ensemble et de fonder une famille. Elles partageront dix-huit ans de vie commune et auront deux filles.
Comme dans sa première relation, Nadia compense son absence de féminité avec celle de son épouse. Elle prend le parti de ne rien lui dire et se contented’être l’homme de la maison. Afin de se retrouver comme lorsqu’elle était petite, Nadia se travestit dès qu’elle en a l’occasion. Elle continue de cacher ses vêtements féminins comme elle le faisait auprès de ses parents. Elle est dans une vie de famille et se trouve dans l’impossibilité de dire quoi que ce soit de son « jardin secret ». Elle considère que la chose est honteuse. Leur fille aînée naît prématurément et Nadia, disponible, s’en occupebeaucoup. A l’inverse, en ce qui concerne Sophie, la cadette, Nadia ne la voit pas grandir car elle est alors dansune période de grand business. Elle poursuit sa vie professionnelle en tant qu’homme et est très appréciée de tous.
Elle voit peu ses enfants : le matinpour les conduire à l’école et le soir, lorsqu’elle rentre, elles sont déjà entrain de dormir. Parallèlement, l’arrivée du Minitel est un évènement puisqu’elle découvre qu’elle n’est pas seule, d’autres personnes sont aussi entre les univers masculin et féminin.
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Table des matières
Remerciements
INTRODUCTION
CHAPITRE UN: COMMENT DONNER UNE REALITE A UNE SITUATION FAMILIALE « SINGULIERE » ?
I. LES CONDITIONS DE L’ENQUETE :« LES PREMIERS PAS »
1. Le choix du terrain : un milieu d’interconnaissance
2. L’accès aux informations : négocier sa place
II. PREPARER L’ENQUETE :« L’IMMERSION »
1. La parole donnée
2. Le guide d’entretien
III. L’ENQUETE : « DE SINGULIERES INTERACTIONS »
1. Présentation des informateurs et informatrices
2. Postures de recherche
CHAPITRE DEUX: LES RECITS DE VIE
I. LA RECONSTITUTION DES PARCOURS DE VIE
1. Maryse
§ Le coming out « dans un milieu réduit » et les conséquences sur la vie de famille
§ La perte du rôle de père : un plaidoyer à l’encontre d’Annabelle
2. Nadia
§ Enfance et adolescence
§ Plusieurs vies « hétéros » : va-et-vient entre le masculin et le féminin
§ La transition : vers Nadia
§ L’opération en Thaïlande
3. Eric
§ Enfance et adolescence : rupture des relationsfamiliales et découverte de la transsexualité
§ La transsexualité entre parenthèses
§ « Dom, c’est mon tremplin »
§ L’entourage face à la vie du couple
4. Alexandra
§ De la naissance à l’adolescence : uneimage de soi « pas mal perturbée »
§ Dix années d’entre-deux
§ La vie avec Camille : à la recherche de soi
§ Alexandre devient Alexandra
5. Sarah et Ambrine
§ Parcours personnels
§ La rencontre et leurs projets de vie à deux
6. Nathalie
§ La vie de couple au dépend de la transsexualité
§ La transsexualité prend le dessus
§ Répercussions sur sa vie familiale : vers une reconnaissance
7. Céline
§ De l’enfance à son premier mariage
§ La vie avec sa seconde femme
§ Du travestissement à la transsexualité
8. Annabelle
§ « La reconnaissance à travers la réussite sociale et le travestissement en catimini »
§ L’année 2001 : un tournant radical
§ Les relations actuelles : « je suis écartelée entre le besoin de respecter les gens que j’aime et
le besoin de me respecter moi-même »
II. DES RECURRENCES DANS LES EVENEMENTS : LA PATERNITE AU FEMININ
CHAPITRE TROIS: VERS UNE RECONNAISSANCE DES PATERNITES TRANSSEXUELLES
I. ETRE PERE QUAND LES AUTRES CROIENT QUE L’ON EST UN HOMME
1. Sur le modèle de la parenté hétérosexuelle
2. Le paradoxe entre sentiment de paternité et de maternité
II. QUAND LE « JE » MASCULIN N’EST PLUSTENABLE
1. Se dire au féminin
2. Négociations autour du « nouveau père »
III. ETRE « PERE » QUAND ON EST UNE FEMME
1. Les stratégies de reconnaissance
2. Qu’est-ce qu’être « père » ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
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