Émergence de la littérature de masse
Révolution industrielle et culturelle
Tout best-seller n’appartient pas à la littérature de grande diffusion. Mais la forme de best-seller qui nous intéresse prend place au sein de ce sous-champ, la littérature dite de masse ou populaire, ou encore de ce que la critique nomme paralittérature (qui inclut notamment le roman policier, le fantastique, la science-fiction, l’ horreur, etc.). Les bestsellers sur lesquels nous arrêterons notre attention répondent du modèle paralittéraire définit par Daniel Couégnas : ils ont une identité éditoriale qui leur est propre, ils multiplient les formes de la répétition, ont recours à l’illusion référentielle, favorisent la narrativité et une certaine fébrilité de la diégèse, tout en présentant des personnages stéréotypés. La paralittérature possède son propre code de lecture et des caractéristiques qui la distinguent de la littérature, c’est pourquoi elle a longtemps été « désignée par des appellations dévalorisantes: « romans à quatre sous », « littérature de gare », paralittérature ou sous-lillérature . » Elle regroupe en fait toutes les œuvres produites qui n’adhérent pas aux exigences des cercles littéraires, notamment pour deux raisons. D’abord, elle est définie par ses contenus: des récits d’aventures invraisemblables (il faut prendre ici ce qualificatif dans son sens le plus banal de : non conforme à la moyenne des événements de la réalité et à l’horizon d’attente d’ un groupe social donné). Ce critère, appliqué radicalement, tendrait à frapper de nullité toute une production littéraire axée sur le fantastique, la science-fiction, l’imaginaire. Des personnages inconsistants psychologiquement.
Ensuite elle se définit par « sa forme: la « paralittérature » serait « mal écrite », voire pas écrite, en tout cas négligée . » Aujourd’ hui, cette définition semble encore attachée aux termes de paralittérature, de littérature de masse, etc. , c’est pourquoi ces termes doivent être utilisés avec précaution. Selon Daniel Couégnas, cette définition est facilement réfutable, puisque certaines œuvres littéraires pourraient être ciblées par ces reproches, mais il suggère tout de même d’encadrer le terme «paralittérature» de guillemets, parce que « le préfixe « para » (en concurrence avec « sous » ou « infra »), qui signifie une « déviance », semble injustement péjoratif. » L’historien des médias Christian Delporte explique d’ailleurs que: Les médias, au premier chef la presse, la radio et la télévision, sont au centre des charges de ceux pour qui la culture de masse est source d’uniformisation et de médiocrité des contenus, voire d’aliénation des individus. Définie négativement, la culture de masse suppose l’existence d’un public homogène, aux comportements identiques, pensant et agissant de la même façon qui laisserait à la marge une frange d’individus plus ou moins épars, attachés à la « vraie» culture.
Delporte mentionne que la littérature de masse n’est pas la seule à avoir reçu ce traitement, c’est aussi le cas de tout ce qui se rattache de près ou de loin à la culture de masse qui se trouve dévalorisé par les agents de la « vraie» culture, pour reprendre ses mots. L’avènement de la littérature de masse permet de mieux comprendre les raisons et les rouages de cette dévalorisation.
Cette littérature se développe au cours du XIXe siècle avec l’industrialisation. Selon Jean-Yves Mollier, la culture de masse, ou « celle des foules puisque tel était le terme utilisé à l’époque », aurait vu « le jour en Occident, en Grande-Bretagne, en France et aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle ». Certes, cela a affecté d’autres pays, malS de façon moins marquante. Mollier remarque que « l’achèvement de la réforme de l’instruction universelle » est primordial pour qu’advienne une culture de masse. La France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont tous connu cette réforme sous différentes formes et législations. Pour ce qui est de la première, les réformes ont eu lieu « entre 1833 et 1882, dates du vote des grandes lois scolaires de François Guizot et Jules Ferry . » Elles visaient les mêmes objectifs qu’ailleurs: diminuer la quantité d’analphabètes au sein du pays et augmenter le niveau de scolarisation. La petite bourgeoisie, qui s’est considérablement développée durant cette période, constitue alors, comme le rappelle Moll ier, un nouveau groupe de lecteurs . Ces agents de la classe bourgeoise sont instruits et possèdent un capital économique plus élevé que les prolétaires, toutefois ils ont des goûts qui diffèrent largement de ceux de la classe traditionnellement dominante de la société, la noblesse. La petite bourgeoisie opte plutôt pour des types d’art qui conviennent aussi bien à l’élite prolétaire .
Nouvelles techniques et de nouveaux moyens de diffusion
L’industrialisation permet de développer de nouvelles techniques dans plusieurs secteurs, et elle contribue plus particulièrement à la diffusion de la littérature par la création de presses suffisamment performantes pour imprimer une quantité importante de romans et de journaux. Cette nouvelle technologie offre la possibilité de réaliser des chiffres de ventes qui étaient inatteignables auparavant. La mise en place de chemins de fer contribue également à la distribution des journaux et des œuvres, puisqu’ils permettent de rejoindre des endroits éloignés de manière beaucoup plus efficace: « [e]n effet, il nous paraît important d’insister sur la capacité de la culture de \nasse à toucher la quasi-totalité des habitants du pays où elle s’installe . » C’est ainsi que de courts textes publiés dans les journaux, les romans-feuilletons, connaissent un important succès auprès de la petite bourgeoisie qui prend goût à une lecture divertissante et accessible.
Au début du xxe siècle, le succès de ces collections à moindre prix amène les maisons d’édition françaises à créer des collections telles que « Le livre populaire» ou « Mon livre favori» afin de regrouper les romans populaires selon leurs sous-genres (policier, horreur, fantastique, etc.), puisque le roman populaire regroupe une grande variété de formes, d’Edgar Allan Poe à de Jules Verne en passant par Howard Phillips Lovecraft. En France, la collection « Livre de Poche », créée par l’association d’Henri Filipacchi et des éditeurs Albin Michel, Cal mann-Lévy, Grasset et Gallimard , est la représentante de ces formats à petit prix et à grande distribution, et ce depuis sa « (re)naissance en 1953 », après plusieurs années d’absence causées par sa disparition en 1919 avec l’inflation de l’après-guerre. À cette époque, « [les livres de cette collection] valent alors deux francs, soit à peine plus que le prix d’un quotidien, un peu moins que celui d’ un magazine . » Aux États-Unis, ces livres peu coûteux sont connus sous le nom de dime navels et pulps (livres bon marché ). Ces livres ont également connu un très grand succès, comme le relate Jacques Portes: La popularité des Dime Navel.s, romans à dix sous que l’on trouvait partout dans les gares et les kiosques, a été immense après la guerre de Sécession. Certaines collections ont publié des milliers de titres -le seul personnage de Buffalo Bill a fourni un héros à près de deux milles brochures entre 1876 et 1930 .
Les collections à faible coût connaissent donc un franc succès sur les deux continents, en rejoignant les intérêts et les moyens financiers d’ un nouveau lectorat.
Le phénomène de la culture de masse a également pris de l’ampleur avec le développement du cinéma et de la radio, notamment aux États-Unis. Portes affirme ainsi que, «jusqu’aux années 1930, rien ne résiste au cinéma en tant que phénomène culturel de masse . » Le cinéma connaît une telle popularité qu’il influence tous les autres arts, dont la littérature. La massification touche aussi les produits musicaux. Au tout début des années 1920, près d ‘ une centaine de millions de disques sont produits , permettant l’accès à un public plus large. Aux États-Unis, la génération des années 1960, les sixties, fréquentant davantage les établissements scolaires, partage cette culture de masse et permet un plus grand essor de celle-ci, en la transférant outre-mer. Comme le formule Jean-François Sirinelli: « les États Unis sont le creuset du développement d’une culture juvénile de masse, qui se trouvera donc presque mécaniquement répercutée vers le Vieux Continent . » .
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. LITTÉRATURE DE MASSE ET BEST-SELLER: ÉLÉMENTS
DÉFINITOIRES
1. Émergence de la littérature de masse
1.1. Révolution industrielle et culturelle
1.2. Nouvelles techniques et de nouveaux moyens de diffusion
1.3. Structuration du champ littéraire
2. Historique et définitions quantitatives du best-seller
2. 1. Historique du best-seller
2.2. Définitions quantitatives
3. Définitions qualitatives
3.1. La stylométrie statistique
3.2. L’ADN du succès
3.3. Les étapes du best-seller selon wikiHow
CHAPITRE 2. LA PRODUCTION DE ET SI C’ÉTAIT VRAI… ET DE LA FILLE DE PAPIER. QUELQUES INGRÉDIENTS COMMUNS DE DEUX BEST-SELLERS PLANIFIÉS
1. Stratégies de vente et péritexte éditorial
1.1. Collections, séries et auteurs à succès
1.2. Révision et présentation de l’œuvre
1.3. Publicité .
2. Caractéristiques internes
2. 1. Dispositif narratif
2.2. Ordre du récit et cadre spatio-temporel
2.3. Contenu diégétique
2.4. Personnages
2.5. Cohésion avec les goûts de l’époque
CHAPITRE 3. LA RÉCEPTION CRITIQUE D’ET SI C’ÉTAIT VRAI … ET DE LA FILLE DE PAPIER
1. L’ image de l’auteur
1.1. Biographie des auteurs
1.2. Posture des auteurs
2. Les caractéristiques des œuvres: simplicité et identification
2.1. Intérêt du sujet ou de l ‘ histoire
2.2. La forme (genres, styles, etc.)
2.3. Les personnages
3. Insertion de l’œuvre dans le champ de production culturel
3. 1. Le cas de Levy
3.2. Le cas de Musso
CONCLUSION
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