Emploi des adhésifs photo-polymérisables pour la conservation-restauration du verre 

Mécanismes du collage : principes théoriques

Forces d’adhésion

Selon Jacques Cognard, « l’adhésion est l’ensemble des interactions se produisant au contact solide –adhésif ». Bien que les mécanismes de l’adhésion soient encore mal connus à ce jour, les scientifiques admettent plusieurs théories qui peuvent se combiner. Nous développons ci-dessous celles qui peuvent intervenir dans le collage du verre :

Théorie thermodynamique ou adsorption physique : l’attraction entre les atomes chargés positivement et ceux chargés négativement du substrat et de l’adhésif conduit à la formation de dipôles. Ce sont des liaisons intermoléculaires secondaires (faibles) – de longue distance, de l’ordre de 1 à 5 nanomètres (nm). Ces liaisons, qui existent dans tous les cas de figure dans un procédé de collage, sont largement responsables de l’adhésion des adhésifs thermoplastiques .

Théorie de la liaison chimique : la liaison chimique intervient lorsque l’adhésif peut mettre en commun un certain nombre d’électrons avec les molécules ou atomes du substrat. Ce sont ici des liaisons primaires (fortes) – de courte distance, de l’ordre de 1 à 2 nm. Ces liaisons fortes mettent en jeu des énergies plus importantes que les liaisons faibles, de première importance pour la force du collage. La surface polaire du verre comporte la particularité de présenter des groupements hydroxyles (OH), qui peuvent développer des liaisons primaires avec un adhésif comprenant des groupes réactifs susceptibles de réagir avec ces hydroxyles. C’est le cas des adhésifs thermodurcissables .

Théorie mécanique : les aspérités et porosités du substrat permettent un ancrage mécanique de l’adhésif. L’ancrage mécanique est toujours favorable à la résistance d’un collage.

Dans le cas d’un verre sain, cet effet est restreint en raison de sa faible porosité et sa faible rugosité de surface.

Notion de mouillabilité

Pour que les liaisons se développent entre l’adhésif et le substrat, l’adhésif doit pouvoir établir un contact moléculaire intime avec la surface du substrat. Ce procédé est connu sous le nom de mouillage. Pour comprendre ce phénomène, il est nécessaire de faire appel à la notion de tension superficielle, également appelée tension de surface ou énergie de surface.

La tension superficielle est la force qui existe à l’interface de deux milieux différents. Elle se manifeste par la tendance d’un liquide à se présenter sous forme de goutte dans une membrane élastique afin d’offrir un contact minimum avec le matériau solide. La tension superficielle se mesure par l’angle de raccordement entre le liquide et le solide selon l’équation de Young. Lorsque l’angle tend à zéro, la mouillabilité est optimale. En d’autres termes, pour que le phénomène d’adhésion se manifeste, la tension superficielle du substrat doit être supérieure à celle du matériau.

Plus la tension superficielle du substrat est élevée, plus le matériau est facile à coller. C’est le cas du verre dont la haute énergie de surface (env. 1’000 mJ/m²) lui permet d’être facilement mouillable.

Néanmoins, lorsqu’il présente des groupements hydroxyles (surface hydratée), son énergie de surface chute à 200 à 300 mJ/m². C’est à ce moment que la tension superficielle de l’adhésif entre en jeu.

Plus la tension superficielle de l’adhésif est basse, plus il est facile pour la goutte de s’étaler et de mouiller le substrat. La viscosité, exprimée en centipoise, permet de caractériser la résistance à l’écoulement d’un liquide. Elle est reliée à la taille des molécules du liquide. De manière globale, plus les molécules du liquide sont petites, plus les liaisons sont faibles entre les molécules et plus la viscosité est basse. Un adhésif à basse viscosité s’écoule plus facilement et mouille mieux le substrat.

Critères de sélection d’un adhésif pour la conservation-restauration du verre

Si le collage est principalement le support de l’étude et de l’exposition d’un objet, il joue également un rôle dans sa conservation car des fragments isolés encourent le risque d’être perdus ou fracturés en raison de négligences humaines. Le collage comporte parallèlement des risques pour la conservation de l’objet. Ces risques se traduisent par une incompatibilité des produits employés, une force de collage inadaptée aux caractéristiques de l’assemblage, et le vieillissement des produits employés.

Conscients de la durabilité limitée des polymères, les conservateurs-restaurateurs ont établi des objectifs au sujet de la stabilité physico-chimique dans le temps des adhésifs. Par ailleurs, la conservation se basant sur «un équilibre entre les droits de notre génération et ceux des générations futures», l’intervention de collage doit tendre à rester réversible. Nous développons ci-dessous les principaux critères de sélection d’un adhésif en conservation-restauration :

Compatibilité avec le substrat
L’adhésif ne doit pas nuire à l’objet durant son application, sa prise ou son vieillissement.

Propriétés physico-mécaniques adaptées
L’adhésif doit être fiable, c’est-à-dire qu’il doit assurer la stabilité mécanique de l’assemblage dans le temps. Deux propriétés ont tendance à limiter l’adhésion du polymère sur le verre et l’adhérence finale de l’assemblage. Premièrement, la surface du verre présente des groupements hydroxyles (OH) qui comportent de grandes affinités avec l’eau. Cette eau, qui se trouve à l’état de vapeur dans l’humidité relative de l’environnement, suffit à hydrater la surface particulièrement hygroscopique du verre. La présence de plusieurs épaisseurs moléculaires d’eau à la surface du matériau porte préjudice à la fois au mouillage du verre, comme nous l’avons vu préalablement, mais également à la résistance du joint de colle dans le temps. En se déposant à l’interface du film de colle perméable et du verre, l’eau va favoriser une pression hydrostatique sur l’adhésif et encourager une perte d’adhérence dans le temps. Par ailleurs, le verre, en l’état non dégradé, est un solide non poreux à faible rugosité.

Cette caractéristique a pour conséquence de limiter l’ancrage mécanique de l’adhésif, favorable à la résistance de l’assemblage. Pour compenser ces inconvénients, le collage du verre nécessite l’emploi d’un adhésif à haute polarité qui peut créer de bonnes affinités avec les hydroxyles présents à la surface du verre et qui comportent des propriétés adhésives élevées.

Réversibilité de l’intervention
La réversibilité s’attache à limiter l’impact de l’intervention du conservateur-restaurateur par la possibilité de revenir à l’état de l’objet avant traitement. Ce principe s’applique à deux niveaux. D’une part, l’intervention ne doit pas engendrer une modification irréversible des informations de l’objet avant traitement. D’autre part, les produits employés lors de l’intervention doivent pouvoir être retirés sans endommager l’objet.

La réversibilité d’un collage est souvent assimilée au type de polymère employé – thermoplastique, soluble de manière permanente – ou thermodurcissable dont la structure réticulée est insoluble. Néanmoins, la réversibilité de l’intervention est conditionnée d’avantage par la porosité du substrat et le type d’intervention envisagé (collage, consolidation). Plus le matériau est poreux et présente des capillaires fins, plus l’adhésif est en mesure de pénétrer dans le matériau, plus l’extraction du polymère est compromise par la suite. En l’état non-dégradé, le verre est un matériau non-poreux, ce qui facilite la réversibilité de l’intervention. Malgré leur insolubilité, les adhésifs thermodurcissables se ramollissent en présence de certains solvants tels que l’acétone ou les solvants chlorés (chlorure de méthylène). Ce ramollissement permet de fragiliser suffisamment le joint de colle pour permettre un retrait mécanique de la majeure partie de la résine. Selon Sandra Davidson, on peut considérer que l’emploi d’un adhésif thermodurcissable est réversible lorsque la surface de l’objet est lisse et non-poreuse.

Stabilité physico-chimique
L’adhésif doit être stable physico-chimiquement à long terme, c’est-à-dire sur un objectif d’une centaine d’années dans des conditions climatiques adaptées (T : 18-20°C, HR : 45-55%). Le vieillissement de l’adhésif ne doit pas conduire à une perte d’adhésion avec le substrat, engendrer des substances susceptibles de dégrader l’objet ou provoquer un jaunissement de l’adhésif qui perturberait son appréciation esthétique. L’évaluation de la stabilité physico-chimique d’un adhésif s’effectue par des essais de vieillissements, naturels ou artificiels.

Critères esthétiques
La transparence ou translucidité de la plupart des verres engendre une contrainte esthétique : l’obtention d’un joint de colle fin, incolore et lui-même transparent. Afin de limiter l’impact visuel du joint de colle, l’adhésif doit être optique en comportant un indice de réfraction (n) proche de celui du verre. La réfraction est un phénomène optique qui correspond à la déviation d’un rayon lumineux incident lors du passage de la lumière d’un milieu à un autre. Cette déviation est engendrée par un changement de la vitesse de propagation de la lumière. L’indice de réfraction «détermine le comportement de la lumière lorsqu’elle passe d’un matériau à un autre de composition différente».

En théorie, afin de reproduire l’illusion de transparence, la différence de l’indice de réfraction de la résine doit être de +/-0,01 avec celui du verre à coller. Pour les verres transparents présents dans les collections patrimoniales, cet indice de réfraction varie le plus souvent entre 1.46 et 1.6. Il dépend principalement de la nature de l’élément qui permet d’abaisser le point de fusion du verre, appelé fondant. De manière générale, on peut classer l’indice de réfraction du verre d’après leur fondant de manière croissante comme ceci : verre sodique < verre potassique < verre au plomb < verre borosilicate.

Adhésifs recommandés pour le collage du verre en conservation-restauration

En l’état actuel des recherches et au regard du cahier des charges évoqué, deux catégories d’adhésifs sont particulièrement recommandés pour le collage du verre : le Paraloid® B72 (Röhm and Haas) et les résines optiques époxydes. Le Paraloid® B72 est une résine thermoplastique dont la résistance est insuffisante pour assurer la fiabilité d’un collage structural. En ce sens, nous ne développerons pas d’avantage son étude dans ce travail.

Les adhésifs époxydes optiques sont des résines thermodurcissables, composées d’un pré polymère époxy et d’un catalyseur ou durcisseur polyamide. Certaines d’entre elles présentent une stabilité physico-chimique estimée à environ 100 ans – par exemple Hxtal® Nyl-1 (Hxtal Adhesive), l’Epotek® 301-2 (Epoxy Technology) – et sont particulièrement recommandées pour le collage du verre. Ces adhésifs présentent des performances mécaniques élevées. Bien que conscients que la résistance des adhésifs époxydes est souvent trop importante au regard de la fragilité du verre, les conservateurs-restaurateurs n’ont pas trouvé de meilleure alternative à ce jour lorsque l’assemblage nécessite une force de collage élevée. Le temps de prise important à température ambiante (16 à 96h) et la faible viscosité des résines époxydes les destinent à une application dans un collage fermé, qui suppose un pré-montage à blanc de l’objet à l’aide de rubans adhésifs et/ ou des cavaliers métalliques. L’adhésif est ensuite appliqué par infiltration, en profitant de l’effet de capillarité entre les lignes de casses.

Paramètres influant sur la polymérisation

Les retours au sujet des adhésifs photopolymérisables des conservateurs-restaurateurs sont parfois mitigés en raison de problème lors de la prise de l’adhésif. En dehors des paramètres liés au rayonnement UV – correcte longueur d’onde et dose d’UV suffisante – plusieurs facteurs agissent sur la cinétique de polymérisation d’une résine photopolymérisable. La rapidité de la polymérisation de l’adhésif dépend principalement de la nature du photoamorceur employé. Cet aspect n’est pas renseigné dans les fiches techniques des adhésifs examinés dans notre étude, vraisemblablement en raison du secret industriel. De ce fait, nous ne développerons pas d’avantage ce sujet. D’autres paramètres influencent la rapidité de prise de l’adhésif. Nous les présentons ci-dessous :

Nature du monomère

La nature du monomère influence la vitesse de polymérisation et le taux de conversion de la résine. Elle conditionne aussi les propriétés physico-chimiques du polymère final. Plus le monomère comprend de fonctions réactives, plus la vitesse de polymérisation est élevée. La prise rapide de la résine engendre un milieu qui devient rapidement visqueux et dont les molécules sont difficilement mobiles. Le taux de conversion de la résine est par conséquent réduit. Par ailleurs, plus la densité de réticulation est élevée, plus les matériaux sont durs et fragiles.

Nature de la fonction réactive

La nature de la fonction réactive du monomère ou de l’oligomère téléchélique agit sur la réactivité des résines et par conséquent sur sa vitesse de polymérisation. Une étude des cinétiques de polymérisation des résines par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (IRTF) a permis de les classifier par ordre de réactivité croissant. – photopolymérisation radicalaires : méthacrylate < thiol polyène < acrylate.

Présence d’oxygène

L’oxygène inhibe les polymérisations par voie radicalaire. Les radicaux ainsi que les chaînes en croissance peuvent être transformées en radicaux peroxydes qui empêchent la propagation de la polymérisation. La présence d’oxygène a deux conséquences : une diminution de la vitesse de polymérisation et une réduction du taux de conversion final . Au début de l’irradiation, on constate un temps d’inhibition car l’oxygène dissous dans la formulation consomme les premiers radicaux formés. La polymérisation ne peut débuter que lorsque l’oxygène a été consommé. En pratique, cela se traduit par une mauvaise polymérisation à la surface du film (aspect liquide puis poisseux) qui affecte les propriétés finales du polymère.

La viscosité de la résine joue un rôle sur l’inhibition par l’oxygène. Le processus de ré-oxygénation est beaucoup plus lent pour une résine à viscosité élevée. Cela permet à la polymérisation d’être efficace dès la fin de la période d’inhibition.

Intensité lumineuse

L’intensité lumineuse permet de faire varier la vitesse de réaction de la résine photopolymérisable. L’augmentation de l’intensité lumineuse a pour effet d’accroître la vitesse de polymérisation et le taux de conversion final du polymère . Cela est vraisemblablement dû à une mobilité moléculaire plus importante sous illumination intense en raison de l’élévation de la température. A faible intensité, la température de la résine photopolymérisable augmente jusqu’à 20 à 40°C et peut atteindre 90°C à haute intensité en raison des réactions exothermiques qui s’opèrent. Pour des épaisseurs importantes (plusieurs centimètres), il est souhaitable de tirer parti de la mobilité moléculaire sous illumination intense afin polymériser en profondeur la résine. L’intensité lumineuse influence également l’inhibition par l’oxygène. Plus l’intensité lumineuse est faible, plus la consommation initiale d’oxygène est diminuée. En conséquence, pour parer à l’effet néfaste de l’oxygène, il est préférable d’augmenter l’intensité lumineuse de la source.

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Table des matières

Introduction
I. Intervention de collage 
1. Mécanismes du collage : principes théoriques
1.1 Forces d’adhésion
1.2 Notion de mouillabilité
1.3. Forces de cohésion
II. Collage du verre en conservation-restauration
1. Critères de sélection d’un adhésif pour la conservation-restauration du verre
2. Adhésifs recommandés pour le collage du verre en conservation-restauration
3. Emploi des adhésifs photopolymérisables pour la conservation-restauration du verre
III. Adhésif photopolymérisable 
1. Polymérisation sous rayonnement UV
1.1 Rayonnement UV
1.2 Principes fondamentaux de la photopolymérisation
1.3 Formulation des résines photopolymérisables
2. Photopolymérisation radicalaire
2.1 Mécanisme
2.2 Type de résines
3. Paramètres influant sur la polymérisation
3.1 Nature du monomère
3.2 Nature de la fonction réactive
3.3. Présence d’oxygène
3.4 Intensité lumineuse
4. Avantages et inconvénients des adhésifs photopolymérisables
4.1 Avantages
4.2 Inconvénients
IV. Etude technico-scientifique : essais de résistance au cisaillement 
1. Définition de l’étude
1.1 Contexte de l’étude
1.2. Objectifs de l’étude
2. Approche expérimentale
2.1 Choix de l’essai de résistance
2.2 Choix du verre
2.3. Choix des adhésifs
3. Fabrication des échantillons
3.1 Conditions requises pour l’essai de cisaillement
3.2 Remarque sur l’application des adhésifs
4. Etape I : Comparaison de la résistance mécanique au cisaillement des 5 adhésifs sélectionnés
4.1 Préparations des échantillons
4.2. Essais de résistance au cisaillement
4.3 Présentation des résultats
4.4 Synthèse des caractéristiques des différents adhésifs
5. Etape II : Influence de la dose d’UV sur les performances mécaniques des adhésifs
5.1 Préparation des éprouvettes
5.2. Présentation des résultats
5.3 Synthèse des caractéristiques des différents adhésifs
V. Synthèse
VI. Conclusion
VII. Glossaire 
VIII. Bibliographie 
1. Sources écrites
2. Sources en ligne
3. Documents non publiés
4. Fiches techniques
IX. Table des illustrations
1. Illustrations
2. Tableaux
3. Graphiques
4. Planches
X. Annexes

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