En quoi la mobilité géographique de l’enseignant peut-elle questionner la pratique professionnelle ?

Le questionnement des pratiques professionnelles du professeur des écoles

La pratique professionnelle et le métier

Le concept de pratique professionnelle

Le dictionnaire Larousse consacre plusieurs définitions au mot « pratique ». Une première définition indique que la pratique est « l’application, l’exécution, la mise en action des règles, des principes d’une science, d’une technique, d’un art, etc ». Cette définition induit un lien fort entre la pratique et la théorie, où la première découlerait entièrement et uniquement de la seconde.

C’est la conception de Weber à l’égard de la pratique, qui ne se conçoit que comme une action rationnelle par rapport à un objectif, fondée sur la norme et dépourvue de réflexion. (Weber, 1964). Guigue-Durning souligne à son tour une nécessaire « relation de dépendance » où la théorie prédomine sur la pratique, dans une relation du haut vers le bas ( Guigue-Durning, 1992). Une autre perception, moins asymétrique, chez Malglaive permet d’établir un lien nécessaire entre théorie et pratique, où l’une se met au service de l’autre en conditionnant sa légitimité : « le savoir théorique ne dit pas ce qu’il faut faire, mais conduit à agir avec discernement, à construire des procédures rigoureuse en donnant le moyen de savoir à quelles conditions on peut faire ce que l’on veut faire, et quelles en seront les conséquences.» (Malglaive, 2005) On peut souligner ici la dimension déontologique que la théorie apporte à la pratique et qui nous semble indiscutable.

Une seconde définition – qui vient en opposition, ou en complémentarité de la première – indique que la pratique est « une connaissance acquise par l’expérience, l’action concrète ». Dans ce cas précis, la pratique est donc liée à l’expérience et semble se détacher de la théorie. Lenoir et Vanhulle s’appuient sur ce lien entre la pratique et l’expérience pour contredire la sociologie wébérienne, en affirmant que cette pratique trouve sa place « dans un processus intersubjectif où la créativité et l’aléatoire occupent une place importante, quelle que soit la qualité de l’anticipation créatrice qui opère lors de la phase préactive » (Lenoir et Vanhulle, 2006). La pratique enseignante n’est donc pas une façon d’agir exclusivement fondée sur la norme : elle se fonde aussi sur le retour d’expérience, et sur la part contextuelle de l’action. Lenoir et Vanhulle livrent d’ailleurs une conclusion de leur analyse par laquelle la pratique enseignante découle de facteurs externes que sont notamment les prescriptions normatives, et de facteurs internes, que sont « les contraintes de la situation et du contexte » (Lenoir et Vanhulle, 2006).

C’est cette position que nous choisissons de retenir dans cette étude, selon laquelle la pratique professionnelle du professeur des écoles est une façon d’agir qui s’appuie nécessairement à la fois sur un socle normatif et déontologique, et sur l’expérience de terrain qui comporte sa part d’imprévu et de circonstances non définies par les normes. Cette position rejoint celle de Van Zanten et Grospiron, selon laquelle la pratique enseignante serait ainsi un ensemble de gestes professionnels qui se situe dans ce décalage entre la tâche prescrite et la tâche réelle, et résulte ainsi d’un « ajustement contextuel » (Van Zanten et Grospiron, 2001).

Altet fait d’ailleurs l’état des lieux de ce que recouvre concrètement la pratique enseignante telle que définie ci-dessus : elle « englobe à la fois la pratiques d’enseignement face aux élèves, avec les élèves, mais aussi la pratique de travail collectif avec les collègues, la pratique d’échanges avec les parents, les pratiques de partenariat. » (Altet, 2011)

Le métier d’enseignant

La pratique enseignante est liée de facto à une dimension professionnelle : celui du métier de l’enseignant. Le métier, « c’est l’antithèse d’une profession, parce qu’il est basé sur des activités coutumières et modifié par essai et erreur dans la pratique individuelle » (Moore, 1970). On retrouve dans cette définition de Moore le rôle essentiel de l’expérience, de la place de l’aléatoire et du contexte dans l’exercice du métier, là où la profession découle directement et exclusivement d’un cadre réglementaire, et de « savoirs savants ».

Cette différence sémantique entre le métier et la profession a été rappelée par Bourdoncle à l’occasion de la conférence donnée dans le cadre des journées d’étude Formation de formateurs, organisées par la Mission Formation de l’INRP (Bourdoncle, 2007). Yves Clot qualifie le métier en utilisant quatre critères cumulatifs: le métier est personnel, interpersonnel, transpersonnel et impersonnel (Clot, 2007). Si la dimension personnelle parait évidente puisque chaque professionnel s’approprie son métier comme le définit Moore, la dimension interpersonnelle suppose que le métier s’adresse à un destinataire, a un public ciblé ; la dimension transpersonnelle souligne le caractère collectif du métier : une histoire, une culture, et ne se limite pas à l’individu mais le transcende pour être revendiqué et valorisé par un corps, une équipe. Enfin la dimension impersonnelle intègre la notion de « profession » qui s’y rattache, c’est-à-dire la tâche prescrite, normée.

Les multiples opportunités au questionnement des pratiques 

En 1994, Léopold Paquay développait un référentiel de compétence du professionnel de l’enseignement où le questionnement de la pratique professionnelle s’effectuait à tous les niveaux de ce référentiel :

– le praticien artisan : la pratique se forge par l’usage de routines et de schémas d’action adoptés par l’enseignant dans le but de réaliser la tâche prescrite
– le praticien réflexif : l’enseignant analyse sa pratique, et ses effets, cherche à construire de nouveaux outils
– le maitre instruit : l’enseignant maitrise les savoirs pédagogiques, didactiques, disciplinaires, et s’appuie sur cette connaissance et capacité à exploiter ses savoirs dans le développement de ses pratiques professionnelles.
– le praticien-technicien : l’enseignant développe sa pratique par la diversité des outils techniques qu’il utilise
– l’acteur social : l’enseignant prolonge l’analyse de sa pratique en analysant son quotidien de travail, et les enjeux sociologiques qui s’y rattachent .
– la personne : l’enseignant est en perpétuelle recherche d’un développement personnel et d’une évolution professionnelle (Paquay, 1994).

Le référentiel de Paquay a inspiré le référentiel des métiers du professorat et de l’éducation défini par l’arrêté du 1er juillet 2013 et qui décline les 14 compétences à acquérir et à développer par l’enseignant tout au long de sa carrière.

La dimension humaine du métier

La première des opportunités pour le professeur des écoles est la dimension humaine, dimension fondamentale de son métier : la prise en compte de chaque élève en tant qu’individu, disposant d’un bagage (l’expérience du vécu), d’un potentiel, d’une personnalité en construction, ainsi que la prise en compte collective des élèves de la classe– leur diversité et leurs interactions entre eux – réinterroge systématiquement la façon d’exercer de l’enseignant, a minima chaque année. Le référentiel de compétences professionnelles rappelle à ce propos le devoir permanent de l’enseignant de « prendre en compte la diversité des élèves », dans la construction et la mise en œuvre des situations d’apprentissage.

Dans ses travaux de recherche, Beautier donne tout son sens au rôle de l’élève dans le choix et l’évolution des pratiques de l’enseignant, expliquant que « la présence des élèves entraîne des événements et des incidents, oblige le maître à des ajustements plus ou moins aisés selon son expérience et entraîne des incertitudes quant au (bon) déroulement de cette activité » ( Beautier, 2006).

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Table des matières

Introduction
1. Définition du sujet et de la problématique
2. Plan du mémoire
Partie 1 : Cadre théorique
I- Le questionnement des pratiques professionnelles du professeur des écoles
1. La pratique professionnelle et le métier
1.1 Le concept de pratique professionnelle
1.2 Le métier d’enseignant
2. Les multiples opportunités au questionnement des pratiques
2.1 La dimension humaine du métier
2.2 La polyvalence du métier
2.3 La formation de l’enseignant
2.4 L’évolution du service public d’éducation
3. Mise en perspective de la problématique
II – La mobilité géographique du professeur des écoles
1. Le concept de mobilité professionnelle géographique
2. Le choix individuel de mobilité de l’enseignant
2.1 Une variable d’âge et d’expérience
2.2 Une mobilité encadrée
2.2.1 La mobilité subie
2.2.2 La mobilité choisie
2.3 Les enjeux de la mobilité géographique
2.4 Une réalité professionnelle observée sur le terrain
Partie 2 : Phase de recherche
I. Explicitation de la démarche de recherche
II. Le lien entre pratique et mobilité géographique dans une structure existante
1. Présentation de la méthodologie d’enquête
2. Analyse des résultats
2.1 Mise en perspective de la première hypothèse
2.1.1 Le cas de l’enseignant arrivant
2.1.1.1 L’étendue de l’impact de la mobilité sur la pratique
2.1.1.2 Les multiples formes d’impact de la mobilité sur la pratique
2.1.2 Le cas de l’enseignant déjà affecté sur la structure
2.1.3 Les limites à la réflexion
2.2 Mise en perspective de la deuxième hypothèse
III. Le lien entre pratique et mobilité géographique dans une structure nouvelle
1. Présentation de la méthodologie d’enquête
2. Analyse des résultats
2.1 Mise en perspective de la première hypothèse
2.1.1 L’équipe enseignante affectée sur la nouvelle structure
2.1.2 L’adaptation aux contraintes de la structure
2.2 Mise en perspective de la deuxième hypothèse
2.2.1 La consultation des équipes enseignantes en amont du projet
2.2.1.1 S’interroger sur la configuration spatiale optimale de l’école
2.2.1.2 S’interroger sur l’aménagement interne des locaux
2.2.2 La conception de projets en lien avec l’ouverture
2.2.2.1 Des projets liés à la volonté de construire une culture d’équipe
2.2.2.2 Des projets pour construire une culture commune avec les élèves et
leurs familles
IV. La nécessité d’une juste mesure dans la mobilité
V. L’échange de pratiques entre pairs
1. Les visites de classes dans des structures comparables
2. Le groupe d’échange de pratiques professionnelles
Conclusion
Bibliographie

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