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CATEGORISATIONS EXISTANTES
Dans le cadre de la coopération homme‐machine les différents dispositifs automatiques proposant des modes d’interactions variés impliquent différents types de coopération. La coopération homme‐machine appliquée à la conduite automobile ne fait pas exception (Villarme, 2004). Avant de détailler une catégorisation spécifique aux assistances à la conduite proposée par Hoc, Young et Blosseville (sous presse), la classification de Sheridan et Verplank (1978) sera présentée.
Les dix niveaux d’automatisation de Sheridan et Verplank
Le Tableau 5 reprend la classification proposée par Sheridan et Verplank (1978), originellement établie dans le contexte de la télé‐opération sous‐marine. Cette classification présente dix niveaux de répartition des rôles entre l’homme et la machine (ici nommée ordinateur) pour une tâche donnée. La répartition des fonctions entre l’homme et la machine est basée sur le choix des différentes options, puis de l’action à réaliser. Le modèle cherche donc à définir qui, de l’homme ou de la machine, décide des alternatives et de l’action à effectuer. Toutefois, cette classification ne permet pas de décrire comment homme et machine se partagent les tâches à effectuer. La description est centrée sur les activités de la machine, les dix catégories ont donc été définies uniquement sur la base de ce que la machine fait ou ne fait pas. Les activités coopératives ne sont donc pas abordées directement mais au travers des actions de la machine. La classification suivante de Hoc, Young et Blosseville (sous presse) cherche au contraire à modéliser les formes d’interférences, appelées modes de coopération, entre homme et machine.
Niveaux et modes de coopération en conduite automobile
Ainsi, et sur la base du modèle de Hoc (2000, 2001a) présenté dans la section précédente, Hoc et Blosseville (2003) et Hoc, Young et Blosseville (sous presse) proposent un cadre théorique pour la coopération homme‐machine en conduite automobile. Ce cadre théorique repose sur quatre présupposés. Premièrement, le développement récent des nouvelles technologies dans le domaine de l’automatisation des véhicules autorise à y parler de coopération homme‐machine. En effet, sont aujourd’hui disponibles les technologies nécessaires à l’élaboration d’assistances coopératives entre les dites technologies et les conducteurs. Deuxièmement, les assistances à la conduite sont envisagées comme des aides et non comme une substitution aux conducteurs. Troisièmement, ce cadre théorique se distingue nettement de celui de Sheridan et Verplank (1978), en se basant non plus sur la division des tâches à effectuer entre homme et machine, mais sur les modifications qu’impliquent les activités coopératives sur l’activité humaine. Enfin, et au contraire du modèle de Sheridan et Verplank (1978), le modèle de Hoc, Young et Blosseville (sous presse) présente une catégorisation des assistances se basant sur l’activité humaine en situation de coopération homme‐machine. Ainsi, l’aide apportée aux conducteurs est dépendante d’une bonne coopération homme‐machine.
• Les niveaux de coopération
Les trois niveaux de coopération (méta‐coopération, coopération dans la planification et coopération dans l’action) décrits par Hoc (2001a) ont été adaptés au domaine de la conduite automobile.
La coopération dans l’action renvoie à la gestion des interférences à court terme, sans anticipation ou presque, sur les objectifs poursuivis par l’autre agent. Les quatre types d’interactions décrits précédemment peuvent prendre place à ce niveau. Par exemple, c’est une interférence de type contrôle mutuel qui est mise en jeu avec une assistance fournissant un avertissement. Dans ce cas, l’assistance (« machine » de l’équipe homme‐machine) agit comme un agent contrôlant les activités de l’autre agent et délivrant une évaluation sur ces agissements. Dans le cas d’un avertissement, cette évaluation prend la forme d’une critique. Elle peut aussi prendre la forme d’un conseil lorsque l’assistance se veut anticipative. L’expérience acquise lors d’études portant sur les pilotes d’avion a amené à recommander l’interférence de type contrôle mutuel, et ce de par l’impossibilité d’anticiper l’ensemble des erreurs résultant de la complexité des interactions entre l’agent, la machine et le contexte (Wiener, Kanki & Helmreich, 1993). La grande majorité des assistances visant à l’amélioration de la sécurité lors de situations critiques interviennent à ce niveau de coopération.
L’introduction d’assistances entraîne des modifications dans les comportements des conducteurs. Il est souhaitable que ces modifications améliorent leurs comportements. Parfois cependant, l’introduction d’assistances engendre des effets aussi bien indésirables qu’inattendus sur les comportements des individus (Parasuraman & Riley, 1997). Dans le contexte des transports routiers, ces effets ont été qualifiés d’adaptations comportementales (OECD, 1990, Rudin‐Brown & Noy, 2002 ; Rudin‐Brown & Parker, 2004). Ces adaptations comportementales comprennent l’ensemble des modifications de comportements faisant suite à un changement dans le système conducteur‐véhicule‐environnement, comme par exemple l’introduction d’une assistance. Ces adaptations peuvent donc aussi bien aller dans le sens d’une amélioration comme dans celui d’une dégradation des performances de l’individu. Une théorie qualitative des adaptations comportementales, apparaissant suite à l’introduction d’une assistance à la conduite, autorise à des prédictions sur la nature et la sévérité des dites adaptations comportementales (Brown, 2000 et Rudin‐Brown & Noy, 2002 ; voir figure 9). Ce modèle repose sur le modèle mental que se fait chaque individu de l’activité de conduite. Deux caractéristiques principales de sa personnalité sont prises en considération. L’attribution causale que chaque individu fait des événements (dans le cas présent, émanant de la situation de coopération homme‐machine). Les individus présentant majoritairement des attributions causales externes auraient ainsi une plus grande facilité à céder le contrôle à une assistance que les individus favorisant des attributions causales internes. Par conséquent, ils pourraient se reposer, voire devenir trop confiants vis‐à‐vis de l’assistance, ce qui amènerait à un moindre investissement dans l’activité de conduite, ralentissant, voire même inhibant leurs réactions, en cas de défaillance de l’assistance. La deuxième composante de la personnalité utilisée est la propension du conducteur à rechercher des sensations. Ainsi, les individus à la recherche de sensations seraient plus sensibles aux adaptations comportementales dans la mesure où l’assistance serait perçue comme diminuant le niveau de risque (Burns & Wilde, 1995).
Ce modèle qualitatif des adaptations comportementales inclut également une dépendance du modèle mental de l’activité de conduite à la confiance placée par les conducteurs dans l’assistance. La confiance placée dans la « machine » est un facteur explicatif de l’utilisation et de la dépendance vis‐à‐vis d’une grande variété de dispositifs automatiques (ex. : Sheridan, 1980 ; Sheridan & Hennessy, 1984). D’après Muir (1994), les individus interviennent dans une situation ou reprennent le contrôle manuel d’une tâche lorsque leur niveau de confiance dans l’assistance passe en deçà d’un certain seuil. Si au contraire, les conducteurs ont placé un niveau de confiance dans l’assistance suffisamment important, il est possible qu’ils se contentent de l’assistance et éprouvent des difficultés à intervenir lors d’une défaillance. Ce phénomène est connu sous le nom de contentement (Parasuraman, 2000).
Le modèle mental du conducteur, alimenté par certaines caractéristiques de sa personnalité et de la confiance placée dans la(es) machine(s) avec lesquelles il doit coopérer, influencent l’activité de conduite dans son ensemble (cf. les trois niveaux de contrôle définis par Michon (1985), cadre général, partie I.1). Les feedbacks reçus du véhicule, de la route et de l’environnement affectent la confiance du conducteur, aussi bien directement (avec l’expérience) qu’indirectement (informations reçues par les médias, d’autres personnes, ou via des compagnes de prévention routière).
D’après Rudin-Brown et Noy (2002).
Selon Hoc et al. (sous presse), deux types d’adaptations comportementales peuvent se développer au niveau de la coopération dans l’action : le contournement de l’assistance et le phénomène de contentement.
Un effet de contournement de l’assistance faisant suite à l’introduction d’un régulateur de vitesse et d’inter‐distance (ACC) a été observé (sur simulateur de conduite : Nilsson, 1995 ; et en conditions de conduite réelle : Saad & Villame, 1999). Ces deux études montrent que les conducteurs passent plus de temps sur la voie de gauche en présence de l’assistance qu’en son absence. Ce comportement vise à réduire l’interférence homme‐machine perçue comme négative par les conducteurs. Cette perception négative du dispositif est liée à la réduction de la vitesse du véhicule commandée par l’assistance au moment d’un dépassement à réaliser, réduction de vitesse elle‐même liée au rapprochement entre le véhicule conduit et le véhicule à dépasser. En conséquence, les conducteurs préfèrent anticiper leur manœuvre de dépassement et passer plus de temps sur la voie de gauche (dans le cas où aucun véhicule ne s’y trouve) afin de maintenir une vitesse stable. Cadre général, la coopération homme‐machine
Le phénomène de contentement a déjà été observé dans le domaine de l’aviation (Moray, 2003 ; Parasuraman, Molloy, & Singh, 1993). Même s’il n’y a pas de consensus sur la définition du terme, le phénomène de contentement est décrit par Wiener (1981, (p. 117) comme : « Un état psychologique caractérisé par un faible taux de suspicion. »
Le contentement est observable pratiquement par l’incapacité des opérateurs à répondre efficacement, suite à un fonctionnement défectueux d’une assistance (Parasuraman et al., 1993). Par exemple, lorsqu’une assistance sort de son domaine de validité et que l’opérateur n’est pas capable de reprendre en main efficacement la situation, le phénomène de contentement peut en être à l’origine.
Trois manifestations non exclusives du contentement sont distinguables : la négligence des informations nécessaires à la réalisation de la fonction déléguée, la déficience de supervision de cette fonction, la déficience de correction des résultats (Hoc et al., sous presse). Appliqué au domaine de la conduite automobile, les conducteurs dont une partie de l’activité de conduite a été déléguée à une assistance, pourraient négliger les informations visuelles habituellement utiles à la réalisation de la fonction. Ils pourraient aussi présenter des défauts de supervision ou de correction de cette fonction. Dans le domaine des assistances à la conduite, Ward, Fairclough et Humphreys (1995) sont les premiers auteurs à notre connaissance, à rapporter un phénomène de contentement suite à l’utilisation de l’ACC. Stanton et al. (2001) en font également état. Lors de leur expérience, menée sur simulateur de conduite, les conducteurs avaient pour consigne de rattraper un véhicule, puis de le suivre à une distance « confortable ». Cette procédure expérimentale d’une durée d’environ 10 minutes était répétée dans quatre conditions expérimentales : sans assistance, avec l’ACC, avec une assistance gérant la position latérale du véhicule en autonomie (régulateur de position latérale : RPL) et avec la combinaison des deux types d’assistance. Dans chaque condition expérimentale, le véhicule suivi freinait brutalement une fois. Les participants n’étaient pas informés de cet événement, ni de l’endroit de sa survenue. Les résultats montrent un nombre de collisions arrières avec le véhicule suivi, lorsque ce dernier freine brutalement, plus important en condition avec assistance. En rapport à la condition sans assistance, le nombre de collisions est doublé avec le RPL et quadruplé avec l’ACC et la combinaison ACC plus RPL. Ces effets sont observés alors qu’il n’y a pas de différence significative entre conditions pour la vitesse comme pour le temps de pré‐contact séparant le véhicule conduit du véhicule suivi. Dans l’ensemble, l’assistance a introduit des difficultés d’évitement. Ce type de résultats peut trouver une source d’explication dans le phénomène de contentement.
La coopération dans la planification consiste essentiellement en l’élaboration et le maintien d’un référentiel commun entre les deux agents de l’équipe homme‐machine. Ce référentiel commun comprend notamment une représentation commune de l’état de l’environnement dans un format adapté à chacun des agents. La présentation de l’information n’est toutefois pas nécessairement commune aux deux agents et peut au contraire être adaptée aux tâches de chacun. Une assistance à la conduite automobile ‐ pour fonctionner normalement ‐ peut nécessiter des valeurs d’accélération latérale ou d’un coefficient d’adhésion au sol, tandis que les conducteurs préféreront une traduction de ces valeurs en termes de sensations. Le référentiel commun n’inclut pas uniquement une représentation commune de l’environnement, il fait également état des activités de l’équipe, à savoir les plans et objectifs communs à l’équipe homme‐machine, la répartition des fonctions au sein de l’équipe… Ce référentiel commun est alimenté par une communication entre agents. Les activités et statuts de la machine sont notifiés au conducteur et les intentions du conducteur parviennent à la machine via les actions qu’il entreprend. Ce niveau de coopération n’a pas encore fait l’objet de l’attention des chercheurs dans le contexte de la conduite automobile. Toutefois, c’est très probablement une voie de recherche qu’il conviendra d’explorer dans le futur. Par exemple, la communication de l’assistance vers le conducteur requiert probablement d’être opérée de manière plus directe qu’au moyen d’un avertissement ; ce dernier constituant une information symbolique par définition peu compatible avec une intervention au niveau de l’action (subsymbolique). Une solution dans ce sens pourrait être de délivrer des avertissements via des interfaces dites écologiques (Vicente, 2002). L’objectif de ces interfaces est de rendre la perception des avertissements plus évidente au conducteur, de manière à améliorer ses performances et à libérer des ressources attentionnelles symboliques. Dans ce cas, le référentiel commun serait toujours élaboré et maintenu à jour au niveau de la planification. Sa mise à jour serait simplement facilitée par un meilleur accès aux éléments relatifs à l’action, qui alimentent en continu le niveau de coopération dans la planification.
La méta‐coopération est un niveau de coopération qui permet de faciliter la coopération aux deux niveaux précédents, et ce par l’utilisation de modèles de soi‐même, de l’autre agent ou de l’interaction entre les deux agents. C’est à ce niveau qu’est ajustée la confiance placée dans l’assistance en relation avec la confiance en soi (Lee & See, 2004 ; Muir, 1994). Le modèle de l’interaction entre le conducteur et l’assistance joue également un rôle important dans le développement de la confiance dans le système (Rajaonah, Anceaux, Espié & Hoc, 2003). Un modèle imprécis de la machine peut engendrer un phénomène dit de sur‐généralisation. Le conducteur attribue alors à l’assistance des fonctions qu’elle n’est pas en mesure de réaliser. Avec un régulateur de vitesse et d’inter‐distance, le nombre de collisions arrières lors d’un freinage brusque du véhicule suivi, augmente (Stanton et al., 2001 ; Stanton & Young, 1998), car les conducteurs se sont représentés l’assistance comme étant également un système anticollisions. L’ABS est un autre exemple pointant l’importance d’un modèle de l’assistance adapté. L’efficacité de l’ABS a été observée en termes de réduction d’accidents pour les jeunes conducteurs mais pas pour les conducteurs âgés (Broughton & Baugham, 2002). Les conducteurs âgés continueraient de freiner de manière intermittente pour éviter que le véhicule ne se mette à déraper. Or cette activité est le propre de l’ABS. De par le comportement des conducteurs âgés, l’avantage sécuritaire de l’assistance est annihilé. L’objectif d’une aide opérant à ce niveau de coopération est de faciliter l’élaboration simple et pertinente d’un modèle de fonctionnement de l’assistance.
• Les modes de coopération
Par ailleurs, Hoc et al. (sous presse) ont élaboré une catégorisation par modes de coopération prenant en compte les activités coopératives en plus des niveaux d’automatisation. Quatre modes de coopération, ordonnés selon le degré d’intervention de l’assistance sur le contrôle du véhicule, ont ainsi été définis.
Avec le mode perceptif, l’assistance fournit un complément d’information aux conducteurs afin d’améliorer leur perception de l’environnement et, éventuellement, leur conscience de la situation. Rendre ce mode de coopération efficace implique de déterminer quelles informations pertinentes sont à fournir aux conducteurs et sous quelle forme. Cette aide serait fournie soit de manière continue ou serait déclenchée automatiquement sur la base de certains critères (ex. : une aide à la conduite de nuit se déclenche dans l’obscurité). Par ailleurs, l’information perceptive transmise au moyen de l’assistance peut aussi bien être de nature symbolique que de nature subsymbolique. Le recours au compteur de vitesse illustre un usage courant d’une information de nature symbolique afin d’améliorer la perception qu’ont les conducteurs de leur propre vitesse de déplacement. Le traitement associé aux informations symboliques est gourmand en temps et en ressources attentionnelles symboliques. Au contraire, fournir des informations s’insérant directement dans les boucles de régulations sensori‐motrices, permettrait d’influencer les actions des conducteurs dans des délais réduits. Un enjeu prioritaire est donc de déterminer la modalité sensorielle à mobiliser pour favoriser les réponses motrices des conducteurs.
Pour illustrer d’un exemple commun une assistance de type mode perceptif ayant recours soit à l’utilisation d’informations symboliques, soit subsymboliques ; nous avons choisi une assistance visant à adapter la vitesse d’approche en virage. À l’approche d’un virage en conditions de visibilité dégradée, un conseil sur la vitesse à adopter peut être adressé aux conducteurs (ex. : LeBlanc et al., 2006). Mais une solution alternative est de fournir une information de nature subsymbolique. Par exemple, Ward et al. (2004) utilisent un dispositif permettant de restituer une partie de l’information visuelle pertinente (distance séparant le véhicule de l’entrée en virage) pour le choix de la vitesse d’approche d’un virage.
Avec le mode contrôle mutuel, l’assistance est conçue pour intervenir lorsque les conducteurs dépassent des limites prédéfinies en termes de risque (de dépassement de vitesse ou de sortie de voie, par exemple). L’intervention de l’assistance consiste soit en une simple critique du comportement du conducteur, soit en une critique transmise via une action sur la direction du véhicule et donc sur sa trajectoire. Quatre modes de type contrôle mutuel impliquant un degré d’intrusion croissant ont été distingués :
Mode avertissement : Sur la base de l’estimation anticipée d’un risque, l’assistance émet une critique sur le comportement du conducteur. La où les modalités sensorielles mobilisées pour transmettre l’avertissement peuvent en affecter son efficacité. Concernant cette question, la modalité haptique semble être une bonne alternative aux modalités visuelles et auditives déjà largement sollicitées par l’activité de conduite non assistée. Une autre problématique d’importance concerne les conditions de déclenchement de l’assistance (ex. : Lee, Mc Gehee, Brown & Reyes, 2002). Les limites prédéfinies à l’origine du déclenchement d’un avertissement doivent être compatibles avec l’estimation du risque du conducteur. En effet, les deux agents de l’équipe homme‐machine doivent partager un référentiel commun, essentiellement en termes de risques perçus et du moment de déclenchement de l’avertissement. A défaut d’avoir un référentiel commun, les avertissements pourraient être perçus par les conducteurs soit comme trop nombreux (fausses alarmes), soit comme pas assez nombreux (alarmes manquées).
Mode suggestion d’action : Très proche du mode avertissement, ce mode n’intervient pas directement sur le contrôle de la trajectoire du véhicule. Toutefois, l’information fournie aux conducteurs, est plus qu’une simple critique sur leur comportement. En plus d’avertir les conducteurs le mode suggestion d’action va les inciter à entreprendre une action donnée en agissant directement sur l’actionneur spécifique de l’action à entreprendre. Par exemple, une vibration sur la pédale d’accélérateur déclenchée sur la base d’un dépassement de la limite de vitesse autorisée (ex. : Gouin, Cherrier & Touvenot, 2003). La vibration de la pédale d’accélérateur est à la fois un avertissement (critique du comportement du conducteur) et une incitation à lever le pied de l’accélérateur, de par sa localisation sur l’actionneur en charge de la régulation de la vitesse.
Mode limitatif : Ce mode vise à inciter les conducteurs à ne pas réaliser certaines actions. Contrairement au mode suggestion d’action, cette incitation tend à réduire les possibilités d’action des conducteurs. Dans le prolongement de l’exemple du contrôle longitudinal développé précédemment lorsque les conducteurs approchent la limite de vitesse autorisée, la pédale d’accélérateur se rigidifie de manière à restreindre la possibilité d’accélérer. Une simple pression supplémentaire sur la pédale désactive l’assistance ; la pédale offre alors une résistance classique. Cette assistance s’est montrée efficace pour réduire la vitesse des conducteurs (Várehlyi, Hjälmdahl, Hydén & Draskóczy, 2004). L’intervention active du dispositif dans l’activité de guidage du véhicule apparaît véritablement avec ce mode de coopération.
Mode correctif : Ce mode de coopération participe très clairement à l’activité de guidage. Les études portant sur ce mode de coopération en sont encore au stade de l’élaboration de prototypes. Le LIVIC (Laboratoire sur les Interactions Véhicule‐ Infrastructure‐Conducteur) a par exemple développé une assistance au contrôle latéral ramenant le véhicule sur une trajectoire sûre lorsque le conducteur se trouve être proche de la sortie de voie. Le conducteur perd donc de façon transitoire le contrôle du véhicule. Il est donc crucial que l’action du dispositif s’insère efficacement dans les boucles de contrôles sensori‐motrices du conducteur, afin de ne pas provoquer de réactions inadaptées et d’assurer une bonne reprise en main.
Avec le mode délégation de fonction, le conducteur choisit de confier durablement une partie de l’activité de conduite à l’assistance. Deux sous‐catégories de délégation de fonction ont été distinguées :
Mode médiatisé : Les actions des conducteurs sur les commandes du véhicule ne sont pas directement utilisées pour le guidage du véhicule. C’est l’assistance qui agit comme un médiateur entre les actions du conducteur et la commande effective du véhicule. L’ABS est une bonne illustration du mode médiatisé. Lorsque les conducteurs effectuent un freinage d’urgence, ils pressent la pédale de frein et l’ABS régule la force du freinage (de manière à éviter que le véhicule ne se mette à déraper). C’est bien l’assistance qui gère l’activité de freinage et non pas le conducteur.
Mode régulé : La gestion d’une tâche de conduite est déléguée durablement à l’assistance. Toutefois, les conducteurs choisissent de mettre en marche ou d’arrêter l’assistance quand bon leur semble. Le régulateur de vitesse et d’inter‐ distance est l’exemple caractéristique de ce mode d’assistance. Après avoir défini une vitesse de croisière et un temps séparant le véhicule conduit du véhicule précédent, le conducteur laisse l’assistance réguler la position longitudinale en autonomie. Ainsi, l’assistance est capable de maintenir une vitesse donnée, mais aussi de réduire ou d’augmenter cette vitesse en fonction du trafic. Le positionnement longitudinal du véhicule est alors géré efficacement. Néanmoins l’introduction de cette assistance peut entraîner certains effets néfastes tels que des difficultés de reprise en main lorsque l’assistance est mise en situation d’invalidité (Stanton et al., 2001 ; Young & Stanton, 2007).
Avec le mode complètement automatisé l’assistance gère complètement les activités de guidage du véhicule (contrôle latéral et contrôle longitudinal). Les auteurs envisagent deux cas de figure où un recours à ce mode d’assistance peut être nécessaire. Lorsque le conducteur est incapable de guider son véhicule (freinage d’urgence sans action de la part des conducteurs) et lorsque les risques sont très élevés (contrôle latéral dans les tunnels). Le risque principal associé à ce mode de coopération est que le conducteur se retrouve « hors de la boucle » (Kaber & Endsley, 1997), rendant un retour en contrôle manuel difficile.
Les différents modes d’assistance présentés se distinguent de par le moment de leur intervention dans l’activité de conduite. Les modes perceptif, délégation de fonction et complètement automatisé sont actifs en continu dans l’activité de conduite. En revanche, les autres modes agissent de manière transitoire. Le mode avertissement, puisqu’il a pour fonction d’améliorer le diagnostic de la situation par le conducteur, va intervenir avant l’arrivée du danger considéré. Le mode suggestion d’action intervient également en amont de l’apparition de la situation critique. Les modes limitatifs et correctifs peuvent être envisagés comme intervenant immédiatement avant ou après l’apparition de la situation critique, respectivement pour prévenir ou pour éviter l’aggravation d’une situation devenue dangereuse. Le tableau 6 propose un croisement des niveaux et des modes de coopération ainsi qu’une illustration systématique pour une assistance aux sorties de voies. Par ailleurs, différents niveaux et/ou modes de coopération décrits peuvent être requis au même moment pour l’exécution parallèle de plusieurs tâches liées à l’activité de conduite automobile.
LES ASSISTANCES AU CONTROLE LATERAL
Sur la base de la catégorisation précédente, cette partie présente un état de l’art des différents travaux menés sur les assistances au contrôle latéral. Les différents dispositifs mis en regard des différents niveaux d’automatisation sont présentés. La même logique de présentation a été adoptée pour l’ensemble des sous‐parties de ce troisième chapitre. Ainsi, après une première étape descriptive du fonctionnement de chaque dispositif décrit, ses incidences sur les comportements des conducteurs seront exposées. Cette partie présentera successivement le correcteur électronique de trajectoire, unique dispositif représentant la catégorie d’automatisation du véhicule, puis, les assistances catégorisées comme automatisation de l’activité de conduite. Toutes les assistances de ce deuxième type sont clairement génératrices d’interférences (conçues pour être facilitatrices) avec les conducteurs. C’est donc un cadre théorique relevant de la coopération homme‐machine qu’il convient d’utiliser pour les étudier. Les différents modes de coopération homme‐machine précédemment identifiés (cadre général, partie II.3) seront présentés séquentiellement.
AUTOMATISATION DU VEHICULE : L’ESP
Présentation du correcteur électronique de trajectoire
La catégorie automatisation du véhicule telle qu’elle a été décrite précédemment correspond nécessairement à l’automatisation autonome d’une partie de l’activité de conduite. Ce type d’automatisation qualifiable de transparente, n’est pas destiné à interférer avec les conducteurs mais à améliorer le comportement dynamique du véhicule. Pour le contrôle latéral, une seule assistance entre dans cette catégorie : le correcteur électronique de trajectoire (ESP)2. Différents types d’ESP aux noms et caractéristiques techniques variables ont été développés par diverses entreprises. Néanmoins, leur principe de fonctionnement général demeure similaire. Ce système corrige la trajectoire en agissant sur le système de freinage du véhicule. Pour une description détaillée des composants et fonctions de l’ESP, voir Van Zanten (2000, 2002). Lorsque le conducteur d’un véhicule équipé de l’ESP prend un virage à trop grande vitesse, le véhicule peut perdre de l’adhérence avec la chaussée et donc entrer en dérapage. Deux types différents de comportements du véhicule sont alors envisageables : soit le véhicule sous‐vire, soit il survire. Dans le cas d’un sous‐virage, ce sont les roues avant du véhicule qui dérapent, l’angle des roues n’est alors plus corrélé à la trajectoire du véhicule. Le véhicule ne suit plus la courbure de la route et a tendance à aller tout droit. Dans le cas du survirage, ce sont les roues arrière qui dérapent suite à une perte d’adhérence. L’arrière du véhicule tend alors à « rattraper » l’avant, entraînant un risque de tête‐à‐queue. Pour déceler les cas de sous‐virage et de survirage l’ESP, a recours, à minimum, à des capteurs placés au niveau des quatre roues et du volant. Des calculateurs sont chargés de comparer la vitesse des quatre roues entre elles et de vérifier si la position angulaire du volant (souhaitée par le conducteur) est en adéquation avec la direction des roues. Dans les cas où la vitesse des roues avant et arrière est différente et où la position angulaire du volant ne correspond pas à la direction des roues, le système intervient en freinant de une jusqu’à trois des roues. La figure 11 présente l’exemple de la situation de sous‐virage. Sur la figure, les deux roues avant dérapent et le véhicule tend à aller tout droit au lieu de suivre la courbure du virage vers la droite. L’ESP va alors actionner un freinage de la roue arrière droite de manière à rectifier la trajectoire du véhicule. Il est à noter que les concepteurs d’ESP utilisent des stratégies différentes pour maintenir le véhicule sur la bonne trajectoire. Il est par exemple possible, dans ce cas, de freiner les deux roues se situant à l’intérieur du virage si le sous‐virage est important.
Incidences de l’ESP sur les conducteurs et l’accidentologie
L’ESP est utile aux conducteurs lorsque ceux‐ci surévaluent la vitesse de négociation d’un virage (ex. : négociation d’un virage à 70 km/h au lieu de 50 km/h) et lorsque les conducteurs tournent leur volant trop brusquement pour une quelconque raison (par exemple, lors de l’évitement d’un obstacle ou après un écart important par rapport à la trajectoire désirée). Il est également attendu que l’ESP soit utile aux conducteurs en conditions d’adhérence dégradées (ex. : route mouillée, neigeuse, ou glacée), ou bien encore lors de la combinaison de deux ou trois de ces situations (Sferco, Page, Lecoz & Fay, 2001).
Comme décrit précédemment, l’ESP est un dispositif d’assistance considéré comme une nouvelle caractéristique du véhicule plutôt qu’une assistance avec laquelle les conducteurs doivent interagir. De ce point de vue, l’ESP est un dispositif proche de l’ABS, les deux ayant en commun de ne pas interférer avec les actions des conducteurs, mais plutôt d’optimiser leurs actions presque à leur insu. Pour preuve, les conducteurs ne connaissent pas nécessairement le mode de fonctionnement de l’assistance. Ce rapport homme‐machine particulier s’est déjà révélé être générateur de problèmes d’utilisation avec l’ABS. En effet, cette assistance ne s’est pas montrée aussi efficace qu’attendu lorsque des études sur l’accidentologie réelle ont été menées (Farmer, 2001 ; Kahane, 1994). Cette moindre efficacité a été expliquée par une mauvaise utilisation de l’assistance. Certains conducteurs relâcheraient la pédale de frein pour éviter que les roues ne se bloquent, alors que cette tâche est déjà prise en charge par l’assistance. Une autre explication consiste à penser que les conducteurs cherchent à maintenir un niveau de risque constant (concept d’homéostasie du risque ; Wilde (1982)). Ainsi, les bénéfices apportés par les dispositifs d’assistances seraient amoindris par des prises de risques accrues. Toutefois, à notre connaissance, aucun résultat faisant état de telles adaptations comportementales n’a encore été rapporté avec l’ESP.
L’ESP est la première assistance dévolue au contrôle latéral du véhicule à avoir été disponible sur le marché. Cette assistance a fait son apparition en 1995 en Europe et quelques années après aux États‐Unis (Memmer, 2001). Cette période de temps autorise à déterminer l’influence de l’ESP sur l’accidentologie réelle. Toutefois, l’efficacité observée de l’ESP sur l’accidentologie dépend des indicateurs utilisés et des accidents ciblés par les études. Une revue des études existantes concernant l’impact de l’ESP sur le nombre d’accidents nous a conduits à les classer en trois catégories : celles portant sur la réduction des accidents de manière générale (Tableau 7), celles spécifiques aux accidents suivant une perte de contrôle (Tableau 8) et celles quantifiant l’impact sur les accidents cibles de l’ESP (Tableau 9 ; voir Page & Cuny, 2006 pour une description des accidents cibles de l’ESP). Chaque tableau est composé d’une ligne par étude et de cinq colonnes. Ces colonnes renseignent respectivement des auteurs de l’étude, du type d’étude, du pays où l’étude a été conduite, d’éventuelles conditions spécifiques et de l’effet de l’ESP. Pour les études portant sur l’analyse des accidents enregistrés en conduite réelle, deux types d’études coexistent : les études « avant‐ après », qui comparent le nombre d’accidents avant l’introduction de l’ESP sur le marché et une fois qu’il y est implanté, et les études « cas contrôle », qui sont menées sur un ou plusieurs modèles de véhicules commercialisés sans ESP dans un premier temps, puis ayant été dotés de l’ESP.
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Table des matières
RÉSUMÉ
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CADRE GÉNÉRAL
I. LE CONDUCTEUR
I.1 L’activité de conduite automobile
I.2 Les modalités sensorielles sollicitées
I.3 Les niveaux de traitement de l’information
I.4 Attention et conduite automobile
I.5 Les erreurs humaines en situation de conduite
II. LA COOPERATION HOMME‐MACHINE
II.1 Définition du concept
II.2 Catégorisations existantes
II.3 Catégorisation adoptée
III. LES ASSISTANCES AU CONTROLE LATERAL
III.1 Automatisation du véhicule : l’esp
III.2 Perception augmentée
III.3 Les systemes d’avertissement aux sorties de voies
III.4 Les dispositifs coactifs
III.5 La délégation de fonction
III.6 L’automatisation complète
IV. METHODES D’INVESTIGATION CHOISIES
IV.1 Les moyens d’études expérimentaux : simulation de conduite ou conduite réelle ?
IV.2 Les conditions d’évaluation des assistances
IV.3 Les méthodes d’évaluation des assistances
PARTIE EXPÉRIMENTALE 1 : APPORTS DES SYSTEMES D’AVERTISSEMENTS AUX SORTIES DE VOIE : AVERTISSEMENTS SIMPLES ET AMORÇAGE MOTEUR
I. INTRODUCTION
II. EXPERIENCE 1 : EFFICACITE COMPAREE DES ASSISTANCES AMORÇAGE MOTEUR ET AVERTISSEMENT AUX SORTIES DE VOIE
II.1 Introduction
II.2 Méthodes
II.3 Résultats
II.4 Discussion
II.5 Conclusion
III. EXPERIENCE 2 : VERS UNE MEILLEURE COMPREHENSION DE L’EFFICACITE DE L’AMORÇAGE MOTEUR ET PREMIERS ELEMENTS SUR SON ACCEPTABILITE COMPARATIVEMENT AUX SYSTEMES D’AVERTISSEMENTS AUX SORTIES DE VOIES
III.1 Introduction
III.2 Méthodes
III.3 Résultats
III.4 Discussion
IV. CONCLUSIONS SUR LA PARTIE EXPERIMENTALE 1
PARTIE EXPÉRIMENTALE 2 : RÉGULATION LATÉRALE AUTOMATISÉE ET ADAPTATIONS COMPORTEMENTALES ASSOCIEES
I. INTRODUCTION
II. METHODES
II.1 Participants
II.2 Matériel
II.3 Assistance utilisée
II.4 Procédure
II.5 Analyse des données
III. RESULTATS
III.1 Comportements des conducteurs sur les commandes du véhicule
III.2 Analyse des stratégies visuelles
III.3 Verbalisations spontanées relatives à la coopération homme‐machine
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
CONCLUSIONS GÉNÉRALES ET PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES
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