Méthodologie
Toute entreprise à visée scientifique se doit d’expliciter son approche et sa méthode de travail afin d’être légitime pour se confronter avec d’autres références en la matière. C’est ce que nous allons tenter de faire ici en présentant la méthodologie utilisée, avec ses limites.
Type d’approche et détermination de la méthode
Nous avons retenu l’approche inductive pour cette recherche, du fait de sa relative facilité de mise en œuvre, y compris pour un néophyte. Mais les débats épistémologiques sur la scientificité de l’induction nécessitent de revenir sur la définition que nous en avons retenue ici, afin d’éviter toute confusion. Ainsi l’approche inductive est un raisonnement qui consiste à passer du spécifique au général à partir de faits observés ou rapportés. Le chercheur aboutit à une idée par généralisation et non par vérification à partir d’un cadre théorique préétabli, comme c’est le cas dans la démarche hypothético-déductive.
Nous sommes donc partis d’un questionnement initial autour des usages des pure players d’information pour le confronter à la réalité vécue par un échantillon d’usagers, afin d’en dresser un portrait informationnel, qui reflète leurs motivations, sentiments et représentations autour de cet « engagement médiatique », marginal au sein de la population.
La méthode choisie pour produire des résultats est celle du recueil de données qualitatives, les mieux à même de fournir un matériau porteur de significations, les quantifications n’étant pas au cœur de notre problématique.
Nous avons considéré que l’entretien individuel serait la méthode de récolte des données la plus indiquée pour constituer ce matériau de travail. Il permet en effet de mettre l’expérience vécue de l’acteur au premier plan et de déterminer ainsi son système de représentations et ses pratiques sociales. Toutefois, pour faciliter le traitement des données et la comparaison entre les discours tenus, nous avons opté pour des entretiens semi-directifs avec une grille de thématiques à aborder, constituée à partir de notre questionnement et de l’état de la littérature scientifique (Bréchon, 2011). Les questions proposées étaient donc orientées autour de l’écosystème médiatique de chacun, de ses représentations du métier de journaliste avec l’incursion de pratiques amateurs, de ses motivations quant à son abonnement à des pure players et du rôle que ces sites pouvaient jouer dans le paysage médiatique actuel.
Socio-taille de l’échantillon
Les enquêtés
L’enquête présentée a été réalisée auprès de sept personnes, âgées de 30 à 67 ans, ayant été ou étant encore abonnées à un ou plusieurs des pure players choisis. Deux personnes ont préféré répondre par écrit au questionnaire, ce qui, sans invalider leurs réponses, fournit un biais dans l’interprétation. Il est également à noter que parmi les enquêtés, trois personnes sont journalistes de profession, deux travaillant pour la presse quotidienne régionale, et une en tant que pigiste.
L’échantillon fourni est fortement féminin, majoritairement quadragénaire, ayant à une exception près connu le paysage médiatique d’avant le Web. Tous sont fort consommateurs de presse, et ont un intérêt certain pour l’actualité. Si l’engagement politique n’est pas clairement mis en avant, ils partagent une même orientation d’opinion vers la presse dite « de gauche ».
Il est à noter ici le biais indéniable que constitue le regard bienveillant porté par le chercheur lui-même sur le sujet traité, et qui a nécessité une objectivation et un recul indispensables pour mener à bien cette entreprise. Toutefois, le recrutement de l’échantillon s’en ressent puisqu’il s’est fait essentiellement dans son cercle relationnel plus ou moins proche. Dans certains cas, cela a donné la possibilité de revenir , en aval des entretiens, sur certaines questions.
Pour le confort de la lecture, nous avons fait le choix de ne pas utiliser de code pour nommer les enquêtés mais de modifier leurs prénoms, comme cela a pu être fait dans d’autres travaux (Aubert, 2009).
Le corpus de commentaires
Les ajustements de la question initiale, inhérents à tout processus de recherche, nous ont amenée à écarter l’analyse d’un corpus de contributions d’internautes de ces pure players. Toutefois, leur lecture régulière, au cours du travail préparatoire, a permis d’établir certaines thématiques à aborder, reprise dans le guide d’entretien. À titre d’exemple, les menaces de désabonnement récurrentes dans les commentaires, en cas de désaccord avec le traitement d’un journaliste sur un sujet, ont justifié la neuvième question (voir guide d’entretien). Si ces données ne constituent pas un matériau d’analyse dans le travail présenté ici, il a servi parfois de contrepoint au cours des échanges.
Le choix des sites proposés
Nous avons choisi des pure players d’information politique qui emploient des journalistes professionnels et dont le financement repose principalement sur leurs abonnés, en occultant volontairement des sites avec des logiques différentes (bénévolat, engagement associatif, militantisme politique) (Smyrnaïos, 2013).
Arrêt sur images et Mediapart incarnent la première génération de pure players, nés en 2007-2008, qui a survécu, rejoints plus récemment par Là-bas si j’y suis, et sont intéressants à étudier parce qu’issus d’une même communauté de pensée. D’eux d’entre eux avaient une préexistence physique offline, et tous ont été fondés par des journalistes à la réputation installée qui ont quitté la presse classique, de façon plus ou moins forcée, pour se lancer sur le Web, avec donc un positionnement revendicatif.
Procédure:Consignes,déroulement chronologique
Les données ont toujours été recueillies dans le cadre d’une conversation aimable – voire amicale –, dans des lieux familiers pour les enquêtés. Les entretiens ont tous eu une durée à peu près similaire, avec une moyenne d’une quarantaine de minutes, répartis sur environ six mois, de janvier à juin 2016. Ils se sont déroulés en présentiel pour la majorité, à l’exception d’un où la distance physique a entraîné l’utilisation de Skype, et de deux qui ont répondu au questionnaire par écrit. Le matériel utilisé consistait en des enregistrements audio sur dictaphone, puis en une retranscription manuscrite, et seulement ensuite en une saisie sur traitement de texte. Cette façon de faire a augmenté le temps de travail et n’est possible qu’avec un faible nombre d’enquêtés, mais a permis d’avoir un œil plus affûté sur les permanences et les divergences dans les réponses apportées par les interviewés.
Résultats
Situation des pure players étudiés
La recherche proposée s’intéresse à trois pure players payants qui offrent un journalisme original et de qualité. Le modèle payant semble être gage de longévité, puisque Arrêt sur images et Mediapart vont bientôt fêter leur dixième année d’existence, avec des chiffres, surtout pour ce dernier, en constante progression. Misant sur l’investigation ou le débat-entretien longs, ils affichent une volonté farouche de se démarquer des médias dominants pour leur traitement de l’information. Indépendants financièrement, ils bénéficient d’un succès d’estime pour la qualité de leurs enquêtes et leur angle de travail. Ils veulent incarner une sorte d’idéal journalistique à l’heure où l’on dénonce le « bâtonnage » des dépêches et la « culture du clic » chez leurs confrères, minés par l’influence des annonceurs.
Daniel Mermet et son émission Là-bas si j’y suis, qui existait depuis 1989 sur France Inter, est le petit dernier de ces exilés : remercié de la station publique en 2014, il décide de poursuivre son émission sur le Net, sur abonnement également. Tous ont investi le champ du participatif, surtout pour Mediapart, concept issu de l’émergence du Web 2.0, et essaient de nouer avec leur lectorat abonné des relations nouvelles dans le champ de l’implication, à des échelons et avec des modalités diverses, du simple forum à l’intégration de blogs sur leur site. L’exercice peut sembler périlleux pour ces journalistes de la vieille génération, tous issus des médias traditionnels, à la différence des jeunes confrères beaucoup plus versés dans le fonctionnement communautaire et le travail collaboratif.
Quelles sont les évolutions notables depuis leur création ?
Arrêt sur images
Les spécificités originelles n’ont guère évolué, avec une émission phare hebdomadaire sous forme de vidéo, dont la qualité n’était pas optimale jusqu’au passage récent en haute définition, avec un plateau modeste, sans montage, animé par le journaliste fondateur assisté d’un journaliste enquêteur qui accueille un ou plusieurs invités sur une thématique donnée, sous forme de débat ou d’entretien, dans un format relativement libre qui oscille entre une et deux heures. On peut toutefois noter que la thématique privilégiée de la critique des médias s’est progressivement élargie sur des questions plus sociétales ou politiques. Des émissions connexes en lien avec l’informatique, la culture, les jeux vidéo ont progressivement disparu, soit par restriction budgétaire, soit par essaimage : c’est le cas de Judith Bernard, fondatrice, sous le parrainage d’Arrêt sur images et sur la base du financement participatif, du pure player Hors série, qui propose également des entretiens filmés. Des journalistes ont également quitté l’aventure pour aller vers d’autres sites indépendants, comme Dan Israel, qui a rejoint Mediapart.
Le nombre d’abonnés est relativement stable, aux alentours de 26 000 en 2016 contre 27 000 en 2012. Daniel Schneidermann ne fait pas mystère des difficultés financières qui jalonnent l’histoire du site, mais n’hésite pas, et avec un certain succès, à faire appel aux dons, sur des plateformes de crowdfunding (Ulule, J’aime l’info), comme ce fut le cas récemment pour le redressement fiscal afférant à la TVA de la presse en ligne. Il assume à lui seul la promotion du site, reste actif sur les réseaux sociaux et essaie de donner le plus de visibilité possible à ses écrits en intervenant régulièrement sur des médias dits mainstream comme Libération et Rue 89, ce dernier désormais dans le giron de L’Obs.
Contrairement à Mediapart, le site n’est pas présenté comme ouvertement participatif. Il promeut la communauté des @sinautes qui participent à un forum dédié, mais celui-ci est relativement marginalisé sur la page d’accueil du site. L’implication des journalistes y est faible, et l’ergonomie du forum est rudimentaire. Cette communauté est toutefois à l’origine du développement bénévole des applications Iphone, Android et Ipad pour faciliter les usages mobiles.
Mediapart
En moins de dix ans, Mediapart s’est installé dans le paysage médiatique français comme un site de référence pour l’indépendance de ses enquêtes, et fait désormais partie des sources reconnues comme sûres, au même titre que le Canard enchaîné. C’est toutefois le média d’investigation plus que le média participatif qui est ainsi mis en avant. Le seuil symbolique des 100 000 abonnés a été franchi en 2014, et le nombre d’abonnements est en constante progression. Le site propose quatre ou cinq articles de fond, souvent longs, renouvelés quotidiennement, écrits par des journalistes professionnels, sur des thématiques essentiellement politiques, sociales et culturelles, avec des angles de traitement qui se démarquent volontairement des autres journaux. Mais ce décalage volontaire ne se retrouve pas dans la mise en forme des papiers ou dans la structure du site, qui reprend la mise en page traditionnelle d’un journal papier comme Le Monde. Ce manque d’innovation dans l’ergonomie du site, qui contraste avec le potentiel technique offert par la numérisation, est pointé du doigt par certains enquêtés, le qualifiant de « journal de vieux » (Laurence) qui souffre d’une « inamovibilité chronique », et qui souhaiteraient voir la lisibilité et la navigation dans le site s’améliorer (carte heuristique, accès aux vidéos). Malgré tout, le journal s’est enrichi progressivement de nouveaux outils de diffusion avec la vidéo et le podcast, soit avec des entretiens ponctuels enregistrés, soit avec des émissions en direct, Les Live de Mediapart, à périodicité variable en fonction de l’actualité : la couverture des scrutins électoraux, par exemple, répond à une volonté assumée de proposer une alternative aux traditionnelles soirées électorales convenues sur les chaînes de télévision nationales. La mise en scène est alors révélatrice de la philosophie du journal : le spectateur est plongé au cœur de la rédaction qui se présente sous la forme d’un plateau ouvert où tous les journalistes seraient sur un pied d’égalité, entourés de bibliothèques remplies de livres – caution de gens bien éduqués. Au centre, assis sur de simples chaises, journalistes et invités conversent, sans la frontière du bureau classique, avec un roulement de trois ou quatre plateaux différents qui rythment la soirée, d’une durée d’environ quatre heures, sur une thématique unique. L’interaction avec le public est nulle et non avenue – pas de tweets, de questions du public en direct –, on est en vase clos, sans perturbation extérieure.
C’est en effet la notion de club qui constitue l’assise du fonctionnement du journal, une notion instituée par la dichotomie entre productions professionnelles et amateurs, visible dès la page d’accueil. Les abonnés formeraient donc eux aussi un club, avec la possibilité de s’exprimer soit sous forme de blog, soit sous forme de commentaires. Ils sont ainsi, selon les données fournies par Mediapart , plus de cent vingt à prendre la parole quotidiennement sur le site. Cette prolixité et les revendications des internautes ont amené de nombreux aménagements successifs dans l’organisation du site, mais sans révolution véritable : on parle bien de journal participatif, mais pas de journal citoyen, comme pour Agoravox ou Rue 89 avec une conférence de rédaction commune par exemple, ou alors à la marge.
La recherche d’une diversification des ressources se traduit par une activité éditoriale relativement importante, avec des publications régulières d’ouvrages au format ebook ou, si le journaliste signataire bénéficie d’une couverture médiatique suffisante, au format papier. Le site coédite en partenariat avec la maison d’édition La Découverte une revue dédiée aux idées et à la culture, La Revue du crieur, et fait bénéficier de sa notoriété, grâce à des collaborations affichées, d’autres pure players plus confidentiels, le dernier exemple en date étant En attendant Nadeau. Le journal propose aussi son soutien actionnarial à une initiative identique en Europe, avec une participation au site espagnol Info libre. Enfin, l’activité promotionnelle passe aussi par des déplacements en province, avec l’organisation de tables rondes lors d’événements culturels, et par de fréquentes interventions dans les médias des journalistes les plus célèbres.
… Mais remis en question au nom de l’accès de tous à l’info
Si se libérer de la publicité est un atout, le modèle payant pose néanmoins un problème.
En effet, tous les interviewés s’accordent sur le fait que le modèle actuel de la presse traditionnelle n’est pas viable, car la mainmise de groupes industriels sur les organes d’information pose un problème déontologique majeur d’indépendance éditoriale et économique. Et pourtant, cette situation d’équilibriste est plus ou moins acceptée par les trois représentantes de la profession, bien conscientes qu’il s’agit également de leur survie dans l’attente d’un modèle salvateur. Le modèle payant suscite chez elles de l’envie, mais également des doutes, car il remet en question l’idéal d’accès de tous à l’information, et audelà pose des questions sur le pluralisme réel des médias. Pour deux d’entre elles, la publicité est un pis-aller avec lequel il faut composer. Pour la troisième, qui travaille essentiellement sur le Web, le modèle payant n’est pas généralisable et de nouvelles solutions doivent être envisagées. Marie parle ainsi d’un Spotify de la presse en ligne où un abonnement unique et relativement modique donnerait accès à plusieurs médias indépendants, au même titre que la redevance télévisuelle. Et l’idée semble d’ailleurs faire son chemin à un niveau certes modeste, mais notable, avec la création en juillet 2016 du site La Presse libre , qui regroupait à cette date trois sites de presse en ligne auxquels on peut s’abonner en un seul paiement, à un tarif préférentiel.
Du côté des lecteurs, le mythe de la gratuité sur le Net, qui remonte aux origines du Web et qui est une affaire de geeks selon Pierre, ne peut plus tenir à l’heure actuelle où les multinationales s’emparent des outils d’information et de communication. On retrouve cette idée avec le slogan bien connu, repris par Laurence de façon lapidaire sur cette question de la gratuité, « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». Pour Marc, la nécessité de payer pour accéder à une information de qualité, c’est « comme quand on va chez un psy », il s’agit du même engagement sous-jacent, au même titre que la démarche d’analyse personnelle.
Mais se pose la question financière pour beaucoup, avec une impossible démultiplication de ces abonnements. Jeanne pense que c’est uniquement une question de moyens et évoque la possibilité d’« une gratuité pour les plus pauvres » et salue le choix, de la part des sites étudiés, de tarifs d’abonnement modulables, tout en regrettant qu’ils n’aillent pas plus loin. Est ainsi relevé ce paradoxe d’un modèle payant, libérateur, garant de l’indépendance éditoriale, mais d’un modèle discriminant, qui plus est par l’argent, ce qui est un comble pour des gens de gauche. Payer pour s’informer n’est pas ni une nouveauté ni une hérésie, mais l’inflation des abonnements susceptibles d’être intéressants pose problème.
Le financement participatif, une porte de sortie
La recherche de solutions nouvelles qui garantissent tout à la fois le pluralisme des voix et la survie économique des médias est au cœur de leur réflexion sur les médias. Toutes les personnes interrogées souscrivent unanimement à cette idée de soutenir financièrement tout projet de création, ou d’aide à la survie de sites, dont la ligne éditoriale susciterait un intérêt pour eux. À ce titre, on peut noter que le crowdfunding représente avant tout un acte militant, en dehors même de la souscription à un abonnement, comme Marie, qui a apporté son écot à l’appel au don lancé par Arrêt sur images, sans y être abonnée, dans le cadre du redressement fiscal qui pesait sur ce site et sur Mediapart dans le conflit qui les opposait au fisc sur la TVA de la presse en ligne. C’est le signe d’un engagement au nom de la liberté de la presse dans le cadre de réseaux alternatifs pour Marc ; plutôt donner les moyens à ceux qui font les choses sérieusement et qui ont un vrai impact pour Jade.
Si le financement participatif ne peut à lui seul sauver les médias, il peut faire partie intégrante de la réflexion à mener sur des solutions d’avenir qui garantissent la rémunération de journalistes professionnels, inscrits dans des productions éditoriales de qualité, à l’écart des pressions des industries médiatiques.
Pratiques informationnelles
Pour toutes les personnes sollicitées, la consultation des médias d’information générale, quels qu’ils soient, est une activité quotidienne et coutumière depuis longtemps, et, même si le temps passé dépend étroitement de l’activité professionnelle, il reste conséquent, voire très soutenu. Elles ont ainsi développé un appareil critique étayé vis-à-vis du système médiatique actuel.
Regards sur le paysage médiatique actuel
Deux maux essentiels sont soulevés. D’une part, les grands groupes de presse sont détenus par quelques milliardaires dont les visées sont assez troubles : on retrouve ainsi l’idée d’une volonté de la part de ces industriels d’orienter l’opinion, comme a pu le souligner l’École de Francfort, vers plus de consommation (Laurence), ou de promouvoir implicitement le néolibéralisme avec l’uniformisation des contenus économiques dans les journaux (Pierre).
Cette idée en tout cas interroge sur la véracité des discours tenus dans les médias à cause de leur inféodation au pouvoir politique ou économique. « L’information est mise en cage pour que les gens pensent à autre chose » (Marc). La constitution de ces groupes de presse tentaculaires questionne le pluralisme et l’indépendance des médias, et remet en question le travail des journalistes qui peuvent être soumis à censure ou autocensure. « On est dans un grand robinet d’eau tiède » (Marc) où l’on évince progressivement les journalistes un peu critiques ou décalés, commet Daniel Mermet ou Daniel Schneidermann.
D’autre part, c’est l’orientation même prise par le travail journalistique dans ces médias dominants qui est dénoncée, avec en particulier « la culture du clic » qui engendre la fin de la spécialisation et le manque d’expertise (Jeanne), la recherche du buzz avec des sujets vides basés uniquement sur l’accroche (Marie), bref, d’une presse où l’événementiel (Laurence) passe avant l’analyse, où les faits divers, l’anecdotique, dominent, Buzzfeed ayant contaminé la presse traditionnelle.
Persistance d’utilisation de certains médias traditionnels
Malgré la vivacité de ces critiques, les pratiques médiatiques restent empreintes d’habitudes anciennes et persistantes, en particulier pour ce qui est de l’écoute de la radio.
Pour cinq personnes sur les sept interrogées, France Inter est la première source d’information matinale ou méridienne, et reste en fond sonore tout au long de la journée, s’accordant au rythme des activités. Ainsi pour Laurence, c’est une sorte de deuxième présence, et une source permanente et subie d’information pour Marie. L’attachement à certaines émissions, à certaines voix est notable, comme le montre l’affection pour Là-bas si j’y suis de Jeanne et Pierre, et la radio est devenue également un outil pour générer des interrogations à analyser ensuite sur le Web. Seule la personne la plus jeune n’a pas mentionné ce média, et de fait ne connaît que vaguement Daniel Mermet.
En revanche, le rejet pour la télévision comme média d’information est quasiment unanime et catégorique et acté de façon très ancienne pour la plupart. Seule Jade, la plus jeune, se démarque encore, car sa source d’information matinale n’est pas le « 7/9 » d’Inter, mais la chaîne d’information en continue Itélé ; elle se refuse à regarder BFM parce qu’elle les trouve « trop proches des médias racoleurs anglo-saxons ». Pour les autres, les journaux télévisés sont au mieux un souvenir d’enfance plus ou moins heureux dans le cadre familial, au pire, l’incarnation d’un média qui distille des informations biaisées, abêtissantes, avec des images qu’« on n’a pas envie de voir » (Marie). Elle a disparu des foyers ou n’a jamais existé, c’est selon, ou encore est devenue un mobilier purement décoratif.
Le marasme qui touche la presse écrite se retrouve en actes dans les paroles de notre panel, qui admet ne plus acheter et ne plus consulter de presse papier généraliste depuis le développement de la presse en ligne. Seules exceptions, mais non significatives, Émilie et Jade, qui lisent la presse quotidienne régionale dans le cadre de leur travail.
La presse magazine sort son épingle du jeu, Laurence et Marc restent fidèles à quelques magazines ponctuellement ; Marie achète des « journaux événements à conserver », ou dans des circonstances particulières comme un voyage en train ; Pierre est abonné au Monde diplomatique et à Fakir depuis des années et compte le rester par soutien militant pour le premier, par goût pour le second ; Marc lit essentiellement des hebdomadaires, avec un abonnement ancien à L’Obs, au Canard enchaîné et aux Inrockuptibles.
En effet, l’arrivée d’Internet dans les foyers a sensiblement et progressivement changé leurs habitudes de consommation de l’actualité, démultipliant les sources d’information grâce à leur accessibilité instantanée, les supports (chaînes d’information scientifique YouTube pour Jeanne), ou les modalités d’accès qui ont en effet permis de ne plus seulement subir le flux informationnel mais d’en être un chercheur actif. Émilie apprécie ainsi l’instantanéité de l’accès à l’information, Marc fréquente la presse anglo-saxonne et, pour Pierre, la disponibilité immédiate des informations a eu pour conséquence.
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Introduction
1. État de la question
1.1 Des pure players au secours du pluralisme
1.1.1 La crise des médias
1.1.2 Les pure players d’information, une lueur d’espoir ?
1.1.3 Singularités remarquables
1.2 Une profession journalistique redimensionnée : le paradigme du journaliste actuel
1.2.1 Le modèle payant libère
1.2.2 Une ingérence salutaire du profane ?
1.3 Élargir l’espace public : le phénomène d’émancipation du lecteur
1.3.1 Un lecteur-auteur
1.3.2 Un lecteur diffuseur
2. Méthodologie
2.1 Type d’approche et détermination de la méthode
2.2 Socio-taille de l’échantillon
2.2.1 Les enquêtés
2.2.2 Le corpus de commentaires
2.2.3 Le choix des sites proposés
2.3 Procédure
2.4 Type d’analyse des données
3. Résultats
3.1 Situation des pure players étudiés
3.1.1 Arrêt sur images
3.1.2 Mediapart
3.1.3 Là-bas si j’y suis
3.2 Aspects économiques
3.2.1. Le modèle payant, un affranchissement salutaire par rapport à la publicité
3.2.2 … Mais remis en question au nom de l’accès de tous à l’info
3.2.3 Le financement participatif, une porte de sortie
3.3 Pratiques informationnelles
3.3.1 Regards sur le paysage médiatique actuel
3.3.2 Persistance d’utilisation de certains médias traditionnels
3.3.3 Réseaux sociaux, intermédiaires d’accès à l’information
3.3.4. Importance du fact checking
3.4 Les attentes par rapport au métier de journaliste
3.4.1 La notion d’expertise au cœur du questionnement
3.4.2 Un journalisme d’investigation
3.4.3 Un journalisme de conviction
3.5 La notion de participation, entre envie et agacement
3.5.1. La contribution, exercice chronophage et vain
3.5.2 Les forums et les commentaires
3.5.4 Considérations sur le journalisme participatif
Conclusion. Rôle des pure players dans le système médiatique
4. Discussion
4.1 Paradoxes autour de la question du pluralisme
4.2 Autour du journalisme
4.3 À la rencontre d’un public
4.4 Limites et implications de la recherche
Conclusion
Bibliographie
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