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L’élève autonome, acteur de son parcours différencié sur le Web
Selon Moyne, « la télévision, autant que l’enseignement magistral, tend à faire des élèves des « objets d’enseignement passif » : les élèves arrivent entraînés à une passivité totale. Ils s’assoient exactement comme devant la télé » (1982, p. 36). Fourgous précise qu’ils passent en moyenne treize heures par semaine devant le petit écran (2011, p. 23). Une conséquence à cela est « qu’ils sont persuadés que le prof fait tout et qu’ils peuvent arriver les mains dans les poches et regarder ce qui se passe comme un bon film à la télé, quitte à s’ennuyer » (p. 23).
Dans la mesure cependant où les élèvent « délaissent de plus en plus la télévision pour le Web », à raison de quinze heures en moyenne par semaine (p. 26), pourquoi ne pas tirer profit de ce temps passer à surfer en le mettant au service d’un apprentissage autonome ? Internet représente une ressource inépuisable (Prat, 2010, p. 140) qu’il serait dommage de ne pas exploiter.
Les élèves « ont besoin d’autonomie, d’individualisation et ils utilisent déjà Internet pour leurs apprentissages » selon Fourgous qui préconise de les inciter « à consacrer 20 à 50% du temps passé sur internet à des apprentissages » (2011, p. 132). Reste à déterminer de quels apprentissages il est question et la meilleure façon de les y inciter. L’ENT, dont l’usage implique que les élèves soient connectés à Internet avec une fenêtre de navigateur ouverte et donc prêts à explorer le Web, peut-il y contribuer et les « mettre dans des conditions nouvelles » (Moyne, 1982, p. 36) pour les faire apprendre en surfant ?
Si les collégiens sont de gros consommateurs de sites internet, Alain Jaillet déplore « l’extraordinaire zapping de la consultation » de ces sites (2004, p. 150). Si, comme il l’indique, près de 80% des sites consultés le sont pour des durées qui sont inférieures ou égales à une minute (p. 150), quel bénéfice pédagogique peut-on en tirer ? Cette frénésie n’est pas surprenante et reflète sans doute les habitudes de consommation inhérentes à la société actuelle, aussi bien de la part des enfants que des adultes, inspirées par l’usage récréatif de la télévision qui a été évoqué. À cet égard, Jaillet confirme que « l’importance du nombre de sites « consultés » est significative d’une culture de la consommation télévisuelle. Les informations accessibles sont survolées sur le même mode que l’on zappe les trente chaînes de son poste de télévision » (p. 150). Dans la mesure où, continue-t-il, « les sites à usage potentiellement pédagogique sont très peu significatifs par rapport aux temps de transit » (p.151), comment utiliser l’ENT pour accroître le potentiel pédagogique de ce transit et l’exploiter au maximum ? Comme nous l’avons rappelé en introduction, l’École a vocation à développer le sens critique des élèves, ce qui semble incompatible avec une consommation tous azimuts des informations désormais à portée de clic. Dans quelle mesure l’École peut-elle accomplir cette mission par le biais de l’ENT ?
L’ENT est d’une part un environnement qui peut rester relativement fermé, comme l’est la salle de classe, au sein duquel on peut trouver de la connaissance et de l’information apportées et gérées par professeurs et élèves, et où l’on peut discuter et échanger entre membres de la communauté. D’autre part, c’est une possible passerelle vers des sites Web extérieurs, à l’instar des portails éducatifs qui référencent des ressources sur un thème donné et « qui constituent des points de départ (c’est-à-dire des portes d’accès) pour la navigation sur le web » (Depover, Karsenti & Goodwin, 2007, p. 59).
L’ENT permet ainsi aux professeurs de proposer à leurs élèves – et à leurs collègues-des liens hypertextes vers des sites qu’ils jugent pertinents. Cela peut se faire à l’aide d’un blog tenu par le professeur dans les rubriques attitrées de l’ENT ou via le service de messagerie entre autres. Une capture d’écran illustrant un exemple de publication de liens vers des sites pédagogiques à destination des élèves, via le blog d’un professeur d’anglais sur l’ENT de son établissement est visible en annexe 4.
Ces liens sont autant de portes que le professeur devra avoir lui-même ouvertes avant de placer ses élèves devant, en s’assurant que ce qu’il y a derrière est digne d’intérêt, pertinent pour sa matière ou dans son rôle d’éducateur, sans danger pour eux et en accord avec les instructions officielles. Le discernement de l’enseignant, qui doit « agir en fonctionnaire de l’État, et de façon éthique et responsable », est crucial dans cette étape. Ce sera ensuite aux élèves d’ouvrir ces portes ou non pour découvrir ce qu’il y a derrière.
Il est probable qu’en avançant un peu derrière cette porte l’élève se trouvera devant une autre porte qu’il lui reviendra d’ouvrir ou pas, et ainsi de suite sans que cette fois le professeur puisse réellement anticiper l’endroit où cela le mènera. Kodsi résume cette difficulté en toute simplicité : « quand on va sur internet, on se sait pas sur quoi on va tomber » (1999, p. 37). L’abondance et la diversité des sites font que même si ce qui se trouve derrière les portes indiquées par le professeur est a priori sans risque, ce que l’élève trouvera sur son chemin en franchissant d’autres portes non anticipées et non contrôlées ne le sera pas forcément. La surprise peut être bonne ou mauvaise. On en vient aux dangers liés à l’utilisation de l’outil Internet par de jeunes usagers non avertis que sont souvent les élèves, face auxquels ils sont vulnérables et contre lesquels l’École doit jouer son rôle en accord avec le Socle Commun comme nous l’avons rappelé. Pour Bihouée et Colliaux (2011), « il paraît essentiel de former les élèves » (p. 53) pour une navigation « réfléchie ». Ils posent la question suivante : « pourquoi ne pas solliciter le documentaliste de l’établissement ? » (p. 53). La question que nous nous posons dans le cadre de ce travail est « pourquoi ne pas le faire également à l’aide de l’ENT ? ». Son utilisation peut progressivement amener les élèves à distinguer les sites légitimes des sites dangereux, sur lesquels ils savent par ailleurs très bien se rendre sans qu’un adulte ne leur ouvre la première porte : « les adolescents sont devenus des experts des techniques de la réalité virtuelle » (Huerre, 2013, p.39).
Pour parler de façon moins métaphorique, concrètement un professeur va, par exemple, proposer à ses élèves un lien hypertexte vers une page qu’il juge intéressante (vidéo, article, jeu à caractère pédagogique, etc.), tout en sachant qu’une fois rendu sur cette page, ils auront certainement la possibilité de cliquer sur divers liens qui les amèneront peut-être très loin du sujet initial. En effet, « Internet incite et invite à une démarche aléatoire.
L’internaute n’est plus vraiment le maître de sa démarche. Il peut facilement se perdre et perdre un temps précieux » (Kodsi, 1999, p. 37). De même, Prat met en garde contre l’excès d’informations, la tendance à la dispersion, et le risque que l’apprenant se perde dans la masse d’informations (2010, p. 140).
Doit-on cependant parler de perte de temps et de « danger » lorsqu’un élève part à la découverte de savoirs ? Selon Bellier, « ce qui est appris en dehors de tout contexte est par nature mal réintégré dans la réalité ensuite » (2001, p. 140). Cela signifie que lorsque l’élève met fin à sa navigation autonome sur le Web, il n’en reste finalement pas grand-chose, ce qui est regrettable. Les webquests ou « cyberquêtes » apparaissent dans ce cas comme une alternative intéressante : les élèves sont guidés dans leur navigation, ils se concentrent sur un thème précis. Donner un but « permet alors d’éviter la dispersion, l’éparpillement, en donnant une orientation précise » à la recherche. Cela « oblige à effectuer des choix parmi diverses sollicitations, à privilégier certaines possibilités d’action au détriment d’autres » (Liquète & Maury, 2007, p. 65). Les élèves ont encore à faire des choix et sont donc en position d’autonomie comme nous l’avons montré. Il s’agit ici d’une autonomie guidée, parfois appelée semi-autonomie (Bertin, 2001, p. 40). Proposer des webquests via l’ENT est une démarche intéressante, mais différente de celle proposée dans cette partie, consistant à laisser chaque élève tracer son chemin sur le Web. En effet, tout comme la création de supports multimédias, la conception de cyberquêtes peut s’avérer fastidieuse et ne permet pas une différenciation fine. Concrètement, un professeur ne pourra pas chaque soir mettre en ligne plusieurs webquests susceptibles d’intéresser des groupes d’élèves et pourra encore moins contrôler leurs résultats sous peine d’y passer tout son temps libre. Il est par contre plus facile pour lui de publier un certain nombre de liens hypertextes vers des pages sur lesquelles il a eu l’occasion de se rendre lors de recherches personnelles ou partagées par des connaissances (vidéos, infographies, articles, etc.) comme autant de portes à soumettre à l’intérêt des élèves. Ainsi que l’écrit Moyne, il faut « proposer des amorces, des pistes, ouvrir des voies, suggérer, donner des idées et puis, à un moment, le déclic se produit, cela rencontre leur expérience. » (Moyne, 1982, p. 61). Le « clic » se produit, pourrions-nous même ajouter.
On se rend vite compte qu’au moins deux postures sont envisageables : dans la première, on s’abstient de demander aux élèves d’ouvrir une première porte par peur de les perdre et que cela les emmène dans des endroits non souhaitables.
Dans la deuxième, on salue la curiosité des élèves et on reconnaît que cette démarche, bien qu’incontrôlable, les amène à aller plus loin que ce que le professeur demandait et on souligne que le fait de ne pas s’arrêter devant la deuxième porte est louable en ce que cela témoigne d’un certain degré d’autonomie. Par comparaison, si l’on demandait à des élèves d’ouvrir un livre au CDI, qu’ils acceptaient de le faire et que cela les amenait à en ouvrir un autre, puis un autre, jusqu’à ce qu’ils eussent lu l’intégralité des livres du CDI, nul doute que tout le monde s’en féliciterait. La différence étant que le CDI reste un univers clos (hors accès Internet) et que tous les contenus disponibles ont été choisis et contrôlés par des adultes. Les élèves n’ont donc normalement aucune chance de lire un livre faisant l’apologie du racisme ou de tomber sur un magazine contenant des illustrations obscènes. De même, si « partir seul à la découverte d’un cédérom » est également « un pas important vers l’autonomie » (Kodsi, 1999, p. 33), le cédérom, à son apogée à l’époque des recherches menées par Kodsi, constitue lui aussi un univers clos – même avec un contenu interactif.
Kodsi ne les considère à l’époque que comme « point de départ » ou comme « petit coup de pouce » (p. 33) pour donner l’envie d’aller voir plus loin, et elle se place donc dans une posture finalement similaire à l’enseignant qui va proposer des déclencheurs à ses élèves via l’ENT.
L’univers d’Internet est au contraire ouvert et l’on y trouve toutes sortes de contenus, y compris des éléments inappropriés pour des collégiens comme suggéré ci-dessus. Nous n’entrerons pas dans le débat sur ce qui est ou non souhaitable que des adolescents consultent sur Internet, mais nous ne manquerons pas de souligner qu’aujourd’hui de nombreux outils permettent de restreindre ce que voient sur leurs écrans l’élève à l’école, et l’enfant à la maison. Ces dispositifs de contrôle parental permettent en théorie que les portes recelant des contenus inadaptés restent fermées à clé, quitte à mieux les encourager à en trouver les clés ou d’autres portes dérobées. Quelle attitude adopter dans ce cas ? Faut-il encore une fois saluer l’initiative et l’autonomie des élèves qui cherchent à ouvrir les portes fermées ou trouver toujours plus de verrous ? Kodsi souligne que parents et enseignants « se retrouvent face à une contradiction : d’une part ils ont envie d’encourager, de valoriser une certaine autonomie des enfants ; d’autre part Internet leur fait peur et ils ne peuvent s’empêcher de freiner les enfants dans cette nouvelle forme de liberté » (p. 37).
Conclusion
L’ENT apparaît comme un véritable vecteur de différenciation lorsqu’il tire profit de la masse de savoirs disponibles sur Internet. Le professeur peut contourner le « casse-tête » de la conception de ressources individualisées dans le cadre de sa séquence en fondant sa différenciation sur les recherches autonomes de ses élèves. Il doit au préalable accepter ceci : les jeunes peuvent « accéder aux objets culturels, via internet, sans l’intermédiaire des adultes », et « l’école n’est plus le lieu unique de diffusion des savoirs » (Huerre, 2013, p. 141).
Cette opportunité de faire ainsi de l’ENT un puissant outil pédagogique est-elle saisie aujourd’hui par les enseignants et rencontre-t-elle du succès auprès des élèves ?
L’ENT entre vie scolaire et pédagogie
Cette partie sera essentiellement consacrée à l’exploitation des données recueillies auprès des différents usagers de l’ENT d’un collège, baptisé « E-Lyco » (réseau de l’Académie de Nantes). Celui-ci offrant un très grand nombre de rubriques et de fonctionnalités, les personnes sondées n’ont pas été interrogées sur l’intégralité des possibilités offertes. Beaucoup de ces fonctionnalités ne seront d’ailleurs pas décrites ici, bien qu’elles soient toutes dignes d’intérêt, afin de pouvoir se concentrer sur quelques usages significatifs et ne pas risquer de présenter un simple manuel technique de l’ENT (il en existe par ailleurs déjà des dizaines). Les difficultés techniques seront entre autres abordées et quelques rubriques parmi les plus prisées et les plus négligées seront présentées avec une réflexion sur les pratiques rencontrées.
Méthode de recueil de données et remarques générales
L’enquête a été réalisée au collège François Rabelais à Angers (49), un établissement « riche de sa mixité sociale » (A. Guesdon, Principal) avec une population très hétérogène.
Le but était d’obtenir des données quantitatives et qualitatives sur l’usage de différentes fonctionnalités de l’ENT et sur une éventuelle prédisposition à faire évoluer cet usage. À cet effet, trois questionnaires distincts ont été soumis aux élèves, aux parents et aux professeurs via l’ENT. Le détail des questions et la synthèse des réponses se trouvent en annexes 1, 2 et 3.
Grâce à une publicité importante et la possibilité de remplir une version papier, la participation a été satisfaisante et correspond aux objectifs fixés et détaillés en introduction. Notons que même si « une utilisation rationnelle de l’ENT permet d’atteindre le seuil « zéro » papier » (Bihouée & Colliaux, 2011, p. 114), ne proposer que des questionnaires en ligne pour coller au thème du mémoire aurait rendu les résultats moins représentatifs.
L’accès aux versions numériques des questionnaires sur E-Lyco ne nécessitait pas d’identification, pour faciliter la procédure et respecter l’anonymat des personnes sondées. Les professeurs ont été contactés via la messagerie de l’ENT et des formulaires papiers étaient également disponibles en salle du personnel. Les élèves qui passaient au CDI avaient la possibilité de répondre sur les postes à leur disposition. Les parents ont été informés par l’intermédiaire de leurs enfants qui leur ont remis une version papier. Ils avaient eux aussi la possibilité d’aller sur E-Lyco. Les parents et les professeurs ayant participé ne sont pas forcément ceux des élèves qui ont également répondu.
L’âge moyen des professeurs sondés se situe autour de 40 ans, donc assez proche de l’âge moyen d’un professeur du secondaire en France (42 ans) d’après les chiffres du Ministère de l’Éducation Nationale2. Le nombre d’élèves de chaque niveau est identique (coïncidence).
Fréquence de connexion et problèmes techniques
D’après les résultats, tous les élèves vont sur E-Lyco à la maison au moins une fois par semaine ; 25% le font deux ou trois fois par semaine et 70% une fois par jour ou plus. L’accès depuis le CDI est moins fréquent, autour d’une fois par semaine. La moitié d’entre eux n’ont « rarement » (25%) ou « jamais » (25%) eu de problème technique empêchant l’accès au service et l’autre moitié en a eu « parfois » (40%) et « souvent » (10%). Les parents se connectent moins souvent que les élèves et ont plus rarement rencontré des problèmes techniques.
L’impact des problèmes techniques sur l’utilisation de l’ENT n’est donc pas négligeable, même s’ils ne présentent pas non plus un obstacle majeur.
La vie scolaire en première position
L’analyse des données recueillies auprès des élèves montre sans ambiguïté que l’utilisation première qu’ils font de l’ENT consiste à consulter les informations disponibles relatives à la vie scolaire : les notes, les moyennes, les appréciations, les absences de professeurs et les changements d’emploi du temps. 65% d’entre eux affirment aller « souvent » dans ces sections, et les 35% restant « parfois ». Aucun n’a répondu « rarement » ou « jamais ». Dans leurs recherches, Rinaudo et Poyet ont également mis en évidence « une place significative pour la vie scolaire » alors qu’ils ont obtenu « peu de retours en matière d’applications directement pédagogiques » (2009, p. 199). La deuxième constatation ressort également de l’exploitation des questionnaires, nous en reparlerons dans une autre sous-partie.
Soulignons pour commencer que cela témoigne d’une véritable autonomie, même si on pourrait la qualifier « d’intéressée ». Les élèves sont soucieux de savoir s’ils vont terminer les cours plus tôt un jour donné, et s’ils vont pouvoir réorganiser leur emploi du temps pour que cela soit le cas si un professeur est absent et qu’ils peuvent déplacer un cours sur l’heure de « trou ». À titre personnel, les rares fois où des délégués m’ont contacté via la messagerie de l’ENT, il s’agissait d’une demande de ce type. J’ai pris le parti de toujours saluer cette démarche autonome.
D’un autre côté, cela met en évidence « l’obsession » des élèves vis-à-vis de leurs notes et de leur moyenne, que l’on considère parfois comme l’une des caractéristiques voire des faiblesses du « système français ». Cette focalisation sur les notes est partagée par les parents qui ont également indiqué privilégier majoritairement cette rubrique : 65% s’y rendent « souvent ».
Un usage pédagogique limité
Les ressources pédagogiques mises en ligne sur l’ENT du collège concerné par l’étude sont relativement peu abondantes à l’heure actuelle, comme le montrent les réponses des élèves et des professeurs : peu de contenus sont partagés par ces derniers, captant eux-mêmes assez peu l’attention des premiers.
Seuls 36,4% des professeurs ayant répondu au questionnaire ont indiqué mettre « souvent » des contenus à la disposition de leurs élèves en lien direct avec leur cours sur e-lyco, alors que 63,6% le font « rarement » (27,3%) ou « jamais » (36,4%). Aucun n’a affirmé le faire « très souvent ». Les résultats obtenus pour des contenus sans lien direct avec le cours sont sensiblement identiques, avec cependant 9,1% qui disent le faire « parfois » plutôt que « souvent » (27,3%). D’un point de vue purement quantitatif, la proportion de professeurs adeptes de cette pratique n’est donc pas convaincante en l’état. L’analyse qualitative des mécanismes derrière ces résultats (questions ouvertes en fin d’enquête) révèle que les professeurs n’ont tout simplement pas « pris l’habitude » d’utiliser l’ENT à cet effet, tandis que quelques-uns ont indiqué que cela prenait « trop de temps ». L’usage relativement sporadique de cette fonctionnalité de l’ENT se traduit par une faible quantité de documents à télécharger ou de sites externes à visiter par les élèves. En conséquence les rubriques « classes » et « disciplines » qui sont prévues à cet effet n’affichent que peu de sous-rubriques (seules deux classes ont une sous-rubrique qui leur est destinée, et cinq disciplines seulement ont fait l’objet de la création d’une sous-rubrique dont l’EPS, les mathématiques et l’anglais).
À l’autre bout, seuls 10% des élèves disent qu’ils consultent « souvent » ces rubriques, tandis que 45% le font « rarement » (25%) ou « jamais » (20%). Autant d’élèves le font « parfois » (45%). Il eût été étonnant qu’un nombre important d’élèves aillent consulter des rubriques auxquelles ils n’ont d’une part pas forcément accès, pour peu que leur profil ne soit pas concerné par les sous-rubriques évoquées ci-dessus (cet écueil sera largement discuté en fin de mémoire) et qui d’autre part n’existent tout simplement pas dans bien des cas. Lorsqu’ils ont été interrogés sur la quantité de ressources pédagogiques mises en ligne par les professeurs, 10% ont répondu qu’il y a « suffisamment de professeurs qui mettent des choses sur E-Lyco », lorsque 45% ont répondu le contraire et 45% n’avaient pas d’avis sur la question.
Arrêtons-nous un instant sur la quasi-moitié des élèves qui ont déclaré ne pas savoir s’il y avait assez de contenus partagés par leurs enseignants. Le fait qu’ils ne sachent pas signifie qu’ils n’ont pas fait la démarche d’aller voir d’eux-mêmes si d’éventuels documents ou autre étaient présents et leur étaient destinés, ou bien que les professeurs ne leur ont pas signifié que c’était le cas, ou encore qu’ils ont été notifiés mais qu’ils ont oublié ou refusé d’aller y faire un tour. Le cas échéant, cela donne raison aux professeurs qui n’utilisent pas cette fonctionnalité de l’ENT parce qu’ils considèrent que « cela ne sert rien car les élèves n’y vont pas » comme l’ont précisé plusieurs d’entre eux.
Cela soulève la question du caractère obligatoire ou non de la consultation par les élèves des éventuelles ressources sélectionnées pour eux par les professeurs durant le temps des devoirs à la maison.
Se connecter à l’ENT : obligatoire ou facultatif ?
Une majorité d’élèves (60%) a répondu être d’accord avec le principe de rendre obligatoire la connexion à E-Lyco à l’occasion des devoirs, pour s’informer de ce que les professeurs y ont inséré dans le cadre des cours. Une minorité (30%) était en revanche d’accord pour dire que l’utilisation du PC est personnelle et qu’on ne doit pas obliger les élèves à l’utiliser pour les devoirs. Le détail des réponses montre cependant que ces mêmes 30% se connectaient volontiers à la maison « parfois » ou « souvent » pour consulter le cahier de texte ou les notes et appréciations. Il semble donc que ce ne soit pas tant l’idée d’utiliser l’ENT à la maison après les cours qui les dérange que l’éventualité de rendre cette utilisation obligatoire. Sans rentrer dans une analyse psychologique de ce phénomène, nous rappellerons au sujet du travail obligatoire que « ce qui pourrait être librement appris, ce qui pourrait être gratuit, personnel, gratifiant, devient « ce qu’il faut faire », pour répondre à la demande et être tranquille » (Liquète & Maury, 2007, p. 55) et devient donc beaucoup moins attrayant aux yeux des élèves alors que justement l’on cherche le plus possible à attirer les élèves vers les rubriques pédagogiques de l’ENT.
Les parents se sont avérés encore moins réfractaires que les élèves sur ce point : 64,3% d’entre eux étaient d’accord pour dire que cela fait partie des devoirs et que c’est obligatoire si le professeur le demande. Moins de 10% d’entre eux sont allés dans le sens d’une utilisation personnelle et facultative du PC à la maison.
En réalité, ce sont les professeurs qui ont été les moins enclins à rendre obligatoire l’utilisation de l’ENT : pour 27,3% d’entre eux, « les élèves ont suffisamment de devoirs le soir et il convient de ne pas en rajouter avec E-Lyco » (aucun n’est d’accord avec l’idée de « remplacer les devoirs ‘classiques’ par des devoirs sur E-Lyco ») et 9% sont plutôt contre les devoirs à la maison en général. La part la plus importante (36,4%) représente les professeurs pour lesquels l’utilisation doit être facultative car des élèves n’ont pas Internet à la maison. Cette affirmation, plutôt erronée, reflète peut-être une représentation qui est toujours véhiculée dans la société mais qui est dépassée : celle de l’élève issu d’un milieu social défavorisé qui ne peut se connecter à Internet qu’au CDI. Le milieu social a en réalité moins d’influence sur l’équipement en informatique des familles que sur l’appréhension de cet équipement par les parents et le contrôle qu’ils exercent dessus vis-à-vis de leurs enfants.
En effet, comme nous l’avons vu en première partie la quasi-totalité des élèves est équipée et va sur Internet. D’après Fourgous, « 96% des 12-17 ans possèdent un ordinateur et 98% d’entre eux sont internautes » (2011, p. 23). Cela n’a pas été démenti par les résultats récoltés : 100% des élèves ont déclaré avoir accès à un ordinateur connecté à Internet le soir et le week-end. Cependant, cela peut induire en erreur : « Avoir un ordinateur à domicile, c’est s’imaginer qu’il va devenir un auxiliaire indispensable aux apprentissages. C’est le message qu’implicitement la valorisation technologique de l’école diffuse. Mais si à l’école se trouve des enseignants qui accompagnent et encadrent ces usages, il en va d’une toute autre manière à la maison » (Jaillet, 2004, p. 59). Ainsi, les parents sont mis dans une situation où ils devraient avoir prise sur ce qui se passe à la maison avec ces technologies, alors que seule une minorité le pourra (p. 59).
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Table des matières
Introduction
I) L’ENT pour une pédagogie différenciée au sein du Web
1) Différencier avec le numérique
2) L’élève autonome, acteur de son parcours différencié sur le Web
II) L’ENT entre vie scolaire et pédagogie
1) Méthode de recueil de données et remarques générales
2) Fréquence de connexion et problèmes techniques
3) La vie scolaire en première position
4) Un usage pédagogique limité
5) Se connecter à l’ENT : obligatoire ou facultatif ?
III) L’ENT, des écrans et des murs
1) Apprendre devant son écran
2) Des murs au sein de l’ENT comme au sein du collège
Conclusion
Références bibliographiques
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