Théorie de Landau
Nous venons de voir que les phases avant et après transition peuvent présenter des symétries différentes. La présence ou l’absence d’une rupture de symétrie est important pour le comportement des transitions de phase. Considérons par exemple la transition entre un fluide (liquide ou gaz) et un solide cristallin. Alors que la transition entre la phase liquide et la phase gazeuse s’arrête au point critique, la ligne de transition entre les phases liquide et solide est illimitée (figure 1.4). La raison profonde de cette différence tient à la notion d’ordre, au sens géométrique du terme. Le fluide est composé de molécules arrangées de manière désordonnée mais homogène et possède une symétrie continue : chaque point dans le fluide a les mêmes propriétés que n’importe quel autre point. Le solide cristallin est par contre fait d’atomes arrangés selon un réseau. Ce réseau est hétérogène et anisotrope : les propriétés varient grandement d’un point à un autre, et selon les directions considérées, mais sont périodiques. La transition ferromagnétique est un autre exemple d’une transition brisant la symétrie ; il s’agit dans ce cas de la symétrie des courants électriques et des lignes de champ magnétique. Chaque domaine a un champ magnétique pointant dans une direction fixée choisie spontanément pendant la transition de phase. On parle de « symétrie de haut et bas », ou de « symétrie d’inversion du temps » car les courants électriques inversent leur direction quand le sens du temps est inversé. Pour décrire d’un point de vue phénoménologique la présence ou l’absence d’une brisure de symétrie, Landau développa une théorie (Landau (1958)) introduisant la notion de paramètre d’ordre η qui est nul dans la phase de haute symétrie (phase haute température) et qui devient non nul dans la phase de basse symétrie (phase basse température). η est une mesure de l’ordre résultant d’une transition de phase et représente de combien la densité (électronique, de spin,…) dans la phase moins symétrique (en dessous de Tc) diffère de celle de la phase de plus haute symétrie
Mécanisme des transitions de phase structurales
D’un point de vue dynamique, deux situations limites sont en général considérées pour les transitions de phase structurales :
1) displacive quand le paramètre d’ordre est associé à des déplacements d’atomes et il peut être décrit par une coordonnée normale de vibration Q(q,j) avec q le vecteur d’onde et j l’indice de la branche;
2) ordre-désordre quand le paramètre d’ordre est associé à des différences d’occupation entre différents états locaux (dynamique de relaxation). Pour décrire de telles transitions, un modèle microscopique simple a été proposé en considérant une chaîne unidimensionnelle d’atomes qui résident dans un double-puits de potentiel et qui interagissent par couplage élastique avec ses plus proches voisins. Dans le cas displacif, l’énergie de couplage est nettement supérieure à la hauteur de la barrière du double-puits de potentiel. Loin de la température de transition Tc, les atomes oscillent rapidement autour de la position d’équilibre. A l’approche de la transition, la fréquence d’oscillation diminue pour donner une valeur nulle à Tc. L’instabilité de la phase haute température lorsqu’on s’approche de la température Tc par valeurs supérieures est donc due à l’existence d’un mode mou (amollissement d’une branche d’un mode de vibration). Le changement de structure minimise l’énergie libre du cristal. Dans le cas limite ordre-désordre, l’énergie de couplage est très faible devant la hauteur de la barrière du double-puits de potentiel. La phase de haute symétrie est désordonnée, les atomes occupent de façon aléatoire un des deux puits de potentiel. A l’approche de la transition, ils forment des régions localement ordonnées appelées clusters. Dans un cristal tridimensionnel, la taille et le temps de vie de ces clusters divergent à la transition. Le paramètre d’ordre est associé à la différence de probabilité d’occupation de ces puits. Le passage d’un site à l’autre se fait par un processus de relaxation lié à une certaine énergie d’activation.
Transitions de phase induites par un pulse laser ultra-court.
La situation physique est différente dans le cas où on utilise des pulses lasers ultracourts (par exemple quelques dizaines de femtosecondes). Suivant l’échelle de temps considérée, plusieurs processus physiques peuvent intervenir au sein de la matière. L’échelle de temps de l’ordre de la picoseconde délimite deux types de dynamiques (figure 1.13):
– les processus thermiques, avec un temps caractéristique au-delà de quelques picosecondes gouvernés par des processus stochastiques pour la dynamique des atomes et des molécules, en particulier les processus de diffusion de la chaleur ;
– les processus non thermiques (de quelques femtosecondes à quelques picosecondes) se différenciant des processus thermiques dans le sens où ils apparaissent avant que la quantité d’énergie soit transférée au réseau via les interactions électrons-phonons. Ce sont des processus ultrarapides cohérents apparaissant suite à une excitation laser ultra-courte avant la thermalisation du réseau. L’échelle de temps de l’excitation électronique est de l’ordre de la femtoseconde. Les effets cohérents ne peuvent être observés que si la durée du pulse d’excitation est bien inférieure à celle des temps caractéristiques de la dynamique. Il existe en outre différents types de degrés de libertés (électroniques, atomiques) avec des temps de thermalisation différents, mais aussi des phénomènes de propagation de parois de domaine à l’échelle des phonons acoustiques (pilotée par vitesse du son), probablement par des processus de type onde de choc, c’est à dire au delà des effets linéaires (élasticité) qui eux se traduiraient uniquement par l’émission de phonons acoustiques. On peut rencontrer deux situations coopératives dans le cadre de la transition de phase photo-induite suivant :
•une excitation localisée pouvant conduire à la formation de clusters pour s’étendre ensuite macroscopiquement avec un ordre à grande distance. L’échelle de temps de ce second cas limite est typiquement de quelques dizaines ou centaines de picosecondes car un mouvement de parois de domaines est impliqué.
• une excitation de l’état électronique délocalisée sur tout le volume irradié (fonction de la longueur de pénétration de la longueur d’onde excitatrice) et induisant l’excitation cohérente de modes collectifs d’oscillations (mode mou comme effet précurseur). Le changement d’état électronique modifie la position d’équilibre des atomes dans le réseau, ce qui conduit à un mouvement collectif cohérent des atomes, pouvant faire basculer le système en quelques picosecondes typiquement. Dans le premier cas, sous l’effet d’une perturbation laser sur un système dilué (molécules indépendantes), il se produit une transformation locale mettant en jeu quelques pourcents de molécules donnant lieu à un facteur de structure moyen. Cependant, dans le cas de systèmes coopératifs, la croissance de phase photo-induite peut être de nature différente. En effet, aux premiers instants de la transformation de phase, il peut se produire un ordre local photo-induit à courte portée étendu à quelques unités et associé à ces interactions coopératives. Puis, lorsque le nombre d’espèces excitées est suffisamment grand, le système commute à l’échelle macroscopique. Cette transition peut se faire suivant un processus de nucléation avec un ordre à plus longue portée (figure1.14).
Les sources plasma générées par laser
Principe En oscillant dans le champ d’une onde laser, un électron isolé reste confiné dans l’espace des phases et se contente d’échanger, de façon réversible, de l’énergie avec le champ électromagnétique sans en absorber. Des mécanismes dissipatifs tels que les collisions électron-ion et/ou les effets non linéaires onde-plasma doivent alors intervenir pour obtenir une vraie absorption à caractère irréversible. L’efficacité des collisions étant proportionnelle à la densité, le concept initial d’interaction en régime ultrarapide répond à la nécessité de déposer l’énergie du laser dans une région de densité électronique élevée. Il est fondé sur la possibilité de chauffer la cible solide plus rapidement qu’elle n’a le temps de se détendre durant l’interaction. Le champ électromagnétique pénètre alors dans le solide dense sous la forme d’une onde évanescente : c’est l’effet de peau. Dans un plasma bon conducteur, la profondeur de peau aux longueurs d’onde optiques est de l’ordre de 10 nanomètres. La vitesse de détente du plasma dans le vide est de l’ordre de la vitesse du son, soit quelques 106 cm.s-1 pour des températures de plasma de l’ordre de 500eV (ou 5.106 K). Ainsi, pour que l’onde de détente du plasma dans le vide ne parcoure pas plus que la profondeur de peau pendant la durée de l’interaction, il faut des impulsions laser de l’ordre de 100 femtosecondes (10-13 s). En fait, la profondeur de cible effectivement chauffée durant l’interaction est également déterminée par la conduction thermique électronique qui évacue l’énergie vers l’intérieur de la cible. Typiquement, l’épaisseur de la région fortement chauffée est de l’ordre de quelques centaines de nanomètres, soit une dizaine de fois l’épaisseur de peau. La conduction provoque un refroidissement dans un temps caractéristique proportionnel à la taille de la zone chauffée. De même, l’expansion isotherme est d’autant plus efficace que le volume initial du plasma est petit. On obtient des temps de refroidissement comparables à la durée de l’impulsion laser lorsque l’expansion du plasma durant l’interaction est restée petite en comparaison de l’épaisseur chauffée. Ce point est crucial pour l’interaction laser-matière en régime d’impulsions brèves, d’autant plus que les lasers femtosecondes présentent un contraste impulsionnel difficile à maîtriser, typiquement limité à des valeurs de l’ordre de 10–6 entre l’impulsion principale du laser et le « pied » de l’impulsion. Pour obtenir un rayonnement X d’une durée comparable à celle de l’impulsion laser, il ne doit pas y avoir d’expansion de la cible sous l’effet d’une pré-impulsion avant l’arrivée de l’impulsion laser principale.
La source idéale
Un peu à l’image de l’idéal olympique (« Plus haut, plus loin plus fort »), les utilisateurs en demandent toujours plus vis-à-vis des nouvelles sources créées. Mais en résumé, quelles seraient les caractéristiques de la source idéale ? Les besoins de sources de rayons X ultrarapides utiles peuvent être glanés au fil des demandes des utilisateurs de diffraction de rayons X classique et de spectroscopie optique ultrarapide. Les caractéristiques d’une telle source sont présentées dans le tableau 1.3 pour les applications de dynamique structurale ultrarapide. Bien évidemment, si l’objectif est l’étude de la matière sous forte irradiation X, les flux les plus élevés sont requis ainsi qu’une meilleure focalisibilité pour produire des intensités X supérieures à 1012 W/cm2. Cette source idéale serait polychromatique, de longueur d’onde comprise entre 1 keV et 100 keV, d’une durée d’impulsion inférieure à 10 fs, collimatée (< 1 mrad) et produisant un flux de l’ordre de 1011 photons par tir dans une bande spectrale de 10 %.
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Table des matières
Introduction Générale
Introduction : transitions de phase et diffraction X ultrarapide
1. Transitions de phase à l’équilibre thermodynamique
1.1. Point de vue thermodynamique
1.2. Théorie de Landau
1.3. Mécanisme des transitions de phase structurales
1.4. Modèle d’Ising : approche physique de la transition de spin
2. Transitions de phase photo-induites
2.1. Présentation générale
2.2. Transitions de phase photo-stationnaires
2.3. Transitions de phase induites par un pulse laser ultra-court
3. Comment avoir des informations sur ces dynamiques :quand l’ultrarapide rencontre les X
4. Sources X pulsées ultrarapides
4.1. Les sources plasma générées par laser
4.1.1. Principe
4.1.2. Avantages et inconvénients des sources laser plasma
4.2. Les sources X générées par le rayonnement synchrotron
4.2.1. Principe du découpage de paquets d’électrons
4.2.2. Les sources de diffusion Thomson
4.3. Comparaison entre les propriétés des différentes voies de génération X
4.4. La source idéale
Commutation de spin thermo- et photo-induite dans le système [Fe(DPEA)(NCS)2] :études optique, magnétique et structurale
1. La transition de spin
1.1. Théorie du champ de ligand
1.2. Transition de spin et perturbation extérieure
1.3. Influence de l’excitation laser sur la transition de spin et effet LIESST
2. Commutation de spin dans le composé Fe(DPEA)(NCS)2
2.1. Structure du complexe Fe(DPEA)(NCS)2
2.2. Etude structurale en température du complexe Fe(DPEA)(NCS)2
2.2.1. Evolution des paramètres de maille
2.2.2. Analyse des structures à 18 K, 78 K, 150 K et 295 K
2.3. Etude de la commutation de spin photo-induite par différentes techniques
2.3.1. Etude par diffraction X sous irradiation laser à 78 K
2.3.2. Expérience de réflectivité à l’hélium
2.3.3. Mesure de photo-magnétisme
2.3.4. Etude cinétique de la relaxation
2.3.5. Etude structurale à 18 K sous irradiation laser à 808 nm
2.4. Conclusions et ouvertures
Mesures optiques et diffraction de rayons X ultrarapides sur un composé moléculaire à transfert de charge (EDOTTF)2PF6
1. Dispositifs expérimentaux
1.1. Schéma optique
1.2. Détection
1.2.1. Détection synchrone
1.2.2. Validation du système de détection mis en place
1.3 Mise en place d’un amplificateur paramétrique au LOA
1.3.1. Quelques éléments théoriques-Optique non linéaire du deuxième ordre
1.3.2. Réalisation expérimentale de l’amplificateur paramétrique optique
2. Investigations optiques et structurales résolues en temps de la transition de phase métal-isolant photo-induite ultrarapide dans une famille de composés à transfert de charge : (EDOTTF)2PF6
2.1. Présentation rapide de l’échantillon
2.1.1. Molécule et structure
2.1.2. La transition métal-isolant
2.1.3. Effet photo-induit dans le composé (EDOTTF)2PF6
2.2. Etude cristallographique à l’équilibre thermodynamique
2.3. Expériences optiques résolues en temps menées sur la chaîne laser de la ligne ID09B
2.3.1. Conditions expérimentales et environnement échantillon
2.3.2. Résultats obtenus
2.4. Etude par diffraction X résolue en temps de la transition photo-induite isolant-métal
2.4.1. Principe de la diffraction X résolue en temps sur la ligne ID09B
2.4.2. Résultats obtenus sur le composé (EDO-TTF)2PF6 et discussions
Nouvelles voies d’expériences sur le composé à transfert de charge prototype : le TTFCA
1. Introduction au composé à transfert de charge modèle : le TTF-CA
1.1. La transition neutre-ionique thermique dans le TTF-CA
1.2. La transition photo-induite dans le TTF-CA
1.2.1. Effets photo-induits et optique temporelle
1.2.2. Etudes antérieures réalisées en diffraction X résolue en temps sur le TTF-CA
2. Nouvelles expériences menées sur le TTF-CA en diffraction à l’échelle ps
2.1. Transition photo-induite de neutre à ionique étudiée sur la ligne NW2 (KEK)
2.2. Expérience de diffusion diffuse résolue en temps sur la nouvelle ligne NW14
2.2.1. Conditions expérimentales
2.2.2. Diffusion diffuse en statique
2.2.3. Diffusion diffuse en dynamique
2.2.4. Conclusion sur la diffusion diffuse
3. Diffraction résolue en temps à l’échelle femtoseconde au LOA
3.1. Description du dispositif de diffraction X femtoseconde mis en place au LOA
3.1.1. Le diffractomètre 4 cercles commercial Xcalibur
3.1.2. Le système optique et technique mis en place
3.1.3. Stratégie d’étude en diffraction X résolue en temps
3.3. Premiers résultats obtenus avec la source femtoseconde
3.3.1. Faisabilité des expériences
3.3.2. Présentation des résultats préliminaires obtenus
4. Conclusions sur le chapitre
Conclusion générale et perspectives
Annexes
Bibliographie et références
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