Etre responsable, c’est répondre des conséquences dommageables de ses actes, c’est-à-dire être en mesure d’expliquer, de justifier ou de légitimer ses actes. Dans tous les cas, la responsabilité soulève la question de la violation d’une norme préétablie par une société. C’est pourquoi, la personne responsable commet des fautes qui lui sont imputables. Ces fautes peuvent être alors civiles ou pénales. Si la sanction de la responsabilité civile est l’obligation de réparer le préjudice causé par l’octroi de dommages intérêts, il n’en est pas de même pour la responsabilité pénale. Dans ce dernier cas, la personne responsable est sanctionnée par l’obligation de supporter le châtiment. Dès lors, l’imputabilité de la faute engageant la responsabilité pénale laisse supposer pour son auteur sa capacité de discerner le bien du mal afin de donner un sens à ce châtiment. Ce qui soulève la question délicate de l’imputabilité de la responsabilité pénale du malade mental au Sénégal. En effet, la responsabilité pénale conséquence de la violation de la norme préalable va permettre à son auteur de réparer le préjudice causé à la société et de rétablir l’équilibre social. Or, le malade mental est celui qui a perdu sa capacité de discernement c’est-à-dire qui n’est plus en mesure de distinguer le bien du mal. C’est pourquoi la responsabilité pénale du malade mental au Sénégal peut être résumer en une question : comment faire supporter un châtiment à une personne qui a perdu sa capacité de discernement ? La réponse à cette question a été donnée par l’article 50 du code pénal sénégalais qui déclare le malade mental irresponsable.
ELEMENTS CONSTITUTIFS DE LA RESPONSABILITE PENALE DU MALADE MENTAL
Pour engager la responsabilité pénale du malade mental au Sénégal, le code pénal exige l’état de démence . Cependant cette exigence va soulever le problème de l’imputabilité de la responsabilité pénale du malade mental .
L’EXISTENCE DE L’ETAT DE DEMENCE DANS LA RESPONSABILITE PENALE DU MALADE MENTAL AU SENEGAL
L’état de démence obéit à certaines considérations relatives au doute du juge pénal sur l’état mental de l’auteur de l’infraction et sur son existence effective, sans équivoque, au moment de l’action ni avant, ni après.
L’ETAT DE DEMENCE ET LE DOUTE DU JUGE
Pour permettre l’application de l’article 50 du code pénal, le juge doit avoir un doute sur l’état mental de l’inculpé relatif à la démence. En effet, celle-ci est une cause de non culpabilité comprise comme un fait excusable ayant comme conséquence la déclaration d’irresponsabilité de l’auteur de l’infraction pénale. Dès lors que signifie l’état de démence ? Dans l’ancienne terminologie psychiatrique, la démence avait un sens limité en France : « il signifiait l’affaiblissement progressif et définitif des plus hautes facultés psychiques, la mémoire de fixation, la possibilité de comparer, de critiquer, d’ordonner, de s’adopter » . Ainsi en France le terme « état de démence » signifie un trouble mental précis englobant tous les états psychopathologiques permanentes ; par contre en science médicale, la démence est définie comme une déchéance progressive et irréversible des facultés mentales. En droit pénal sénégalais, la démence signifie toute forme d’aliénation mentale s’appliquant ainsi aux affections de l’intelligence qu’elles soient congénitales ou acquises par l’effet d’une maladie. Il en va ainsi, de l’imbécillité et du crétinisme. La démence vise également la folie générale ou localisée. Dès lors la principale difficulté de l’application de l’article 50 du C.P.S. tient au fait qu’il existe à côté de la démence des états voisins comme les anomalies mentales ou l’ivresse, la jalousie qui ne font pas disparaître totalement la responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction. C’est la raison pour laquelle la circulaire Chaumié a accompagné à partir de 1905, l’ancien article 64 du code pénal français pour ainsi permettre dans une certaine mesure l’atténuation de la responsabilité . Enfin par démence les médecins psychiatres entendent « maladies mentales stricto sensu comme par exemple la Schizophrénie qui correspond à un trouble profond de la conscience » . Dans la société sénégalaise, la démence englobe la réalité africaine concernant certaines croyances propres à chaque ethnie. Ainsi, le dément sera considéré comme celui :
– attaqué ou possédé par les esprits : Jinne, Rab qui sont des esprits ancestraux qui font des alliances avec les hommes (wolofs – Lébous) ;
– Attaqué par des individus vivants : sorciers (Bilédio) anthropophages qui va agir sur des techniques magiques .
Ces considérations doivent nécessairement être prises en compte pour régler ce problème de la responsabilité pénale afin d’aboutir à justifier dans bien des cas, l’irresponsabilité prônée par l’article 50 du CP. Cet article exige également l’existence de cette démence « au moment de l’action ».
L’ETAT DE DEMENCE ET LE MOMENT DE L’ACTION
L’exigence faite de l’état de démence au moment de l’action du malade mental permet de comprendre que l’article 50 du CP pénal sénégalais ne protège pas automatiquement le délinquant aliéné quoi qu’il arrive. Ainsi, la démence n’exclut la responsabilité pénale du malade mental que si elle est contemporaine à l’action c’est-à-dire qu’elle a existée au moment de l’action. A partir de ce moment la question peut être posée à savoir si l’acte commis par le délinquant aliéné est ou non le « fait même de la maladie mentale » car cette logique peut changer fondamentalement le sens du « moment de l’action ». En effet, deux délits peuvent être commis par un malade mental : l’un peut être étroit avec un délire hallucinatoire, comme les vols, les fugues ou le cas de tentative d’assassinat d’un marabout ou d’une personnalité dont le malade mental est persuadé de sa persécution. Il n’y a pas de doute ici que la démence a guidé l’action du malade mental. L’autre délit peut être commis par la même personne qui va tenter d’empoisonner son oncle d’une certaine vieillesse pour disposer de sa fortune dont le délinquant pouvait hériter. Après plusieurs tentatives sur la dose de médicament que le vieil oncle prenait, le délinquant a été découvert. Il est visible que l’empoisonnement n’a pas le moindre rapport avec son délire. Le malade mental aurait pu se disculper de cette manière en évoquant son état de démence, or l’acte d’empoisonnement qu’il a commis est une tentative criminelle préméditée. Ce n’est pas le cas des premiers délits qu’il a commis à l’occasion d’un trouble mental. Ainsi, le « dément habituel » ne peut invoquer son état pour plaider l’irresponsabilité s’il ne prouve qu’au moment de l’infraction qu’il n’était pas dans un intervalle de lucidité. Cette exigence de la démence au moment de l’action par l’article 50 du CP sans tenir compte de la situation antérieure du délinquant aliéné est une faille regrettée par la doctrine africaine en la matière qui doit attirer l’attention des législateurs africains et sénégalais particulièrement sur des aspects socioculturels de la démence. C’est le cas par exemple de la « possession » au Sénégal, liée à la croyance métempsycose qui n’est pas reconnue comme une cause de non imputabilité. Pourtant cela pourrait avoir la même conséquence que la punition d’un Schizophrène pour ses actes. L’essentiel est de retenir que la démence au moment de l’action est comprise par la jurisprudence sénégalaise au sens large c’est-à-dire tout état psychopathologique permanent ou intermittent sans affaiblissement du fond mental. Cela permet d’y inclure certaines réalités africaines qui guident l’action du délinquant aliéné comme c’est le cas de la « possession ». Cette difficulté d’appréciation de la démence au moment de l’action soulève en réalité la question de l’imputabilité de la responsabilité pénale du malade mental.
L’IMPUTABILITE ET LA RESPONSABILITE PENALE DU MALADE MENTAL
L’imputabilité de la responsabilité suppose de la part de l’auteur de l’infraction une aptitude à répondre de ses actes. Ce qui n’est pas toujours le cas car le malade mental n’a pas à chaque fois cette capacité de discernement. Dès lors il convient de voir comment cette imputabilité est mise en œuvre à travers l’élément moral de son infraction mais aussi à travers l’élément matériel non moins intéressant.
L’ELEMENT MATERIEL DANS L’INFRACTION PENALE DU MALADE MENTAL
La commission de l’infraction que matérialise l’élément matériel doit exister pour engager la responsabilité pénale du malade mental. Il peut s’agir d’un acte commis ou d’une simple omission. Quel que soit le cas, il doit être prouvé pour donner un sens à l’application de l’article 4 de notre code pénal . C’est l’accomplissement de ce fait matériel qui permet de prouver l’existence de la culpabilité, c’est-à-dire pour le malade mental, la commission de l’infraction. Celle-ci est généralement appréciée sans difficulté majeure et son existence peut aboutir à l’irresponsabilité ou à la responsabilité du délinquant. En outre, la déclaration d’irresponsabilité ne fait pas disparaître l’élément matériel, il continue d’exister d’où la possibilité offerte pour la victime d’engager la responsabilité civile afin d’obtenir réparation de son préjudice. Par contre l’infraction commise avec la complicité du dément va engager la responsabilité pénale de tous ceux qui ont participé à cette commission et qui ne peuvent excuser leur acte. Cet élément matériel varie suivant l’infraction entraînant ainsi une variation dans l’application de la peine.
Notons enfin que cet élément matériel, non moins important que l’élément moral de l’infraction a des incidences certaines sur la décision du juge pénal dans le procès du malade mental.
L’ELEMENT MORAL DANS L’INFRACTION PENALE DU MALADE MENTAL
Cet élément moral tourne autour de deux conditions : d’abord la faculté d’apprécier le caractère illicite de l’acte commis, c’est la faculté cognitive qui détermine les moyens intellectuels de développer une capacité de représentation mentale, de raisonnement. Ensuite, il y a la faculté volitive qui signifie la volonté, malgré le fait de savoir l’acte interdit, de résister ou de ne pas le commettre. Il s’agit des moyens psychiques de contrôler « ses motivations, ses impulsions » . La diminution des facultés mentales du délinquant permet la mise en œuvre de son irresponsabilité. En effet la démence doit affecter non seulement la capacité de discerner les limites de la légalité mais également cette « intention de nuire » qui exprime la volonté de choisir, de décider. C’est cette intention altérée qui rend « excusable » le fait illicite du malade mental entraînant ainsi la suppression de sa responsabilité pénale car il est considéré comme « anormal ». De ce fait, la logique protectrice de la société ne permettrait pas qu’il soit appliqué le châtiment que le malade mental ne saurait comprendre, comme c’est le cas de l’homme « normal », doué de raison, de capacité de discernement. Cela soulève l’éternel problème de l’homme normal à coté de celui anormal qui pose la question de la volonté coupable. Celle-ci pouvant être une circonstance qui permet d’écarter l’application de la peine lorsqu’il a été fait la preuve de son altération : elle sera alors considérée comme une cause de non culpabilité du délinquant dément alors que tous les éléments sont réunis pour le châtiment. Dès lors, un même meurtre peut être commis soit par une personne saine d’esprit, soit par un malade mental. Ne sera en principe punissable que la première personne car, dans le deuxième cas, la faculté cognitive qui est le discernement et la faculté volitive c’est à dire « le contrôle des actes » sont inexistantes d’où le malade mental sera pénalement irresponsable donc, ne pourra pas être puni.
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Table des matières
INTRODUCTION
IERE PARTIE : CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE PENALE DU MALADE MENTAL AU SENEGAL
Chapitre 1 : Eléments constitutifs de la responsabilité pénale du malade mental
Chapitre 2 : le médecin psychiatre dans le déroulement du procès pénal du malade mental
IIEME PARTIE : LES DECISIONS DU JUGE PENAL DEVANT LE CAS DE DEMENCE
Chapitre 1 : La déclaration d’irresponsabilité par la Jurisprudence Sénégalaise.
Chapitre 2 : Les mesures sanctionnant l’irresponsabilité du malade mental au Sénégal
CONCLUSION