Structure électronique des semiconducteurs organiques
Pour comprendre les phénomènes de conduction électrique dans un matériau organique, il faut distinguer deux échelles : celle où l’on s’intéresse à une molécule seule, ou celle considérant de nombreuses molécules formant une couche mince. Les propriétés semiconductices de certaines molécules proviennent de la présence d’alternance entre simples liaisons et doubles liaisons carbone-carbone (C=C). C’est pourquoi de nombreux polymères et molécules semiconducteurs contiennent des cycles aromatiques. Cette faculté de conduire les charges provient des orbitales moléculaires issues de l’hybridation des orbitales atomiques des carbones présents dans ces molécules. En effet, l’atome de carbone possède 4 électrons sur sa couche externe : 2 électrons se situent sur l’orbitale atomique 2s et 2 électrons sur l’orbitale atomique 2p. Un des principaux types d’hybridation qui intervient au sein de chaque atome de carbone est l’hybridation de l’orbitale 2s avec les orbitales 2px et 2py (les vecteurs ~x et ~y décrivent le plan géométrique contenant la liaison C=C, ~z étant perpendiculaire à ce plan). Cette hybridation donne naissance à une orbitale atomique hybridée sp2 (voir figure 1.2.a). Dans le cas de la double liaison entre deux atomes de carbone, les orbitales atomiques sp2 s’hybrident ensuite pour donner une orbitale moléculaire σ, alors que les orbitales atomiques 2pz restantes s’hybrident quant à elles pour donner une orbitale π (voir figure 1.2.b). Ces deux orbitales, appelées aussi liaisons, peuvent être liantes σ, π, ou anti-liantes σ∗, π∗ selon que la combinaison linéaire corresponde à une addition ou à une soustraction des fonctions d’ondes (voir figure 1.2.c). La différence entre l’orbitale occupée ayant la plus haute énergie, appelée HOMO (Highest occupied molecular orbital) et l’orbitale inoccupée ayant la plus basse énergie, ou LUMO (Lowest unoccupied molecular orbital) correspond à l’écart entre les orbitales liantes et anti-liantes. Elle forme la bande interdite ou gap. Le recouvrement des orbitales π sur l’ensemble de la molécule permet ainsi aux charges de se déplacer d’un atome à l’autre, puis d’une molécule à l’autre par l’intermédiaire des interactions entre les orbitales π. Ceci leur confère un caractère semiconducteur, c’est pourquoi ces matériaux sont qualifiés de matériaux π-conjugués.
Matériaux et méthodes de préparation d’échantillons
On peut globalement distinguer deux types de molécules, selon leur masse moléculaire : les grandes molécules (généralement des polymères, de masse moléculaire > 1000 g/mol, exemples tableau 1.2, page 41) et les petites molécules (on parle de matériau moléculaire, de masse moléculaire < 1000 g/mol, exemples tableau 1.1, page 40). Ces matériaux vont nécessiter des méthodes de dépôts très différentes, ce qui a conduit à la séparation des OSCs en deux familles : les molécules solubles pouvant être déposées par voie humide, et celles possédant une température de sublimation inférieure à leur température de dégradation, pouvant être déposées par voie physique. La température de sublimation d’un matériau est fortement dépendante de sa masse moléculaire. Il en résulte que pour de grosses molécules (par exemple les polymères) la température nécessaire pour évaporer le matériau est supérieure à celle à partir de laquelle une dégradation des molécules est observée. C’est pourquoi on préfère les méthodes de dépôt par voie liquide, qui peuvent permettre notamment la fabrication sur de très grandes surfaces. Les méthodes par voie physique sont quant à elles réservées aux matériaux de faible masse moléculaire et aux métaux ou oxydes servant d’électrodes. De plus elles sont souvent limitées à de plus petites surfaces de dépôt car elles nécessitent l’utilisation d’enceintes sous vide, rendant plus difficile la production de masse et la compatibilité avec des méthodes de type roll-to-roll. La méthode par voie physique de référence pour la fabrication de films d’OSCs est l’évaporation par effet joule. Les électrodes métalliques (Al, Cu, Au) ou oxydes (Al2O3) sont quant à elles généralement fabriquées par dépôt de couches atomiques (ALD : Atomic Layer Deposition) ou par évaporation par effet Joule ou à l’aide d’un canon à électrons (e-beam). Dans les méthodes par voie chimique (on dit aussi voie liquide, due à l’utilisation de solvants) on peut distinguer deux types de dépôts : les méthodes de type coating (on recouvre le substrat, à travers un masque ou non, avec encre dont le solvant va s’évaporer) et les méthodes de type impression (on transfère par pression sur le substrat le motif réalisé auparavant par encre sur un support).
Les transistors à effet de champ organiques
Le fonctionnement d’un OFET est très proche de celui d’un FET classique. La source et le drain, déposés sur la couche de transport permettent l’injection et le transport de charges dans l’OSC. Cette couche de transport est constituée d’un OSC qui peut être accepteur d’électron (type n), donneur d’électrons (type p) ou les deux (ambipolaire). En sélectionnant des matériaux de source et drain ayant un niveau de Fermi EF proche uniquement à la HOMO ou à la LUMO de l’OSC, on pourra avoir un transport unipolaire (voir figure 1.6), ne mettant en jeu qu’un seul type de porteur de charge. Si l’OSC le permet, on pourra également obtenir un transport ambipolaire si le niveau de Fermi d’une électrode correspond à la HOMO, et celui de l’autre électrode à la LUMO, permettant ainsi le transport simultané des deux types de porteurs (voir section 1.2.1). L’OSC est séparé de la grille inférieure par un isolant diélectrique. En appliquant une tension entre la grille et le drain, on peut moduler par effet de champ, le courant lu entre la source et le drain. Pour aller plus loin, certains phénomènes physiques tels que des modifications mécaniques (pliage, chocs, etc), peuvent influer sur la tension grille-drain et être ainsi détectés, transformant l’OFET, simple interrupteur, en capteur de précision. Les OFETs sont en général unipolaires (car utilisant un même matériau pour la source et le drain), mais certaines équipes s’intéressent aux OFET ambipolaires [64]. On peut remarquer que les mobilités de porteurs (e ou h) mesurées par effet de champ sont encore bien inférieures aux valeurs actuellement annoncées dans les transistors à base de semiconducteurs inorganiques (exemple de µe = 6000 cm2.V −1.s−1 dans un canal InGaAs [65]). La communauté scientifique travaille à l’amélioration des performances de ces matériaux en vue de les utiliser dans les domaines à fort potentiel d’application (technologies de l’affichage, éclairage, capteurs solaires). On note par exemple le développement d’OFETs sur substrat souple [66] avec une très grande sensibilité aux variations mécaniques et optiques (sensibilité dans les infra-rouges). Ceci permet d’envisager le développement de capteurs sensibles à plusieurs effets physiques différents, afin d’améliorer les interfaces homme-machine. Des OFETs ont aussi été utilisés pour la réalisation de mémoires non volatiles [67] avec une mobilité d’effet champ µF E = 0,6 cm2.V −1.s−1 et un rapport Ion/Iof f très important (de l’ordre de 105). Dans ce chapitre, après avoir dressé un historique des travaux fondateurs sur le transport de charges dans les matériaux organiques, nous avons établi le potentiel fortement applicatif des dispositifs de l’électronique organique. Leurs propriétés mécaniques, électroniques, optiques ainsi que les travaux récents, motivés par le contexte de la gestion d’énergie mondiale, ont permis d’établir l’électronique organique comme un domaine de recherche d’avenir, dont le champ d’application n’a pas encore fini de s’étendre. Nous allons maintenant nous intéresser à la spintronique et nous découvrirons ce qu’apporte l’ajout d’éléments d’électronique organique dans des dispositifs d’électronique de spin.
Magnétorésistance tunnel organique
Un certain nombre d’études expérimentales de jonctions magnétorésistives organiques tunnel ont été menées notamment par les équipes de Santos et Moodera [137,161], Szulczewski et Coey [160,162], Seneor, Mattana, Petroff et Fert [168,182] ou encore celle de Bobbert et Koopmans [183]. Dans ces études, l’obtention de TMR à température ambiante semble plus courante que dans des structures GMR ce qui les rend intéressantes pour des applications grand public. Les phénomènes d’injection tunnel dépendent très fortement de la qualité des interfaces FM/OSC et des niveaux et états d’énergie disponibles. Les mesures de TMR permettent de sonder la structure électronique à l’interface entre FM et OSC, améliorant ainsi la compréhension du fonctionnement des composants de spintronique organique. Le mécanisme d’injection des charges peut être un régime tunnel balistique simple pour des épaisseurs de barrière de l’ordre de 1 nm, mais peut aussi opérer en deux étapes ou plus pour des épaisseurs de barrière supérieures (voir figure 3.5), donnant lieu à un two-step tunnelling ou à un multistep tunnelling [183]. Ces derniers sont des régimes dans lesquels les charges ne traversent pas la barrière tunnel de manière balistique en une seule étape, mais sautent par effet tunnel d’étatslocalisés en états localisés à travers la barrière. L’étude des propriétés d’injection tunnel permettent d’en déduire la hauteur de la barrière à franchir, et ainsi à quel point les niveaux d’énergie du métal FM et de l’OSC sont déformés à l’interface. Barraud et al. ont mesuré des valeurs de TMR relativement importantes (+300% à 4,2 K). Ils étudient notamment l’hybridation dépendante du spin entre les états moléculaires et les bandes d’énergie du métal FM (SHIPS ou Spin-HybridizationInduced Polarized States) [182]. Les auteurs ont étudié la TMR dans des nanojonctions LSMO/Alq3(2nm)/Co et ont proposé un modèle de Jullière tenant compte, dans le calcul de la polarisation en spin des électrodes, du couplage dépendant de spin plus ou moins fort entre les états moléculaires de l’OSC et les bandes d’énergie des électrodes. Ce modèle permet d’expliquer les variations de signe de la TMR dans des jonctions identiques, en fonction du couplage plus ou moins important à l’interface FM/OSC.
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Table des matières
Introduction générale
I État de l’art et contexte de l’électronique organique
1 L’électronique organique
1.1 Rappels
1.2 Les semiconducteurs organiques
1.2.1 Structure électronique des semiconducteurs organiques
1.2.2 Injection de charges dans un matériau organique
1.2.3 Transport de charges dans un matériau organique
1.3 Matériaux et dispositifs utilisés
1.3.1 Matériaux et méthodes de préparation d’échantillons
1.3.2 Les diodes électroluminescentes organiques
1.3.3 Les transistors à effet de champ organiques
II État de l’art et contexte de la spintronique organique
2 La spintronique
2.1 L’origine de la magnétorésistance
2.2 Le magnétisme dans la matière
2.2.1 Rappels de magnétisme
2.2.2 États magnétiques de la matière
2.2.3 Propriétés des matériaux magnétiques
2.3 La magnétorésistance
2.3.1 La magnétorésistance géante
2.3.2 La magnétorésistance tunnel
2.3.3 Injection de courant polarisé en spin dans un semiconducteur
2.4 Dispositifs, matériaux et applications
2.4.1 Applications
2.4.2 Matériaux et applications
3 La spintronique organique
3.1 Historique et motivations
3.1.1 Premières observations
3.1.2 Conservation du spin dans un semiconducteur organique
3.1.3 Vers la magnétorésistance organique à température ambiante
3.2 Magnétorésistance organique (OMAR)
3.3 Magnétorésistance tunnel organique
3.4 Magnétorésistance géante organique
3.4.1 Influence de la température
3.4.2 Influence de l’interface métal/organique
3.4.3 Détermination du λs : modèle de Jullière modifié
3.5 Conclusion
III Élaboration des échantillons et méthodes de caractérisation
4 Présentation des matériaux
4.1 Choix des matériaux ferromagnétiques
4.2 Choix des matériaux organiques
4.2.1 Le tris-(8-hydroxyquinoline)aluminum (Alq3)
4.2.2 Le tétraéthyl pérylène 3, 4, 9, 10 – tétracarboxylate (PTCTE)
4.2.3 Le benzofurane bithiophène (BF3)
5 Techniques de croissance de films minces
5.1 Présentation de la structure des échantillons
5.2 Croissance de films minces métalliques
5.2.1 Pulvérisation cathodique magnétron (sputtering) .
5.2.2 Croissance du Fe3O4
5.2.3 Changement de masque in situ
5.2.4 Mise en place de la croissance d’une barrière d’AlOx
5.2.5 Mise en place de la croissance indirecte de Co
5.2.6 Évaporation par canon à électrons (e-beam)
5.3 Croissance de films minces organiques : évaporation par effet Joule
6 Méthodes de caractérisation
6.1 Mesures de topologie de surface
6.1.1 Microscope à force atomique (AFM)
6.1.2 Profilomètre optique
6.2 Études structurales
6.2.1 Analyse chimique par microscopie électronique (STEM-EELS)
6.2.2 Spectroscopie de photoluminescence (PL)
6.3 Mesures magnétiques
6.3.1 Vibrating sample magnetometer (VSM)
6.3.2 Mesures magnéto-optiques par effet Kerr (MOKE)
6.4 Mesures de transport et magnéto-transport
6.4.1 PPMS module transport
6.4.2 Tunnelling AFM (TUNA)
IV Présentation des résultats et discussion
7 Étude de vannes de spin à base d’Alq3
7.1 Propriétés morphologiques de surface des hétérojonctions
7.2 Comportement magnétique des vannes de spin à base d’Alq3
7.3 Propriétés de transport en température
8 Étude de vannes de spin à base de PTCTE
8.1 Propriétés morphologiques de surface
8.2 Caractérisation structurale des vannes de spin
8.2.1 Photoluminescence du PTCTE
8.2.2 Analyse de la distribution de courant dans les jonctions
8.2.3 Analyse chimique et structurale STEM-EELS
8.3 Comportement magnétique des vannes de spin NiFe/PTCTE/Co
8.4 Propriétés de transport
8.4.1 Caractéristiques I(V)
8.4.2 Magnétotransport I(H)
9 Étude de vannes de spin à base de BF3
9.1 Propriétés morphologiques de surface des hétérojonctions
9.2 Comportement magnétique des vannes de spin
9.3 Propriétés de transport
9.3.1 Caractéristiques I(V)
9.3.2 Magnétotransport I(H)
9.4 Photoluminescence : effets de l’oxygène
9.5 Étude structurale STEM-EELS
10 Vers la magnétorésistance à température ambiante : utilisation de magnétite Fe3O4
10.1 Propriétés morphologiques
10.2 Propriétés magnétiques
10.3 Propriétés de transport
10.3.1 Distribution du courant dans les jonctions
10.3.2 Caractéristiques I(V)
Conclusion générale
Bibliographie
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