Emergence du concept des GIST chez l’homme et l’animal et identification de la protéine KIT
Apports de la microscopie électronique et de l’immunohistochimie dans la classification des GIST
Jusque dans les années 1980, les tumeurs mésenchymateuses digestives étaient classées en deux grands groupes chez l’homme : les tumeurs des cellules musculaires lisses, incluant les léiomyomes et les léiomyosarcomes, et les schwannomes. La distinction entre les deux groupes se faisait sur des arguments morphologiques, peu sensibles et peu spécifiques. Malgré ses limites, le diagnostic différentiel entre ces deux groupes de tumeurs était important d’un point de vue clinique : en effet, les tumeurs classées comme tumeurs musculaires lisses étaient considérées comme potentiellement malignes alors que les lésions classées comme schwannomes étaient habituellement bénignes.
Mais, l’utilisation de la microscopie électronique au début des années 1970 montre que très peu de ces tumeurs dérivent des cellules musculaires lisses ou nerveuses 27,65. En effet, les cellules tumorales présentent des prolongements cytoplasmiques différents de ceux que l’on rencontre dans les cellules nerveuses, et sont dépourvues des micro-filaments typiques des cellules musculaires.
Au début des années 1980, l’introduction des techniques immunohistochimiques, par l’utilisation d’anticorps contre des constituants cellulaires variés puis marquage par fluorescence ou réaction histochimique, a permis d’espérer disposer de moyens simples pour identifier et classer de manière précise et objective les tumeurs mésenchymateuses digestives, en se fondant sur leur profil d’expression de marqueurs de différentiation des cellules musculaires lisses ou des cellules de Schwann 2,62. On utilise ainsi des marqueurs tels que la vimentine, la desmine, l’actine, la myosine, et la protéine S100 (pS100). 0000000 Mais ces marqueurs immunohistochimiques ne permettent pas d’identifier avec précision ces nouvelles tumeurs, notamment en raison de leur hétérogénéité d’expression, de leur fréquente co-expression au sein d’une même tumeur, ou encore de leur absence complète d’expression dans certaines lésions morphologiquement typiques.
C’est dans ce contexte que le terme de « tumeur stromale » a été proposé pour la première fois en 1983, par Mazur et Clark 65 pour désigner des tumeurs gastriques morphologiquement classées comme léiomyomes, mais de « phénotype nul », c’est-à-dire dépourvues des marqueurs immunohistochimiques et des signes ultrastructuraux témoignant d’une différentiation en cellules musculaires lisses ou en cellules de Schwann. Le terme de « tumeur stromale » a ensuite été repris par d’autres auteurs 2,44 pour désigner des tumeurs similaires dans le reste du tube digestif. La présence de pS100, marqueur des cellules dérivées du neuroectoderme, dans quelques tumeurs mésenchymateuses digestives suggère cependant une origine nerveuse 65. Des études complémentaires en microscopie électronique ont mis en évidence des cellules de Schwann et des neurofilaments de type axone : ces tumeurs, initialement appelées « plexosarcomes » par Herrera et al. 40 en 1984 deviendront plus connues sous le nom de tumeurs gastro-intestinales du système nerveux autonome ou GANT (pour Gastro-intestinal Autonomic Nerve Tumor)
La poursuite des études immunohistochimiques des tumeurs mésenchymateuses digestives a permis d’identifier de nouveaux marqueurs diagnostiques. Les deux principaux marqueurs identifiés ont été successivement la protéine CD34 en 1994 75, puis en 1998, la protéine KIT, encore appelée CD117 selon la terminologie standardisée des anticorps leucocytaires 96. L’identification de ces deux marqueurs a grandement contribué à l’émergence et à la reconnaissance du concept de tumeur stromale gastro-intestinale ou GIST. L’expression de CD34 a cependant été reconnue comme relativement peu sensible, puisqu’elle est présente dans seulement 60 à 70 % des cas de GIST, et peu spécifique, car elle est présente dans d’autres tumeurs mésenchymateuses digestives, comme les léiomyosarcomes.
Il n’en est pas de même pour la protéine KIT, qui se révèle être un excellent marqueur diagnostique. En effet, elle identifie la majorité des GIST positives pour CD34, mais aussi un grand nombre de GIST négatives pour CD34 96. Nous verrons par la suite que KIT joue aussi un rôle fondamental dans la pathogénie de ces tumeurs (voir I. B. Pathogénie des GIST : rôle central de la protéine KIT) et constitue une cible thérapeutique très efficace (voir III. C. Les inhibiteurs de tyrosine kinase ou ITK).
L’utilisation de KIT dans l’analyse immunohistochimique montre par ailleurs que beaucoup de tumeurs anciennement diagnostiquées comme des GANT sont en fait des GIST. En effet, ces tumeurs expriment KIT et présentent les mêmes caractéristiques moléculaires que celles observées dans les GIST 58. De ce fait, les GANT devraient être considérées comme un sous-groupe des GIST et non comme une entité tumorale particulière. Chez l’homme, les GIST sont donc définies comme des tumeurs mésenchymateuses du tube digestif exprimant la protéine KIT.
Chez l’animal, le diagnostic des GIST est également basé sur la ressemblance histologique avec les GIST humaines et sur l’expression de KIT. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Dans les premières études effectuées chez les primates non humains en 1991 3, puis chez le chien en 1997 52, le terme de GIST a d’abord été utilisé pour regrouper toutes les tumeurs digestives d’origine mésenchymateuse, y compris les tumeurs musculaires lisses. L’immunomarquage KIT a été appliqué pour la première fois en 2001 chez les équidés 13,34, puis chez le chien en 2003 30. Mais les scientifiques ne tiennent pas toujours compte des résultats de l’immunomarquage KIT dans la classification et toutes les tumeurs mésenchymateuses gastro-intestinales sont considérées comme des GIST. Dans deux autres études effectuées chez le chien en 2003 5,50, les tumeurs mésenchymateuses sont reclassées en GIST en tenant compte cette fois-ci de la positivité KIT.
L’immunomarquage KIT est désormais systématiquement appliqué dans le diagnostic des GIST animales et a conduit chez le chien à réexaminer très récemment un certain nombre de tumeurs digestives, anciennement classées comme léiomyomes ou léiomyosarcomes 64,93. Les tumeurs sont classées comme GIST si elles expriment la protéine KIT. Ainsi, dans l’étude de Maas et al. en 2007, 58% (42/72) des tumeurs digestives canines ont ainsi été reclassées en GIST. Les tumeurs présentant des similitudes histologiques avec les GIST mais n’exprimant pas KIT sont considérées comme des « tumeurs apparentées aux GIST » ou « GIST-like »
Dans une autre étude effectuée par Russell et al. en 2007 sur 42 tumeurs digestives canines 93, 28 tumeurs positives pour KIT ont ainsi été reclassées en GIST. Seules 10 tumeurs négatives pour KIT sont classées comme léiomyosarcomes gastro-intestinaux (GILMS). Enfin, 4 tumeurs positives pour la vimentine, mais n’exprimant aucun autre marqueur immunohistochimique ont été classées en sarcomes indifférenciés.
Apport de la biologie moléculaire dans la classification des GIST
La biologie moléculaire a confirmé l’intérêt de l’étude de la protéine KIT pour la compréhension des mécanismes moléculaires responsables de l’émergence des GIST. La découverte dans les GIST humaines de mutations sur le gène Kit en 1998 est d’une importance cruciale dans la genèse et la classification de ces tumeurs 41. Il s’agit le plus souvent de mutations « gain de fonction », qui se traduisent par l’activation constitutionnelle de la protéine correspondante, entraînant une induction permanente de la prolifération cellulaire. Il a été montré par la suite que des anomalies d’un second gène, Pdgfra, codant pour la chaîne alpha du récepteur du PDGF (pour Platelet Derived Growth Factor), pouvaient être impliquées dans un petit nombre de cas de GIST authentiques 38. Ces découvertes conduiront au développement d’une thérapeutique ciblée d’un point de vue moléculaire dans les GIST humaines.
L’application de la biologie moléculaire est plus tardive dans les GIST animales. En 2003, après avoir séquencé le gène Kit dans 4 GIST canines, Frost et al. identifient des mutations de Kit pour deux d’entre elles 30. Ces mutations sont identiques à celles observées chez l’homme ; nous y reviendrons. En 2005, Saturday et al. séquencent les gènes Kit et Pdgfra d’une GIST gastrique chez un chimpanzé mais aucune mutation n’est mise en évidence 30.
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Table des matières
TABLE DES ILLUSTRATIONS
INDEX DES ABBREVIATIONS
INTRODUCTION
I. Historique et pathogénie des GIST chez l’homme et l’animal
A. Emergence du concept des GIST chez l’homme et l’animal et identification de la protéine KIT
1. Apports de la microscopie électronique et de l’immunohistochimie dans la classification des GIST
2. Apport de la biologie moléculaire dans la classification des GIST
3. Synthèse : définition actuelle des GIST
4. Epidémiologie actuelle des GIST chez l’homme et l’animal
a) Nombre de publications sur les GIST
b) Epidémiologie des GIST chez l’homme
c) Epidémiologie des GIST chez l’animal
5. Origine cellulaire des GIST
a) Origine des GIST : les cellules interstitielles de Cajal (ICC) (1) Ressemblance GIST/ICC en microscopie électronique (2) Ressemblance GIST/ICC en immunohistochimie (3) Conclusion
b) Origine des GIST : une cellule précurseur des ICC
B. Pathogénie des GIST : rôle central de la protéine KIT
1. Le récepteur KIT : structure et fonctionnement normal
2. Mutations dans les gènes Kit et Pdgfra et induction de la cancérogenèse des GIST
3. Autres anomalies génétiques intervenant dans la pathogénie des GIST
4. Conséquences des anomalies génétiques : activation constitutive du récepteur KIT et développement des GIST
II. Diagnostic des GIST chez l’homme et l’animal
A. Caractéristiques cliniques des GIST
1. Critères épidémiologiques
a) Chez l’homme
b) Chez l’animal
2. Symptômes
3. Localisation anatomique des GIST
a) Localisation des GIST primitives (1) Chez l’homme (2) Chez l’animal
b) Localisation des métastases de GIST
4. Imagerie des GIST
a) Radiographie conventionnelle (1) Sans préparation (2) Avec préparation
b) Endoscopie digestive
c) Echographie abdominale
d) Echo-endoscopie
e) Tomodensitométrie ou scanner
f) Imagerie à résonance magnétique (IRM)
g) Tomographie à émission de positons ou Pet-scan
B. Caractéristiques macroscopiques et histologiques des GIST
1. Caractéristiques macroscopiques
2. Caractéristiques histologiques
a) Type fusiforme
b) Type épithélioïde
c) Cas particuliers
d) Variations histologiques en fonction de la localisation anatomique
C. Caractéristiques immunohistochimiques des GIST
1. La protéine KIT (CD117
a) Immunodétection de KIT : aspects techniques
b) Immunodétection de KIT : interprétation
c) Le cas particulier des GIST KIT négatives
d) Spécificité de l’immunomarquage
2. La protéine CD34
3. PDGFRA
4. Les nouveaux marqueurs potentiels des GIST : les protéines DOG1 et PKC Θ 5. Autres marqueurs immunohistochimiques des GIST
a) Actine musculaire lisse (SMA
b) Desmine
c) Protéine S100 (pS100)
d) Calponine et h-caldesmone
e) Autres marqueurs
D. Caractéristiques moléculaires des GIST
1. Indications de la recherche d’altérations des gènes Kit et Pdgfra
2. Techniques de détection des altérations des gènes Kit et Pdgfra
3. Recherche d’autres altérations génétiques dans les GIST
E. Diagnostic différentiel des GIST
1. Tumeurs conjonctives bénignes
a) Léiomyomes
b) Schwannomes
c) Polype fibroïde inflammatoire
2. Tumeurs malignes non conjonctives
3. Sarcomes
a) Léiomyosarcomes
b) Liposarcome indifférencié
F. Evolution des GIST et facteurs pronostiques
1. Facteurs anatomo-pathologiques
a) Localisation anatomique
b) Taille de la tumeur et activité mitotique
c) Index de prolifération cellulaire
2. Facteurs génétiques
a) Présence de mutations sur le gène Kit
b) Anomalies chromosomiques
III. Actualités thérapeutiques et perspectives de traitement dans les GIST humaines et animales
A. Traitement chirurgical
1. Chirurgie des GIST non métastasées
a) Tumeurs localisées
b) Tumeurs localement avancées
c) Résultats de la chirurgie
2. Chirurgie des GIST métastasées
a) Exérèse de la tumeur primitive
b) Exérèse de récidives isolées
c) Exérèse de métastases hépatiques
B. Traitements adjuvants pour les GIST avancées ou métastasées
1. Chimiothérapie systémique
2. Chimio-embolisation intra-artérielle hépatique
3. Chimiothérapie intrapéritonéale
4. Radiothérapie adjuvante
C. Les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) : une révolution dans le traitement des GIST
1. Imatinib (Glivec)
a) Bases moléculaires et pharmacologie
b) Tolérance et gestion des effets secondaires observés
c) Efficacité de l’imatinib dans les GIST métastasées (1) Mise en évidence des effets de l’imatinib in vitro (2) Mise en évidence de l’efficacité de l’imatinib dans les GIST in vivo
d) Evaluation de la réponse tumorale (1) Par le scanner et l’IRM – 5 – (2) Par le Pet-scan (3) Par l’examen histologique
e) Présence de mutations dans les GIST : facteur prédictif d’efficacité
f) Place de la chirurgie dans le traitement au Glivec
g) Résistance au traitement
2. Autres ITK dans le traitement des GIST humaines
3. Utilisation des ITK dans les GIST animales
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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