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1970 : vers une résorption des bidonvilles
Il fallut attendre les années 1970 pour que les politiques de résorption mises en place plusieurs années auparavant ne soient efficaces et que les bidonvilles « disparaissent » avec le relogement des familles qui y vivaient.
Ce processus prit beaucoup de temps au gouvernement, qui avait fait de cette problématique un enjeu majeur. Bien souvent, aucune alternative n’était trouvé au rasage des quartiers insalubres qui disparaissaient l’un après l’autre. Mais certaines familles n’avaient pas d’autre choix que de se reloger dans les baraquements d’un bidonville voisin toujours en place, qui était détruit à son tour quelques semaines ou mois plus tard.
La démarche fut de longue haleine pour les autorités, et le relogement n’était pas toujours automatique. D’après Yvan Gastaut14 : « par facilité, les autorités chargeaient le plus souvent des organismes privés de reloger les migrants, suggérant même aux associations de construire pour les familles un taudis dans un autre bidonville.»
Les actions des politiques pour mettre un terme à l’existence de ces zones d’habitats insalubres furent encore une fois fortement relayées par les médias. Il faut comprendre qu’à cette époque et encore aujourd’hui, la perception des bidonvilles par ceux qui n’y ont jamais mis les pieds ne se faisait qu’a travers le prisme des journalistes. Les hommes politiques ayant compris qu’il était essentiel de jouer sur ce facteur « communication » n’hésitent pas à s’exprimer publiquement allant même, jusqu’à visiter de manière impromptue un bidonville, comme le fit le premier ministre Jean- Jacques Chaban-Delmas à Aubervilliers en Février 194215. L’état d’insalubrité constaté sur place permettait alors de légitimer les actions de destruction auprès des médias, et donc de la population française : « J’ai pu constater des conditions d’existence insupportables et pourtant elles sont supportées par ceux qui les subissent (…), j’ai vu une cave où s’entassent des dizaines d’Africains dans des conditions inénarrables (…).
J’ai vu un bidonville le long d’un canal, à un endroit appelé ‘le chemin de halage’ : dans la boue, avec les bruits incessants des pelles mécaniques qui creusent, des camions qui vont et viennent, en bref, un genre ‘Quai des brumes’ mais sans Michèle Morgan… Il y avait là des centaines de familles : les hommes étaient au travail, il restait les femmes avec une multitude d’enfants (…). Il y avait longtemps que je n’avais pas vu un pareil spectacle. »
Discours de Jean-Jacques Chaban-Delmas après sa visite du bidonville d’Aubervilliers.
Les médias véhiculent alors l’image d’un bidonville miséreux. Comme l’analyse Colette Petonnet16, les journalistes prennent position contre la misère mais véhiculent surtout la crainte engendrée par celle-ci (peur des maladies, du désordre, de l’insécurité etc.). Ces quartiers en passe d’être détruits sont vus comme des lieux détestables, « où l’on voit les gens croupir et mourir ».
Cette description légitime leur éradication aux yeux de la population : « les bidonvilles sont définitivement vus comme un lieu à abattre ». Encore une fois, et comme l’auteur le souligne, il est important de comprendre dans ce contexte l’importance de la provenance des informations qui comme aujourd’hui, sont uniquement véhiculées et sélectionnées par les médias de masse. Elles sont surtout à cette époque le fruit d’une mise en scène : les prises de vue sont souvent extérieures, pour ainsi mettre en avant le caractère hétéroclitique des matériaux de construction tandis que la vie à l’intérieur de ces bidonvilles ne peut être qu’imaginée par la population française : « Il devient un horschamp qui s’engouffre dans tous les fantasmes»17. Ainsi, il n’est jamais fait aucune allusion à une organisation humaine qui ne peut qu’être supposée.
Après ce lourd acharnement politique et médiatique contre les bidonvilles français, on considère publiquement, à la fin des années 1970, que ces zones sont éradiquées totalement. La croyance en cette éradication fut longtemps entretenue par le silence des médias à propos des nouveaux bidonvilles qui sont nés dans les années qui ont suivi. Ainsi, malgré les dires du gouvernement et la forte diminution du nombre d’habitats précaires sur le territoire, leur disparition complète à cette époque n’est pas avérée Si nous essayons de résumer cela, qui pourraient en fait constituer un cycle comme nous le verrons plus tard, ils commencent par le laisser faire de l’état, jusqu’à un point où une médiatisation massive des faits permet à la population française de prendre conscience de l’existence de ces quartiers insalubres sur le territoire et de leur ampleur. Vient ensuite la mise en place d’une politique répressive, basée sur l’éradication stricte de ces habitats, et le relogement des personnes.
Suite à la découverte de notre historique français, j’ai rapidement pu faire le rapprochement entre la succession des actions survenues pendant la période d’après-guerre et la situation actuelle. Les nombreuses similitudes constatées m’ont amenée à penser qu’il était important de garder en mémoire l’histoire que nous avons avec les bidonvilles, avant même de penser à comprendre et résoudre le phénomène actuelle. De plus, le rôle des médias, intermédiaire entre la réalité et la population, est crucial car l’information, comme nous avons pu le voir, peut aisément être orientée et ne présenter qu’un aspect d’une réalité afin de justifier des fins politiques.
Des années 90 à nos jours : la réapparition d’une situation que l’on croyait révolue
Sans surprise, les bidonvilles sont réapparus en France à la fin des années 1990. Mais, pendant de longues années ils sont restés aux yeux de l’opinion publique une « question relevant d’un autre âge » 18. La prise de conscience progressive de la population n’a commencé que récemment, alors même qu’aujourd’hui, on recense 14 825 personnes19 vivant dans les bidonvilles français.
La fin des années 1990 et la réapparition du phénomène des bidonvilles
Dès l’arrêt des politiques de relogement et d’éradication menées par les politiques qui considéraient les bidonvilles comme disparus, ces derniers se sont reconstitués, généralement dans des endroits où le regard ne s’arrête pas, dans des espaces tel que le bords des voies de communication ou dans les friches industrielles par exemple. Les populations de ces nouveaux « campements » ne sont pas les mêmes que dans les années 50. En effet, ce repeuplement des bidonvilles a lieu suite à l’apparition d’une nouvelle vague migratoire dans les années 2000, appelée aussi « crise migratoire européenne ». Depuis ce début de siècle, la population française augmente en moyenne de 300 000 personnes par an, dont 30% sont des personnes issues de l’immigration20. Encore une fois le problème du logement de ces nouveaux arrivants se pose, mais n’est toujours pas résolu. Certains trouvent refuge dans des centres tel que celui de Sangatte, mais beaucoup n’ont d’autre choix que de vivre dans des « campements illicites ».
Durant les premières années de cette crise, l’État semble reproduire le même schéma que par le passé en se tenant à distance, en tout cas en ce qui concerne la question de l’habitat pour ces nouveaux arrivants. Dans l’ouvrage « Les bidonvilles en Europe : une production politique »21, on lit que l’état « aborde l’enjeu comme un problème de gens du voyage, de migrations, de sécurité, ou de marché du travail», mais à aucun moment n’est évoqué l’habitat. Pourtant, face à l’inaction des pouvoirs publics dans ce domaine naissent les contestations des collectivités locales qui « ordonnent des expulsions ou expérimentent parfois des projets alternatifs »22, pour faire face aux campements qui se multiplient sur leur territoire.
Jusqu’en 2012, on parle alors d’un «voile d’ignorance » qui aurait « couvert la réalité des bidonvilles »23 . Ce n’est qu’en 2012 que l’État français consacrera enfin un politique de logement aux habitants de ce que l’on appelle désormais : « campements illicites ». 2012, c’est aussi la date du premier recensement fait suite à la création de la DIHAL (Délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abris ou mal logées) aujourd’hui en charge de rédiger des rapports annuels chiffrés sur l’évolution de la situation dans les bidonvilles français.
On a pu obtenir à partir de ce premier recensement, une vision plus précise de l’ampleur du phénomène. La DIHAL est aujourd’hui toujours chargée de nombreuses responsabilités. Sur le site du gouvernement24, on peut lire la description associée à cette délégation : « Depuis 2012, la Dihal est chargée d’une mission relative à l’anticipation à l’accompagnement des évacuations de campements illicites, conformément à la circulaire interministérielle du 26 août 2012. ».
Chose importante à noter, on remarque dans ce descriptif que l’on parle toujours « d’évacuation » des « campements illicites ». L’État ne semble donc pas avoir adopté une position différente à celle des années 70, si ce n’est la création d’un organisme pour encadrer ces évacuations :
« Dans une perspective de lutte contre la grande précarité, l’objectif est de parvenir à réduire durablement la récurrence des campements et le nombre de personnes y vivant, en leur apportant des solutions différenciées adaptées aussi bien à leur profil et à leur volonté qu’à la nature du campement »25
La position de l’État aujourd’hui semble être la suivante : reloger les immigrants ayant reçu le droit d’entrer sur le territoire vers un logement pérenne, directement après leur arrivée en France. L’accompagnement et le suivi de ces personnes serait assuré par des associations, l’objectif étant de permettre leur intégration le plus rapidement possible dans la société française, souvent par le biais de l’habitat social.
Nous verrons par la suite que ce programme, qui promet d’être idéal n’a finalement pas l’effet escompté et que l’intégration des migrants dans la société française ne s’avère pas si facile.
Une lente prise de conscience de l’opinion publique
Comme nous avons pu le voir précédemment à la fin des années 1960-1970, les Français ont pu considérer comme acquise l’éradication des bidonvilles.
Récemment, lorsque les médias et les politiques ont de nouveau pointer du doigt les « campements illicites », ce fut une surprise pour la plupart d’entre eux26.
Parmi les politiques qui ont tenté de ramener ce sujet délaissé au coeur des actualités, on retrouve notamment Valérie Pécresse alors présidente de la région Ile de France qui « a tout à coup découvert : « 100 bidonvilles dans la région » estime la chaîne CNews, le 26 septembre, «qu’en la matière, la cote d’alerte [était] clairement dépassée »27. C’était en 2015 et encore une fois ce discours plus qu’alarmant n’a pas réellement fait réagir l’opinion publique, et n’a pas été relayé, malgré les 16 000 personnes recensées dans des « campements illicites » à cette époque.
On remarque à nouveau que les médias contrôlent notre perception de la situation et, faute d’une couverture importante, ils inhibent notre réactivité.
C’est au cours de cette même année 2015 que sont parus les premiers articles récurrents ayant pour thème « Les bidonvilles » ou encore « Les campements illicites ». Comme exemple, on peut citer le journal Libération qui titrait « Osons dire qu’il y a des bidonvilles en France en 2015 », ou encore le NouvelObs avec « Calais, Paris… Les bidonvilles n’ont jamais disparu, leur éradication est un mythe ». Plus récemment, en 2017, est paru dans le Monde un article ayant eu un impact fort : « Ces 570 bidonvilles que la France ne veut pas voir ».
Si l’on s’y intéresse de plus près, on peut voir que comme par le passé, l’engouement autour de cette problématique s’est fait par un élément déclencheur. Dans cet article du Monde on lit justement cette phrase de Yves Gastaut qui me semble très juste : « D’abord, il faut un élément déclencheur pour que la société civile s’émeuve.
Ensuite, le politique s’en saisit et éradique cet habitat précaire, en faisant croire que le problème est définitivement réglé… Exactement de la même manière qu’il a vidé la “jungle” de Calais fin 2016. »
Le cas de la Jungle de Calais semble être l’élément déclencheur de cette prise de conscience de l’opinion publique, bien longtemps restée dans l’ignorance.
Les dates semblent correspondre puisque le premier démantèlement a eu lieu en 2014, pour une fermeture voulu du site fin 2016 qui fut un échec (Figure 5). Ainsi, le cas de Calais aurait fait revenir le sujet des bidonvilles « sur le devant de la scène ».
Par la suite, commença la médiatisation des bidonvilles des plus grandes agglomérations françaises. En 2016 notamment, le démantèlement de la petite ceinture de Paris fait grand bruit. La population découvre que les migrants vivent à côté d’eux, et les informations se veulent choquantes et émouvantes. Ainsi, la réalité devient palpable pour une partie des Français qui voient à présent ces zones insalubres, qui ne se cachent plus en périphérie ou derrière des voies rapides.
Aujourd’hui, à la différence de la crise passée, les « campements illicites » sont aux portes des villes, dans les agglomérations et donc visibles du grand public.
Cependant, les médias se sont tardivement saisit de cette problématique, qui n’a été dévoilée au grand public que très récemment. Même si l’époque n’est pas la même, je pense nous devons toujours nous questionner sur ce qui nous est montré et sur ce qui est laissé au bon vouloir de notre imagination. Il me semble que la thèse de Colette Petonnet évoquée dans la première partie est encore valable aujourd’hui, et que nous devons être prudent face aux images qui nous sont montrées, qui modulent notre manière de percevoir le sujet.
À moins d’avoir une réelle expérience du terrain dans les bidonvilles français, il faut être conscient que nous ne pourrons pas avoir une image neutre de la situation, qui ne nous aura été montrée qu’à travers le filtre médiatique.
J’ai dans l’idée que c’est en grande partie pour cela que je suis restée longtemps dans l’ignorance, comme, je pense, la majorité des Français, ou en tout cas d’après les témoignages que j’ai pu récolter. Je n’ai pas cherché à me renseigner, me contentant des bribes d’informations glanées ici et la, dans les plus grands journaux nationaux. Aujourd’hui, il semblerait que la société Française fasse preuve d’amnésie, oubliant son passé chaotique avec les bidonvilles. Nous avons reproduit les même erreurs et avons été surpris, par deux fois, d’apprendre que les bidonvilles existaient près de chez nous.
Les bidonvilles Français, un lieu de passage aux yeux des politiques I / 2
Au travers de leurs discours, les hommes politiques Français ont longtemps nié l’existence même des bidonvilles dans le pays, utilisant d’autres termes pour les désigner, évitant peut-être d’ouvrir les yeux face à la gravité de la situation. Quand enfin on qualifia ces zones d’habitats précaires, reconnaissant ainsi leur existence, ce fut pour, quelques années plus tard, entamer un nouveau processus d’éradication, pour qu’elles ne deviennent pas des lieux de vie pérennes.
A Quand l’usage des mots trahit la volonté d’un phénomène provisoire
Au cours de mes lectures j’ai pu observer qu’il n’existait pas un seul et unique terme pour désigner les quartiers informels français, que le vocabulaire utilisé dépendait de l’interlocuteur pouvant être révélateur de sa manière de percevoir ces zones.
Les termes « taudis », « bidonvilles », « habitats informels », « établissements informels », « quartiers informels », « squats » ou bien « foyers à faibles revenus » sont souvent employés de manière interchangeable dans les travaux d’experts et les documents officiels (issus par exemple des sources FMI, Banque mondiale, AFD, ONU Habitat, PNUD, etc.), mais nous allons dans cette partie surtout nous intéresser aux discours des politiques et journalistes Français, qui tour à tour qualifient ces zones de « bidonvilles », « camps » ou encore « campements illicites »
Entre bidonvilles et campements : comment qualifier ces zones qui dérangent ?
Dans un premier temps, nous allons nous intéresser aux définitions de chacun de ces mots, selon différents organismes publics.
Commençons par le terme : « bidonville », celui le plus communément utilisé dans un pays qui reconnaît et assume en posséder. Sur le site de l’ONU1 tout d’abord, on définit ces zones selon quatre critères qui sont les suivants :
– un accès inapproprié à de l’eau salubre, un accès inapproprié à l’assainissement et aux infrastructures
– un manque de qualité structurelle des logements, – une surpop ulation
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Table des matières
Introduction
PARTIE I : état des lieux en france : entre mobilité spatiale et immobilité sociale
I / France et bidonvilles : un sujet inscrit dans une approche cyclique
– Les bidonvilles dans les années 50, résultante de la crise du logement
– Des années 90 à nos jours : la réapparition d’une situation que l’on croyait révolue
II / Les bidonvilles Français, un lieu de passage aux yeux des politiques
– Quand l’usage des mots trahit la v olonté d’un phénomène provisoire
– Une volonté persistante de «mettre fin aux implantations sauvages»
III / Des difficultés d’intégration dans une société sujette au x idées reçues
– Le regard des Français sur les occupants des «campements illicites»
– Une France multiculturaliste ou assimilationiste?
PARTIE II : en argentine un chemin tortueux entre répression et urbanisation, pour un avenir peut-être plus radieux ?
I / Entre répression et aides sociales, conséquences d’une instabilité politique
– Les espaces résiduels au coeur de la ville : prémices des quartiers auto-construits
– Entre 1955 et 1983 : entre omission, assistance et éradication
– De 1983 à aujourd’hui : acceptation du phénomène des villas et aides sociales
II / Les villas en Argentine : peut-on toujours parler d’habitats informels?
– Une ville au coeur de la ville
– L’auto-gestion d’un quartier, conséquence d’une économie interne developpée
– Faire face à la défaillance des ser vices publics
PARTIE III : régulariser l’informel, une idée à double tranchant ? Le cas de la villa 31
I / Chronologie d’une politique de régularisation décriée
– «Il est impossible d’éradiquer une villa de plus de 40 000 ha bitants», Jorge Melguizo
– Les premiers plans d’urbanisme comme frein au développement d’une ville marginale
II / La mise en place d’une politique de régularisation dans un e villa en Argentine
– Mettre en place un plan d’urbanisme à l’échelle de la villa
– Organiser la politique du quar tier pour faire entendre la voix des vecinos
– Un conflit majeur de ce pr ojet : la question des titres de propriété
Conclusion
Annexes
Bibliographie
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