Dans le contexte écologique actuel, le domaine de la construction cherche des solutions alternatives pour réduire son impact environnemental dû principalement aux émissions carbones générées dans la phase de production des matériaux utilisés et à la performance énergétique des bâtiments durant leur durée de vie. Le géopolymère est un matériau cimentaire qui a reçu beaucoup d’attention dans les dernières décennies. Il est considéré comme une alternative intéressante au ciment Portland, émettant moins de dioxyde de carbone lors de la phase de production. Il est le produit de la réaction chimique d’aluminosilicates dans une solution alcaline. Ces aluminosilicates peuvent être des déchets industriels (laitier de hauts fourneaux, cendres volante, fumée de silice) ou des produits de faible impact environnemental (métakaolin, pouzzolanes). L’incorporation d’air dans ce système permet non seulement d’économiser la matière en la remplaçant par l’air, mais aussi de lui conférer des propriétés intéressantes en termes d’absorption thermique et acoustique.
L’un des enjeux majeurs dans l’élaboration de matériaux cimentaires aérés est de trouver un compromis entre leurs propriétés d’usage et leur performance mécanique. En effet, l’incorporation d’air dans ces matériaux réduit leur densité et donc leur résistance mécanique. La Figure 0-1 montre des résultats publiés dans la littérature sur la résistance à la compression de géopolymères aérés, fabriquées par différents matériaux et méthodes. On remarque que la résistance à la compression des géopolymères moussés diminue bien quand la masse volumique diminue, mais aussi que des densités inférieures à 200 kg/m3 n’ont pas été atteintes. L’élaboration de mousses fonctionnelles de géopolymère de faible densité, i.e. à haute porosité, nécessiterait de piéger l’air dans la pâte de géopolymère jusqu’à son durcissement. Or, les mousses sont des systèmes instables, qui vieillissent au cours du temps et subissent des mécanismes de déstabilisation très destructeurs de leur structure, comme le drainage, la coalescence et le murissement, qui concourent à réduire l’énergie de surface en réduisant les interfaces liquide-air. La stabilisation de ces systèmes complexes dépend donc des propriétés de la pâte de géopolymère et de la mousse aqueuse d’une part, et de l’interaction entre ces deux phases d’autre part.
Par ailleurs, les propriétés fonctionnelles des mousses solides dépendent fortement de leur morphologie. La taille des ouvertures entre les pores conditionne les propriétés de transport dans ces matériaux et de propagation des ondes acoustiques. Le contrôle morphologique de la structure de la mousse permettrait donc de mieux comprendre la relation entre leur microstructure et leurs propriétés fonctionnelles.
Etude bibliographique
De nombreuses études s’intéressent à l’élaboration de mousses de géopolymère et à la caractérisation de leur morphologie et de leurs propriétés physico-chimiques, acoustiques et mécaniques. Dans la littérature, on trouve principalement trois méthodes : (i) le moussage chimique, (ii) le moussage mécanique et (iii) le moussage par « voie émulsion ».
Moussage chimique
Le moussage chimique consiste à introduire du gaz dans la matrice géopolymère via une réaction chimique d’un agent expansif. Ce dernier est capable de produire une structure cellulaire dans les matériaux qui subissent un durcissement ou une transition de phase, comme les polymères, les plastiques et les métaux. Le gaz formé reste piégé dans la matrice sous forme de bulles jusqu’au durcissement. Parmi les agents porogènes utilisés dans la littérature pour la fabrication de mousses de géopolymères, on trouve essentiellement des éléments purs comme l’aluminium ou le silicium contenus respectivement dans la poudre d’aluminium [1], [2] ou la fumée de silice et les cendres volantes [3], [4], ou bien du peroxyde d’hydrogène [5].
Moussage mécanique
L’air peut aussi être entrainé mécaniquement dans la pâte de géopolymère, soit en agitant vigoureusement une pâte de géopolymère contenant un surfactant, ou bien en mélangeant la pâte à une mousse préformée. Dans ce cas, une mousse aqueuse est d’abord générée à l’aide d’un surfactant dilué dans une solution, puis mélangée mécaniquement à la pâte de géopolymère à faible vitesse pour ne pas casser les bulles [6], [7].
Moussage par « voie émulsion »
Ce procédé consiste à fabriquer des mousses de géopolymères en utilisant des «templates » par voie émulsion. Une émulsion est fabriquée en mélangeant vigoureusement des huiles organiques ou minérales à la pâte de géopolymère. La géopolymérisation se fait alors autour des gouttes d’huiles formées [8]–[12]. Comme indiqué dans l’introduction, l’objectif de cette thèse est de fabriquer des mousses de géopolymères à morphologie contrôlée. Nous avons donc choisi d’adopter la méthode d’entrainement d’air par l’ajout d’une mousse précurseur. En effet, si la structure de la mousse précurseure est contrôlée, l’enjeu principal sera de conserver sa morphologie une fois introduite dans la pâte de géopolymère (chapitre 2). Dans ce qui suit, nous nous intéressons aux propriétés respectives des deux constituants de notre système : la mousse aqueuse, et le matériau géopolymère.
Les mousses aqueuses
Les mousses sont des matériaux biphasiques où des inclusions gazeuses sont dispersées dans une phase continue liquide ou solide. Ces dernières sont sous forme de bulles ou de pores quand la phase continue est solide. La fraction volumique de la phase dispersée est assez élevée pour que les inclusions soient en contact entre elles. La fraction gazeuse nécessaire pour atteindre cette configuration est environ 0,64 qui correspond à la fraction volumique d’empilement aléatoire de billes sphériques. Cependant, comme les bulles peuvent se déformer, la phase gazeuse peut atteindre des valeurs élevées proches de 1. Les bulles ont alors des formes polyédriques, et la phase continue se trouve principalement dans les arêtes du réseau de la mousse.
La tension de surface
Pour obtenir des mousses, il faut créer un grand nombre d’interfaces entre les deux phases. Celles-ci ne sont pas stables à moins de les traiter d’une façon particulière. La création d’une interface entre deux fluides augmente l’énergie libre du système proportionnellement à la surface de l’interface [13]. Cette énergie libre additionnelle est appelée tension de surface γ. la cohésion entre les molécules du même type, qui résulte des interactions de Van der Waals, assure une énergie minimale dans le système en réduisant l’énergie libre. Quand une interface est formée entre deux fluides, les molécules à l’interface ne peuvent pas réduire leur énergie libre car elles ne peuvent pas se lier aux molécules de gaz. De ce fait, l’énergie libre à l’interface est plus grande que celle présente dans le reste de la phase continue.
Les tensioactifs
Les tensioactifs sont des molécules qui diminuent la tension superficielle en diffusant dans l’interface liquide-gaz. Ces molécules sont généralement amphiphiles, c’est-à dire composées de deux parties différentes : l’une hydrophile (tête polaire) et l’autre hydrophobe ou lipophile (queue).
Quand la concentration en tensioactif augmente, la tension superficielle diminue jusqu’à une valeur minimale. Cette valeur minimale est atteinte quand le tensioactif est à la concentration micellaire critique (CMC). Au-delà de cette valeur de concentration, les molécules de tensioactifs forment des micelles en regroupant leurs queues hydrophobes et en les séparant de l’eau par les têtes polaires (Figure 1-1). L’augmentation de la concentration au-delà de la CMC n’a alors plus d’impact sur la tension superficielle [13], [14]. Par ailleurs, dans le cas d’un film, la répulsion de nature stérique ou électrostatique (si les molécules de tensioactifs sont chargées) entre les couches de tensioactifs adsorbés sur ces deux interfaces s’oppose à la rupture du film [13], [15], [16]. Les tensioactifs jouent donc un grand rôle dans la stabilité des mousses. Le poids du tensioactif influe sur son comportement. Les molécules de tensioactifs lourdes (comme les protéines) diffusent plus lentement du bulk de la solution aux interfaces, et ne produisent pas beaucoup de mousses ; en revanche, la mousse créée par ces tensioactifs est plus stable dans le temps, car les molécules adsorbées aux interfaces se désorbent difficilement [17]. Les tensioactifs de taille plus petite diffusent plus rapidement dans les interfaces ce qui permet un moussage plus efficace, et une élasticité de surface plus importante mais les mousses générées sont moins stables dans le temps.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1
1. ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1. INTRODUCTION
1.2. LES MOUSSES AQUEUSES
1.2.1. La tension de surface
1.2.2. La loi de Laplace
1.2.3. Les tensioactifs
1.2.4. La structure des mousses aqueuses
1.2.5. La stabilité des mousses
1.2.5.1. Le drainage
1.2.5.2. Le mûrissement
1.2.5.3. La coalescence
1.2.6. Les mousses de fluides complexes
1.3. LE GEOPOLYMERE
1.3.1. Structure du géopolymère
1.3.2. Mécanismes de la géopolymérisation
1.3.3. Influence des ratios
1.4. CONCLUSION
CHAPITRE 2
2. ELABORATION DE MOUSSES DE GEOPOLYMERE A MORPHOLOGIE CONTROLEE
2.1. INTRODUCTION
2.2. MATERIAUX UTILISES
2.2.1. Source d’aluminium
2.2.2. Solution basique
2.2.3. Pâte de géopolymère / suspension de métakaolin
2.2.4. Tensioactifs
2.3. METHODES
2.3.1. Stabilité des tensioactifs dans la solution basique
2.3.2. Fabrication de mousses de géopolymère de façon contrôlée
2.3.2.1. Etape 1- production de la mousse précurseur
2.3.2.2. Etape 2 – mélange de la mousse précurseur à la suspension de MK
2.3.3. Suivi du vieillissement des mousses de métakaolin à l’état frais
2.3.4. Rhéométrie
2.3.4.1. Matériel utilisé
2.3.4.2. Séquences de mesures
2.4. CHOIX DU TENSIOACTIF
2.4.1. Stabilité du tensioactif dans la solution de silicate de sodium
2.4.2. Effet des tensioactifs sur la rhéologie des suspensions de métakaolin
2.4.3. Production de mousses de suspension de métakaolin
2.5. ETUDE DU DRAINAGE DES MOUSSES DE SUSPENSIONS DE METAKAOLIN
2.5.1. Vitesse de drainage
2.5.2. Paramètre de confinement ?
2.5.3. Viscosité effective
2.5.4. Renforcement mécanique des mousses de suspensions de métakaolin
2.5.4.1 Effet sur le module élastique
2.5.4.2. Effet sur la contrainte seuil
2.6. MORPHOLOGIE DES MOUSSES SOLIDES DE SUSPENSIONS DE METAKAOLIN
2.6.1. Détection du drainage
2.6.2. Morphologie des mousses solides
2.6.3. Caractérisation de la morphologie : tailles de pores et d’ouvertures
2.7. CONCLUSION
CHAPITRE 3
3. SUIVI DE LA CINETIQUE DE LA GEOPOLYMERISATION DES MOUSSES DE METAKAOLIN : SUIVI PAR RMN DU PROTON
3.1. INTRODUCTION
3.2. MATERIAUX UTILISES
3.2.1. Pâtes de géopolymère
3.2.2. Mousses de géopolymère
3.3. METHODES
3.3.1. 1H RMN
3.3.1.1. Principe général de la Résonance Magnétique Nucléaire du proton
3.3.1.2. Séquence de mesures
3.3.1.3. Protocoles de mesure
3.3.2. Ultrasons
3.3.2.1. Dispositif expérimental
3.3.2.2. Principe de la méthode
3.3.3. Rhéométrie oscillatoire
3.4. DETERMINATION DE TEMPS CARACTERISTIQUES
3.4.1. Suivi de la cinétique de prise par rhéométrie oscillatoire
3.4.2. Suivi de la cinétique de prise par ultrasons
3.4.3. Suivi de la cinétique de prise par RMN du proton
3.5. DISCUSSION ET COMPARAISON DES RESULTATS
3.5.1. Aux temps courts
3.5.2. L’eau libérée
3.5.3. Aux temps longs
3.5.4. Influence de la composition chimique sur la cinétique de géopolymérisation
3.6. CINETIQUE DE LA PRISE DES MOUSSES DE GEOPOLYMERE
3.7. CONCLUSION
CONCLUSION