Le monde agricole contraint/aidé par l’union européenne, par la société civile, par la recherche et le développement est en quête d’un nouveau référentiel, d’un modèle post productiviste . Depuis 1985 se succèdent, de réformes en réformes, la politique agroenvironnementale, les incitations à la conversion à l’agriculture biologique, la prise en considération explicite de la multifonctionnalité de l’agriculture et des territoires par le développement des CTE et des CAD. Ce mouvement normatif a pris forme grâce au développement d’outils et de procédures adaptés à un contexte conflictuel : approche contractuelle, procédures d’expérimentations, etc. L’Etat n’a pas « imposé » de nouvelles politiques dans un premier temps, mais s’est inspiré et appuyé sur des notions de liberté contractuelle, de consensualisme pour expérimenter, pour négocier avec les agriculteurs une évolution de leurs pratiques plus favorables au respect de l’environnement, puis dans un second temps il s’est orienté vers une obligation à adopter certaines pratiques. Le consensualisme affiché par l’Etat a permis de promouvoir et d’expérimenter des mesures dans une période où il était risqué de braquer les agriculteurs contre la réforme de la PAC de 1992 (Les MAE sont des mesures d’accompagnement de la réforme de 1992). La mise en œuvre de ces mesures n’a pas généré de tension particulière auprès des agriculteurs puisqu’elles étaient facultatives et qu’elles concernaient des territoires dans lesquels la production agricole était relativement marginale (marais poitevin, Vercors, plaine de la Grau). Ce n’est qu’après une phase d’expérimentation réussie que les mesures furent appliquées sur un territoire plus vaste, puis que certaines d’entre elles devinrent obligatoires pour les agriculteurs (gel des terres, conditionnalité des aides).
De la politique des structures à l’agri-environnement
Présentation générale
Le traité de Rome (1957) ne comporte pas de référence explicite sur la question de la protection de l’environnement . Ce silence peut surprendre aujourd’hui, mais qui pouvait se soucier de conséquences de l’agriculture sur l’environnement dans les années 60, période de foi absolue dans le productivisme . Par contre, dès la promulgation de la Loi d’Orientation Agricole (LOA) de 1960, des mesures de portées générales ébauchent les fondements d’actions qui s’intéressent à la dynamique des zones rurales en déclin et donc à la gestion des ressources naturelles.
La politique environnementale est issue de manière ambiguë du domaine de la politique régionale. L’essentiel du contenu de la directive n°72/268, première directive agricole à dimension véritablement environnementale, a été repris par le règlement n°2328/91. Ces textes définissent les zones défavorisées et introduisent par ailleurs la notion de zones à handicaps spécifiques, dans lesquelles le maintien de l’activité agricole est nécessaire afin d’assurer l’entretien de l’espace naturel et la conservation de l’environnement.
Dans la deuxième moitié des années 80, les limites du productivisme en matière agricole commencent à se faire durement ressentir et à engendrer une remise en cause de la PAC (Politique Agricole Commune). L’engrenage qui pousse les agriculteurs dans une course à la production trouve ses limites et génère des conséquences sociales et spatiales difficiles à gérer.
Le double mouvement d’amélioration de la productivité et de concentration des exploitations (élimination des petits producteurs) se heurte à la hausse des prix des consommations intermédiaires, et la baisse des prix agricoles (effets directs de la crise énergétique et de la crise économique) et engendre une baisse des revenus et des marges brutes des producteurs. Pour y répondre, une relance de l’intensification a été poussée jusqu’à l’extrême en jouant à la fois sur une augmentation de la consommation des intrants engendrant un processus de surfertilisation, et sur un processus de spécialisation des exploitations qui a concentré les spéculations dans les régions à fort potentiel (Bassin Parisien, Bretagne, …) pour délaisser les zones les plus défavorisées. En parallèle, un processus d’abandon touche une partie du territoire français alors que se développent les effets de nuisances liés à la concentration et à l’intensification des activités agricoles dans d’autres régions. Le besoin de réformer la PAC émerge et s’inscrit dans ce contexte où d’un côté la logique de production se heurte au blocage de l’organisation des marchés et de l’autre, cette même logique de croissance de l’agriculture, engendre des pollutions et une gestion déséquilibrée de l’espace. L’articulation entre la nécessité de construire une nouvelle logique économique de l’agriculture et la nécessité d’une meilleure gestion de l’environnement est posée de manière concomitante.
Le volontarisme Bruxellois
La publication en 1985 d’un document de réflexion de la Commission des Communautés Européennes intitulé « perspectives de la Politique Agricole Commune », appelé plus couramment le « livre vert », contient les premiers éléments. Le livre vert est l’une des premières expressions des préoccupations environnementales émanant d’un organe officiel, « on perçoit que le rôle de l’agriculture dans une économie moderne et industrialisée est, non seulement d’assurer les fonctions stratégiques, économiques et sociales mais aussi de conserver l’environnement rural. Maintenant que la Communauté est autosuffisante pour un grand nombre de produits agricoles et se trouve donc obligée de gérer prudemment ses capacités de production, les considérations environnementales gagnent en importance relative » . Ce document qui s’appuyait sur le bilan de 30 années de Politique Agricole Commune et sur les réflexions menées depuis 1980 pour en réformer les mécanismes, proposait à la Communauté deux voies complémentaires : l’une d’une stricte discipline budgétaire, substituant au soutien inconditionnel des marchés différentes mesures de limitation de l’offre (taxe de co-responsabilité, seuils de garantie, quotas, gel de terres, etc.) ; l’autre voie proposant des aides aux zones et aux agriculteurs que ne manqueraient pas de pénaliser la réorientation de la politique des marchés (aides aux zones défavorisées, politiques de développement rural). Ainsi, s’amorçait une nouvelle politique socio-structurelle de la Communauté, plus ouvertement axée sur le maintien de l’espace rural. Deux logiques semblent cohabiter, susceptibles d’être complémentaires ou en contradiction selon les modalités de leur application :
– Un renforcement de la logique agricole, de nature entrepreneuriale, en osmose avec la filière agro-alimentaire et en concordance avec la politique des marchés ;
– Une logique de réaffectation des espaces agricoles, où se mêlent une volonté d’accélérer la cessation d’activité des exploitants âgés et les préoccupations de sauvegarde de l’environnement.
Deux logiques, deux fonctions professionnelles, deux types de zones, va-t-on vers une agriculture duale ?
Avec l’acte unique Européen (1987) on peut considérer qu’il y a tentative d’officialisation de l’intégration de l’environnement dans la politique communautaire : « les exigences en matière de protection de l’environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté ». 1987 est aussi l’année où la Communauté s’engage pour la première fois à cofinancer un régime d’aides compensant des pertes de revenu agricole dues à des contraintes environnementales . Toujours en 1987, plusieurs rencontres vont réunir les Ministres de l’Agriculture et les Ministres de l’Environnement (le 8 septembre 1987 au Danemark). Leurs conclusions affichent une volonté d’articuler deux objectifs : la maîtrise de la production et la protection de l’environnement. Deux aspects sont avancés : les problèmes posés par l’agriculture intensive sur l’environnement et la désertification rurale dommageable du point de vue écologique.
En 1988, la Commission Européenne réaffirme « la nécessité d’adapter progressivement l’agriculture aux exigences de la protection de l’environnement et des ressources naturelles, ainsi qu’au maintien de l’espace naturel et du paysage et de revisiter la PAC dans le sens d’une meilleure incorporation des préoccupations concernant à la fois une agriculture compatible avec l’environnement et une adaptation des orientations de la production aux besoins du marché ».
Trois principes structurent au même moment les réflexions communautaires en matière d’environnement, i) l’action préventive, ii) la correction à la source des atteintes à l’environnement, iii) le principe pollueur payeur. La Commission souligne que « toute aussi importante que la protection passive de l’environnement s’avère la politique conclue pour promouvoir les pratiques culturales qui conservent l’environnement rural et protègent les sites spécifiques ». Le volontarisme des propos tenus à Bruxelles dans la phase préparatoire de la réforme de la PAC ne saurait masquer les difficultés à les mettre en pratique, difficultés perceptibles dans les règlements socio-structurels de 1985 et 1991 et qui traduisent les tâtonnements d’une logique économique qui cherche à se restructurer
L’articulation entre agriculture et environnement a beaucoup de mal à trouver une traduction législative claire dans la multiplicité des mesures adoptées. Nous verrons dans le paragraphe suivant la nature des contradictions et ambiguïtés apparentes. Toutes sortes de relectures de l’histoire de la politique agricole peuvent être faites, tendant à prouver que l’articulation entre agriculture et environnement ne date pas d’aujourd’hui. Deux remarques relatives à un passé récent méritent d’être explicitées plus en détail : l’une concerne le décalage entre les réflexions qui émanent de la Commission, et les décrets d’application français, strictement agricoles et restrictifs. L’autre : l’importance des occasions ratées, à savoir, tous les règlements qui contenaient en puissance des possibilités d’articuler agriculture et environnement dans les règlements socio-structurels (1985-1991) et qui n’ont été appliqués que de façon restrictive, dans une optique « agricolo-agricole ».
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I/ Emergence d’une politique environnementale dans la PAC
Section 1/ De la politique des structures à l’agri-environnement
1. Présentation générale
2. Le volontarisme Bruxellois
3. De l’impossibilité à mettre en cohérence les différentes mesures d’un même règlement structurel : le 797/85, puis le 2328/91
4. Du développement durable à l’agriculture durable
5. L’imprécision des objectifs de gestion
6. L’agri-environnement ; le passage de la notion d’aide à celle de rémunération
7. Conclusion
Section 2/ Les stratégies contractuelles inhérentes à la mise en œuvre des MAE
1. Méthodes et moyens
2. Une typologie des contractants
3. Enseignements et conclusion
Section 3/ La demande sociale en question : l’exemple d’une démarche empirique comme cadre de mise en œuvre des CTE
1. Introduction
2. L’application des CTE : Le cadre législatif et le cadre contractuel
3. Etude expérimentale sur la commune d’Iffendic
4. Offre et demande d’aménités
5. Les conditions de rencontre de l’offre et de la demande: l’élaboration du projet
6. Conclusion
Conclusion du chapitre I
Chapitre 2/ De la légitimité des soutiens publics à l’agriculture et au développement rural, à l’émergence de la multifonctionnalité de l’agriculture
Section1/ Soutien public à l’agriculture et au développement rural : l’équité introuvable ?
1. Les effets redistributifs de la PAC
2. Le développement rural : une question d’équité ?
3. Conclusion
Section 2/ Le Contrat Territorial d’Exploitation : approche méthodologique
1. Multifonctionnalité : aspects théoriques et problèmes de politique internationale
2. Problèmes de mise en œuvre des CTE
Section 3/ Evaluation empirique des politiques contractuelles
1. La demande d’évaluation de politiques publiques
2. Champ de la réflexion (disciplines, questions, demande)
3. La théorie des contrats en économie
4. L’évaluation à dominante juridique d’une politique contractuelle de type CTE
Chapitre 3/ Etudes de cas dans le Parc Naturel Régional (PNR) du Cotentin et du Bessin
Section 1/ Etude de cas: le Parc Naturel Régional du Cotentin et du Bessin
1. Les caractéristiques générales des marais du Cotentin et du Bessin
2. Gestion institutionnelle du milieu
Section 2/ Les politiques agroenvironnementales (les atouts et limites du PNR MCB comme système de gouvernance territorialisé)
1. L’évolution des politiques agro-environnementales dans un cadre général
2. Les enjeux de la multifonctionnalité liés au mode de gouvernance
3. Le Parc Naturel Régional des marais du Cotentin et du Bessin : la réponse à l’expression d’une demande pour la protection d’un espace remarquable
4. Conclusions et perspectives
Section 3/ Evaluation de l’offre de multifonctionnalité Les politiques agricoles de la période 1990-2000 et la multifonctionnalité de l’agriculture sur le territoire des marais du Cotentin et du Bessin
1. Introduction
2. Problématique et démarche
3. L’évolution du territoire des marais depuis le début des années 90
4. Les trajectoires d’exploitations : évolution des systèmes et réponse à la demande de multifonctionnalité
– Evolution des systèmes
5. Les politiques agricoles et la promotion de la multifonctionnalité de l’agriculture
6. Conclusion
Conclusion du chapitre
Chapitre 4/ Evolution des politiques contractuelles : influence du mode de faire valoir et organisation du partage de l’information et des résultats pour une meilleure efficacité contractuelle
Section 1/ LE MODE DE FAIRE VALOIR INFLUENCE-T-IL LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE AGRO-ENVIRONNEMENTALE?
1. Introduction
2. Importance économique des politiques agro-environnementales
3. Caractéristiques des contractants en rapport avec le mode de faire valoir : la maximisation de la valeur totale
4. Mode de faire valoir, rôle des propriétaires et contrats agro-environnementaux
5. Influence du mode de faire valoir dans l’adoption de mesures agro-environnementales en basse Normandie
6. Remarques de conclusion et perspectives
Section 2/ De l’intérêt des observatoires dans la résolution des conflits locaux : expérimentation d’approche territoriale
1. Introduction
2. Méthodologie de mise en œuvre des observatoires des pratiques agricoles
3. Les observatoires territoriaux et le développement durable
Conclusion générale