L‟embolie pulmonaire (EP) est l‟oblitération partielle ou totale du réseau artériel pulmonaire par un corps étranger (embole), le plus souvent d‟origine fibrinocruorique. Ce dernier provient généralement d‟une thrombose veineuse des membres inférieurs ou plus rarement des membres supérieurs [94]. On distingue une forme grave, l‟embolie pulmonaire massive (généralement obstruction de plus de 50% de la circulation pulmonaire) qui correspond à toutes les situations où il y’ a une instabilité hémodynamique [137]. L‟embolie pulmonaire est une pathologie fréquente, grave, multifactorielle, dont l‟incidence augmente avec l‟âge. En l‟absence de signe clinique pathognomonique, la démarche diagnostique repose sur l‟évaluation de la probabilité clinique associée à la réalisation d‟examens complémentaires. L‟examen de confirmation diagnostique de référence actuelle est l‟angio-scanner thoracique [151]. L‟évaluation de la gravité de l‟EP a évolué ces 10 dernières années grâce à l‟utilisation des marqueurs pronostiques, biologiques (Troponine, peptide natriurétique B) et morphologiques (dilatation des cavités droites). Ainsi, il est désormais possible d‟identifier parmi les embolies pulmonaires générales, les EP à haut risque de mortalité précoce et les embolies à risque intermédiaire [148]. Les EP à risque élevé représentent 5% du total des EP aigues et constituent une urgence vitale justifiant une prise en charge thérapeutique immédiate [99]. La définition de cette dernière repose sur une pression artérielle systolique < 90 mmHg ou chute de pression artérielle de plus de 40 mmhg pendant au moins 15 min en dehors du contexte d‟une arythmie, d‟hypovolemie ou du sepsis [100]. La prise en charge de l‟EP à haut risque de décès précoce repose sur la reperfusion des artères pulmonaires [78].
En Afrique, l‟EP a été longtemps considérée comme une affection rare ou exceptionnelle [38]. Ces formes à haut risque sont peu étudiées en Afrique et au Sénégal [77,81].
ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES
En Europe et aux États-Unis
L‟embolie pulmonaire est une pathologie grave, fréquente et de diagnostic difficile [137]. Sa prévalence en Europe est de 17- 42,6% des malades hospitalisés et 8- 52% des vérifications nécrosiques [112]. Elle demeure une affection grave responsable de 317000 décès dans six pays de l‟union européenne (avec une population de 454,4 millions). Elle constitue la 3éme maladie cardiovasculaire la plus fréquente en France et aux Etats unis d‟Amérique, la 3ème cause de mortalité [78].
En Asie
Les études épidémiologiques et nécrosiques menées au Japon en 1967 [104], au Taiwan en 1996 [87] confirment à l‟unanimité, la rareté de cette pathologie en comparaison avec son incidence en Europe et aux Etats-Unis. Une étude réalisée au Japon en 1999 [84] le confirme à son tour, en rapportant une incidence annuelle de seulement 28 cas d‟EP par million de Japonais.
En Afrique
Si l‟on parcourt la littérature, les données africaines ont prouvé que la pathologie est par contre réputée rare chez le sujet de race noire. Au Nigéria, il a été rapporté en 1967, 58 cas autopsiques d‟EP recensés sur une durée de cinq années dans un hôpital d‟Ibadan [6]. En Afrique du Sud, Joffre a montré en 1974 que l‟incidence des TVP post-opératoires était élevée chez les Sud-Africains omparée aux Européens [69].
Au Sénégal
Au Sénégal, Ndiaye en 2002 et Cissé en 2005 ont respectivement trouvé en milieu cardiologique une prévalence de 0,3% et de 0,89% [25,107]. Diop a noté une prévalence de 1,39% [36]. Par contre Bodian dans sa série a trouvé une prévalence de 1,4% [13].
ANATOMIE DU POUMON
Les poumons et les plèvres sont situés dans la cavité thoracique qui est divisée en deux par le médiastin dont l‟élément le plus volumineux est le cœur dans le médiastin antérieur. Chaque poumon a la forme d‟une pyramide avec une base inférieure par laquelle il repose sur le diaphragme et un sommet. Le poumon droit est divisé en trois lobes (supérieur, moyen et inférieur). Le poumon gauche est divisé en deux lobes (supérieur et inférieur). À gauche, la partie lingulaire du lobe supérieur correspond au lobe moyen droit. Les lobes sont séparés par des scissures ; il y en a deux à droite (la grande ou oblique et la petite ou horizontale) et une à gauche (l‟oblique) .Chaque lobe des poumons est divisé en segments pulmonaires . La vascularisation pulmonaire artérielle est double : le système pulmonaire ou vascularisation fonctionnelle et bronchique ou vascularisation nourricière.
La vascularisation fonctionnelle
Les artères pulmonaires apportent le sang veineux du ventricule droit pour l’oxygénation. Leur parcours suit celui des bronches . C‟est ainsi que les artères gauche et droite suivent les bronches correspondantes, les artérioles les bronchioles, les précapillaires, les conduits alvéolaires et les capillaires entourent les alvéoles. En aval de la membrane alvéolo-capillaire, les veines post-capillaires se placent entre les lobules puis entre les segments. Chaque veine draine du sang des territoires de plusieurs artères. À Droite comme à gauche, l‟ensemble veineux se résout en 2 veines pulmonaires de chaque côté.
La vascularisation nourricière
Les artères bronchiques
Proviennent de l’aorte et apportent le sang oxygéné à la paroi bronchique au niveau des bronchioles terminales. Elles suivent les ramifications de l‟arbre bronchique. Il existe parfois au niveau des petites bronches des anastomoses entre artères bronchiques et pulmonaires. Les veines bronchiques se drainent vers la veine cave supérieure par les veines médiastinales, mais peuvent aussi gagner les veines pulmonaires.
Les nerfs bronchiques
Les nerfs sympathiques sont des afférences sympathiques et parasympathiques. Les fibres afférentes parasympathiques proviennent des nerfs vagues. Elles commandent la contraction de la musculature bronchique, c‟est-à-dire les fibres musculaires lisses situées sous la muqueuse. Les afférences sympathiques entraînent une vasoconstriction pulmonaire. Les poumons sont reliés aux côtes de la cage thoracique par deux membranes appelées plèvres. L’inspiration et l’expiration sont sous le contrôle des muscles intercostaux et du diaphragme qui déforment la cage thoracique et donc les poumons via le jeu des plèvres [24].
Physiologie de la circulation pulmonaire
La circulation pulmonaire est branchée en dérivation sur la circulation systémique (qui alimente les muscles, tube digestif…). Elle Part du cœur droit, traverse les poumons et revient au cœur gauche. Les vaisseaux pulmonaires suivent étroitement l’arbre bronchique. Ils sont collés aux parois des bronchioles et des alvéoles. Les capillaires pulmonaires recouvrent 75% de la surface des alvéoles soit 100 m2. Cette circulation pulmonaire n’est au contact que des alvéoles et des bronchioles terminales. Tout le reste de l’arbre respiratoire (trachée-> bronchioles) a une circulation propre systémique qui vient du cœur gauche. La circulation pulmonaire qui a le rôle fonctionnel d’échange O2-CO2 n’alimente que les alvéoles et bronchioles terminales. Le lobule pulmonaire est la conjonction entre les alvéoles et le lit capillaire pulmonaire. La distance entre le globule rouge (GR) dans le plasma et l’alvéole est très petite. Elle varie de 0,2 à 1,4 microns. La distance que doit franchir l’O2 et CO2 est donc très petite. Les parois capillaires sont minces pour favoriser les échanges gazeux et elles sont suffisamment résistantes pour supporter la pression intravasculaire et intraalvéolaire qui va changer quand on fait un mouvement ventilatoire ample. La circulation est à basse pression et le débit lent pour que la circulation ait le temps de se charger en oxygène et libérer le gaz carbonique. Ce débit circulatoire va augmenter à l’exercice : le débit cardiaque va augmenter, le débit circulatoire pulmonaire va aussi augmenter et le temps de contact va être réduit. Pour un sujet normal, sans pathologie pulmonaire, même le débit le plus élevé au cours de l’exercice maximal est suffisant pour échanger O2 et CO2.
PHYSIOPATHOLOGIE DE L’EMBOLIE PULMONAIRE
Origine de l’embolie
Embolie par caillot sanguin
Le point de départ du thrombus est dans la majorité des cas une veine des membres inférieurs, moins souvent une veine pelvienne ou abdominale, plus rarement encore une thrombose de l‟oreillette ou du ventricule droit. La migration est d‟autant plus fréquente que le caillot est friable, peu adhérent, flottant dans la lumière veineuse [145].
La triade de Virchow
La formation d‟une thrombose obéit aux facteurs de la triade décrite par Rudolph Virchow qui associe la stase veineuse, la lésion pariétale et l‟hypercoagulabilité [41].
La stase veineuse
Les thromboses veineuses se forment et se développent de préférence au niveau des valvules veineuses, région où le ralentissement circulatoire est important et où le sang a un flux rotatoire de faible vélocité. En pathologie humaine, le rôle du ralentissement circulatoire a été démontré par l‟étude des patients hémiplégiques chez qui la fréquence des thromboses est supérieure au niveau du membre paralysé. D‟autres situations favorisant le ralentissement circulatoire sont souvent associées à la maladie thromboembolique veineuse. Il s‟agit de l‟alitement prolongé, de l‟immobilisation sous plâtre, de la décompensation cardiaque, de la grossesse, du syndrome de Cockett, des insuffisances veineuses chroniques [41]. Inversement la compression pneumatique intermittente du mollet qui permet de Combattre la stase est une prophylaxie efficace contre les thromboses veineuses.
La lésion pariétale
Toute lésion pariétale atteignant le sous endothélium entraîne une adhésion plaquettaire mais n‟est pas toujours suffisante pour créer une thrombose. La lésion vasculaire est souvent consécutive à des altérations directes de l‟endothélium par des facteurs mécaniques. C‟est ainsi qu‟une thrombose peut être observée au niveau de la veine fémorale après une chirurgie (prothèse totale de hanche) et au décours des abords veineux profonds ou superficiels, d‟un cathétérisme veineux, d‟un dispositif intraveineux. De même une séquelle de thrombose veineuse constitue un point d‟appel à une récidive ultérieure [41].
Les anomalies de l’hémostase
Elles sont responsables d‟un état d‟hypercoagulabilité. En effet, toute modification des éléments figurés du sang est un facteur de thrombose veineuse profonde (polyglobulie, hyperleucocytose, thrombocytémie).
Les anomalies thrombogènes de la coagulation sont représentées essentiellement par les thrombophilies qui peuvent être constitutionnelles ou acquises [41].
Les phases évolutives d’une thrombose veineuse
L‟évolution du thrombus initial peut se faire spontanément vers la disparition totale grâce à la mise en jeu efficace du système fibrinolytique physiologique. La migration embolique, après rupture de la base du thrombus initial favorisée par la fibrinolyse physiologique, fait toute la gravité de la maladie. La thrombose veineuse constitue ainsi le point de départ habituel de l‟embolie pulmonaire. Dans les autres cas, la progression du thrombus s‟effectue vers la lumière du vaisseau par strates successives avec oblitération plus ou moins étendue de la lumière veineuse. Au cours de cette progression, on distingue 3 phases [40]: la phase de phlébothrombose, la phase de thrombophlébite et la phase postphlébitique [41].
La phase de phlébothrombose
Au cours de cette phase, le thrombus n‟adhère pas à la paroi vasculaire et son extrémité supérieure peut flotter librement dans la lumière veineuse. Les signes cliniques locaux sont discrets voire absents car le thrombus non adhérant à la paroi ne freine que partiellement la circulation veineuse. Ceci explique le caractère parfois asymptomatique de la thrombose veineuse. C‟est pourquoi, au décours d‟une chirurgie orthopédique (prothèse de genou ou de hanche), certains auteurs préconisent la recherche systématique d‟une thrombose veineuse profonde des membres inférieurs par la phlébographie ou l‟échodoppler veineux ; mais cette attitude est controversée [89]. La phase de phlébothrombose se caractérise par la fragilité du caillot susceptible de se détacher et de migrer en tant qu‟embole. La progression peut s‟arrêter ou se poursuivre de confluent en confluent jusqu‟à la veine cave inférieure et dans le cœur droit où l‟impulsion systolique va envoyer le thrombus dans une ou plusieurs des branches de l‟artère pulmonaire réalisant une obstruction aiguë responsable de l‟embolie pulmonaire.
|
Table des matières
INTRODUCTION
I-ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES
1.1. En Europe et aux États-Unis
1.2. En Asie
1.3. En Afrique
1.4. Au Sénégal
II-ANATOMIE DU POUMON
2.1. La vascularisation fonctionnelle
2.2. La vascularisation nourricière
2.2.1. Les artères bronchiques
2.2.2. Les nerfs bronchiques
2.3. Physiologie de la circulation pulmonaire
III. PHYSIOPATHOLOGIE DE L’EMBOLIE PULMONAIRE
3.1. Origine de l‟embolie
3.1.1. Embolie par caillot sanguin
3.1.1.1. La triade de Virchow
3.1.1.1.1. La stase veineuse
3.1.1.1.2. La lésion pariétale
3.1.1.1.3. Les anomalies de l‟hémostase
3.1.1.2. Les phases évolutives d‟une thrombose veineuse
3.1.1.2.1. La phase de phlébothrombose
3.1.1.2.2. La phase de thrombophlébite
3.1.1.2.3. La phase post-phlébotique
3.1.2.Embolie par autres matériels
3-2. Les conséquences physiopathologiques de l‟embolie pulmonaire
3.2.1. Conséquences hémodynamiques
3.2.2. Les conséquences cardiaques
3.2.3. Les Conséquences respiratoires
3.2.3.1. Perturbations gazométriques
3.2.3.2. Infarctus pulmonaire
3.2.3.3. Atélectasie
3.2.3.4. Complications pleurales
3.4. Le devenir de l‟embole
IV. ETIOLOGIES
4.1. Les facteurs de risque permanents
4.1.1. L‟âge
4.1.2. Les facteurs de thrombophilie biologique
4.1.2.1. Les thrombophilies constitutionnelles
4.1.2.1.1. Déficit en antithrombine III
4.1.2.1.2. Déficit en protéine C
4.1.2.1.3. Déficit en protéine S
4.1.2.1.4. Facteur V Leiden ou résistance à la protéine C activée
4.1.2.1.5. Hyperhomocysteinemie
4.1.2.1.6. Facteur II G20210A
4.1.2.2. Le syndrome des anticorps antiphospholipides
4.1.2.3. La thrombophilie multigénique
4.1.2.4. Les anomalies de la fibrinolyse
4.1.3. Antécédents de la MVTE
4.1.4. Les néoplasies
4.1.5. L‟insuffisance veineuse chronique
4.1.6. L‟Insuffisance cardiaque et infarctus du myocarde
4.1.7. Les maladies inflammatoires chroniques de l‟intestin
4.1.8. Le tabagisme
4.1.9. L‟obésité
4.1.10. L‟insuffisance respiratoire chronique
4.2. Les facteurs de risque transitoires
4.2.1. La chirurgie
4.2.2. L‟immobilisation
4.2.3. Le long voyage
4.2.4. La grossesse et le post-partum
4.2.5. Le traitement œstroprogestatif
4.2.6. La fécondation in vitro
4.2.7. Les maladies neurologiques
4.2.8. Le syndrome néphrotique
4.2.9. Les infections
4.2.10. Les traumatismes
4.2.11. L‟hémoglobinurie nocturne paroxystique
V.SIGNES CLINIQUES ET PARACLINIQUES
5.1. Signes cliniques
5.1.1. Signes fonctionnels
5.1.2. Signes d‟examen
5.1.2.1. Signes généraux
5.1.2.2. Signes physiques
5.1.2.3. Probabilité clinique
5.1.3. Signes cliniques de gravité de l‟embolie pulmonaire
5.2. Signes paracliniques
5.2.1. Biologie
5.2.2. Electrocardiogramme
5.2.3. Radiographie thoracique
5.2.4. Echo doppler cardiaque
5.2.5. Echodoppler des membres inferieurs
5.2.6. Angio-scanner thoracique
5.2.7. Angiographie pulmonaire
5.2.8. Scintigraphie pulmonaire
5.2.9. Cathétérisme droit
5.2.10. Imagerie par résonnance magnétique
5.3. Classification selon la gravité de l‟EP
VI. DIAGNOSTIC
6.1. Stratégie diagnostic devant une suspicion d‟EP
6.2. Le diagnostic différentiel
6.2.1. Diagnostic d‟une dyspnée
6.2.2. Diagnostic d‟une douleur thoracique
VII-EVOLUTION ET PRONOSTIC
7.1. Evolution
7.1.1. Eléments de surveillance
7.1.2. Modalités évolutives
7.2. Pronostic
CONCLUSION