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Reconnaissance des sols effondrables et critères d’identification
L’ingénieur doit être capable de reconnaître les sols effondrables, dans le but de prescrire les essais de sols adaptés et de pouvoir décider des solutions à mettre en œuvre. Une reconnaissance préalable du sol est donc une étape importante car elle conditionne le type d’études plus précises à réaliser au moment de la conception détaillée de l’ouvrage.
Pour ce faire, Clemence et Finbarr (1981) ont proposé une méthode simple qui consiste à prendre deux morceaux de sol de même taille. Un morceau est gardé intact tandis que l’autre est désagrégé, humidifié et modelé à la main. Si le volume du morceau intact est plus grand que celui du morceau reconstitué, alors le sol est potentiellement effondrable d’après Clemence et Finbarr (1981). La connaissance de la stratigraphie du sol est une information sûrement plus précieuse, généralement obtenue à partir des connaissances générales du terrain ou d’essais localisés en place (pénétro-mètres, pressiomètre Ménard parmi d’autres). Des faibles résistances révèlent une faible portance et un possible comportement effondrable (Rust et al. 2005, Abbeche et al. 2010). Des mesures complémentaires de la densité sèche, humide et des limites d’Atterberg peuvent confirmer la pré-sence ou non d’un sol effondrable en utilisant les critères rencontrés dans la bibliographie. Ces critères tentent d’identifier si le sol risque de s’effondrer et le tableau 2.1 en présente les prin-cipaux. Les paramètres de sols utilisés sont l’indice des vides e, la teneur en eau w, le degré de saturation Sr et le poids volumique sec γd, définis ci-dessous : e = Vv ; w = mw ; Sr = Vw ; γd = g.ms (2.1) avec Vi et mi le volume et la masse de i, avec i les indices suivant : w pour l’eau, a pour l’air, s pour la phase solide, v pour les vides (air et eau), tot pour tout l’échantillon. De plus, l’état du sol peut être notifié en utilisant nat pour l’état naturel et sat pour l’état saturé (voir tableau 2.1).
La méthode de Denisov (1951) propose une relation empirique qui utilise la limite de liquidité wl de la fraction argileuse (esat(wl) = wlGs avec Gs la densité spécifique de la fraction solide) et l’état de densité à l’état naturel (enat = Gsγw/γd − 1 avec γw le poids volumique de l’eau). Ainsi, si à l’état intact le sol présente un indice des vides 1,3 fois plus grand que l’indice des vides d’un échantillon remanié, saturé, de teneur en eau égale à la limite de liquidité, le sol sera considéré comme fortement effondrable. Ce critère est équivalent à la méthode proposée par Clemence et Finbarr (1981) vu précédemment. La méthode de Priklonskij (1952) est une méthode qui utilise uniquement la teneur en eau naturelle et les limites d’Atterberg. Avec cette méthode, un sol forte-ment effondrable est un sol qui possède une teneur en eau supérieure à la limite de liquidité, quelle que soit sa densité. Ce sol sera considéré comme gonflant si la teneur en eau initiale est inférieure à la limite de plasticité. Au contraire, le critère de Clevenger (1958) exploite uniquement la densité sèche du sol en définissant une densité critique de 14,1 kN/m3 : les sols plus denses seraient donc sans danger. Feda (1964) a proposé un critère plus avancé (voir tableau 2.1) qui prenait en compte la densité initiale et l’indice de plasticité du sol (Ip). Pour les sols granulaires et les loess, Feda (1966) a proposé un autre critère qui se base sur une porosité critique de 40%, contre 47% pour Clevenger (1958). Inspiré par le critère de Denisov (1951), Gibbs et Bara (1962) ont proposé une relation fondée sur la limite de liquidité et la teneur en eau à l’état saturé. Avec cette définition, plus le sol a une teneur en eau grande devant la limite de liquidité wl et plus le risque d’effondrement est important. Ce critère est généralement présenté sur un abaque où la densité sèche est fonction de la limite de liquidité comme dans la figure 2.3 (en utilisant la relation wsat = γw/γd − 1/Gs dans le critère de Gibbs et Bara (1962) du tableau 2.1). Le code Russe de la construction reprend ce paramètre de limite de liquidité et ajoute un degré de saturation de 60%, au-delà duquel le sol n’est plus susceptible de s’effondrer. Le critère de Handy (1973) dévoile, quant à lui, une dépen-dance entre le pourcentage d’argile et le potentiel d’effondrement d’un loess. En effet, même si les limites d’Atterberg renseignent sur la sensibilité à l’eau de l’argile, le comportement du sol va certes dépendre de cette sensibilité mais aussi de sa fraction argileuse. L’activité du sol serait donc un paramètre plus pertinent car elle prend en compte la plasticité et le pourcentage des fines inférieures à 2 µm (Ayadat et Ouali 1999). Dernier critère du tableau 2.1, le critère de Kassiff et Henkin (1967) considère le produit de la densité sèche par la teneur en eau sans faire intervenir l’activité de l’argile. D’autres critères peuvent être trouvés dans la bibliographie comme dans Alfi (1984), Reimers (1986), Ayadat et Hanna (2011) parmi d’autres.
Ces critères proposent des formules et s’appuient parfois sur des notions simples pour classer les sols en fonction de leur effondrabilité. Chaque critère favorise généralement une propriété devant les autres et il est préférable de croiser plusieurs critères pour s’assurer du caractère effondrable du sol, avec le risque d’inclure des sols non effondrables (Alfi 1984, Darwell et Denness 1976). Ils peuvent mettre en garde l’ingénieur et attirer son attention sur le risque d’effondrement. Dans ce cas, des essais complémentaires au laboratoire peuvent être menés pour estimer les tassements attendus. Sur site, des essais spécifiques sont réalisables comme l’essai à la plaque avec un ap-port d’eau complémentaire (Houston et al. 1988), mais restent rarement utilisés car difficilement exploitables : les conditions d’essais sont mal maîtrisées.
La question n’est donc plus de savoir si le sol est problématique, mais de savoir de combien il risque de s’effondrer. En laboratoire, le test le plus utilisé pour caractériser le potentiel d’effon-drement est l’essai œdométrique, qui mesure la déformation verticale en fonction du chargement imposé. Cet essai est usuellement employé pour caractériser la compression et la consolidation des sols saturés. Pour évaluer le niveau d’effondrement, la conduite de l’essai est différente : le sol est comprimé puis mouillé sous une certaine contrainte verticale maintenue constante. On nomme cet essai « essai au simple œdomètre », en opposition à l’essai au double oedomètre (Jennings et Knight 1957). Ce dernier utilise deux échantillons, l’un saturé et l’autre non saturé, placés dans deux cellules œdométriques où le potentiel d’effondrement est déduit de la différence de hauteur entre les deux échantillons. Une description plus détaillée de ces deux essais et d’autres essais de laboratoire (essais au triaxial et à effondrement contrôlé) est présentée plus loin dans la partie consacrée aux observations expérimentales (voir section 3.2). Les essais permettent à l’ingénieur d’obtenir une information sur le comportement du sol et d’estimer le niveau d’effondrement pour une charge verticale donnée. La charge à prendre en compte est généralement calculée à partir de la descente de charge de l’ouvrage prenant en compte les charges permanentes, variables et accidentelles (calcul aux états limites selon les Eurocodes par exemple). Les études au laboratoire permettent d’atteindre une bonne précision en terme d’estimation du niveau d’effondrement d’un sol (Dudley 1970, Mackechnie 1989) même si l’opération de carottage est critique et que l’état de contrainte entre le site et la cellule d’essai peut être différent.
A partir des résultats d’effondrement, la norme américaine Measurement of Collapse Potential of Soils (ASTM 1996) distingue l’indice d’effondrement (Ie) du potentiel d’effondrement (Ic). L’indice d’effondrement (Ie) est égal aux déformations produites lors de la saturation du sol sous 200 kPa de chargement vertical (pression équivalente à 11 m de sol pour une masse volumique apparente de 1800 kg.m−3). Cet indice, proposé à l’origine par Jennings et Knight (1975), peut permettre de comparer et classer différents sols : la norme propose une classification de la suscep-tibilité à l’effondrement donnée dans le tableau 2.2. Le potentiel d’effondrement (Ic), quant à lui, est déterminé pour n’importe quel niveau de chargement. Ce potentiel est utilisé pour estimer les tassements d’une couche de sol connaissant la charge verticale prévue.
Paramètres importants et mécanismes d’effondrement
Le phénomène d’effondrement dépend de nombreux de facteurs. Le tableau 2.1 donne quelques informations sur ces propriétés importantes comme l’état naturel du sol et l’activité de sa fraction argileuse. Yudhbir (1982) a isolé d’autres facteurs importants comme : le type de sol (minéralogie, granulométrie), la nature des agents de liaison et de cimentation, la contrainte appliquée, le degré de saturation et la densité initiales, la quantité et la dynamique de mouillage (nappe phréatique, infiltration des eaux de pluies). On voit apparaître les agents de liaison entre particules du sol, qui n’apparaissaient pas dans le tableau 2.1 puisque difficiles à mesurer. Pourtant l’existence de ces liaisons est primordiale car leur affaiblissement est à l’origine du phénomène d’effondrement. Barden et al. (1973) ont postulé que les trois principales conditions à l’origine du phénomène d’effondrement sont :
– une structure ouverte, potentiellement instable et partiellement saturée,
– une contrainte existante ou supplémentaire suffisamment importante,
– des éléments de liaison suffisamment résistants pour stabiliser les contacts intergranulaires et
relativement faibles pour disparaître ou être fragilisés lors de l’imbibition.
Ces différents facteurs et leurs effets sur l’effondrement sont détaillés ci-dessous.
Nature géologique du sol
La liste des modes de déposition géologique pour lesquels le phénomène d’effondrement a été observé (Dudley 1970, Clemence et Finbarr 1981, Alfi 1984) est assez vaste. On peut citer les dépositions d’origine :
– éolienne : sables, loess (limons altérés et transportés par le vent),
– aérienne : cendres volcaniques,
– colluviale : débris de roche tombés par gravité d’une pente ou d’une falaise,
– alluviale : apporté par des coulées boueuses et des cours d’eau,
– résiduelle : altération physico-chimique des roches mères,
– anthropique : sols compactés par l’homme (remblais, barrages en terre, …).
Cependant, la connaissance du type de dépôt ne permet pas d’en déduire le niveau d’effondrement du sol du fait de l’importance d’autres paramètres. En revanche, elle informe sur son histoire et Pour la vallée de Joaquin, de longues périodes sèches étaient interrompues par des crues violentes provoquant des coulées boueuses venant des versants entourant la vallée (Dudley 1970). Ce nou-veau matériau venait recouvrir l’ancien dépôt alluvial alors plus sec et plus résistant. Les loess sont bien connus pour être des sols effondrables même dans des régions humides (Krinitzsky et Turnbull 1967, Delage et al. 2005). Ces sols sont le résultat d’un dépôt éolien de particules principalement limoneuses, d’argile et de sable (Pécsi 1990). N’ayant pas subi au moment des périodes glaciaires de surcharge importante, ces sols lâches ont été recouverts au fil du temps par des couches de sols plus imperméables. Dans l’exemple de la LGV Nord, les loess rencontrés s’effondraient sans surcharge mécanique, alors que d’autres sols doivent être surchargés pour ob-server un effondrement. De ce constat, Reginatto et Ferrero (1975) ont proposé une distinction entre les sols qui peuvent subir une réduction subite de leur volume lors de la saturation sans chargement mécanique supplémentaire et ceux qui doivent être surchargés pour s’effondrer par saturation. Deux catégories de sols ont ainsi été proposées : les sols réellement effondrables et les sols potentiellement effondrables.
Les sols éoliens, comme les loess, peuvent donc être réellement effondrables, alors que les sols résiduels effondrables sont généralement des sols potentiellement effondrables. Les sols résiduels sont issus d’une altération chimique, biologique et/ou mécanique en place de roches magmatiques (basaltes, granites, etc), sédimentaires (marbres, craies, etc) ou métamorphiques (schistes, gneiss, etc) d’après la définition proposée par Blight (1997). Dans le cas des roches granitiques, les micas mais surtout les feldspaths peuvent s’altérer au contact d’une eau chargée en dioxyde de carbone (phénomène de kaolinisation). Puis les produits ainsi formés sont éliminés par lixiviation (trans-port par l’action de l’eau), laissant derrière eux une structure plus poreuse (Clemence et Finbarr 1981, Alfi 1984). Les roches calcaires sont aussi susceptibles de s’effondrer à cause du phénomène de dissolution de la calcite au contact d’un milieu acide. Ainsi, dans ces deux exemples, l’apport d’eau altère progressivement la résistance mécanique de sols résiduels en augmentant leur poro-sité. L’imbibition de ces sols à certaines contraintes mécaniques peut entraîner un effondrement (Clemence et Finbarr 1981, Yudhbir 1982, Barksdale et Blight 1997).
Granulométrie
Rogers (1995) a listé les principaux types de sols effondrables en les classant suivant leur taille ca-ractéristique : sableux (sable granitique et du Kalahari d’Afrique du Sud, sable éolien du Sahara), limoneux (loess de tous les continents) et fins (cendres volcaniques (Herrera et al. 2007, De Si-mone 2010), volantes de charbon (Trivedi et Sud 2004, Sekhar Madhyannapu et al. 2008)). Moins connus, les sols cimentés du Nigeria, les sols gypseux de Russie ou encore les sols salins de Chine sont aussi effondrables (Rogers 1995). Par l’énumération de ces exemples variés, Rogers souhaite montrer qu’il n’y a pas qu’une famille de sol à risque, et que jusqu’à preuve du contraire, le sol devrait toujours être considéré comme effondrable dans chaque projet de construction. Il propose une classification des sols à risque et de leur mécanisme de formation et révèle les principales formations de sol effondrables : les sols résiduels et les loess.
Densité et microstructure initiales
Plusieurs articles proposent une masse volumique critique entre 1400 (Clevenger 1958) et 1600 kg/m3 (Booth 1977, Brink et al. 1982, Feda 1966) au dessus de laquelle un sol plus dense ne pourrait pas s’effondrer. Cependant, Jennings et Knight (1975) conseillent de ne pas prendre la densité sèche comme unique critère d’instabilité, car des contre-exemples existent à cette valeur de densité : sols moins denses mais non effondrables (Dudley 1970) et plus denses mais effondrables (El Sohby et Rabbaa 1984).
L’arrangement de la microstructure est sans doute plus critique. En effet, des expériences ont montré que sur deux éprouvettes de même densité sèche, préparées à des teneurs en eau initiales différentes (l’une au-dessus de l’optimum Proctor et l’autre en dessous), l’une des deux pouvait être effondrable mais pas l’autre (Barden et al. 1973, Booth 1977). L’explication vient d’une or-ganisation différente des grains à l’échelle mésoscopique (c’est-à-dire à l’échelle de plusieurs grains). Plus sec que l’optimum Proctor, les grains et l’argile se réunissent pour former des agré-gats créant des plus gros pores en libérant de l’espace par rapport à un sol de même densité mais plus homogène. On parle alors d’un matériau à double porosité : une porosité intra-agrégat et une porosité inter-agrégat (Ahmed et al. (1974), Delage et al. (1996), Benahmed et al. (2004), Alonso et al. (2012) parmi d’autres). Cette dernière est constituée des pores de plus grandes tailles, qui sont amenés à s’effondrer en premier lors de l’imbibition d’après, par exemple, Jennings et Knight (1957). Lorsque le sol est compacté du coté sec de l’optimum Proctor, une telle microstructure est systématiquement observée, qu’il soit sableux ou argileux. Cette double porosité, aussi rencontrée dans des sols non remaniés comme les loess (c.f. figure 2.9), semble assez caractéristique des sols effondrables.
Méthodes de mesure et de contrôle de la succion
Il existe plusieurs méthodes pour mesurer ou contrôler la succion totale. Les techniques comme la plaque tensiométrique, la translation d’axe, le contrôle osmotique ou en phase vapeur sont les principales techniques qui permettent d’imposer une succion totale. Toutes ces méthodes ont une gamme de mesure, de précision et de résolution temporelle spécifique. Elles sont décrites briève-ment ci-après.
Les méthodes tensiométriques mesurent ou contrôlent la pression d’eau. Elles nécessitent l’utili-sation d’une céramique placée entre le sol et le système de sortie d’eau : système de mesure pour les capteurs tensiométriques ou système de contrôle dans la méthode de la colonne d’eau. Plus fine que le sol et initialement saturée, la céramique assure la continuité de l’eau du sol avec celle du réservoir d’eau et empêche donc l’air de migrer dans ce réservoir. Ces méthodes tensiométriques sont cependant limitées par le phénomène d’ex-solution de l’air dans l’eau (autour de 80 kPa en condition normale, jusqu’à 1500 kPa pour des tensiomètres de haute capacité). L’ex-solution est le passage de l’air dissout dans l’eau vers un état gazeux, et diffère de la cavitation qui marque le changement d’état de l’eau liquide en gaz. La pression de cavitation est théoriquement très néga-tive (-100 MPa d’après Marinho et al. (2008)) donc rarement atteignable en pratique. Mendes et Buzzi (2013) montrent que les méthodes tensiométriques sont avant tout limitées par la qualité de la saturation et par la diffusion de l’air dans la céramique.
La translation d’axe agit sur la pression d’air pour contrôler la succion en laissant généralement la pression d’eau égale à la pression atmosphérique. Dans ce cas, l’ex-solution de l’air n’est plus limitante, et des sucions plus élevées peuvent être atteintes (12 MPa d’après Escario et al. (1989)). Comme pour les méthodes tensiométriques, une céramique est utilisée pour assurer la continuité de l’eau avec un réservoir extérieur.
Autres méthodes, la mesure psychrométrique et le contrôle en phase vapeur exploitent la relation de Kelvin, dans laquelle la succion totale dépend de l’humidité relative (voir équation 3.1). Avec cette méthode, une succion maximale d’environ 70 MPa est mesurable, et d’environ 300 MPa est imposable avec une solution saturée d’hydroxyde de potassium (Delage et Cui 2003). Le principal inconvénient de cette méthode est la lenteur des échanges d’eau.
La méthode osmotique (précisément décrite par Delage et Cui 2008) utilise une solution chargée en soluté, mise en contact avec l’eau du sol mais séparée par une membrane semi-perméable : per-méable à l’eau mais imperméable au soluté. Le soluté est souvent à base de molécules organiques de polyéthylène glycol (PEG) de grande taille. L’eau du sol et de la solution tendent à équili-brer leur potentiel chimique et une partie de l’eau du sol migre vers la solution pour atteindre cet équilibre.
Le papier filtre est une méthode de mesure possible jusqu’à 30 MPa de succion. Lorsqu’il est mis en contact avec le sol, le papier filtre va se charger en eau jusqu’à équilibre des potentiels chimiques de l’eau dans le sol et le papier. Puis, les propriétés de rétention d’eau du papier étant connues, il est possible alors par pesée du papier de déterminer la succion du papier et donc du sol.
D’autres méthodes existent dont certaines ont été présentées par Croney et al. (1952) (centrifuga-tion, consolidation, point de congélation, équilibre de sorption, voir figure 3.2(a)). Des méthodes indirectes sont aussi utilisées (figure 3.2(b) d’après Lu et Likos (2004)) qui se basent sur la varia-tion de propriétés physiques (résistance électrique, conduction thermique) avec la teneur en eau et donc indirectement avec la succion (Bulut et Leong 2008). Un ouvrage récent (Tarantino et al. 2009) reprend en détails les techniques les plus utilisées et leurs limitations.
Propriétés de rétention d’eau
Les propriétés de rétention d’eau d’un sol sont définies à partir de la relation succion – teneur en eau ou succion – degré de saturation déterminée pour une microstructure rigide ou incompressible. Lorsque le sol se déforme et voit sa densité évoluer, l’interprétation de la relation s − w (avec s=st) est plus délicate (Croney 1952). La figure 3.3 (Lins et al. 2009) présente la teneur en eau en fonction de la succion du sable d’Hostun, relation dont la forme est assez caractéristique des propriétés de rétention rencontrées dans les sols.
De ce type de courbe, plusieurs paramètres peuvent être définis comme la succion d’entrée d’air (saev, « air entry value » en anglais), la succion d’entrée d’eau (swev), la succion résiduelle (sr), la succion de saturation (ss), la teneur en eau résiduelle (wr) et la teneur en eau de saturation (ws). Généralement trois domaines sont définis et correspondent aux domaines quasi-saturé, partielle-ment saturé et quasi-sec.
Le phénomène d’hystérésis visible sur la figure 3.3 lors de cycles mouillage-drainage est partiel-lement expliqué par des effets géométriques du réseau poreux, comme dans l’exemple bien connu des pores modèles en série (effet « bouteille d’encre ») ou en parallèle. La variation d’angle de contact entre l’avancée et le recul de l’eau (Bear 1972) est aussi une source d’hystérésis souvent mentionnée. Ces phénomènes expliquent pourquoi la teneur en eau à une succion donnée est plus faible au remouillage qu’au drainage.
L’étude des propriétés de rétention d’eau des sols a fait l’objet de recherches importantes depuis près d’un siècle. De nombreux modèles empiriques ou physiques ont été développés pour prédire les propriétés de rétention. Les modèles empiriques se basent sur des paramètres qui n’ont pas de signification physique mais tentent de reproduire au mieux l’allure des courbes de rétention (Brooks et Corey (1964), Gardner (1958), Van Genuchten (1980), Fredlund et Xing (1994) pour les plus utilisés). Au contraire, les modèles physiques exploitent les informations de la microstructure comme la taille des grains, la porosité et/ou la morphologie du réseau poreux (Arya et Paris (1981), Haverkamp et Parlange (1986), Fredlund et al. (1997), Zapata et al. (2000), Aubertin et al. (2003), Zou (2003) parmi d’autres).
Il reste cependant encore de nombreuses interrogations, notamment dans la zone résiduelle où le sol garde une petite quantité d’eau même sous fortes succions. Nitao et Bear (1996) affirment que cette teneur en eau résiduelle n’a pas de réel sens physique et proviendrait plus d’une limite propre au moyen de contrôle de la succion. En effet suivant la méthode (centrifugeuse, plaque tensiométrique, évaporation), les processus d’échange d’eau seront différents et modifient donc les types et les plages de succion réellement accessibles. Par exemple, les méthodes tensiométriques s’appuient sur la continuité de l’eau pour faire varier la teneur en eau du sol contrairement à un contrôle en phase vapeur : la succion maximale accessible par les méthodes tensiométriques est en pratique plus faible qu’en phase vapeur à cause de la pression d’air limitée des céramiques. Le terme de saturation résiduelle utilisé en mécanique des sols pourrait donc traduire une perte de continuité de l’eau (problématique dans les méthodes tensiométriques) ou une sorte de succion de transition eau capillaire – eau adsorbée au-delà de laquelle il subsisterait plus qu’un film d’eau fortement lié aux particules (Bachmann et van der Ploeg 2002).
Film d’eau
Les observations précédentes sur la rétention d’eau sont réalisées à une échelle macroscopique, c’est-à-dire à l’échelle d’un volume de matériau suffisamment grand pour bien représenter la te-neur en eau et la succion d’après Bear (1972), autrement dit à l’échelle du volume élémentaire représentatif pour cette propriété de rétention d’eau (ce concept sera détaillé dans les chapitres suivants). Dans le cas des films d’eau, leur épaisseur est comprise entre 30 Å et environ 1 µm (de Gennes 1985) et des forces de longue portée viennent mettre en défaut les équations de La-place ou de Kelvin qui permettent d’exprimer la pression capillaire et la succion totale (Fredlund 2006). En effet, même si l’on néglige le phénomène d’adsorption dans les milieux granulaires, l’existence d’un film d’eau à la surface des particules (voir figure 3.1(b)) a été observé notamment au micro-scope par Lourenco et al. (2012), même si les temps d’équilibre peuvent être discutés dans cette étude. Initialement sous forme de gouttes d’eau réparties à la surface des grains de sable, un film d’eau apparaît après plusieurs cycles d’imbibition-drainage montrant une évolution complexe de l’angle de mouillage. Or, à l’équilibre le potentiel de l’eau du pont capillaire doit être égal au po-tentiel du film d’eau, autrement dit, la pression d’eau est homogène. L’équation de Laplace seule ne permet pas d’assurer cette égalité. Introduit par Derjaguin, le concept de pression de disjonction Π (Deryagin 1955) permet de quantifier les interactions entre un film mince d’épaisseur ef et ses interfaces (interface liquide-solide et/ou interface liquide-gaz). Dans le cas d’un film mince (film d’épaisseur inférieure à 100 nm dans lequel les effets de la gravité sont négligeables et où une in-teraction entre les interfaces existe (Léger 1989, Fredlund 2006)) qui est en contact avec une phase gazeuse et un solide, les forces intermoléculaires provoquent une augmentation de la pression du liquide. La pression de disjonction est alors la différence entre la pression de la vapeur et celle du liquide lorsque l’interface est plate. L’énergie par unité de surface d’un tel film à la surface d’un solide n’est plus γsl + γlg (respectivement la tension de surface du couple solide-liquide et liquide-gaz) mais γsl + γlg + P (ef ) (c.f. figure 3.4) avec P (ef ) qui tend vers zéro lorsque l’épaisseur du film devient grande. A l’inverse, lorsque l’épaisseur tend vers zéro l’énergie du film tend vers celle de l’interface solide-gaz, donc P (0) = −γsl − γlg + γsg. La pression de disjonction est donnée par (Deryagin 1955) : Π(ef ) = − dP (ef ) (3.4) def
Le succion matricielle devient alors la somme d’une composante capillaire sc et d’adsorption Π comme le propose l’approche « unifiée » développée par Philip (1977), dont la relation est parfois désignée comme la relation de Young-Laplace « augmentée » (Kovscek et al. 1993, Tuller et al. 1999) : sm = sc(C) + Π(ef ) = ua − uw (3.5)
où C est la courbure de l’interface et ef l’épaisseur du film liquide à la surface du solide. Dans l’exemple de la figure 3.1(b), la pression de l’eau dans le ménisque est principalement contrôlée par sa courbure, alors qu’au niveau du film la pression de disjonction domine. A l’équilibre, la somme de ces deux composantes est constante. La pression de disjonction peut se mesurer en utilisant par exemple la méthode de Sheludko, qui consiste à créer un film d’eau à l’aide d’un anneau poreux où la pression d’eau est contrôlée (c.f. figure 3.5 d’après de Gennes et al. (2002)). En changeant la pression d’eau et en mesurant l’épaisseur associée, Π(ef ) est obtenue. Cette pression est aussi déterminée théoriquement à partir des interactions de van der Waals ou de la double couche abordées ci-après.
Pour les forces de van der Waals (prépondérantes dans les liquides organiques d’après de Gennes 1985), la pression de disjonction pour des surfaces plates est généralement donnée par Π(e) = A/(6πe3f ) (de Gennes 1985, Truong et Wayner Jr 1987, Léger 1989, Israelachvili 1991) où la constante d’Hamaker est A =1,02.10−20 J pour le quartz dans l’eau (Israelachvili 1991).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Motivations
1.2 Objectifs
1.3 Organisation du manuscrit
2 Effondrement des sols non saturés : un problème géotechnique « non saturé »
2.1 Quelques cas existants
2.2 Reconnaissance des sols effondrables et critères d’identification
2.3 Paramètres importants et mécanismes d’effondrement
2.3.1 Nature géologique du sol
2.3.2 Granulométrie
2.3.3 Nature des agents de liaison
2.3.4 Niveau de contrainte
2.3.5 Degré de saturation
2.3.6 Densité et microstructure initiales
2.4 Méthodes de traitement
2.5 Conclusions
3 Comportement des sols non saturés 33
3.1 L’eau dans les sols
3.1.1 Méthodes de mesure et de contrôle de la succion
3.1.2 Propriétés de rétention d’eau
3.1.3 Film d’eau
3.2 Observations expérimentales
3.2.1 Essai oedométrique
3.2.2 Essai triaxial
3.2.3 Un effondrement contrôlable ?
3.3 Modélisation mécanique à l’échelle macroscopique
3.3.1 Contrainte effective dans les sols saturés
3.3.2 Contrainte effective dans les sols non-saturés
3.3.3 Modèle de Barcelone
3.4 Modélisation mécanique à l’échelle du grain : pont capillaire
3.4.1 Tension de surface et pression capillaire
3.4.2 Effort capillaire
3.5 Passage de l’échelle du grain à l’échelle macroscopique
3.5.1 Méthodes analytiques ou numériques par homogénéisation
3.5.2 Méthode des éléments discrets
3.6 Conclusions
4 Observation macroscopique de l’effondrement 67
4.1 Effondrement des sables
4.1.1 Constat et stratégie
4.1.2 Sable d’Hostun
4.2 Essai préliminaire de foisonnement
4.2.1 Démarche adoptée
4.2.1.1 Méthodes de remplissage
4.2.1.2 Incertitudes de mesure
4.2.2 Résultats
4.2.2.1 Foisonnement proprement dit
4.2.2.2 Microstructure
4.3 Effondrement par imbibition
4.3.1 Préparation d’échantillons
4.3.1.1 Incertitudes de mesure
4.3.2 Essais d’effondrement avec et sans contrôle du volume d’eau
4.3.3 Résultats : états d’équilibre
4.3.4 Résultats : états non stationnaires
4.3.4.1 Dans le temps : fluage
4.3.4.2 Au cours de l’apport d’eau
4.4 Conclusion
5 Mesures à petites échelles : principes et méthode employée 99
5.1 Mesures de champs à petites échelles
5.1.1 État de contrainte
5.1.2 Pression capillaire
5.1.3 Cinématique
5.1.4 Paramètres d’états
5.2 Stratégie retenue
5.3 Matériel
5.3.1 La tomographie à rayons X
5.3.1.1 Le microtomographe du Laboratoire Navier
5.3.1.2 Principes de fonctionnement
5.3.2 Cellules d’essai
5.4 Corrélation d’images
5.4.1 Maillage de référence
5.4.2 Taille et cinématique des fenêtres de corrélation
5.4.3 Critère de ressemblance et méthode d’interpolation subvoxels
5.4.4 Calcul des déformations
5.5 Segmentation des images de tomographie locale et quantités mesurées
5.5.1 Seuillage des images et incertitudes
5.5.2 Taille des agrégats et des pores
5.5.3 Taille du volume élémentaire représentatif
5.6 Détermination de la teneur en eau locale par la variation des niveaux de gris
5.6.1 Principe de la méthode
5.6.2 Choix des paramètres
5.6.2.1 Teneur en eau et porosité initiales
5.6.2.2 Normalisation des niveaux de gris
5.6.2.3 Niveau de gris des phases
5.6.3 Relations entre les échelles d’observation
5.6.4 Ajustement de la teneur en eau
5.6.5 Résumé de la méthode
5.7 Résultats préliminaires
5.7.1 Chargement mécanique
5.7.2 Imbibition à volume d’eau contrôlé
5.8 Conclusion
6 Effondrement capillaire observé à petites échelles 153
6.1 Processus de préparation d’un échantillon
6.1.1 Choix des images de référence pour la corrélation
6.1.2 Détermination de la ROI
6.1.3 Déformations générées par la compaction et l’arasage dans la ROI
6.1.4 Niveaux de gris et incertitudes de la méthode de traitement
6.1.5 Coupes verticales et moyennes orthoradiales
6.1.6 Conclusion
6.2 Dispositif expérimental
6.2.1 Cellule et échantillon d’essai
6.2.2 Contrôle de l’imbibition par la méthode de la colonne d’eau
6.2.3 Paramètres et protocole d’acquisition
6.3 Caractérisation de la microstructure initiale
6.3.1 Homogénéité verticale et radiale
6.3.2 Seuillage des images et incertitudes
6.3.3 Taille des agrégats et des pores
6.3.4 Volume élémentaire représentatif
6.4 Évolutions de l’échantillon au cours de l’imbibition
6.4.1 Potentiel de rétention d’eau
6.4.2 Corrélation d’images volumiques
6.4.3 Teneur en eau par la variation des niveaux de gris
6.4.4 Taille des agrégats et des pores remplis d’air
6.4.5 Tailles du volume élémentaire représentatif
6.5 Discussions
6.5.1 Microstructure initiale et son évolution avant effondrement
6.5.2 Mécanisme d’effondrement
6.5.3 Hétérogénéités
6.5.4 Relations micro-macro
6.6 Conclusion
7 Perspectives et conclusion 207
7.1 Perspectives
7.1.1 Comportement sous cycles d’imbibition-drainage
7.1.2 Comportement sous charge mécanique et états instationnaires
7.1.3 Comportement hydro-mécanique local d’autres matériaux
7.1.4 Comportement à l’échelle des grains
7.2 Conclusion
8 Références bibliographiques 215
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