L’infertilité
Dans les pays développés où des moyens de contraception sont facilement disponibles, les couples désirent rarement plus de 2 ou 3 enfants. Cependant le nombre d’enfants peut être aussi limité par des problèmes d’infertilité. L’infertilité est définie comme la difficulté à procréer au-delà de 12 mois consécutifs après l’arrêt de la contraception, quand elle était utilisée (Slama and Leridon 2014). Ainsi, un couple sur quatre ne parvient pas à procréer au bout de ces 12 mois (Slama et al. 2012). Selon une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) conduite dans les années 1990, l’infertilité au sein d’un couple peut être d’origine féminine dans 37% des cas, masculine dans 8% des cas et mixte dans 35% des cas. Pour les 20% des cas étudiés restant, soit une grossesse est survenue en cours d’étude, soit la source de l’infertilité ne pouvait être expliquée (WHO 1992).
Infertilité féminine
Les cas d’infertilité féminine peuvent impliquer différentes causes. Les causes de cette infertilité peuvent résulter de dysfonctionnements hormonaux ainsi que de pathologies des tissus essentiels au potentiel reproducteur des femmes. Ainsi, des altérations fonctionnelles de l’axe hypothalamo-hypophysaire, des ovaires, de l’utérus, de l’endomètre ou des glandes mammaires peuvent affecter la fertilité féminine (Olooto et al. 2012, Habert et al.2014).
Infertilité masculine
La détérioration temporelle de la fertilité masculine a été soulevée, pour la première fois, dans le milieu des années 1970 (Nelson and Bunge 1974). Depuis 1940, la concentration en spermatozoïdes aurait chuté drastiquement dans les pays industrialisés. La concentration en spermatozoïdes serait passée de plus de 100 millions par millilitre de sperme à environ 50 millions (Carlsen et al. 1992, Auger et al. 1995, Sharpe and Irvine 2004, Rolland et al. 2013) . Cette diminution continue est une préoccupation alarmante du fait qu’en dessous de 40 millions de spermatozoïdes par millilitres, les délais nécessaires pour concevoir commencent à s’allonger. De plus, l’OMS, fixe la limite supérieure de l’oligospermie (concentration en spermatozoïdes anormalement basse) à 15 millions de spermatozoïdes. La probabilité de concevoir devient très faible en dessous de 5 millions et nulle en dessous de 1 million (Habert et al. 2014). Cette baisse de concentration peut être aggravée dans les cas où la viabilité, la mobilité, les structures membranaires et l’ADN des spermatozoïdes sont aussi altérés. Cependant, la baisse de qualité du sperme n’est pas le seul symptôme de l’infertilité masculine. Une augmentation du taux de cancer du testicule, des hypospadias (malformation congénitale correspondant à l’ouverture de l’urètre sur la face inférieure du pénis) et des cryptorchidies (ou ectopies : non descente d’un ou des deux testicules dans le scrotum) a également était observée ces dernières décennies (Sharpe and Irvine 2004, Slama and Leridon 2014) .
Causes de l’infertilité
Les facteurs environnementaux tels que les infections et les substances d’origine anthropique constituent des causes majeures de l’infertilité.
Les agents infectieux
Les agents infectieux, pour la plupart sexuellement transmissibles, ont la capacité d’interférer avec la fonction de reproduction de chacun des sexes. Les bactéries telles que Clamydia trachomatis et Neisseria gonorrhoeae et les virus tels que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), celui de l’herpès (Herpes simplex virus-2 (HSV-2)), ceux des hépatites B et C, et le papillomavirus, sont des causes d’infertilité importantes (Pellati et al. 2008, INSERM 2012). Les infections de l’appareil génital seraient impliquées pour 15 % dans les cas d’infertilité masculine (Pellati et al. 2008).
Les substances chimiques
Les substances d’origine anthropique sont particulièrement incriminées dans les troubles de la reproduction. Les polluants atmosphériques, les métaux lourds, les pesticides, les polluants organiques persistants, les phtalates, les phénols, les solvants, etc., sont des substances d’origines diverses et omniprésentes dans l’environnement et qui, en conséquence, contaminent quotidiennement les organismes humains et animaux. Ces substances ont la capacité d’altérer la fonction de reproduction soit en affectant directement les tissus et les organes de la reproduction soit par des perturbations du système endocrinien régulant la reproduction (INSERM 2012, Habert et al. 2014). Dans ce dernier cas, ces substances sont appelées « perturbateurs endocriniens reprotoxiques ».
Ainsi, les substances reprotoxiques peuvent avoir des effets directs sur les organes reproducteurs et les gamètes. Parmi ces effets, les xénobiotiques peuvent générer des espèces réactives de l’oxygène pouvant causer un stress oxydant qui est défini comme un déséquilibre entre les molécules oxydantes et les composés antioxydants des cellules dont les gamètes. Une faible quantité de ces espèces réactives de l’oxygène est nécessaire au phénomène de capacitation des spermatozoïdes qui correspond à leur capacité de fertilisation. Cependant, une quantité trop importante de ces composés oxydants peut engendrer des altérations des membranes plasmiques et de l’ADN des cellules germinales.
Ces modifications peuvent ainsi compromettre la génération des gamètes, la capacité à se mouvoir des spermatozoïdes, la fusion des gamètes et induire un processus d’apoptose conduisant à une baisse du nombre de spermatozoïdes associée à l’infertilité masculine (Agarwal et al. 2003).
Effets des facteurs environnementaux sur les populations
Les effets délétères induits par des expositions de populations humaines à des facteurs environnementaux ont pu être mis concrètement en avant par des études épidémiologiques. Une étude conduite en argentine, entre 1995 et 1998, sur des travailleurs dans une des régions agricoles les plus productives au monde a permis d’établir une corrélation entre la qualité de cet environnement et l’altération de la fertilité masculine (Oliva et al. 2001). De même, une exposition au chlordécone, un insecticide organochloré utilisé dans les bananeraies aux Antilles, a montré des effets reprotoxiques dont une augmentation des cancers de la prostate chez la population indigène (Multigner et al. 2016). Des populations indiennes vivant au bord des grands lacs d’Amérique du nord, près de zones fortement industrialisées, présentaient dans les années 2000, des proportions de moins de 30% de naissances masculines. Un constat similaire a pu être effectué pour la descendance de travailleurs d’usines produisant du plomb et pour des hommes contaminés en 1976, à Seveso en Italie, après l’émission d’un nuage contenant de la dioxine suite à une explosion consécutive à la surchauffe d’un réacteur chimique dans une usine. Un sex-ratio anormal pourrait être expliqué par une sensibilité accrue des embryons mâles ou des spermatozoïdes Y aux facteurs environnementaux (Habert et al. 2014). Parmi les nombreuses études épidémiologiques existantes chez l’homme, celles montrant les effets reprotoxiques des substances chimiques répandus dans notre environnement restent rares.
Importance de l’abeille domestique
De par son activité de butinage et le service de pollinisation des plantes à reproduction entomophiles qu’elle effectue, l’abeille domestique a un rôle écologique mais également une importance agronomique et économique pour l’homme. En 2010, suite à un audit économique de la filière apicole française, la valeur économique des produits et services de l’apiculture a été estimée à plus de 130 millions d’euros (FranceAgriMer 2012).
De plus, cette activité de butinage dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de la ruche, et l’exposition aux polluants environnementaux qui en résulte, confère à l’abeille un rôle de bioindicateur de haute sensibilité de la qualité de l’environnement. Ainsi, Apis mellifera peut être utilisée comme indicateur par (i) la présence de résidus dans les produits de la ruche et les abeilles, (ii) un suivi de l’évolution de ses populations et (iii) l’étude de la modulation de biomarqueurs qui sont définis comme des changements observables ou mesurables au niveau moléculaire, cellulaire, physiologique ou comportemental pouvant révéler une exposition des organismes aux polluants présents dans l’environnement (Bogdanov 2006, Badiou-Beneteau et al. 2013, Carvalho et al. 2013, Barganska et al. 2016, Wegener et al. 2016). Ainsi, l’abeille domestique apparaît comme un insecte d’intérêt dont la biologie et les causes du déclin sont largement étudiées.
Biologie de l’abeille domestique
Les différentes castes
Une colonie d’abeilles domestiques est constituée de plusieurs dizaines de milliers d’individus et présente une organisation complexe avec différentes castes : la reine, les faux-bourdons et les ouvrières . Tous les individus passent par différents stades : œufs, larves, pupes et adultes. Les stades immatures (œufs, larves et pupes) constituent le couvain dont la durée de développement varie selon la caste : 21 jours pour l’ouvrière, 16 jours pour la reine et 24 jours pour le faux-bourdon. L’ouvrière et la reine sont issues d’œufs fertilisés (individus diploïdes). La distinction entre reine et ouvrière se fait essentiellement par l’alimentation reçue lors du développement et, dans une moindre mesure, par la taille de la cellule dans laquelle ces individus sont élevés. La larve destinée à devenir une future reine est nourrie à la gelée royale alors que l’ouvrière reçoit de la gelée nourricière. Le faux-bourdon se distingue par son caractère haploïde. Il est issu d’un œuf non fertilisé pondu dans une alvéole plus large (Winston 1987). Chacune de ces castes a des fonctions qui lui sont propres. La reine, seule femelle reproductrice, s’accouple au début de sa vie et peut avoir une durée de vie de plusieurs années. Elle rythme la vie de sa colonie par les phéromones qu’elle produit et en assure la pérennité en pondant jusqu’à 2000 œufs par jour lorsque les conditions sont favorables (Winston 1987). Les faux-bourdons, reproducteurs mâles, sont produits du printemps à la fin de l’été pour féconder les reines vierges des autres colonies. Ils permettent ainsi la propagation des gènes de leur colonie. Ils peuvent avoir une durée de vie de 2 mois et représentent plusieurs centaines d’individus au sein de la colonie. Ils sont chassés ou tués lorsque les conditions deviennent défavorables au maintien ou au développement de la colonie (Winston 1987, Boes 2010).
Le cycle biologique
A la sortie de l’hiver, lorsque les conditions deviennent favorables, la colonie d’abeilles s’active. Les ouvrières accumulent des réserves, la reine recommence à pondre et la colonie se développe. A cette période, les faux-bourdons font également leur réapparition.
Lorsque les colonies deviennent trop populeuses suite à la forte croissance de la population d’ouvrières, de nouvelles reines sont élevées. L’ancienne reine s’envole alors avec la moitié de ses ouvrières, lors du processus d’essaimage, pour aller fonder une autre colonie.
Au sein de la colonie initiale, une nouvelle reine émerge avant de réaliser ses vols de fécondation aux alentours du 10ème jour de sa vie et prendre sa place de matriarche. Ainsi, le processus d’essaimage peut ainsi être considéré comme le mode de reproduction de ce super organisme qu’est la colonie d’abeille. Les deux colonies issues de la scission de la colonie mère poursuivent leur développement jusqu’à l’arrivée de l’hiver qu’elles appréhenderont avec une baisse graduelle de leur population suite à un ralentissement de l’activité de ponte de la reine et en puisant dans les réserves engrangées à la belle saison. Il faut préciser que le processus d’essaimage n’est pas le seul déclencheur de l’élevage de reines. Celui-ci est également engagé lorsque la colonie renouvèle sa reine moins performante ou trop âgée par supersédure (Winston 1987, Seeley et al. 2006).
|
Table des matières
Partie 1 :Introduction bibliographique
I. Les problèmes de fertilité dans le règne animal
1. Introduction
2. La fertilité humaine
2.1. L’infertilité
2.1.1. Infertilité féminine
2.1.2. Infertilité masculine
2.2. Causes de l’infertilité
2.2.1. Les agents infectieux
2.2.2. Les substances chimiques
1.3. Effets des facteurs environnementaux sur les populations
3. Les troubles de la reproduction animale
II. L’abeille domestique
1. Généralités
1.1. Origine
1.2. Importance de l’abeille domestique
1.3. Une espèce en déclin
2. Biologie de l’abeille domestique
2.1. Les différentes castes
2.2. Le cycle biologique
2.3. La reproduction sexuée
2.3.1. Un mode de reproduction singulier : la polyandrie
2.3.2. Les reproducteurs
2.3.2.1. Le faux-bourdon : anatomie et développement
2.3.2.2. La reine : anatomie et développement
2.3.3. L’accouplement
2.3.4. Migration des spermatozoïdes vers la spermathèque
2.3.5. Détermination du sexe
2.3.5.1. Fertilisation des œufs
2.3.5.2. Détermination génétique du sexe
2.3.6. Les spermatozoïdes
2.3.6.1. Structure et motilité
2.3.6.2. Conservation et métabolisme
2.3.6.3. Evaluation de la qualité du sperme
3. Problématique
Partie 2 :Mise au point d’outils d’étude des effets des stresseurs environnementaux sur
la fertilité des faux-bourdons
Avant-propos
Résumé
Article 1 : Semen quality of honey bee drones maintained from emergence to sexual maturity under laboratory, semi-field and field conditions
Bilan
Partie 3 :Effets des stresseurs environnementaux sur la fonction de reproduction des mâles et conséquences sur l’appauvrissement de la qualité des reines
1. L’exposition des faux-bourdons à l’insecticide systémique Fipronil impacte indirectement le potentiel reproducteur des reines
Avant-propos
Résumé
Article 2 : Drone exposure to the systemic insecticide Fipronil indirectly impairs queen reproductive potential
Bilan
2. Effets d’une association toxicopathologique sur la physiologie des mâles
Avant-propos
Résumé
Article 3 : Nosema ceranae, Fipronil and their combination compromise honey bee reproduction via changes in male physiology
Bilan
Partie 4 :Vers une évaluation des effets toxiques des produits phytopharmaceutiques sur
les faux-bourdons et leur fertilité ?
Avant-propos
Résumé
Article 4 : Assessment of the toxicity of pesticides to honey bee drone fertility using laboratory and semi-field approaches: case study with Fipronil
Bilan
Partie 5 :Synthèse et perspectives
Rappel
Stratégies de recherche mises en œuvre
Bilan des travaux
Interrogations et perspectives
Au niveau des semences
Au niveau du faux-bourdon
Au niveau des reines
Au niveau colonial
Au niveau apicole
Conclusion
Références bibliographiques
Télécharger le rapport complet