Elicitation indirecte de modèles de tri multicritère

Introduction à l’AMCD

Contexte

Le champ de l’AMCD propose des manières de modéliser formellement les préférences d’un décideur de façon à l’éclairer dans des problèmes impliquant une décision. Les situations de décisions auxquelles nous nous intéressons ici font intervenir plusieurs critères, points de vue utilisés pour évaluer les options disponibles. Supposons par exemple que notre décideur, s’étant récemment procuré un surcroit important de temps libre (une tendance très marquée en ces temps de crise), s’interroge sur l’utilisation qu’il pourrait faire d’un coin de jardin vacant. Il pourrait par exemple y planter des carottes, ou des tomates, etc., ou ne rien y faire du tout. Ces différentes options sont nommées des alternatives : planter des carottes est une alternative, ne rien faire en est une autre. (Il s’agit d’un abus de langage, nous y reviendrons.) Un critère intervenant dans le choix est la pénibilité du travail, un autre est la rentabilité financière, etc. Les critères intervenant dans les situations de décision auxquelles nous nous intéressons sont conflictuels : ils ne déterminent pas tous le même ordre de préférence sur les alternatives. Pour choisir, le décideur doit déterminer comment il pondère les différents critères, ou plus généralement doit trouver une méthode pour agréger les différentes dimensions considérées. Cela introduit un aspect subjectif dans le problème : deux décideurs faisant face à une même situation ne choisiront peut être pas une même destination à leur lopin de terre, et ce même s’ils sont d’accord sur les évaluations de chaque alternative sur chaque critère.

Alternatives, critères : définitions formelles

Présentons ces concepts plus formellement. Nous supposons défini l’espace des alternatives A, généralement infini, comprenant toutes les alternatives envisagées dans le problème de décision. Sauf indication contraire, nous nous intéressons à une problématique de tri visant à définir une fonction de tri sur A, c’est-à-dire de définir l’affectation de n’importe quelle alternative de l’espace A.

Est également défini, l’ensemble de critères J . Un critère j ∈ J est associé à une fonction critère gj : A 7→ Xj décrivant les performances des alternatives. La performance gj (a) de l’alternative a ∈ A sur le critère j ∈ J sera également notée aj , lorsque cette notation ne prête pas à confusion. L’ensemble Xj indique le type de performances utilisées pour le critère j. Il s’agit généralement de R ou d’un sous-ensemble de R, mais il peut aussi s’agir d’étiquettes, par exemple Xj = {mauvais, moyen, bon}.

L’espace des alternatives peut également être décrit par ∏ j∈J Xj : un vecteur dans cet espace décrit l’ensemble des performances d’une alternative. Parfois, nous assimilerons donc A à ce produit. Cependant, ce procédé est restrictif : l’ensemble des alternatives considéré par le décideur pourrait comprendre deux alternatives ayant les mêmes performances sur l’ensemble de critères considéré, mais que le décideur considère de façon distincte. Sauf indication contraire, l’ensemble A sera donc considéré comme un ensemble d’indices d’alternatives, distinct de ∏j∈J Xj.

Utilité de l’AMCD

Un problème de décision peut être suffisamment complexe, ou avoir des enjeux suffisamment importants, pour que le décideur doute de la décision à prendre. L’aide multicritère à la décision propose de fournir des recommandations à un décideur (Keeney et Raiffa, 1976). L’objectif de la méthode est d’aboutir à une façon de comparer qui convienne au décideur, dans le sens où elle lui donne des arguments qu’il trouve suffisamment convaincants pour valider les recommandations fournies par la méthode. Il ne s’agit pas nécessairement d’une réponse directe au problème de décision initial (un choix, dans notre exemple de jardinage), pour des raisons qui seront expliquées plus loin (Roy, 1985). Par exemple, une méthode d’AMCD peut indiquer quelles sont les informations subjectives qui amènent nécessairement à une conclusion donnée, ou indiquer si une conclusion donnée est compatible avec un mode de raisonnement donné (Figueira et al., 2005a). Dit généralement, une méthode d’AMCD a pour objectif d’apporter des éléments d’information permettant d’éclairer un problème de décision. Plus précisément, on peut noter deux formes particulières que peut prendre cet objectif. Premièrement, la modélisation formelle peut permettre au décideur de remettre ses propres préférences en question. En réfléchissant aux propriétés qu’il souhaite que ses décisions respectent, il peut se rendre compte que sa façon naturelle d’agir n’est pas en adéquation avec ces exigences, et décider éventuellement de modifier ses choix. Comme le fait remarquer Dennett (2002, 2012), une propriété remarquable du raisonnement humain est la faculté de pouvoir choisir de préférer autre chose, en somme, d’avoir des préférences sur ses propres préférences. Deuxièmement, le modèle de préférence peut contribuer à rendre une procédure de décision transparente et impartiale (le mot impartial doit être compris dans un sens différent du mot objectif, nous y reviendrons). Considérons un terrain plus réaliste d’application des méthodes d’AMCD (bien que moins drôle que les problèmes de jardinage). Imaginons que le décideur soit responsable de la sélection des étudiants autorisés à intégrer une école donnée. Le problème comporte une dimension subjective, car il faut pondérer les différentes notes sur les différents cours, les résultats aux entretiens de motivation, les connaissances linguistiques de l’étudiant, etc. Quelle que soit la façon dont le décideur agrège les différentes dimensions considérées, le décideur souhaite probablement que cette agrégation respecte la propriété suivante, dite de dominance : si un étudiant a est moins bon qu’un étudiant b sur tous les critères considérés, il ne doit pas être considéré dans le résultat final comme meilleur que b. Pourtant, il est possible qu’une sélection effectuée par le décideur sans l’aide d’une méthode formelle ne respecte pas la dominance. Une telle situation peut arriver par exemple si le choix du décideur fait intervenir inconsciemment des caractéristiques physiques ou socio-économiques des étudiants dont il ne souhaitait pas tenir compte. Dans un exemple moins caricatural, le décideur pourrait vouloir s’assurer que la sélection n’accorde pas « trop de poids » à certains critères. Les méthodes d’AMCD permettent en général de déterminer un modèle de préférence, qui permet de déterminer des recommandations (Bell et al., 1988 ; Bouyssou et al., 2006a). Dans un problème de choix tel que le problème de jardinage exposé ci-dessus, le modèle de préférence détermine une fonction qui, étant donné un ensemble d’alternatives et leurs performances, recommande une alternative comme étant la meilleure (ou plus généralement, un sous-ensemble d’alternatives comme étant potentiellement les meilleures, nous y reviendrons). Un modèle de préférence est associé à un ensemble de valeurs de paramètres utilisés pour représenter les préférences du décideur. L’obtention d’un modèle de préférence permet aussi, s’il est utilisé d’une certaine manière, de rendre une décision impartiale. Par exemple, dans le problème de sélection d’étudiants mentionné, le décideur pourrait décider de publier le modèle de préférence qui sera utilisé avant même de recevoir les dossiers des étudiants. Cela rend le processus de sélection déterministe, reproductible, et prévisible.

Classes de modèles et modèles de préférence

Il est commode de définir a priori une classe de modèles envisageable comme candidats à la représentation des préférences du décideur. Ceci peut être vu formellement comme une classe de fonctions associée à un ensemble de paramètres dont les valeurs déterminent le modèle de préférence (Bouyssou et al., 2006a). Choisir une bonne classe de modèles est un des problèmes difficiles auxquels l’analyste en AMCD fait face (Belton et Stewart, 2002). Considérons un problème consistant à choisir la meilleure alternative, tel que le problème de jardinage exposé. Supposons que les performances s’expriment toutes numériquement. Dans ce cas, il est possible d’utiliser par exemple la somme pondérée comme classe de modèles.

De manière plus générale, le problème ne consiste pas nécessairement à choisir, et la classe de modèles n’est bien sûr pas toujours la classe des modèles de somme pondérée. Nous parlerons en général de fonction de préférence f et de classe de modèles M. Dans la suite de ce travail, nous désignerons parfois simplement par le terme modèle une classe de modèles lorsque le contexte rend le terme clair. Nous pourrons par exemple parler du modèle de la somme pondérée pour désigner la classe de modèles de somme pondérée. Dans un contexte où la classe de modèles M est connue, nous appellerons modèle de préférence le couple (ω, fω) : connaissant la classe de modèles M, la donnée ω capture la subjectivité du décideur et détermine une fonction fω représentant les préférences du décideur. La seule donnée ω pourra également être appelée modèle de préférence, étant donné que sa connaissance suffit, ayant M, à déterminer la fonction fω.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Acronymes
Notations et nomenclature
Alternatives, critères
Relations
Notations concernant la problématique de tri
Classes de modèles et paramètres
Performances sur des sous-ensembles de critères
Programmes mathématiques
Note sur le (més)usage de la langue
Résumé en français xix
Résumé en anglais xxi
I Positionnement du travail
1 Positionnement du travail
1.1 Introduction à l’AMCD
1.1.1 Contexte
1.1.2 Alternatives, critères : définitions formelles
1.1.3 Utilité de l’AMCD
1.1.4 Classes de modèles et modèles de préférence
1.1.5 Classes de modèles et définition des raisonnements acceptables
1.1.6 Préférences révélées, préférences exprimées
1.1.7 Le mythe du choix objectif
1.2 Structuration du problème de décision
1.2.1 Cinq problématiques de décision
1.2.2 Exemples de problématiques
1.2.3 Distinctions entre problématiques
1.2.4 Remarque concernant les termes alternatives, critères, attributs
1.2.5 Notations concernant la problématique de tri
1.3 Approche visant à obtenir un modèle précis
1.3.1 Incomplétude des préférences
1.3.2 Cas où cette approche est justifiée
1.4 Comparaison avec le constructivisme
1.4.1 L’approche constructiviste de l’aide à la décision
1.4.2 Deux visions compatibles
1.5 Approche visant à obtenir un modèle imprécis
1.6 Approche visant à obtenir un ensemble de modèles
1.7 Désagrégation des préférences
1.8 Traitement des inconsistances
1.9 L’AMCD pour la décision de groupe
1.9.1 Positionnement du travail
1.9.2 Travaux proches
1.9.3 Traitement des incohérences dans le cas de la décision de groupe
1.10 Motivation et contenu du travail
1.10.1 Motivation
1.10.2 Contenu du travail
2 Revue de modèles de tri et de méthodes de désagrégation
2.1 Classes de modèles de tri non basées sur le surclassement
2.1.1 Modèle de tri à fonction croissante et à seuils
2.1.2 Tri à base de règles
2.1.3 Modèle de tri à base d’intégrale de Sugeno
2.2 Classes de modèles proches de Électre Tri
2.2.1 Concepts communs aux modèles de type Électre Tri
2.2.2 Modèle Électre Tri
2.2.3 Modèle MR Sort
2.2.4 Modèle NCSM sans véto
2.2.5 Modèle NCSM avec véto
2.3 Méthodes relatives à la problématique de tri
2.3.1 Désagrégation par la méthode UTADIS
2.3.2 Approche robuste par sous-ensemble de paramètres
2.3.3 Désagrégation de modèles de type Électre Tri
2.3.4 Analyse d’inconsistence
2.3.5 Désagrégation pour des groupes
II Contributions méthodologiques
3 Convergence de modèles MR Sort pour la décision de groupe
3.1 Élicitation de paramètres pour méthode MR Sort
3.1.1 Contexte et objectif .
3.1.2 Un exemple de processus d’aide à la décision
3.1.3 ICL : Infer Category Limits
3.1.4 ICLV : Inferring Category Limits with Vetoes
3.1.5 CWR : Compute Weights Restriction
3.1.6 Exemple illustratif
3.1.7 Performance des algorithmes
3.1.8 Conclusions et perspectives
3.2 Calcul de similarité entre deux modèles MR Sort
3.2.1 En considérant toutes les catégories
3.2.2 Par paires de catégories
3.3 Application réelle : échelle de risque pour produits polluants
3.3.1 Contexte
3.3.2 Mode d’interrogation
3.3.3 Critères et catégories
3.3.4 Choix du type de modèle
3.3.5 Analyse des divergences
3.3.6 Modèles proposés
3.3.7 Affectations par ces modèles
3.3.8 Discussion
4 Crédibilités valuées et exploitation simple
4.1 Contexte
4.2 La procédure Argument Strength Assessment (ASA)
4.2.1 ASA ordinale
4.2.2 Propriétés ordinales
4.2.3 ASA cardinale
4.3 Exploitation
4.3.1 Illustration de l’exploitation : ensemble X
4.3.2 Illustration de l’exploitation : ensemble A
4.3.3 Description formelle
4.3.4 Propriété de fonctions d’affectations emboitées
4.3.5 Performance des calculs avec MR Sort
4.4 Exemple illustratif
4.5 Conclusion
5 Une méthode de sélection de portefeuilles équilibrés
5.1 Introduction à la sélection de portefeuilles
5.2 Contexte du travail
5.2.1 Exemples d’applications
5.2.2 Travaux proches
5.2.3 Définition du portefeuille par une fonction de tri
5.3 Formulation du programme mathématique
5.4 Exemple illustratif
5.5 Conclusion et perspectives
5.5.1 Caractéristiques distinctives de l’approche
5.5.2 Une alternative à la discrimination positive
5.5.3 Perspectives
III Implémentation
6 Contributions sous forme de logiciels
6.1 Introduction
6.1.1 Le format XMCDA
6.1.2 Les services web XMCDA
6.2 Bibliothèques J-MCDA et JLP
6.3 Composants de calcul d’une relation de surclassement
6.3.1 Concordance
6.3.2 Préférence
6.3.3 Discordance
6.3.4 Surclassement
6.3.5 Tri
6.3.6 Flux
6.4 Désagrégation d’un modèle MR Sort
6.5 Convergence de modèles pour l’évaluation de risques
6.5.1 Un scénario de construction d’une échelle de risque
6.5.2 Implémentation du scénario
7 Modèle de données pour l’AMCD
Conclusion

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *