LES TUMEURS STROMALES GASTRO-INTESTINALES AU SERVICE DE MEDECINE « B » DU CHU AVICENNE DE RABAT
ETIOPATHOLOGENIE
EMBRYOLOGIE: LES CELLULES DE CAJAL
L’origine embryologique des cellules de Cajal a été discutée depuis leur découverte il y a une centaine d’années. Elles étaient considérées comme des cellules neuronales ou gliales. Par ailleurs, une origine à partir de la crête neurale a été soulevée (11,12). Cependant, avec l’avènement de l’immunohistochimie, les filaments intermédiaires de ces cellules étaient marqués par la vimentine, et non par les marqueurs de la crête neurale, ce qui était compatible avec une origine ou une différenciation mésodermique (13,14). Les cellules interstitielles de Cajal sont situées au niveau de la paroi musculaire du tractus gastro-intestinal. Il s’agit, en effet, de fines cellules fusiformes disposées en réseau complexe détecté au niveau du plexus myentérique et, à certains degrés, au niveau des couches musculaires de l’estomac et de l’intestin grêle (13,15,16). Une étude morphologique détaillée de ces cellules et une autre électrophysiologique ont montré qu’elles intervenaient dans la régulation de la motricité digestive, comme cela a été démontré dans la maladie de Hirshprung où une diminution du nombre des cellules de Cajal est présente. Récemment, plusieurs études (17,18, 19) ont fait apparaître des similitudes immunohistochimiques et ultrastructurales entre les cellules qui composaient les GIST et les cellules de Cajal.
BIOLOGIE MOLECULAIRE DES GIST
Les tumeurs stromales digestives sont pour la plupart caractérisées par une mutation activatrice dans deux gènes codant pour des protéines de forte homologie appartenant à la famille des récepteurs à activité tyrosine kinase classe III, c- kit et PDGFR Alpha (20,21). Ces mutations aboutissent à une activation permanente de la voie de transduction sous jacente et à une activation des signaux mitogènes.
C–kit ou CD 117
La protéine c- kit, produit du proto- oncogène c- kit, est un récepteur transmembranaire à activité tyrosine kinase dont le ligand naturel est le facteur de croissance stem cell factor (SCF).
Le gène Kit est situé sur le bras long du chromosome 4 (22) (Figure 1, tableau 2). Lorsque le récepteur kit est activé par la fixation de son ligand ou induit par une mutation, des signaux intracellulaires sont transmis par de multiples voies métaboliques de signalisation, dont la voie Ras/MAPK et la voie PI3K/AKT (23). Cette cascade de réactions moléculaires intracellulaires permet la transduction du signal de la membrane plasmique au noyau, entraînant ainsi la prolifération, la différenciation, la croissance et la survie de la cellule (24,25).
Le récepteur c- kit, exprimé à la surface des cellules souches hématopoïétiques, des mélanocytes, des cellules de la lignée germinale et de la lignée neurectodermique, joue un rôle important dans l’hématopoïèse, la mélanogenèse, la spermatogenèse et la genèse des cellules de Cajal (26). Kit est le siège de multiples mutations dans des modèles de sarcomes félins et, en pathologie humaine, dans les leucémies aigues myéloïdes, dans certains syndromes myélodysplasiques, dans les mastocytoses systémiques, certains lymphomes, certaines tumeurs germinales et les GIST (22). De ce fait, les différentes mutations activatrices de kit décrites à ce jour sont toutes activatrices, de type « gain de fonction ».
Les mutations de kit sont classées en deux catégories
Les mutations dans les zones régulatrices portant sur les portions extracellulaires de la molécule ou sur les zones transmembranaires et juxta-membranaires impliquées dans la dimérisation.
Les mutations dans le domaine kinase, impliquant probablement des voies de signalisation intracellulaires différentes qui mériteront d’être explorées dans un avenir proche (27).
Dans les tumeurs stromales, les mutations de ce gène, observées dans 85% à 90% des cas (figure1), sont responsables d’une activation spontanée de c- kit indépendamment de sa liaison.Les tumeurs stromales gastro intestimales au service de Médecine « B » du CHU Avicenne de avec son ligand spécifique. Dans les GIST dépourvues de mutations détectables du gène kit, une activation constitutionnelle de la kinase est observée.
Les mutations de kit, et d’une manière plus générale son activation, pourraient jouer un rôle oncogénique initial dans le développement de cette maladie (28). Ces mutations sont réparties sur plusieurs exons (Exons 9,11,13,17).les mutations de l’exon 11 sont de loin les plus fréquentes et sont présentes dans environs 2/3 des GIST (22, 24). Elles se trouvent de part et d’autre de la région transmembranaire du récepteur impliquée dans la dimérisation de la kinase après fixation de son ligand. La nature des mutations semble influencer le devenir des tumeurs stromales (29,30).
PDGFR A
PDGFR Alpha est un récepteur transmembranaire, son ligand est le PDGF (platelet derived growth factor) sécrété essentiellement par les plaquettes et également par l’endothélium et les mastocytes. En se liant au PDGFR, PDGF augmente la synthèse de certaines protéines, l’activité de la stromélysine (une collagénase) et la prolifération cellulaire. Il a un effet vasoconstricteur et angiogénique (28). Les mutations concernent le PDGFR Alpha se voient dans environ 7% des cas de GIST. Ces mutations siègent principalement au sein de l’exon 18 (6%) (figure 2), plus rarement au niveau de l’exon 12 (moins de 1%) (27). La surexpression de ces deux récepteurs tyrosine kinase kit et PDGFR A, semble exclusive, puisque les tumeurs surexprimant kit expriment peu ou pas PDGFR A et vis versa. En effet,les mutations de KIT et de PDGFR sont des phénomènes précoces de la tumorogénèse des GIST puisqu’on les retrouve dans la majorité des micro-GIST(GIST de moins de 1 cm de découverte fortuite)(31) .De plus, leurs propriétés transformantes ont été démontré :la présence de ces mutations entraine une activation constitutionnelle du récépteur tyrosine kinase indépendante de la présence du ligand,une anomalie de la localisation subcellulaire de la kinase, qui reste dans les compartiments intracellulaires golgiens à l’état homozygote, expliquant ainsi l’immunohistochimie Dot like retrouvée dans certains GIST(32).
Autres anomalies
D’autres anomalies génétiques apparaissent secondairement, notamment des altérations et des pertes de segments du chromosome 14, 22 et 1 (33,34). Une analyse récemment effectuée par Microarray d’expression identifie d’autres gènes surexprimés et potentiellement activés in vivo dans les GIST. Leur rôle dans la progression tumorale reste à établir.
PATHOLOGIQUE
MACROSCOPIE
Les GIST peuvent se localiser sur tout le tractus digestif avec une prédominance gastrique. La plupart des GIST se développent dans l’épaisseur de la paroi digestive, à partir de la musculeuse (35, 36). Elles peuvent avoir une croissance, soit endophytique (fig 3) vers la lumière digestive ulcérant la muqueuse en surface, soit exophytique vers la cavité abdominale, soit mixte réalisant alors un aspect en « sablier ».
Forme
Elles sont bien limitées, arrondies ou ovoïdes, à surface lisse ou bosselée, parfois entourées d’une pseudocapsule.
Taille
Leur taille varie de quelques millimètres à plus de 40 cm. À la tranche de section, elles sont formées d’un tissu d’aspect encéphaloïde pouvant comporter, en cas de tumeur volumineuse, des remaniements hémorragiques, myxoïdes, nécrotiques ou une dégénérescence pseudocavitaire (35, 36)
MICROSCOPIE OPTIQUE
Les aspects histologiques des tumeurs stromales digestives sont hétérogènes. En majorité, les GIST sont constituées de cellules fusiformes (Figure 5) d’allure conjonctive et de cellules rondes ou polygonales dites épithélioïdes (figure 6), des cellules ayant un aspect intermédiaire sont aussi présentes. On peut rencontrer des cellules en bague à chaton, des cellules plasmocytoïdes, des cellules granuleuses, ou encore des cellules multinucléées. Le stroma est d’abondance variable, parcouru de nombreux vaisseaux sanguins. Il est parfois hyalin, hémorragique, abondant et myxoïde. Des globules ou serpentins éosinophiles intercellulaires, colorés par le réactif de Schiff (PAS) peuvent y être notés.
L’architecture tumorale microscopique est palissadique rappelant l’aspect des tumeurs nerveuses, alvéolaire rappelant l’aspect des paragangliomes, ou solide lorsque les cellules tumorales sont épithélioïdes. Les remaniements sont d’autant plus fréquents que la tumeur est volumineuse : ils sont Hémorragiques, pseudo-kystiques ou nécrotiques (37,38).
MICROSCOPIE ELECTRONIQUE
Les tumeurs stromales sont très hétérogènes quant à leurs caractères ultrastructuraux.
On retrouve assez constamment la présence de projections cytoplasmiques proéminentes ressemblant à des filopodes entremêlés en un réseau complexe et parfois profondément invaginé dans les cellules voisines sans réel contact (39,40). Les noyaux sont ovales ou allongés, soulignés par une membrane nucléaire aux contours souvent irréguliers. La chromatine est soit régulièrement distribuée, soit répartie en mottes condensées contre la membrane. Les nucléoles sont parfois visibles et volumineux. La matrice intercellulaire inclut des amas épais de collagène et parfois un matériel fibrillaire fin et granuleux ressemblant à l’élastine. Par contre, on note l’absence de filaments d’actine des formations musculaires lisses typiques tel que dans le léiomyome. Il n’existe pas de lame bordante tumorale ni de réelle capsule organisée (41).
En règle générale, la majorité des cellules tumorales présentent des caractères de différenciation musculaire lisse incomplète ou ne présentent pas de différenciation particulière.
Ces éléments de différenciation myoïde partielle s’associent de façon variable à d’autres traits ultrastructuraux, l’ensemble récapitulant les caractéristiques des cellules interstitielles de Cajal.
Dans 10 à 40% des cas, des caractères ultrastructuraux rappelant la structure des neurones du système nerveux autonome sont au premier plan (42).
IMMUNOHISTOCHIMIE
La synthèse des données immunohistochimiques de la littérature est difficile en raison de la variété des anti-corps employés (monoclonaux ou polyclonaux de sources diverses), de la sensibilité différente des protocoles de détection utilisés, de l’absence de standardisation des critères d’appréciation des marquages et du caractère inhomogène des séries étudiées (41,42,43).
Le CD 117 ou c- kit : (Figure 7)
La recherche de l’expression de c-kit sur les cellules tumorales est nécessaire au diagnostic, elle est positive dans 85% des cas. Il est actuellement recommandé de faire ce marquage avec l’anticorps polyclonal A4502 au 1/50 sans restauration antigénique ou au 1/300 après restauration antigénique (tampon citrate pH 6). Le marquage positif peut être soit cytoplasmique soit membranaire soit juxta-nucléaire. Sa répartition peut être hétérogène et son intensité variable, sans incidence sur le pronostic (43).
Le CD 34
C’est une glycoprotéine de surface de 115KD (kilodalton) exprimée par les cellules souches hématopoïétiques et détectée dans les cellules endothéliales vasculaires, les cellules précurseurs du mésenchyme et les fibroblastes dermiques et dont la fonction est inconnue (43).
Elle est exprimée dans 60 à 70% des cas de tumeurs stromales aussi bien dans les tumeurs bénignes que malignes, et au niveau de tous les sites du tractus gastrointestinal.
On note en revanche une importante variation selon le segment digestif atteint, avec un gradient décroissant entre les tumeurs gastriques et jéjunales. La plupart des tumeurs stromales qui n’ont ni les propriétés phénotypiques des cellules musculaires lisses, ni celles des cellules nerveuses, sont positives au CD34. Cette forte réactivité au CD34 permet de distinguer les tumeurs stromales des léiomyomes ou des schwannomes gastro-intestinaux typiques qui sont constamment négatifs au CD34. Cette particularité n’est pas en faveur d’une origine musculaire lisse ou nerveuse des tumeurs stromales mais suggère plutôt leur nature primitive ou mésenchymateuse.
La protéine h –caldesmone
Elle est positive dans 80% des cas. Elle est également fortement exprimée dans les proliférations d’origine musculaire lisse.
L’actine musculaire lisse
30 à 40% des GIST présentent une positivité pour cette protéine, le plus souvent focale. Il faut distinguer la positivité réelle des cellules tumorales et celle des cellules musculaires résiduelles piégées au sein de la tumeur.
La Desmine
C’est un filament intermédiaire du muscle lisse, myocardique et du muscle strié où il est présent sous forme de filaments homopolymériques composés d’unités de 55KD. Il joue le rôle de support pour la contraction des myofilaments. Cependant au cours des tumeurs stromales, le marquage par la Desmine est rare (moins de 5%) (45).
La protéine S100
Dérivée du tissu cérébral, la protéine S100 est une protéine de structure de 21KD. C’est un marqueur non spécifique exprimé par les cellules d’origine neurectodermique dont la cellule de Schwann. Elle n’est exprimée par les tumeurs stromales que dans 5 à 10% des cas. Une positivité intense et diffuse doit remettre en doute le diagnostic (43).
La NSE
Le neurone spécifique enolase (NSE) est un isomère d’une enzyme glycolytique la 2- phospho-D-glycérate-hydrolase. Sa positivité dans les tumeurs stromales varie dans les séries de 10 à 30% (44,45). Ce sont les cellules aux caractéristiques neuroïdes en microscopie électronique tel les GANT, qui expriment ce marqueur de façon plus fréquente.
Le diagnostic définitif est donc posé par l’anatomopathologiste avec la recherche des marqueurs spécifiques :
-C-KIT : Positif dans 90% des cas.
-CD34 : Positif dans 60% à 70% des cas.
-SMA : Positif dans 30% à 40% des cas.
-La desmine et proteine S100
LA BIOLOGIE MOLECULAIRE
Les tumeurs stromales digestives sont caractérisées par l’existence d’anomalies moléculaires dans deux gènes cibles, KIT et PDGFRA (46) ;leur activité oncogénique est associée à l’activation du récepteur indépendamment de la liaison au ligand, par le biais d’anomalies moléculaires. Ces anomalies correspondent, dans 85% des cas, à des mutations activatrices dites « gain de fonction ».les mutations de KIT et du PDGFRA sont constantes mais de nature variable. L’analyse moléculaire peut être réalisée à partir du tissu tumorale congelé idéalement ou fixé au formol.
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Table des matières
Introduction
Historique
Etiopathogénie
Anatomie pathologique
I-Macroscopie
II-Microscopie optique
III-Microscopie électronique
IV-Immuno-histochimie
V -Biologie moléculaire
VII-Nouvelles entités
Malades et méthodes
Résultats
Discussion
I-Etude épidémiologique
1-Incidence
2-Siège
3-Age/Sexe/Race
II-Diagnostic clinique
1-Circonstances de découverte
2-Examen clinique
III-Diagnostic para-clinique
1- Endoscopie
2-L’écho-endoscopie
3-L’échographie
4-La tomodensitométrie
5- L’imagerie par résonance magnétique
6-Tomographie par émission de positron
7-Autres examens
IV-Formes cliniques
V-Diagnostic différentiel
VI-Facteurs pronostiques
VII-Traitement
A-Moyens
B-Indications thérapeutiques
VIII-Surveillance après traitement
Conclusion
Résumé
Bibliographie
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