Émergence de la rouille orangée de la canne à sucre

La canne à sucre

La canne à sucre fait partie de la famille des Graminées ou Poacées, et appartient au genre Saccharum (Daniels et Roach, 1987). Celui-ci contient l’espèce domestiquée de référence S. officinarum (2n = 80) et la principale espèce sauvage S. spontaneum (2n = 40-128) ainsi que deux anciens groupes de cultivars S. barberi et S. sinense constitués d’hybrides naturels entre S. officinarum et S. spontaneum. Le genre contient également deux autres espèces de moindre importance, dont une domestiquée, S. edule, et une espèce sauvage, S. robustum. Les cultivars modernes (2n = 100-130) sont hautement polyploïdes, aneuploïdes et sont principalement issus de croisements entre S. spontaneum et S. officinarum (Hoarau et al., 2007). Les accessions de S. spontaneum présentent un tallage abondant, de fines tiges contenant peu de jus et peu de saccharose mais une teneur en fibre élevée. Cette espèce sauvage a été notamment utilisée dans les programmes de création variétale pour sa vigueur, la robustesse de son système racinaire, sa tolérance aux stress abiotiques (Moore, 1987) ainsi que pour des sources de résistance à certaines maladies majeures (Walker, 1987). Elle contient une large diversité génétique et des accessions pouvant coloniser des climats tropicaux et subtropicaux très variés (Brandes et al., 1983 ; Panje et Babu, 1960). S.officinarum, connue comme l’espèce « noble » en raison de ses tiges épaisses et sucrées, a été domestiquée en Nouvelle-Guinée il y a des milliers d’années. Cette espèce ancestrale est principalement adaptée à des conditions tropicales humides et chaudes, mais n’est plus cultivée aujourd’hui en raison de sa sensibilité à diverses maladies et de sa très faible productivité par rapport à celle des hybrides interspécifiques.

La rouille orangée (Puccinia kuehnii)

Diversité de P. kuehnii

D’après Vanderplank (1968), on peut parler de souches différentes d’un pathogène lorsqu’il est possible de les distinguer soit par leur virulence (capacité d’infecter de nouveaux hôtes, généralement par contournement d’une résistance) soit par leur agressivité (réaction différentielle sur une gamme de variétés hôtes). A ce jour, peu d’études ont été réalisées sur la diversité génétique et sur la diversité de la pathogénicité de P. kuehnii. Moreira et al. (2018a), en étudiant la diversité de six isolats provenant de différentes régions du Brésil, n’ont pas pu démontrer la présence de différentes souches sur le critère de la virulence mais ont pu mettre en évidence un isolat correspondant à une souche plus agressive que les autres (en termes de nombre total de lésions et de pourcentage de lésions sporulantes). La sévère et soudaine épidémie survenue dans le Queensland (Australie) en 2000 sur la variété Q124, alors cultivée sur 45% et considérée comme résistante jusqu’à cette époque, a été attribuée à l’apparition d’une nouvelle souche virulente de P. kuehnii (Magarey et al., 2001). Une étude de diversité du pouvoir pathogène de quatre isolats réalisée en Floride par Sanjel (2016) au moyen de tests d’inoculation sur feuilles détachées a mis en évidence au moins deux groupes de virulence parmi les souches étudiées dans ce pays. Selon Mungur et al. (2020), la variété Q124 sensible en Australie ne l’est que faiblement sur l’île Maurice alors qu’inversement la variété R570, classée comme relativement sensible sur cette île en conditions d’infection naturelle, est considérée comme résistante en Australie (Magarey & Bull, 2009). Ces observations suggèrent la présence de souches différentes entre l’île Maurice et l’Australie.

Mécanismes moléculaires de défense face à la rouille orangée

Chez les plantes, le système de défense se subdivise généralement en deux mécanismes. Le premier est la reconnaissance de PAMPs (Pathogen-Associated Molecular Patterns) du pathogène par des récepteurs transmembranaires menant à une résistance basale. Cette immunité est appelée PTI (PAMPs Triggered Immunity). Le deuxième mécanisme est l’ETI (Effector Triggered Immunity) où la plante reconnaît des effecteurs produits par le pathogène. Cette reconnaissance s’appuie sur l’expression de gènes de résistance et l’induction d’une réaction appelée « réponse hypersensible » provoquant une chaîne de réactions et à terme le suicide cellulaire des cellules infectées. Dans le cas de la rouille orangée, Correr et al. (2020), ont fait l’hypothèse qu’il était possible que les cultivars sensibles présentent un retard dans la reconnaissance des PAMPs de P. kuehnii ou encore que ceux-ci étaient effectivement reconnus mais que les effecteurs du champignon inhibaient le système de défense. En effet, Correr et al. (2020) ont également montré une faible expression des composés associés à une réponse hypersensible ce qui laisse penser que le pathogène module les voies de signalisation cellulaires afin de maintenir la cellule hôte en vie aussi longtemps que possible. Ces auteurs ont cependant observé que les systèmes de défense étaient finalement régulés, mais qu’à partir du deuxième jour après l’infection.

Déterminisme génétique et transmission de la résistance

Dans une étude QTL réalisée en Floride sur une descendance biparentale entre un clone résistant (CP95-1039) et un clone sensible (CP88-172), Yang et al. (2018), ont mis en évidence trois QTLs contrôlant la résistance à la rouille orangée (qORR109, qOOR4 et qOOR102) qui expliquent 58%, 12% et 8% de la variation phénotypique. Ces résultats ont néanmoins été obtenus au moyen d’un dispositif d’essais non répété et d’une sévérité mesurée sur une courte échelle discrète (notes de 0 à 4) dans un test d’inoculation artificielle (Sood et al., 2009). Un marqueur PCR diagnostic (G1) du QTL de résistance le plus fort a pu être développé. Ce marqueur a été testé au Brésil sur un panel de 24 cultivars notés dans des essais répétés dans une région propice au développement de la maladie sur une échelle quantitative de sévérité de symptômes (de 1 à 9) et a montré un accroissement d’environ 10% du niveau de résistance des variétés le possédant (Fier et al., 2020). L’effet du QTL de résistance, qui n’empêche pas la sporulation, devrait être mesuré sur des panels élargis de variétés.
D’après Klosowski et al. (2015), les résistances aux maladies chez la canne sont généralement de nature quantitative, c’est-à-dire des résistances partielles provoquant une réduction de la sévérité des symptômes (Parlevliet et al., 1979) et très dépendantes des conditions environnementales. Cependant, de façon générale, peu d’informations sont actuellement disponibles dans la littérature sur la nature de la résistance à la rouille orangée dans les programmes de breeding contemporains. Quelques études de transmission de la résistance ont été menées. Au Brésil, Klosowski et al. (2013) ont étudié, sur une échelle symptomatologique quantitative de 1 à 9, la ségrégation de la résistance au sein de huit descendances biparentales entre deux parents sensibles ou entre un parent sensible et un résistant ou entre deux parents résistants. Les ségrégations obtenues montrent bien que dans le matériel étudié, la résistance à la rouille orangée est plutôt de nature quantitative. Seule une descendance montre une ségrégation qui ne serait pas statistiquement incompatible avec l’hypothèse d’un gène mendélien de résistance contrôlant la sporulation du champignon [comparable au gène Bru1 contre la rouille brune (Daugrois et al., 1996, Costet et al., 2012)]. Toutefois seule une étude QTL permettrait de vérifier cette hypothèse, sachant que le phénotype résistant pourrait également résulter d’un cumul de QTLs à effets quantitatifs (Parlevliet et al., 1985).

Méthodes d’évaluation du matériel végétal

L’évaluation de la sensibilité de variétés de canne à des isolats de P. kuehnii peut être réalisée suivant différents protocoles d’observation en conditions naturelles ou artificielles. Il est possible de réaliser une inoculation sur feuilles détachées (Chaulagain et al., 2019) ou encore d’utiliser la technique dite de « leaf whorl inoculation » ou inoculation du cornet foliaire décrite par Sood et al. (2009). L’inoculation de jeunes plantes, en milieu contrôlé, par aspersion d’une suspension d’urédospores est également une technique courante (Sood et al., 2016). Ces techniques d’inoculation artificielle sont généralement rapides et peu coûteuses de mise en œuvre mais la corrélation des résultats qu’ils fournissent avec la sévérité de la maladie observée au champ en conditions naturelles peut s’avérer délicate. Ainsi, d’autres auteurs préfèrent réaliser des évaluations variétales en plein champ (Klosowski et al., 2013) aux périodes les plus favorables à l’expression de la maladie pour mesurer des impacts agronomiques identiques aux conditions de production des agriculteurs. Cependant, cette technique implique d’avoir un recul suffisant sur les périodes les plus propices à l’évaluation. Celles-ci sont variables d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre dans un même pays (Klosowski et al., 2015). Au besoin, des études épidémiologiques locales peuvent aider à mieux définir ces périodes. Bien qu’il soit difficile de réellement contrôler l’infection, il est possible d’utiliser des bandes infestantes entre les blocs afin d’augmenter la pression parasitaire (Fier et al., 2020).
De multiples types de protocoles et d’échelles d’observation peuvent être utilisées en fonction des objectifs d’étude poursuivis. Ainsi, afin de pouvoir quantifier au mieux l’impact de la maladie, Klosowski et al. (2013) utilisent une échelle de 1 à 9 qui est proportionnelle à la surface foliaire de la troisième feuille lésée par les sporulations. Sood et al. (2016), quant à eux, utilisent une échelle discrète réduite variant de 0 (aucun symptôme) à 2 (présence de pustules), dans le but de distinguer les variétés sensibles des résistantes sur le seul critère qualitatif de la sporulation. Il est également facile d’adapter à l’observation de la rouille orangée l’échelle quantitative (de 1 à 9) conçue pour la rouille brune, décrite par Tai et al. (1981), qui a l’avantage d’être fondée sur des gradients d’infection et de permettre une évaluation de l’impact de la maladie sur l’ensemble de la plante dans le but d’appréhender une incidence économique liée à la vigueur végétative. Dans d’autres protocoles d’observation, l’évaluation peut se faire uniquement sur une surface de 5 cm² de la feuille (Klosowski et al., 2015). Enfin, alors que certains ne distinguent pas le type de lésions à évaluer, d’autres ne s’intéressent qu’aux lésions sporulantes et notamment à leur proportion par rapport à l’ensemble des lésions (Moreira et al. 2018a ; Moreira et al., 2018b).

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Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1. Présentation d’eRcane
1.2. La canne à sucre
1.3. La rouille orangée (Puccinia kuehnii)
1.3.1. Historique
1.3.2. Diversité de P. kuehnii
1.3.3. Présentation et comparaison avec P. melanocephala
1.3.4. Impacts et importance économique de la rouille orangée
1.3.5. Mécanismes moléculaires de défense face à la rouille orangée
1.3.6. Déterminisme génétique et transmission de la résistance
1.3.7. Méthodes d’évaluation du matériel végétal
1.4. Problématiques et objectifs du stage
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Matériel et méthodes communs aux différents axes d’étude
2.1.1. Matériel végétal
2.1.2. Matériel fongique
2.1.3. Méthodologie de la notation
2.1.4. Les modèles mixtes
2.2. Évaluation de la résistance à la rouille orangée dans le schéma de sélection de La Réunion
2.2.1. Incidence et sévérité moyenne dans chaque essai
2.2.2. Analyse statistique individuelle des essais
2.3. Etude des interactions Génotypes x Environnements
2.3.1. Etude de l’interaction Génotypes x Essais
2.3.2. Comparaison de la sensibilité des variétés commerciales
2.3.3. Etude de l’interaction Génotypes x Stations
2.4. Estimation de l’héritabilité au sens strict de la résistance à la rouille orangée
2.4.1. Le modèle « animal individuel »
2.4.2. Obtention des matrices A et D
2.4.3. Modèles utilisés
2.4.4. Estimation de l’héritabilité au sens strict de la résistance à la rouille orangée
2.4.5. Comparaison des valeurs génotypiques totales avec les valeurs génétiques additives
3. RESULTATS
3.1. Évaluation de la résistance à la rouille orangée dans le schéma de sélection de La Réunion
3.1.1. Comparaison de l’incidence et de la sévérité moyenne entre essais
3.1.2. Composantes de la variance
3.2. Etude des interactions Génotypes x Environnements
3.2.1. Interaction Génotypes x Essais
3.2.2. Comparaison des variétés commerciales
3.2.3. Interaction Génotypes x Stations
3.3. Estimation de l’héritabilité au sens strict de la résistance à la rouille orangée
3.3.1. Estimation de l’héritabilité au sens strict
3.3.2. Comparaison des valeurs génotypiques et des valeurs génétiques additives et de dominance
4. DISCUSSION 
4.1. Bilan sur l’impact de la rouille orangée dans le schéma de création et de sélection variétales d’eRcane
4.2. Précision des mesures effectuées
4.3. Importance de l’interaction Génotypes x Environnements
4.4. Comparaison statistique des variétés commerciales
4.5. Recommandations sur des stratégies de criblage variétal
4.6. Estimation de l’héritabilité au sens strict de la résistance à la rouille orangée
4.7. Diversité du pathogène et durabilité de la résistance
5. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

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