Electromigration dans des interconnexions en cuivre
L’intégration 3D est un pan de la microélectronique en plein développement. Après les difficultés de développement liées aux procédés de fabrication, les technologies doivent prouver leur résistance aux divers modes de défaillance. Parmi les mécanismes présentés en introduction, il semble judicieux de s’intéresser plus particulièrement à l’électromigration. Ce phénomène représente un fort risque de défaillance, à la fois dans les interconnexions traditionnelles et pour les nouvelles technologies 3D. De plus, les feuilles de route de réduction de l’intégration 3D laissent présager une croissance de ce risque.
Technologies étudiées
Les interconnexions électriques jouent un rôle fondamental dans les circuits intégrés. Le BEoL connecte les éléments du Front-End of Line (FEoL) entre eux et avec l’extérieur. Pour l’intégration 3D, les TSV relient électriquement les deux faces d’une même puce en vue de la transmission verticale de l’information.
Interconnections double-damascène du BEoL
Le réseau d’interconnexions du BEoL est un ensemble de lignes métalliques distribuées sur quatre à dix niveaux, connectés les uns aux autres par des vias .
Aux débuts de la microélectronique, les interconnexions du BEoL sont produites en aluminium. Ce matériau abondant est un bon conducteur électrique. De plus, grâce à l’existence d’une gravure sélective, le procédé de fabrication des niveaux métalliques est relativement simple. Cependant, pour suivre la miniaturisation des transistors, les dimensions des interconnexions se réduisent continuellement, entrainant une hausse de leur résistance électrique. Les performances des circuits sont alors diminuées, notamment concernant les délais de transmission de l’information [NTRS1997]. Un changement de matériau s’est alors imposé.
Parmi les différents candidats, tels que l’or et l’argent, le cuivre se démarque. Il possède une meilleure conductivité électrique que l’aluminium et abonde également. De plus, sa meilleure résistance à l’électromigration est déjà démontrée [GRONE1961]. Son adoption tarde pourtant, car elle nécessite un changement radical du procédé de fabrication et donc un fort investissement initial. En 1997, IBM annonce la réalisation de la première puce avec les interconnexions entièrement en cuivre [ANDRICACOS1998]. Les autres acteurs du marché suivent alors le mouvement. Pour réaliser des interconnexions en cuivre, un procédé de forge utilisé à Damas et datant de plusieurs siècles est adapté à la microélectronique : le procédé damascène [KAANTA1991]. Il consiste à creuser le motif des lignes métalliques après photolithographie dans un diélectrique déposé sur la face avant de la puce . Une barrière à la diffusion du cuivre recouvre les faces inférieures et les flancs de chaque niveau. Elle est généralement composée d’une couche de TaN/Ta ou TiN. Par ailleurs, un matériau de passivation est déposé en surface du cuivre pour éviter sa diffusion. Avant d’intégrer simultanément le via et la ligne, devenant alors le procédé doubledamascène, la première version consistait à les réaliser en deux séries d’étapes distinctes.
En résumé, le procédé double-damascène est développé spécifiquement pour l’intégration des interconnexions en cuivre. Le métal est confiné entre une barrière métallique et une couche de passivation. Les niveaux fonctionnent par paire entre le via et la ligne.
Le TSV, brique essentielle de l’intégration 3D
Aux prémices de l’intégration 3D, les puces empilées communiquaient entre elles par câblage filaire, avec un substrat ou un boitier comme intermédiaire. Or, du fait de la taille des plots de connexion (50 – 70 µm) et de leur positionnement en bords de puces, ceux-ci définissaient la taille minimale des puces. L’amélioration des performances était donc limitée. Les TSV sont développés notamment pour remédier à ce problème.
Généralités sur les TSV
Les TSV sont des interconnexions intra-puces, qui relient électriquement le BEoL de la face avant et la couche de la RDL de la face arrière . Leur hauteur est donc égale à l’épaisseur de silicium de la puce et dépend de l’application. Elle atteint jusqu’à quelques centaines de micromètres.
TSV last haute densité
Avec une hauteur de 15 µm et un diamètre de 3 µm , le TSV last haute densité est conçu pour une densité d’intégration de 10⁶ cm-2 . Il est le plus petit TSV développé par le CEA Leti au commencement de cette thèse. Ses dimensions en font le TSV le plus à risque vis-à-vis de l’électromigration. Par ailleurs, l’analyse de sa fiabilité par [FRANK2013] constitue une base de départ pour cette thèse.
Phénomène d’électromigration
Les études de fiabilité sont réparties en trois grandes catégories, selon que la défaillance est induite par l’environnement, le transport de charges ou le déplacement de matière [OHRING1998]. Dans cette dernière catégorie, l’électromigration est le mécanisme dont la criticité augmentera le plus avec la réduction de la taille des interconnexions 3D. De plus, la compréhension précise du phénomène est nécessaire pour proposer des solutions d’amélioration concrètes. Cette thèse se concentre donc sur ce phénomène.
Explication physique
Après une première observation en 1861 par M. Girardin, un chercheur français, l’intérêt pour l’électromigration n’est resté longtemps que purement scientifique. L’arrivée des premiers circuits intégrés (1958) marque un tournant. Leur durée de vie n’excède pas quelques semaines et empêche ainsi leur commercialisation. Les industriels commencent alors les études de fiabilité pour comprendre le mécanisme de dégradation et retarder la défaillance. Après le principe de base du phénomène, cette partie explique quels sont les effets observables et mesurables de la dégradation. La mise en évidence d’une force de contreréaction est détaillée en troisième partie, avant d’expliquer le mécanisme de diffusion atomique à la base du phénomène. Ensuite, l’effet de concentration de courant est présenté et finalement les discussions sur les conditions de nucléation sont résumées.
Principe de base
L’électromigration (BeoL) est un phénomène de transport de matière dans les métaux, induit par une forte densité de courant et fortement influencé par la température et l’état de contraintes mécaniques.
Lorsque le courant circule, deux forces s’exercent sur les atomes [CERIC2011]. La première est la force électrostatique et la seconde est liée au flux d’électrons. Ces derniers transfèrent de la quantité de mouvement aux atomes lorsqu’ils les percutent. Les deux forces sont proportionnelles au champ électrique appliqué, ?⃗ . Pour cette raison, leurs contributions sont regroupées sous un même terme, ?∗, appelée valence (charge) effective.
Effets observables et impact sur les circuits
Le transport de matière aboutit à la défaillance des circuits, c’est-à-dire que les puces ne remplissent plus leurs fonctionnalités ou n’ont plus les performances souhaitées. Pour le phénomène étudié, la perte de performances est liée à l’augmentation de la résistance , qui allonge les délais de transmission (facteur RC). Selon l’application finale, une augmentation de 5, 10 ou 20 % de la valeur de la résistance est critique. Dans le cadre d’études de R&D ne visant pas d’application précise, le critère est choisi arbitrairement. Usuellement, il est considéré à 10 %, mais certains auteurs le choisissent à 20 voire 50 % [HU1999b, HAU-RIEGE2001].
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Table des matières
Introduction
Chapitre I Électromigration dans des interconnexions en cuivre
A. Technologies étudiées
A.I. Interconnections double-damascène du BEoL
A.II. Le TSV, brique essentielle de l’intégration 3D
A.II.1. Généralités sur les TSV
A.II.2. TSV last haute densité
B. Phénomène d’électromigration
B.I. Explication physique
B.I.1. Principe de base
B.I.2. Effets observables et impact sur les circuits
B.I.3. Contrepoids à l’électromigration : la force de retour
B.I.4. Mécanisme de diffusion atomique
B.I.5. Effet de concentration du courant
B.I.6. Conditions de nucléation
B.II. Méthodologie d’étude
B.II.1. Méthodes
B.II.2. Structures de test
C. Étude de l’électromigration dans les TSV
C.I. Connaissances issues des études expérimentales
C.I.1. Position des cavités à la défaillance
C.I.2. Comportement de la résistance électrique
C.I.3. Influence de l’épaisseur des lignes
C.I.4. Paramètres de Black et mécanisme de défaillance
C.II. Apport des méthodes numériques
C.II.1. Nucléation et évolution des cavités
C.II.2. Analyse comparative des forces motrices
C.II.3. Étude comparative de paramètres
D. Complément d’étude : électromigration dans le BEoL
D.I. Défaillance des interconnexions du BEoL
D.II. Rôle de la microstructure
D.II.1. Influence des joints de grains
D.II.2. Impact de l’orientation cristalline
E. Conclusion
Chapitre II Développement d’une méthode inédite de caractérisation in operando du phénomène d’électromigration dans les interconnexions 3D
A. Réalisation du banc de test
A.I. Choix de la technique d’imagerie
A.II. Accélération du vieillissement par la température
A.III. Accélération du vieillissement par l’injection du courant d’électromigration
A.IV. Caractérisation électrique de la dégradation
A.V. Conclusion
B. Validation de la méthodologie et des choix techniques
B.I. Structure de test et préparation d’échantillons associée
B.I.1. Méthode pour forcer la localisation des défauts
B.I.2. Préparation d’échantillons pour des micrographies MEB de qualité
B.II. Choix des conditions expérimentales
B.III. Caractérisation de la dégradation par électromigration
B.III.1. Comportement électrique de l’échantillon
B.III.2. Évolution du défaut tueur
B.III.2.a. Cinétique d’évolution
B.III.2.b. Allongement de la durée de vie par effet réservoir
B.III.2.c. Chemin préférentiel de diffusion
B.III.3. Relation entre évolutions de la résistance et du défaut tueur
C. Conclusion
Chapitre III Détermination des facteurs d’influence du mécanisme d’endommagement par électromigration
A. Évolution de la résistance électrique des échantillons
B. Analyse détaillée du phénomène d’électromigration
B.I. Les défauts secondaires, un autre point de vue sur l’électromigration
B.I.1. Cavités dans les amenées de courant
B.I.2. Cavités à la cathode (I-)
B.I.3. Extrusions à l’anode (I+)
B.I.4. Accumulation de matière au-dessus des quatre TSV
B.I.5. Cavités sous les quatre TSV (côté cathode)
B.II. Caractérisation en temps réel du phénomène, la spécificité de l’étude
B.II.1. Impact des conditions de test
B.II.1.a. Sur la phase de nucléation
B.II.1.b. Sur la croissance des cavités
B.II.2. Phénomène de guérison des cavités
B.II.3. Formation des ilots de type B
B.III. La microstructure, un paramètre déterminant ?
B.III.1. Microstructure initiale des échantillons
B.III.2. Influence de la microstructure sur la nucléation
B.III.3. Impact de la microstructure sur la croissance des cavités
C. Discussion du modèle analytique de Frank
D. Conclusion
Chapitre IV Premiers pas vers un modèle éléments finis, prédictif et multiphysique
A. Cahier des charges et définition du modèle multiphysique
A.I. Objectifs et limites
A.II. Détails du modèle multiphysique
A.II.1. Problème thermo-électrique
A.II.2. Problème d’électromigration
A.II.3. Problème mécanique
A.II.4. Conditions de nucléation
A.III. Synthèse du modèle
B. Implémentation du modèle éléments finis
B.I. Outils de simulation par éléments finis
B.I.1. Logiciel Forge
B.I.2. Logiciel COMSOL Multiphysics
B.II. Présentation de la méthodologie
B.III. Implémentation du modèle
B.III.1. Géométries et valeurs numériques utilisées
B.III.2. Étape 1 : couplage thermo-électrique
B.III.2.a. Équations
B.III.2.b. Données du problème
B.III.2.c. Résultats
B.III.3. Étape 2 : deux grains
B.III.3.a. Équations
B.III.3.b. Données du problème
B.III.3.c. Résultats
B.III.4. Étape 3 : rôle de la contrainte mécanique
B.III.4.a. Équations
B.III.4.b. Données du problème
B.III.4.c. Résultats
B.III.5. Étape 4 : passage à une structure complexe
B.III.5.a. Équations
B.III.5.b. Données du problème
B.III.5.c. Résultats
C. Application au cas du TSV last haute densité
C.I. Polarisation vers le haut
C.II. Polarisation vers le bas
D. Conclusion
Conclusion
Bibliographie