Einstein et la crise du déterminisme

Einstein et la crise du déterminisme

Einstein et le hasard

Avec la découverte de la mécanique quantique, la science a une nouvelle orientation. En effet, cette science cherche à connaître l’infiniment petit mais elle est confrontée au problème de la probabilité, de l’indéterminisme. Ainsi le déterminisme qui prévalait dans la science classique est devenue impuissant pour décrire, prévoir l’état du système. D’une manière générale, Einstein avait manifesté des tendances réalistes qui sont «celles de tout physicien conscient de sa tâche » . Einstein, fidèle à la science classique, travaillait sur l’infiniment grand et son seul souci était de connaître et e décrire le futur de son système. Le rôle alors de chaque physicien selon Einstein est de connaître parfaitement la réalité mais aussi être en mesure de savoir que le futur est prévisible puisque le déterminisme n’est pas apparent, c’est un fait.

De la même manière Prigogine précise : «la mécanique quantique implique des limites à la validité de la mécanique classique. »10 Ces “limites” ne sont rien d’autre que des particules qui ne se prêtent pas à la stabilité mais aussi l’indéterminisme qui n’annonce pas un futur ordonné et prévisible. Et c’est la raison pour laquelle Einstein va souligner que la mécanique quantique est incomplète car elle est incapable de connaître réellement la nature et de lui donner une description certaine. Ainsi il écrit : «je crois que la théorie quantique, en dépit d’un succès considérable, est encore loin d’apporter une solution satisfaisante en ce qui concerne ces problèmes. »  Il ne manque pas de remarquer que la mécanique quantique ellemême est incapable de comprendre et d’expliquer certains “comportements” bizarres des particules. Nous avons par exemple le paradoxe “EPR” : Si deux particules se heurtent, elles demeurent ensuite immédiatement liées. Même distante de plusieurs milliers de kilomètres, elles se comportent comme un seul et même corps. Si la première est perturbée la seconde en subit les conséquences. C’est un paradoxe car il est incompréhensible que deux particules, une fois liées, ne se séparent jamais même si après elles ont été distantes. Bohr ne conteste pas l’expérience mais il donne deux explications possibles :

1) il existe une raison cachée et si le paradoxe est levé, il y’a forcement une chose qui l’explique.
2) c’est bizarre à la limite même absurde mais, il fait se rendre à l’évidence qu’avec la mécanique, la réalité n’a pas à suivre les règles logiques encore moins nos convictions philosophiques ou métaphysiques.

Même s’il est incontestable que le hasard règne en physique, il est arrivé aux fondateurs de la mécanique ondulatoire d’écrire : «… Les quantas sont choses bien mystérieuses. » Le mystère est manifeste parce que la science ne peut plus découvrir une vérité globale de la nature mais le caractère homogène et déchiffrable de la nature est quasi inexistant. Ici alors, Galilée et ses successeurs par la voix de Prigogine pensaient qu’avec le déterminisme : «les phénomènes simples que la science étudie peuvent dés lors livrer la clé de l’ensemble de la nature dont la complexité n’est plus qu’apparente : le divers se ramène à la vérité unique des lois mathématiques. » .

Il est clair que ce projet déterministe est irréalisable parce qu’il confère à la science un pouvoir absolu, celui de tout connaître avec une précision absolue. La dynamique classique s’est consacrée à l’étude des phénomènes périodiques comme le mouvement des astres par exemple et avec une concision incomparable, ces phénomènes  gnorent la direction du temps, ils sont une répétition indéfinie du passé dans le futur. C’est cette forme de vérité qui existe dans la science classique mais aussi c’est de cette forme de vérité dont a besoin l’esprit humain pour fixer ses connaissances, pour s’assurer que rien ne lui échappe à ce niveau.

Contrairement à beaucoup de scientifiques, Bergson s’intéressait à ce que cette science nous disait de ce monde qu’elle prétend comprendre. La science, montre-t-il, a été féconde à chaque fois qu’elle a réussi à nier le temps, à se donner des objets qui permettent d’affiner un temps répétitif, de réduire le devenir à l’identique. On peut affirmer sans risque de se tromper que cette compréhension a été le dessein d’Einstein durant toute sa vie ; il pense qu’il existe des lois de la nature qui rendent possible la connaissance. Ainsi dit-il : «Mon travail scientifique a pour moteur une irréversible et ardente envie de comprendre les secrets de la nature, et aucun autre sentiment.» .

Cette compréhension parfaite de la nature est la conséquence du déterminisme qui garantit la connaissance absolue dans la science classique. Toutefois, la mécanique quantique va à l’encontre des convictions propres aux scientifiques déterministes. Einstein lui-même va exprimer son mécontentement vis-à-vis de la théorie quantique de façon éclatante. Ainsi soutient-il : «Elle (la théorie quantique) conteste le déterminisme et limite les prédictions probabilistes et statistiques. » .

Cette contestation se traduit par le fait que las quantas refusent l’ordre, la prévision, en somme le déterminisme qui définissait cette science parfaite, digne de confiance qu’était la science classique. En effet le mécanique quantique a introduit en science un désordre indescriptible parce qu’incompréhensible par les scientifiques qui étaient plus surpris que désireux de déchiffrer les mystères de cette nouvelle science. Et c’est ce que Einstein a compris très tôt lorsqu’il constate : « plus on poursuit les quantas, plus ils se cachent.»  Les quantas demeurent un mystère pour les scientifiques qui n’arrivent toujours pas à s’expliquer certains comportements des particules et Louis de Broglie d’avouer humblement : «si je suis parvenu au cours de ces méditations à comprendre un peu mieux quelques uns de leurs aspects, je ne sais vraiment pas encore au juste ce qui se cache derrière le masque dont se couvre leur visage. » .

Tout ceci pour montrer que contrairement au déterminisme la mécanique quantique est indéterministe car jusqu’à présent elle est incapable de répondre de manière concise à certaines questions comme par exemple : pourquoi deux atomes préalablement unies adoptent un même comportement alors qu’elles ont été séparées. Mais encore des “particules fantômes” peuvent surgir de façon soudaine et imprévisible et là il nous est impossible de savoir à coup sûr où et quand elles vont apparaître, «nous pouvons seulement annoncer leur probabilité de surgir à tel et tel endroit. »  déclare Trinh Xuan Thuan. C’est cette probabilité qui permet à Einstein de tirer la conclusion selon laquelle la mécanique quantique est incomplète et incapable de connaître véritablement la nature. Selon Einstein pour qu’une science soit complète, il faut nécessairement qu’elle soit connaissable, compréhensible par l’esprit humain. D’ailleurs il continue pour préciser ce qu’il entend par “compréhensible” : la chose la plus incompréhensible dans l’univers est que cet univers soit compréhensible. Nous pouvons en déduire que cette connaissance est précisément due à l’existence de l’homme qui a la faculté de comprendre et qui désire aussi comprendre pourquoi et le comment des choses. Ce projet est réalisable dans la science classique car la nature est dépourvue d’histoire, elle est déterminée par son passé. Ce qui permet à l’esprit humain de connaître la nature parce qu’elle est régie par des lois éternelles, données une fois pour toute.

En ce sens Prigogine pense que : « La science classique vise toujours à découvrir la vérité unique du monde, le langage unique qui déchiffre la totalité de la nature.» Toutefois face à l’indéterminisme de la mécanique quantique, nous sommes du même avis que Thuan quand il écrit : « La mécanique quantique a un caractère rebelle. Elle aime à transgresser les lois et à refuser l’ordre établi.»   Dans la science déterministe, les lois ne sont que l’équivalence entre le passé et le futur.

Dés lors, le rôle constructif, évolutif du temps est nié, le futur est compris dans le passé et toute tentative de donner une explication et une signification à la flèche du temps était à la limite même absurde. Il est clair alors que le déterminisme se trouvait être la seule source de connaissance comme d’ailleurs l’ont été les lois de la physique newtonienne, qui étaient l’expression d’une connaissance idéale et complète. Il était possible à l’esprit humain de connaître “sub specie aeternitatis” c’est-à dire du point de vue de Dieu. En effet Dieu est cet être eternel qui a une vision globale, figée, donnée de toute éternité c’est-à dire une vision qui ne subit pas les éventuels changements causés par le temps. Ici alors la connaissance scientifique est érigée en rang de vérité immuable, ce qui de toute manière est impossible dans la mécanique quantique.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Einstein et la crise du déterminisme
A Einstein et le hasard
B Le caractère universel du hasard
Deuxième Partie : La réhabilitation du déterminisme (ou le retour forcé au déterminisme)
A. Einstein ou le triomphe du déterminisme
B. La science et le rejet du hasard
Troisième Partie : Les conséquences éthiques
A. La liberté : un rempart contre le déterminisme
B. L’homme : un être foncièrement déterministe
conclusion
Bibliographie

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